Interview de M. Patrick Mignola, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement, à TF1 le 4 avril 2025, sur les droits de douane supplémentaires entre l'Union européenne et les États-Unis et le jugement rendu dans l'affaire des assistants parlementaires européens du Front national.

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Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
Il est presque 07 h 37, bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruce.

BRUCE TOUSSAINT
Votre invité ce matin Patrick MIGNOLA, ministre chargé des relations avec le Parlement.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Patrick MIGNOLA.

PATRICK MIGNOLA
Bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
"Libérez Marine Le PEN", c'est l'appel de Donald TRUMP cette nuit, on va en parler dans un instant. Je veux d'abord qu'on évoque les droits de douanes, puisque la riposte s'organise face aux annonces du président américain. Hier, votre collègue porte-parole du Gouvernement, Sophie PRIMAS, disait : "Nous sommes prêts à cette guerre commerciale". Nous sommes en guerre ?

PATRICK MIGNOLA
En tout cas, Donald TRUMP a déclaré la guerre à l'Europe et à un certain nombre de secteurs économiques. Et face à cette guerre, il faut qu'on ait une contre-attaque qui soit une contre-attaque plus intelligente et plus efficace que ne l'a été l'attaque. En fait, c'est assez simple, avec tout le respect qu'on doit à un dirigeant étranger, avec toute l'affection qu'on peut avoir pour le peuple américain. Il faut juste expliquer au Président TRUMP que quand on prétend avoir raison tout seul, c'est souvent qu'on a tort. Et il a tort pour l'économie mondiale, parce que c'est seulement le libre-échange qui crée de la richesse entre nous. Il a tort pour ses alliés, de s'en prendre ainsi à ses alliés.

ADRIEN GINDRE
Quand le président français, pardon Patrick MIGNOLA, parle d'impact massif, que François BAYROU parle d'une catastrophe, d'une immense difficulté pour nous, est-ce que vous êtes capable, concrètement, de dire aujourd'hui quel va être l'impact en termes de croissance, d'emploi pour nous dans notre pays ?

PATRICK MIGNOLA
Mais oui, bien sûr, parce que le président des États-Unis, je le répète, a tort, vis-à-vis de son peuple, il a été élu pour maîtriser l'inflation et faire augmenter le pouvoir d'achat. Il va relancer l'inflation et il va faire baisser le pouvoir d'achat chez lui. Nous, ce qu'on doit éviter, c'est exactement de ne pas aller vers une augmentation de l'inflation et une baisse du pouvoir d'achat. Comment on va le faire ? On ne va pas le faire de façon massive, en maniant des chiffres qui, la plupart du temps, sont infondés. On va essayer de le faire de façon ciblée, et on sait qu'au niveau de l'économie des services, comme l'a dit Sophie PRIMAS sur les GAFA, on sait que, de tous les temps, les GAFA, dans le domaine du numériques, ne sont pas des réussites technologiques, mais sont des réussites financières qui sont basées sur l'économie de prédation.

ADRIEN GINDRE
Donc, les géants du numérique seront bien dans la liste des représailles.

PATRICK MIGNOLA
Donc, on a besoin, aujourd'hui, de regarder si des investissements éventuels doivent se faire sur les GAFA, sur les services financiers, sur les investisseurs américains qui, souvent, viennent chez nous pour essayer de capter l'épargne des Européens. L'année dernière, il y avait 19 % de taux d'épargne en France. Et donc, les fonds américains, en général, viennent chez nous pour récupérer leur argent, pour l'investir aux États-Unis. Mais, évidemment, on va essayer de le faire, à chaque fois, avec une forme d'ambiguïté stratégique. Le but, ce n'est pas de faire mal et de faire mal à tout le monde, c'est de faire peur pour qu'on arrête de se faire mal.

ADRIEN GINDRE
Revenons à Donald TRUMP et à ses propos. Je le disais, cette nuit, il concernait Marine Le PEN, sa condamnation, notamment, pour inéligibilité. Il dénonce une chasse aux sorcières. Je lis la citation : "C'est tellement mauvais pour la France et pour le grand peuple de France. Libérez Marine Le PEN". Qu'est-ce que vous lui répondez ? Qu'est-ce que ça vous inspire ?

PATRICK MIGNOLA
Libérez les Français des droits de douane.

ADRIEN GINDRE
Et pour Marine Le PEN ?

PATRICK MIGNOLA
C'est ça que je réponds et je pense que, dans une relation entre deux pays, c'est d'abord les échanges économiques, commerciaux, les échanges de services qui valent. Et ce n'est pas porter un jugement sur un verdict judiciaire qui s'est déroulé.

ADRIEN GINDRE
Il y a une ingérence ?

PATRICK MIGNOLA
Il n'y a pas d'extraterritorialité, même pas du commentaire.

ADRIEN GINDRE
Il y a une ingérence du président américain ?

PATRICK MIGNOLA
Moi, je dis une chose simple. C'est, au lieu de dire : "Libérez Marine Le PEN, libérez toutes les économies européennes et américaines". Et je pense que les consommateurs américains vont être les premiers touchés par les décisions du président des États-Unis.

ADRIEN GINDRE
C'est une pirouette habile, mais un peu facile. Je vais plus loin. Il dénonce les gauchistes européens qui se servent de l'arme judiciaire pour faire taire la liberté d'expression. Son vice-président, JD VANCE, parle d'une accusation particulièrement mineure. Il qualifie les charges retenues contre Marine Le PEN et dit-il que tout cela vise à l'écarter de marbre et faire comme si ça n'existait pas ?

PATRICK MIGNOLA
Non, il ne s'agit pas de rester de marbre. Il s'agit d'avoir, face à des attaques et une recherche au fond du conflit, souvent du conflit verbal, il s'agit d'offrir un visage qui est celui des Européens et qui doit rester celui de la rationalité, celui de la diplomatie et celui de la fermeté.

ADRIEN GINDRE
Donc, on laisse continuer à tenir ses propos sans nous-mêmes réagir, sans nous-mêmes réagir ?

PATRICK MIGNOLA
Et face à ses propos, il faut que nous, nous soyons fermes dans la riposte, suffisamment précis dans les secteurs économiques qui pourraient être touchés aux États-Unis pour que demain se réouvre une voie diplomatique. Vous savez, quand vous rentrez dans une escalade verbale, vous ne pouvez plus faire de désescalade économique. Le rôle du Gouvernement, c'est de ramener de la rationalité dans le débat, de ne pas rentrer dans cette sorte de huit relationnel pervers.

BRUCE TOUSSAINT
Vous reconnaissez au moins que c'est inédit ? Inédit et grave ?

PATRICK MIGNOLA
Ah oui, c'est absolument inédit. C'est absolument inédit, c'est pour ça que le Gouvernement de la France, en fait, aujourd'hui, il doit tenir une ligne et ne pas se laisser emmener sur ce terrain de l'agressivité. Et c'est comme ça qu'on sera efficace. On se ferait tous plaisir à lancer des grands mots. La responsabilité gouvernementale, ce n'est pas d'utiliser des grands mots, c'est d'utiliser des grands remèdes.

ADRIEN GINDRE
Parfois, la responsabilité, c'est aussi de défendre nos institutions, notre pays, ce à quoi l'on croit, et ne pas se laisser marcher dessus par le président américain.

PATRICK MIGNOLA
Et comme vous l'avez constaté, on se faisait exactement les mêmes réflexions sur la relation avec l'Algérie il y a quelques semaines. Et il fallait brasser beaucoup d'air et crier très fort pour obtenir quelque chose. On s'est rendu compte qu'en tenant une ligne de calme, de responsabilité et de rationalité, finalement, le débat s'est réouvert.

ADRIEN GINDRE
Dimanche, je le disais, donc, il y a un meeting de soutien à Marine Le PEN qui est organisé par le Rassemblement National à Paris. Est-ce que vous êtes inquiet de la manière dont ça va se passer ?

PATRICK MIGNOLA
La thématique de ce rassemblement, c'est souvent la démocratie. Oui, ils ont parfaitement le droit, évidemment, de défiler pour leur parti. Je préférerais qu'ils défilent pour leur parti et pas contre la justice.

ADRIEN GINDRE
Bon, pour le coup, dans ce cas-là, le mot d'ordre revient alors.

PATRICK MIGNOLA
Parce que, sauvons la démocratie, il faut dire ce qui, normalement, est derrière. La démocratie, c'est le pouvoir arrête le pouvoir. Il y a une séparation des pouvoirs en France. Il y a un pouvoir exécutif, législatif et un pouvoir judiciaire. Et donc, il faut savoir respecter cette séparation des pouvoirs, sinon, sauvons la démocratie, c'est seulement un slogan.

ADRIEN GINDRE
Patrick MIGNOLA, dites-le peut-être au Premier ministre, François BAYROU. Il a fait connaître son trouble cette semaine. C'est une déclaration qui a beaucoup troublé, justement. Il leur dirait, c'est le rôle d'un Premier ministre de faire connaître son trouble. D'aller même à l'Assemblée, pardon, jusqu'à s'exprimer comme citoyen. Il a dit que je vais m'exprimer en tant que citoyen.

PATRICK MIGNOLA
En fait, le trouble, il a été chez beaucoup de Français, et chez le Premier ministre aussi, sur les conséquences de cette décision. Qu'est-ce qu'il a rappelé ? Il a rappelé qu'il faut respecter la décision de justice. Qu'il faut protéger les magistrats. Et que, de toute façon, la seule chose que peuvent faire les politiques, et en particulier le Parlement, c'est de changer la loi par laquelle ce verdict est arrivé. Si demain, les parlementaires veulent s'en saisir, ils pourront s'en saisir. Mais moi, j'observe, il y a quelques années, que quand la loi sur l'inéligibilité a été votée, en 2016, en 2017, à l'époque, le Rassemblement National ne discutait pas de savoir s'il fallait ou non des exécutions provisoires des décisions. Il discutait de savoir s'il fallait l'inéligibilité ou l'inéligibilité à vie. Et donc, là aussi, il faut rappeler les principes et ramener tout le monde au calme.

ADRIEN GINDRE
Le ministre de l'Intérieur, hier soir, était interrogé sur l'existence de juges rouges en France. Il répond : "C'est objectif". C'est objectif, il y a des juges rouges en France, sous-entendu, des juges de gauche ou d'extrême-gauche qui rendent la justice ?

PATRICK MIGNOLA
Alors, moi, je considère qu'un juge, c'est un citoyen qui a le droit de voter et qui a le droit d'avoir des opinions. Mais je considère que le juge, juge en son âme et conscience sur la base de la loi qui a été votée au Parlement.

ADRIEN GINDRE
Donc, est-ce qu'il y a ou non des juges rouges en France comme le fait le ministre de l'Intérieur ?

PATRICK MIGNOLA
Et vous pouvez y avoir, dans n'importe quel métier, dans n'importe quelle institution, dans n'importe quelle administration, des personnes qui ont une opinion. Il faut le respecter en démocratie, il ne faut pas toujours considérer que parce qu'on a une opinion, elle va nécessairement éclairer les décisions.

ADRIEN GINDRE
Donc, erreur du ministre de l'Intérieur, vous ne partagez pas cette position.

PATRICK MIGNOLA
Mais vous cherchez à me faire dire des choses désagréables sur le Président TRUMP, et je ne suis pas là pour ça.

ADRIEN GINDRE
Non, j'aimerai juste comprendre.

BRUCE TOUSSAINT
Vous n'êtes pas là pour répondre aux questions. C'est une drôle de conception de l'interview politique, que vous avez, Monsieur MIGNOLA. On ne se connaît pas très bien, mais je découvre…

PATRICK MIGNOLA
Bruce TOUSSAINT, je vais vous dire une chose. Si on veut, dans un pays fragile, essayer de ramener de l'apaisement, parce que c'est la seule condition de l'action, il ne faut pas rentrer à chaque fois dans de la surenchère de conflits et d'agressivité. C'est la ligne à laquelle se tient le Premier ministre, c'est la ligne à laquelle je me tiens. Nous, on veut agir, on ne veut pas réagir.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 avril 2025