Texte intégral
JULIEN ARNAUD
Bonjour Monsieur le Ministre.
BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Julien ARNAUD.
JULIEN ARNAUD
Merci beaucoup d'être avec nous ce matin en direct, commençons peut-être par quelques nouvelles. Si vous en avez, de l'incendie qui s'est déclaré en plein Paris hier, on a vu les images dans le journal, de nombreux pompiers mobilisés, un centre de tri a brûlé. Est-ce que vous savez si la situation est complètement sous contrôle ? Est-ce que vous savez ce qui s'est passé ?
BRUNO RETAILLEAU
Le feu n'est pas encore éteint, c'était très très impressionnant, le panache de fumée qu'on voit sur les images. On n'a pas pu faire encore une enquête très précise pour savoir quel avait été le facteur de déclenchement, ce qui est important. Et le préfet de police s'est exprimé, on l'a vu aussi tout à l'heure dans votre journal, il n'y a pas de problème de toxicité de l'air, mais on y fait très très attention, évidemment.
JULIEN ARNAUD
La circulation est encore bloquée, vous appelez encore les gens à rester chez eux ou pas spécialement ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, pas spécialement, simplement on a mobilisé quand même 200 pompiers. Il y a eu une force, en termes de sécurité civile très impressionnante, mais il le fallait parce que l'incendie a été important.
JULIEN ARNAUD
Alors, on a appris ce week-end, Monsieur le Ministre, qu'un attentat à la ceinture explosive avait sans doute été évité dans le Nord. Est-ce que vous avez maintenant, 48-72 heures après cette arrestation, d'autres précisions sur ce qui s'est passé dans cette affaire ?
BRUNO RETAILLEAU
On a quelques précisions, je ne peux pas les donner parce que le parquet national antiterroriste s'est saisi, donc il y a une enquête judiciaire, mais je confirme que c'est bien des terroristes islamistes. Il faut savoir que la menace n'a jamais été aussi présente depuis que je suis nommé ministre de l'Intérieur, ce n'est pas moins de six attentats qui ont été déjoués, mais nous avons malheureusement, comme celui de Mulhouse, des attentats qui ont réussi. On a, aujourd'hui, une double menace. Il y a toujours la menace exogène qui vient de l'extérieur, notamment de l'État islamique, au Khorasan, ça veut dire autour de l'Afghanistan. Mais la menace qui est la plus réelle, la plus pesante, c'est la menace intérieure, avec de plus en plus de jeunes. Vous savez que sur l'ensemble de ces attentats, 70 % étaient âgés de moins de 21 ans ?
JULIEN ARNAUD
C'est le cas ici ?
BRUNO RETAILLEAU
C'est le cas, ce sont des jeunes, effectivement, et souvent, en réalité, ils se radicalisent sur Internet, et il faut y faire très attention.
JULIEN ARNAUD
Avec en plus cet aspect de la ceinture explosive qu'on n'avait pas vu en France depuis longtemps, est-ce que visiblement il y a une formation sur Internet également pour manier cette explosive de la part de ce suspect ou pas ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais il y a tout sur Internet, il y a tout. C'est un facteur de radicalisation. Il faut notamment la DGSI qui fait un travail remarquable. Vous vous rendez compte que depuis les premiers attentats à Toulouse, c'était en 2012, pas moins de 86 attentats ont pu être déjoués. La France s'est réarmée. Je ne veux pas dire que demain il n'y aura pas d'attentats. Regardez ce qui s'est passé en Autriche, en Allemagne, aux États-Unis. On n'est pas à l'abri de ça. Mais croyez-moi, on a un État qui s'est profondément réarmé, et les services sont très actifs, mais il faut rester très prudent.
JULIEN ARNAUD
Des services qui ne souffrent pas de la contrainte budgétaire ? Vos budgets sont sanctuarisés ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, on les a préservés, et notamment sur la DGSI. En quelques années, en moins de dix ans, elle a vu notamment ses effectifs profondément augmenter. C'est important. Et vous savez, au moment où j'avais installé le bras de fer avec l'Algérie, c'est que je ne voulais pas qu'un deuxième Mulhouse puisse se reproduire. Et Mulhouse, c'était un Algérien qui aurait dû être en Algérie, qui avait été présenté à quatorze reprises aux autorités algériennes qui ne l'avaient pas réadmis sur leur sol, contrairement au droit d'ailleurs.
JULIEN ARNAUD
Et vous allez nous dire ce que vous pensez de la situation en ce moment avec l'Algérie, puisqu'elle a évolué. D'abord, peut-être un autre front, c'est le narcotrafic qui est l'un de vos combats. Également, un jeune homme a été abattu hier en plein jour près d'une école à Vaulx-en-Velin. Les élèves sont restés confinés une heure. Là aussi, on a vu la mer de Vaulx-en-Velin, il y a quelques minutes seulement qu'il vous appelle, vous, à davantage de renforts et une présence policière permanente sur le long terme. Vous lui répondez quoi ?
BRUNO RETAILLEAU
Ces renforts, on les a, et vous pouvez le constater déjà sur le terrain, mais ça n'est pas suffisant. C'est une guerre, et je le dirai aux Français, c'est moi qui, il y a deux ans, ai provoqué, initié la commission d'enquête au Sénat qui a donné lieu à des conclusions et qui ont été traduites dans cette PPL qui a été votée à l'unanimité au Sénat, qui a été votée à une très forte majorité à l'Assemblée nationale il y a quelques jours. Donc il y a ce réarmement de l'État.
JULIEN ARNAUD
C'est suffisant ou il faut aller encore plus loin ?
BRUNO RETAILLEAU
Il faut aller plus loin, c'est-à-dire qu'on va avoir une loi. Cette loi, elle va totalement transformer, comme on l'a fait pour le terrorisme. Elle va donner des nouveaux outils à l'État, mais on a une nouvelle doctrine, et je pense que si on veut démanteler les points de deal, d'ailleurs celui-ci avait été démantelé, il faut aussi une action judiciaire dans la profondeur. Ce que je veux dire aux Français, c'est que c'est une guerre qui est une guerre très importante parce que les narcotrafiquants sont devenus une puissance, qui est une puissance d'argent.
JULIEN ARNAUD
Mais on a l'impression que c'est un peu Sisyphe cette guerre. Vous démantelez les points de deal, et puis une semaine après, les dealers reviennent.
BRUNO RETAILLEAU
Mais c'est pour ça que la doctrine que je suis en train d'installer, qui produit progressivement, mais trop lentement sans doute, des effets, c'est qu'on ne tape pas seulement avec des forces de l'ordre dans la fourmilière. Ce que je veux, c'est qu'il y ait un travail de renseignement en amont et qu'il y ait une judiciarisation pour qu'on puisse démanteler les réseaux avec l'aide de la justice, en allant chercher ceux qui maintiennent ces réseaux, ceux qui sont vraiment les narcotrafiquants. On y arrivera avec la loi, avec cette nouvelle stratégie. On commence à avoir des résultats. Regardez, hier encore, plus de 600 kilos de cocaïne qui ont été prélevés, qui ont été saisis. 800 kilos, il y a quelques jours. 600 kilos, c'est l'équivalent de près de quarante millions d'euros, 37 millions d'euros. Donc, on porte des coups. Avec la loi, on aura de nouveaux outils, de nouvelles armes. Mais tout ne peut pas se faire en un instant. C'est une guerre qui va être longue. Il va falloir être cohérent, mais surtout très constant dans l'action. Nous le serons et au bout, on les aura. Comme on a eu AMRA, souvenez-vous, au bout de neuf mois de cavale, j'avais dit que ça prendra le temps que ça prendra, mais on l'aura. On l'aura et on les aura tous, ces narcotrafiquants.
JULIEN ARNAUD
Alors vous nous avez parlé de l'Algérie. Arrêtons-nous un petit peu sur ce dossier qui est important. On a vu que le dialogue avait repris le week-end dernier. Votre collègue des affaires étrangères, Jean-Noël BARROT, est allé sur place. Est-ce que depuis cet échange, vous avez, vous, ministre de l'Intérieur, constaté des changements ? Est-ce que maintenant, ça y est, l'Algérie, comme par magie, reprend toutes les ressources que vous vouliez lui renvoyer ou pas ?
BRUNO RETAILLEAU
Moi, ce que je veux dire, c'est que j'ai assumé dans ce dialogue et dans cette crise un rapport de force. Parce que je pense qu'à un moment donné, on ne peut pas seulement être gentil, mais il faut montrer un peu de muscle.
JULIEN ARNAUD
Mais est-ce qu'il paye ce rapport de force ? Est-ce qu'il y a des conséquences concrètes ?
BRUNO RETAILLEAU
En tout cas, il a fait bouger des lignes.
JULIEN ARNAUD
Mais vous ne dites pas oui. Vous ne répondez pas oui.
BRUNO RETAILLEAU
Non, parce que dans ce genre d'affaires, il faut à la fois le rapport de force et il faut aussi la diplomatie. Quand on veut sortir d'une crise, il faut discuter. C'est ce qu'a fait Jean-Noël BARROT dimanche à Alger. Simplement, je suis très vigilant. Et si ça fonctionne, je souhaite avec mon coeur que Boualem SANSAL soit libéré, que demain, des ressortissants dangereux qui sont en France, qui devraient être en Algérie, soient réadmis par l'Algérie.
JULIEN ARNAUD
Et vous avez des garanties là-dessus ou pas ?
BRUNO RETAILLEAU
Pour l'instant, je n'en ai aucune. Et je serai extrêmement vrai, si j'ose dire. C'est-à-dire que je suis vigilant, je jugerai sur pièce, au résultat. Si Boualem SANSAL est libéré, si les Algériens réadmettent leurs ressortissants dont ils doivent avoir la charge sur leur sol, je le dirai. Mais je dirai aussi si c'est un échec.
JULIEN ARNAUD
Et si c'est un échec, vous partez ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, si c'est un échec, je le dirai.
JULIEN ARNAUD
Vous avez dit : " Si je ne suis pas soutenu, si la fermeté n'est pas la ligne adoptée, je partirai ". C'est un engagement.
BRUNO RETAILLEAU
Non, un journal, j'ai accordé un journal, un journal a titré sur la démission, mot que je n'avais pas, évidemment, prononcés. Mais simplement, je pense que c'est fondamental de ne pas être naïf.
JULIEN ARNAUD
Est-ce que ce que vous nous dites accrédite les propos de Laurent WAUQUIEZ, qui disait hier : " C'est une humiliation, la France a accepté de capituler, on nous avait dit que ce serait une réponse graduée, j'avais compris que ce serait très graduée, et aujourd'hui, on n'a même plus de riposte ". Vous nous dites ce matin que vous n'avez aucune garantie, alors que le dialogue a repris. Est-ce que ça lui donne raison ou pas ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, la garantie, ça a été un coup de fil entre les deux présidents TEBBOUNE et le Président Emmanuel MARON, aux termes duquel, moi, j'ai eu un certain nombre d'éléments qui nous laissaient bon espoir. Je ne demande pas mieux que ça se réalise. C'est important. Encore une fois, je fais très attention, il y a quand même la vie d'un homme qui est en danger. Boualem a 80 ans, il est atteint d'un cancer, je veux vraiment qu'il soit libéré.
JULIEN ARNAUD
Et sur les OQTF, un député a dit hier que 7 OQTF avaient été repris par l'Algérie, c'est vrai ou pas ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, il n'y a pas plus d'OQTF qui ont été repris, il y a une liste de 58 noms qui a été donnée à l'Algérie, elle avait plusieurs semaines, on verra bien. Écoutez, j'ai vraiment imposé un rapport de force. Les lignes ont bougé, la preuve, c'est que François BAYROU avait adopté aussi cette ligne de la riposte graduée qu'on a commencé à mettre en oeuvre. Il y a un dialogue, écoutez, laissons la chance au dialogue. Simplement, je jugerai sur pièce, si ça marche, ça sera génial, je le dirai, j'applaudirai demain, si ça ne fonctionne pas…
JULIEN ARNAUD
Mais d'ici à quand, c'est quoi l'échéance ?
BRUNO RETAILLEAU
C'est quelques semaines, c'est rapide. Mais si ça ne fonctionne pas, je le dirai, et alors ? Il faudra absolument riposter, parce que les Français ne le comprendront pas, et parce qu'ils le comprendront d'autant moins qu'ils le prendront comme une sorte d'humiliation à la fierté française. Et ça, ce n'est pas tolérable. On aime notre pays, moi le premier. Et on n'aime pas que le pays soit, justement, humilié. Mais pour l'instant, il ne l'est pas, il y a cette chance. Jean-Noël BARROT est allé à Alger, moi je veux croire que ça va fonctionner.
JULIEN ARNAUD
Vous allez à Alger bientôt ? Vous y allez vous-même ?
BRUNO RETAILLEAU
Ça n'est pas dans mon agenda.
JULIEN ARNAUD
Ça n'est pas dans votre agenda, très bien. Le ministre de l'Intérieur qui attend des résultats probants d'ici à quelques semaines, nous a été dit ce matin dans les 4V. Merci beaucoup.
BRUNO RETAILLEAU
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 avril 2025