Texte intégral
SALHIA BRAKHILIA
Bonjour Marc FERRACCI.
MARC FERRACCI
Bonjour.
SALHIA BRAKHILIA
Ça y est, les 20% de droits de douane pour les produits européens exportés aux États-Unis commencent aujourd'hui. Quels sont les secteurs les plus touchés chez nous, en France ?
MARC FERRACCI
Potentiellement, beaucoup de filières. Pourquoi ? Parce qu'il y a 28 000 entreprises sur notre territoire qui exportent aux États-Unis. Pour une large partie d'entre elles, les États-Unis représentent plus de 50% de leur carnet de commandes. Et donc, les impacts, aujourd'hui, ils ont toutes les chances d'être très importants. Des impacts directs pour ceux qui exportent, mais aussi des impacts indirects à travers les entreprises, industrielles ou autres d'ailleurs, qui ont des chaînes de valeur très intégrées avec les États-Unis, c'est-à-dire, qui vont exporter des composants qui vont, elles-mêmes, recevoir des composants d'autres pays qui sont impactés par les États-Unis. Donc, on a un certain nombre de filières qui sont, aujourd'hui, potentiellement en difficulté.
SALHIA BRAKHILIA
On parle de quels secteurs ?
MARC FERRACCI
Les filières qui exportent le plus aux États-Unis, ça peut être la cosmétique et le luxe, ça peut être l'aéronautique, qui exporte beaucoup. Ça peut être les industries mécaniques.
JEROME CHAPUIS
Mais il n'y a pas besoin d'être un exportateur aux États-Unis pour être touché aujourd'hui ?
MARC FERRACCI
C'est bien ça le problème. C'est bien ça le problème, c'est que ce qui a été annoncé par l'administration américaine, c'est un choc majeur qui déstabilise complètement l'ordre commercial international tel qu'il fonctionne depuis la Deuxième Guerre mondiale, qui déstabilise des chaînes de valeur, c'est-à-dire, des processus de production qui sont découpés entre pays. Et qui, donc…
SALHIA BRAKHILIA
Vous avez un exemple ? Vous disiez, par exemple, l'aéronautique. Si on prend l'exemple D'Airbus et de Boeing, en fait, ils se fournissent auprès des mêmes fournisseurs, c'est ça ?
MARC FERRACCI
Bien sûr, Airbus et Boeing, qui sont les deux grands constructeurs d'avions dans le monde, eh bien, ont des chaînes de valeur qui sont très intégrées. Ils ont des équipementiers, des fournisseurs qui sont très souvent les mêmes. Ils commercent de manière transatlantique, de manière extrêmement fluide, avec quasiment aucun droit de douane. Et donc, le fait d'imposer des droits de douane sur cette filière-là, ça va évidemment changer complètement les calculs économiques. Il y a des équipementiers qui produisent des moteurs, qui produisent des mats de moteurs, qui produisent des ailes d'avions, qui produisent des cockpits, qui, aujourd'hui, sont extrêmement préoccupés. Et donc, on a besoin…
JEROME CHAPUIS
Pardon, mais il peut y avoir des pénuries, par exemple ?
MARC FERRACCI
Vous savez, à un moment, une entreprise, elle produit, si elle sait pouvoir vendre, à des tarifs compétitifs. Et quand les droits de douane augmentent de 20%, comme ça va être le cas, un certain nombre d'entreprises se pose la question de continuer à produire. Vous avez d'ailleurs un exemple, avec STELLANTIS qui, aux États-Unis, a arrêté de produire, parce que les composants qu'ils importaient d'ailleurs, du Canada ou d'Europe, devenait trop chers.
SALHIA BRAKHILIA
Et donc, a mis à pied des centaines d'employés sur place, dans le Michigan. Mais en France, du coup, on peut envisager des suppressions d'emplois ?
MARC FERRACCI
C'est un risque, il faut bien le voir. Si les tarifs de l'administration américaine s'inscrivent dans la durée, il y aura des impacts sur l'emploi. Quels vont être ses impacts ? Quantitativement, c'est très difficile à dire, parce que ça dépend de beaucoup de choses. Ça dépend, d'abord, de l'impact sur les prix des produits des entreprises qui exportent aux États-Unis ou qui sont concernées, par leurs équipementiers ou par leurs fournisseurs, par l'augmentation des tarifs. Concrètement, il y a une question très directe qu'il faut poser : est-ce que les entreprises dont les prix des produits augmentent de 20% quand elles exportent aux droits de douane pour les produits européens exportés aux États-Unis droits de douane pour les produits européens exportés aux États-Unis peuvent répercuter ces 20% dans leurs prix ? Ou est-ce qu'elles peuvent diminuer leurs marges ? Ça, c'est une question que nous avons posée hier aux industriels. C'est une question difficile qui dépend de chaque filière. Et il n'y a pas de réponse unique. Il y a des filières industrielles qui ont des concurrents qui peuvent très vite prendre leur place.
JEROME CHAPUIS
Mais pardon, mais vous savez faire un diagnostic aujourd'hui ?
MARC FERRACCI
Justement, c'est là toute la difficulté. Et c'est ce que nous essayons de faire, c'est ce que nous avons mis en place hier, puisque j'ai convoqué un Conseil national de l'industrie, avec les principales filières industrielles. Éric LOMBARD, le ministre de l'économie, il fera de même avec l'ensemble des acteurs économiques. Aujourd'hui, on a besoin de ce diagnostic pour calibrer la réponse, parce que la réponse, elle sera, vous le savez, forcément, européenne. Elle a besoin d'être ferme, cette réponse, parce que si, vis-à-vis de l'administration américaine, vous ne posez pas un rapport de force tout de suite, vous avez très peu de chances d'obtenir quoi que ce soit dans la négociation. Mais elle doit aussi, et j'insiste, elle doit aussi être proportionnée. Ça veut dire concrètement que l'augmentation tous azimuts des tarifs, ce n'est pas la bonne solution. Ça va probablement avoir des effets très délétères sur un certain nombre de filières industrielles. Donc, nous sommes dans un diagnostic très fin, aujourd'hui, pour savoir ce qu'il faut apporter comme réponse.
SALHIA BRAKHILIA
La réponse, elle doit être forcément collective. C'est ce que vous dites, au niveau européen. Sauf que, vous le savez, l'Italienne Georgia MELONI, elle s'envole pour Washington la semaine prochaine. Vous avez peur qu'elle la joue solo ?
MARC FERRACCI
Il y a un risque. Et c'est un risque qui est présent depuis le début, puisque nous savons que Donald TRUMP a une stratégie assez claire, assez simple, qui est de diviser les Européens. Face à ce risque, nous devons être unis, parce que l'Europe n'est forte que si elle est unie. Nous avons 450 millions de consommateurs. C'est un marché dont les États-Unis ne peuvent pas se passer. Et si on commence à avoir des discussions bilatérales, évidemment que ça va casser cette dynamique qui aujourd'hui est présente. Lundi, lors de la discussion qui a eu lieu entre les ministres du Commerce, auxquels étaient présents mon collègue Laurent SAINT-MARTIN, il y avait une assez grande unité sur la nécessité d'apporter une réponse ferme, même si tous les pays n'étaient pas forcément alignés sur le calendrier de cette réponse. Mais j'insiste vraiment, il faut de l'unité, il faut de la fermeté, il faut de la proportionnalité. Parce que si on apporte une réponse qui produit de l'escalade, c'est malheureusement ce qui est en train de se produire entre les droits de douane pour les produits européens exportés aux États-Unis et la Chine. Eh bien, forcément, ce sont nos emplois, ce sont nos entreprises, ce sont nos territoires qui vont en souffrir.
JEROME CHAPUIS
Il y a la réponse vis-à-vis des droits de douane pour les produits européens exportés aux États-Unis, puis il y a la réponse à nos entreprises, à nous. Ce matin, le président du Medef, Patrick MARTIN, appelle le Gouvernement, il vous appelle, à doper l'économie française. Comment est-ce que vous comprenez ça ? Ça veut dire, des subventions, des aides directes comme pendant Covid ?
MARC FERRACCI
Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un soutien financier qui est demandé par le président du Medef. En revanche, et là, nous en sommes parfaitement d'accord, nous devons accélérer sur les réformes qui doivent renforcer la compétitivité de nos entreprises.
JEROME CHAPUIS
Mais ce que dit le président du Medef, précisément, c'est qu'il veut éviter la récession. Pour éviter la récession, on fait quoi ?
MARC FERRACCI
On a évidemment l'ambition, d'abord, d'obtenir une désescalade à court terme, c'est-à-dire, une baisse des tarifs douaniers de l'administration américaine, et évidemment, d'éviter les effets récessifs, les pertes d'emplois. Ça, on partage cet objectif. Qu'est-ce qu'on fait ? D'abord, on a cet objectif de court terme qui est d'abord une réponse européenne, ferme. Dans quelques jours, à la mi-avril, nous allons avoir une réponse aux premières vagues de tarifs qui ont été opérées par l'administration américaine. Et à la fin du mois, nous aurons, et c'est ce que nous sommes en train de préparer avec les acteurs, une réponse sur un montant beaucoup plus ample de produits américains, qui feront l'objet soit de tarifs, soit de restrictions quantitatives. Toutes les options sont sur la table. Et pour répondre à votre question, comment est-ce qu'on évite la récession ? Comment est-ce qu'on évite la récession ? D'abord, en ayant cette réponse de court terme, et ensuite, en améliorant les conditions de la compétitivité pour nos entreprises. Ça veut dire, concrètement, faire en sorte de simplifier la vie économique. Nous sommes en train d'en discuter au Parlement, avec un projet de loi. Ça veut dire, faire en sorte de permettre à nos industriels d'accéder à des prix de l'énergie compétitifs. Ça veut dire poser la question de la baisse des impôts et de la continuité de la baisse des impôts, en particulier, les impôts de production, de la baisse des charges qui pèsent notamment sur le travail. Tous ces sujets…
JEROME CHAPUIS
Ça peut être baisse des charges contre hausse de la TVA, parce que c'est là aussi, une demande de ce matin, de Patrick MARTIN, mais aussi, l'autre jour, sur ce plateau, du patron de la CPME.
MARC FERRACCI
Tous ces sujets, aujourd'hui, doivent être regardés.
JEROME CHAPUIS
TVA y compris ?
MARC FERRACCI
Compte tenu du contexte. Moi, je dis depuis très longtemps que le financement de notre protection sociale, il pèse trop sur le travail. Est-ce qu'on doit le financer en taxant la consommation à travers la TVA, en augmentant d'autres prélèvements ? L'impôt foncier, c'est ce que proposent certains économistes. Moi, je n'ai pas, aujourd'hui, de religion sur ce qu'on doit faire. Mais je dis que le débat sur comment on finance notre protection sociale, qui pèse trop sur le travail et qui, donc, nuit à l'emploi, il doit être ouvert. Maintenant.…
JEROME CHAPUIS
Pas de fermeture de la porte pour la hausse de la TVA ?
MARC FERRACCI
Je pense que, encore une fois, dans la situation dans laquelle nous sommes, tout doit être regardé, analysé, instruit. Tout doit être discuté, y compris politiquement. Parce qu'on sait que la situation au Parlement, elle est compliquée. Mais encore une fois, nous ne fermons aucune porte, au niveau européen, pour répondre à TRUMP, au niveau Français, pour accroître et améliorer la compétitivité de nos entreprises. Parce que dans le moment, si on se restreint, eh bien, je pense que ceux qui vont souffrir à la fin, ce sont nos entreprises, en particulier, les petites qui sont dans les territoires. Ce sont les emplois, et en particulier, les emplois industriels. Et ça, c'est évidemment ce que nous souhaitons.
SALHIA BRAKHLIA
Sauf qu'on a du mal à comprendre quelle serait la réponse européenne, Marc FERRACCI, parce que sur le papier, vous l'avez dit, on a compris que tout était sur la table. De la négociation par filière à carrément la coercition, c'est-à-dire, l'interdiction d'entreprises américaines aux marchés publics. Ça, c'est ce qu'a dit Stéphane SEJOURNE, le commissaire européen. Si l'éventail est aussi large, est-ce que ça veut dire qu'en fait, vous ne savez pas par quel bout prendre la solution ?
MARC FERRACCI
L'éventail est très large, c'est vrai. Il y a beaucoup d'outils juridiques. On peut augmenter les tarifs douaniers, on peut opérer des restrictions quantitatives. On appelle ça des mesures de sauvegarde sur les importations de produits américains. On peut taxer de manière spécifique certains types de services, par exemple.
SALHIA BRAKHLIA
On peut, on peut, on peut, mais en attendant…
MARC FERRACCI
Toutes ces options sont sur la table. Les options, elles nécessitent un diagnostic, un diagnostic sûr. Où est ce qu'on fait, au fond, le plus mal à l'économie américaine ? Parce que ce rapport de force que l'on doit construire avec TRUMP, il doit aussi être fondé sur cette réflexion et cette analyse. Et ensuite, on doit discuter en Européens sur ce qui convient à tout le monde. C'est évidemment…
SALHIA BRAKHLIA
Sauf que les intérêts divergent, vous le savez, selon les pays.
MARC FERRACCI
Bien sûr. Les intérêts divergents, mais je pense qu'il y a une convergence de vues sur une idée assez claire, c'est qu'il faut une réponse, il faut une réponse, il faut une réponse rapide. C'est la raison pour laquelle, comme je vous le disais, à la fin du mois d'avril, on aura cette liste de produits qui fera l'objet de mesures, de restrictions, peut-être de taxation. Tout est sur la table.
SALHIA BRAKHLIA
À la fin du mois d'avril, on est le 9. Pardon. Je vous pose la question, parce que les taxes sur l'acier et l'aluminium, ça fait un petit moment qu'elles sont en places. Et la réponse va être là, seulement maintenant. La réponse européenne. En fait, est-ce que vous ne manquez pas d'agilité par rapport à l'administration TRUMP, qui va plus vite que vous ?
MARC FERRACCI
D'une part, la réponse aux taxes qui ont été introduites, aux tarifs qui ont été introduits sur l'acier et l'aluminium, elle va intervenir le 15 avril, et non pas la fin avril. Ensuite, il y a une deuxième réponse, celle dont je vous parlais à l'instant, qui va intervenir en réponse à ce que Donald TRUMP appelle les droits réciproques, c'est-à-dire, ces 20% qui sont en vigueur depuis ce matin. Cette réponse, elle sera beaucoup plus massive. Et j'insiste, ce ne sont pas des droits réciproques qui ont été introduits par Donald TRUMP, parce qu'en réalité, les droits, ils n'existaient pas du côté européen sur les produits américains.
SALHIA BRAKHLIA
Lui, il dit 39 % de droit.
MARC FERRACCI
TRUMP, pour calculer cette taxation, a utilisé des méthodologies qui sont assez absurdes, qui n'ont pas beaucoup de sens. Mais c'est aussi pour ça que nous devons répondre et garder notre sang froid dans la réponse. Mais j'insiste, il y a une réponse qui intervient dans les tout prochains jours, une première vague. Et une deuxième qui intervient à la fin du mois d'avril. Et cette réponse, on doit la préparer de telle sorte qu'elle soit dissuasive, mais en même temps, qu'elle ne pénalise pas un certain nombre de filières qui sont très dépendants des flux commerciaux et dont les chaînes de valeur sont très intégrées.
SALHIA BRAKHLIA
Et juste, vous l'avez évoqué, effectivement, le rapport avec la Chine qui est tendu avec les États-Unis. 104% de droits de douane, là, aujourd'hui, avec la Chine. Ça va avoir des répercussions sur l'Union européenne, surtout sur nous, Français ?
MARC FERRACCI
Bien sûr. Et c'est un risque auquel nous sommes évidemment très attentifs. Ça a été dit par les industriels qui étaient présents à Bercy hier, et à peu près toutes les filières, d'ailleurs. Le risque, c'est qu'il y ait une redirection des flux commerciaux qui, aujourd'hui, sont massifs entre la Chine et les États-Unis, vers l'Europe. Si le marché européen se ferme pour les Chinois, eh bien, ils vont avoir une tendance assez naturelle à aller vers l'Europe. Et que vont faire les Chinois ? Ils le font déjà. Ils vont subventionner leurs industries, ils vont les rendre surcapacitaires, dans certaines industries, comme les batteries, comme les véhicules électriques, comme l'acier. On est déjà confrontés à une offre chinoise qui est surcapacitaire et à laquelle, nous avons déjà apporté des réponses commerciales. Tout cela risque fort de s'amplifier. Et c'est la raison pour laquelle, dans la réponse globale que nous allons fournir au niveau européen, il n'y a pas simplement la réponse aux États-Unis. Il y a, anticiper ce que l'on appelle, par exemple, les mesures de sauvegarde, c'est-à-dire, des restrictions aux importations qui pourraient venir de Chine. Tout cela serait sur la table. Et tout cela, nous allons, évidemment, le mettre en oeuvre en Européens.
JEROME CHAPUIS
Et on va continuer à en parler avec vous, Marc FERRACCI, ministre en charge de l'Industrie et de l'énergie. C'est après le fil info de 8 h 46.
(…)
JEROME CHAPUIS
Et avec le ministre chargé de l'Industrie et de l'Énergie, Marc FERRACCI. Vous nous disiez, Marc FERRACCI, juste avant le Fil info, que les produits chinois qui ne trouvent plus de débouchés vers les États-Unis, les produits chinois risquent d'inonder le marché européen et qu'il va falloir se protéger. On ne risque pas d'ouvrir un nouveau front avec la Chine ?
MARC FERRACCI
Vous savez, cette difficulté, comme je l'indiquais, elle est déjà présente et a déjà fait l'objet de mesures au niveau européen.
JEROME CHAPUIS
Mais là, elle va s'amplifier.
MARC FERRACCI
Elle risque de s'amplifier. C'est la raison pour laquelle nous devons avoir un éventail de mesures qui touchent à la fois les États-Unis et la Chine, mais avec toujours le souci, et je pense que c'est ce que partage aussi comme objectif la Chine, la désescalade, c'est-à-dire l'affaissement des tarifs américains. Aujourd'hui, je dois le dire, il faut le dire avec lucidité, l'administration américaine n'est pas dans une logique qui est dans une posture de négociation.
JEROME CHAPUIS
Pardon, mais dans ce sujet, les Chinois, ce sont nos alliés ou nos concurrents ?
MARC FERRACCI
Ce sont des partenaires commerciaux. Vous savez, le commerce international, ce sont des relations qui ne sont, aujourd'hui, pas marquées par, on va dire, des principes moraux. On a besoin de commercer avec la Chine.
SALHIA BRAKHLIA
C'est du business.
MARC FERRACCI
C'est du business. Donc, à un moment ou à un autre, il faut être efficace, et pour moi, être efficace, c'est faire en sorte que les quatre millions d'emplois qui dépendent des exportations en France restent à ce niveau-là et ne soient pas pénalisés par la guerre commerciale. C'est une guerre que nous n'avons pas voulue, mais qui est en train de se déployer sous nos yeux.
SALHIA BRAKHLIA
Pardon, mais vous dites que les Américains ne sont pas enclins à négocier, pourtant, le mot qui revient dans la bouche d'Ursula VON DER LEYEN, la présidente de la Commission européenne, c'est : " Nous allons négocier. "
MARC FERRACCI
Mais c'est évidemment l'objectif.
SALHIA BRAKHLIA
Donc, on a un mur en face de nous, et on veut quand même négocier ?
MARC FERRACCI
C'est l'objectif que nous nous donnons, au moment où nous nous parlons, il n'y a que très peu d'ouverture de l'administration américaine sur une véritable négociation. C'est la raison pour laquelle, avant de commencer à négocier ou espérer entamer la négociation, il faut poser ce rapport de force.
SALHIA BRAKHLIA
Il faut taper, c'est ce que vous dites ce matin.
MARC FERRACCI
Je pense qu'il faut effectivement une réponse ferme sur les tarifs, sur les mesures de sauvegarde, et sur tous les outils qui sont à notre disposition.
JEROME CHAPUIS
Mais pardon, quand Donald TRUMP dit cette nuit qu'il veut faire de " la haute couture ", ce sont ses mots, qu'il veut des accords bilatéraux avec chaque pays, ce n'est pas une ouverture, ça ?
MARC FERRACCI
Ce n'est pas l'ouverture que nous souhaitons parce que les accords bilatéraux sont précisément ce que cherche l'administration américaine, c'est-à-dire à diviser les Européens. Or, si nous perdons cette capacité à négocier en groupe, en masse, à 27, évidemment que ce sera très difficile pour nous. Si la France se met à négocier de manière bilatérale avec les États-Unis, compte tenu du déséquilibre économique qui existe entre nos deux pays, nous allons sortir perdants. C'est la raison pour laquelle nous devons rester fermes sur ce principe de négociation unitaire.
SALHIA BRAKHLIA
Le problème, aujourd'hui, Monsieur le Ministre, c'est que l'industrie française n'a pas attendu les droits de douane américains pour aller mal. Croissance morose selon l'INSEE au premier semestre 2025, des records de défaillances d'entreprises en 2024, 250 000 emplois menacés. Pourquoi l'industrie en France va aussi mal ?
MARC FERRACCI
Alors, d'abord, je vais nuancer le constat. Les défaillances sont nombreuses, mais elles sont aussi l'effet d'un phénomène de rattrapage. Vous savez qu'on a beaucoup protégé les entreprises pendant la crise du Covid ? On leur a donné des prêts qui, aujourd'hui, arrivent à échéance, et ça met en difficulté un certain nombre d'entreprises qui, peut-être, auraient dû faire défaillance avant, durant la crise. L'emploi industriel se maintient. C'est ça aussi qui est important. Le nombre de sites qui ouvrent ou qui s'étendent est toujours positif et toujours supérieur au nombre de sites qui ferment ou qui se réduisent. C'est ce que nous dit le baromètre industriel de l'État. Donc, la réalité de l'industrie, c'est une réalité contrastée. Là où vous avez raison, c'est qu'il y a des filières qui sont en grande difficulté et qui n'ont pas attendu les droits de douane de TRUMP, c'est évident : c'est l'automobile, c'est la sidérurgie, c'est la chimie. Ces filières ont toutes pour caractéristiques communes d'être confrontées à une concurrence internationale féroce, notamment de la part de la Chine, qui ne s'exerce d'ailleurs pas toujours dans des conditions loyales. C'est la raison pour laquelle nous devons mieux protéger nos industries et nous l'avons fait, et nous allons continuer à le faire. Mais concrètement, vous avez aussi des industries qui sont des fleurons ou des leaders mondiaux : c'est l'aéronautique, c'est le luxe, c'est la cosmétique. Et vous avez aussi, j'insiste là-dessus, de l'emploi industriel qui progresse dans les territoires grâce aux industries vertes, les industries qui sont en lien avec la décarbonation, avec les énergies renouvelables, le nucléaire est une filière qui va embaucher 100 000 personnes dans les dix prochaines années. Donc, c'est une situation contrastée.
SALHIA BRAKHLIA
Mais là, avec ces nouveaux droits de douane, avec cette guerre commerciale qu'on a évoquée, là, pendant toute la première partie de l'entretien, vous ne craignez pas de nouvelles délocalisations ? Mettez-vous à la place des industriels que vous avez reçus hier dans votre bureau, qui peuvent vous dire, en fait : " En fait, moi, vu les droits de douane, je préfère délocaliser aux États-Unis et produire là-bas, je vais gagner de l'argent en moins ".
MARC FERRACCI
C'est un risque, et c'est la stratégie de Donald TRUMP. C'est très clairement la stratégie de Donald TRUMP qui veut créer un cadre aux États-Unis qui soit très attractif pour les entreprises étrangères et qui met tout sur la table, y compris les droits de douane, pour les inciter à venir.
SALHIA BRAKHLIA
Mais ils sont tentés ? Ils vous le disent, ça, ils sont tentés ?
MARC FERRACCI
Pas au moment où nous nous parlons. Aujourd'hui, nous sommes, pour le dire très clairement, dans une situation de grande confusion. Aujourd'hui, les investissements qui étaient prévus, qui étaient planifiés, sont des investissements qui sont rendus très incertains par le cadre international. Quelle sera l'attitude de l'Administration TRUMP dans six mois, dans un an, vis-à-vis des entreprises qui sont venues s'installer sur son territoire ? C'est très difficile de le savoir, parce qu'on le voit bien, il y a une grande versatilité, une grande instabilité des décisions américaines.
SALHIA BRAKHLIA
Donc vous redites, comme Emmanuel MACRON aux industriels français, n'investissez pas aux États-Unis ?
MARC FERRACCI
On dit : " Suspendez vos investissements ". Ce n'est pas tout à fait la même chose, parce que moi, je ne suis pas opposé à ce qu'il y ait des investissements français aux États-Unis, et évidemment à ce qu'il y ait des investissements américains en France. Mais pour l'instant, nous devons d'abord faire preuve d'unité et montrer que nous travaillons de manière collective. Il y a une forme de patriotisme qui doit s'appliquer.
SALHIA BRAKHLIA
Ah, donc, ceux qui disent : " Non, moi, en fait, je vais investir aux États-Unis ", ils manquent de patriotisme ?
MARC FERRACCI
Pas du tout. Aujourd'hui, ceux qui disent qu'ils vont investir aux États-Unis, ils le font en ayant préparé leurs investissements depuis des années. Je ne vais pas remettre en question ce principe-là. Mais dans ce moment très compliqué où nous avons besoin d'apporter une réponse en Europe, je pense qu'il ne faut pas montrer à Donald TRUMP que sa stratégie fonctionne. Et si les investissements se multiplient aux États-Unis, évidemment qu'il va en tirer argument pour aller encore plus loin. C'est ça que nous devons éviter.
JEROME CHAPUIS
Est-ce qu'il vous arrive de vous dire d'ailleurs que si ça se trouve, la stratégie de Donald TRUMP, elle va fonctionner ?
MARC FERRACCI
Non, je pense qu'elle ne va pas fonctionner parce que l'histoire économique nous enseigne que les guerres tarifaires, les guerres commerciales, ne font que des perdants. Elles ne font que des perdants. Et d'ailleurs, on va probablement le constater assez rapidement. À court terme, l'impact des tarifs pour l'économie américaine, c'est deux points de PIB. Et ça, ce sont les effets à court terme. Les effets inflationnistes, ils vont être massifs à un moment ou à un autre, quand vous êtes très dépendant des composants, des équipementiers, des biens qui sont produits à l'étranger et que vous importez, lorsque vous leur appliquez 20 % de tarif, ça se retrouve sur la facture des consommateurs américains. Ça, l'économie américaine, elle va le subir et elle le subit probablement déjà. Donc à un moment ou à un autre, je pense qu'un principe de réalité va revenir. Combien de temps ça prendra ? Je ne sais pas le dire. C'est là la difficulté. À quel moment des équilibres politiques se feront jour aux États-Unis qui feront évoluer l'administration américaine ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, nous devons nous préparer à la fois à court terme sur la riposte et à moyen terme en allant plus vite et plus fort sur le soutien à nos entreprises.
JEROME CHAPUIS
Et en attendant, il y a des dossiers chauds qui sont sur votre bureau et également devant les tribunaux. Demain, le tribunal de commerce de Lyon va rendre sa décision concernant l'avenir de VENCOREX, menacée de liquidation. VENCOREX est une usine chimique qui propose notamment des produits pour le nucléaire, les missiles. 5 000 emplois en jeu, deux salariés de l'entreprise, syndiqués à la CGT, et un entrepreneur local ont fait une proposition de reprise en société coopérative. Si le tribunal le décide, l'État peut-il apporter un soutien financier dans ce dossier ?
MARC FERRACCI
L'État peut apporter un soutien financier s'il y a un modèle économique pour l'entreprise. L'État n'a pas vocation à intervenir, voire à nationaliser, bien qu'il y ait eu une demande de nationalisation de VENCOREX. Ça n'est plus la demande qui est faite, puisqu'aujourd'hui il y a un autre projet s'il y a un modèle économique. Ce que je constate, c'est que sur ce dossier, que je suis depuis que je suis ministre, et qui a débuté avant, il n'y a pas d'offre de reprise globale des activités de VENCOREX. Vous avez évoqué des entreprises comme ARIANE GROUP, qui produit les missiles, ou FRAMATOME dans notre filière nucléaire, qui sont des clients de VENCOREX ou des clients de clients de VENCOREX. Nous avons pris toutes les mesures pour que l'approvisionnement en sel, en chlore de ces entreprises soit sécurisé. J'insiste sur ce point, il n'y a plus de risque de souveraineté lié aux difficultés de VENCOREX. J'insiste sur ce point.
JEROME CHAPUIS
Non mais ça veut dire, très concrètement, pour les employés, il n'est pas question de leur faire perdre leur entreprise, c'est ça ?
MARC FERRACCI
Alors, ce que ça veut dire, c'est que d'abord il n'y a pas 5 000 emplois qui sont en jeu, il y en a 450. Ça, c'est l'effectif de VENCOREX. Pardonnez-moi, je vais aller jusqu'au bout. Ça, c'est l'effectif de VENCOREX. Aujourd'hui, il y a une offre de reprise d'un investisseur chinois, qui reprend une fraction très faible des salariés. Et ça, ce n'est évidemment pas satisfaisant. On a cherché des solutions industrielles, et les services de l'État ont d'ailleurs appuyé, conseillé et ont donné des opportunités aux projets de reprise par les salariés pour trouver des partenaires industriels. Moi, j'attends la formalisation de cette offre. À la fin, c'est le tribunal de commerce qui décide. Et donc, ce que dit l'État, c'est que s'il y a une offre portée par quelques acteurs que ce soit, et notamment par les salariés, qui respectent le modèle économique de l'entreprise, VENCOREX a besoin de 300 millions dans les prochaines années. C'est ce qu'une expertise indépendante a dit. Nous mettrons un euro d'argent public pour un euro d'argent privé.
JEROME CHAPUIS
Donc jusqu'à 150 millions d'euros, par exemple, en l'occurrence, il y a besoin de 300 millions.
MARC FERRACCI
C'est l'analyse qui a été faite. C'est qu'effectivement, l'entreprise a besoin de 300 millions dans les prochaines années.
SALHIA BRAKHLIA
Marc FERRACCI, Alexis KOHLER, le secrétaire général de l'Élysée, a décliné l'invitation du Sénat pour évoquer l'affaire des eaux-traités de NESTLE. Pourquoi refuse-t-il de témoigner ?
MARC FERRACCI
Écoutez, je pense qu'il faut lui poser la question d'abord à lui. Il y a sur ce sujet un enjeu que vous connaissez, qui est celui de la séparation des pouvoirs. Alexis KOHLER est le secrétaire général de l'Élysée. Il va bientôt quitter son poste, ça a été annoncé. Et il y a un principe qui s'applique, qui est que le Président ou ses équipes n'ont pas vocation à répondre directement devant le Parlement. Il y a probablement des questions qui lui seraient posées qui impliqueraient le Président. Je pense que c'est ce qui justifie sa réponse, mais pour le reste, je n'ai pas à m'exprimer sur ce sujet.
SALHIA BRAKHLIA
Parce que ça pose question quand même sur le fond. Du coup, les sénateurs veulent publier des échanges entre le groupe NESTLE et l'Élysée. Vous, comment réagissez-vous ? Vous qui êtes ministre de l'Industrie et de l'Énergie.
MARC FERRACCI
Vous savez, moi je ne serai jamais contre la transparence, et avant d'être ministre, j'ai été parlementaire. Donc je suis attaché à l'indépendance des parlementaires et à ce que la transparence se fasse. Donc, je respecte profondément l'émission d'informations parlementaires et les informations qu'elles donnent en éclairage au public. Pour le reste, la décision d'Alexis KOHLER lui appartient.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 avril 2025