Déclaration de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi, sur l'apprentissage et les aides de l'État aux entreprises en faveur de l'apprentissage, au Sénat le 10 avril 2025.

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Circonstance : Débat organisé à la demande des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et de la culture.

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur l'apprentissage, organisé à la demande des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.

Pour que les personnes qui assistent à nos débats en tribune puissent se repérer dans notre ordre du jour, je précise que nous poursuivrons notre séance par l'examen, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias, des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire.

Je tiens à saluer les apprentis et les maîtres d'apprentissage qui assistent à notre séance en tribune.

Les sénateurs présents ce matin vont débattre du sujet spécifique de l'apprentissage ; sans doute sont-ils un peu moins nombreux que lors d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement.

Il y a quatre-vingts ans – cela peut vous sembler lointain –, l'Assemblée consultative provisoire se réunissait dans notre hémicycle, marquant le retour de la démocratie après la Seconde Guerre mondiale. Le général de Gaulle, président de l'Assemblée consultative provisoire, s'exprimait alors à cette tribune. (M. le président du Sénat désigne la tribune de l'orateur, située devant lui.)

Je salue également la présence, dans notre tribune d'honneur, de M. Joël Fourny, président des chambres de métiers et de l'artisanat de France (CMA France), ainsi que de plusieurs présidents de chambre de métiers et de l'artisanat qui l'accompagnent.

À l'occasion de ce débat, je souhaite réaffirmer l'attachement du Sénat à l'apprentissage, voie de formation et d'accès à l'emploi et à l'artisanat, lequel est, selon un slogan bien connu, la première entreprise de France.

J'ai rencontré avant la séance une délégation d'apprentis dans la salle Clemenceau du Palais de Luxembourg. J'ai pu échanger librement avec certains d'entre eux et leur rappeler l'attachement du Parlement comme de l'exécutif, madame la ministre, à l'apprentissage.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de deux minutes, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l'hémicycle ; l'orateur disposera alors à son tour d'un droit de réplique, pour une durée d'une minute. Telle est la règle du jeu !

(…)

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour la bienvenue aux apprentis présents ce matin au Sénat, ainsi qu'à ceux qui participent à leur formation.

L'apprentissage est une expérience, tout le reste n'est qu'information, disait Albert Einstein. En France, l'apprentissage est une expérience ouverte aux jeunes de 16 à 29 ans, qui ont ainsi la possibilité de se former en alternance et de découvrir le monde du travail tout en préparant un diplôme reconnu par l'État.

L'apprentissage doit être non pas un choix par défaut – il serait alors voué à l'échec –, mais un choix personnel.

Notre pays compte de très bons lycées professionnels, qu'il nous faut veiller à développer, car les enseignements qu'ils dispensent correspondent aux aspirations de nombreux jeunes qui préfèrent suivre leur cursus scolaire en formation initiale.

Au cours des dernières années, les gouvernements ont développé l'apprentissage en accumulant les aides financières aux entreprises. Nous ne sommes évidemment pas opposés aux aides publiques à l'apprentissage, à condition que l'utilisation de ces aides soit rigoureusement contrôlée. Celles-ci doivent servir à accompagner, à former le jeune à son futur métier.

Selon l'économiste Bruno Coquet, les aides publiques à l'apprentissage étaient estimées à 25 milliards d'euros en 2023. En trois ans, les entreprises ont, hélas ! vu les aides financières à l'apprentissage être divisées par quatre. En 2022, les entreprises recevaient 8 000 euros par apprenti. Depuis le mois de février dernier, la prime a été réduite à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés.

Si cette situation pénalise toutes sortes d'entreprises, elle est ressentie comme un coup dur par les artisans et les petites entreprises qui souhaitent embaucher des apprentis. Je pense notamment, pour n'en citer que quelques-uns, aux boulangers, aux bouchers, aux coiffeurs, aux ébénistes, aux métiers du commerce, de la restauration, de la communication ou du numérique.

Ce frein supplémentaire s'ajoute aux difficultés que nos jeunes rencontrent déjà pour trouver une entreprise.

Nos jeunes apprentis, dont il serait nécessaire de revisiter et d'améliorer le statut, font les frais de l'abaissement du seuil d'assujettissement à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) décidé dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025. Ces dispositions se traduisent par une perte de 25 euros de rémunération par mois pour ceux dont la rémunération est égale à au moins 50 % du Smic. C'est une injustice pour ces jeunes qui travaillent et dont certains se trouvent dans une situation de grande précarité financière.

À cela s'ajoutent des conditions de travail parfois dégradées, un encadrement et une formation parfois négligés. Selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), un jeune en certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou en bac professionnel sur quatre met un terme à son apprentissage au bout d'une année scolaire.

Il nous faut donc réfléchir aux moyens par lesquels nous pouvons aider ces jeunes à rebondir, à retrouver un établissement scolaire pour repartir vers une nouvelle chance d'étudier. En effet, trop de jeunes se retrouvent, après un échec, sur le bord du chemin, sans rien, à cause de leur mauvaise première expérience.

L'apprentissage est aussi une voie de réussite, d'excellence, qui peut conduire un jeune n'ayant qu'un CAP en poche au titre de meilleur ouvrier de France. Il peut contribuer à redonner aux jeunes le goût des études et les mener vers des études supérieures. De nombreux jeunes qui ont suivi un cursus d'apprentissage accèdent ensuite à un poste à responsabilités dans leur entreprise.

À l'heure où nous parlons de souveraineté industrielle et alimentaire, de cyberattaques et d'intelligence artificielle, ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il conviendrait de renforcer l'aide à l'apprentissage plutôt que de couper les aides aux entreprises et aux apprentis ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement aux questions qui me seront posées, avant de revenir, en conclusion du débat, sur les bienfaits de l'apprentissage.

Madame Apourceau-Poly, l'effort de la Nation en faveur des aides à l'apprentissage demeure substantiel. Et en ce qui concerne les aides aux entreprises, nous avons fait le choix, après en avoir longuement discuté avec le président de CMA France, de prendre en compte la taille des entreprises, si bien que la baisse la plus limitée des aides, qui sont passées de 6 000 euros à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, concerne tout de même 85 % des apprentis.

J'estime qu'il est également nécessaire de réguler davantage par la qualité. Nous avons engagé à cette fin une démarche de concertation avec les partenaires sociaux, les opérateurs et tous les acteurs concernés. Les taux d'abandon ou de rupture que vous avez mentionnés, madame la sénatrice, doivent notamment faire l'objet d'une vigilance accrue.

En ce qui concerne l'abaissement du seuil d'exonération des rémunérations des apprentis, décidé au travers de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, je tiens à rappeler que le régime des apprentis est tout de même bien plus favorable que celui des étudiants ou des salariés. Au-delà de ces exonérations de charges, la fiscalité encadrant les gratifications qu'ils perçoivent au titre de leurs stages est bien plus favorable que celle des stagiaires qui ne sont pas apprentis.

En tout état de cause, il me paraît nécessaire de poursuivre nos efforts en faveur de l'apprentissage, qui est une voie d'excellence et la meilleure garantie, tous niveaux de qualification confondus, d'une insertion plus rapide et de qualité sur le marché du travail.

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de la politique publique en faveur de l'apprentissage est probablement celui qui a connu la croissance la plus rapide, passant de 7 milliards d'euros à 25 milliards d'euros en 2024, soit une hausse de 250 % en quatre ans.

Lors de la discussion du budget pour 2025, le Gouvernement a dû réduire la voilure, mais sans apporter beaucoup de précisions lors des débats quant à ses intentions.

Dès le mois de décembre 2024, le Sénat avait pour sa part unanimement adopté un dispositif permettant un meilleur ciblage des aides, en privilégiant les TPE et PME et la réduction des niveaux de prise en charge, les fameux NPEC, des coûts de formation pour les étudiants de l'enseignement supérieur.

Il a fallu attendre la fin du mois de février pour y voir plus clair et connaître les conditions d'emploi en apprentissage pour 2025 : une baisse de la prime à l'embauche, celle-ci étant fixée à 5 000 euros pour les PME et à 2 000 pour les entreprises de plus de 250 salariés pour la période s'étendant de février à décembre 2025.

L'anticipation est donc d'autant plus ardue pour les acteurs du secteur que les décrets relatifs aux NPEC, qui sont attendus avec inquiétude, madame la ministre, ne sont toujours pas parus.

La massification de la politique d'apprentissage, destinée à exaucer le vœu présidentiel d'atteindre le million d'apprentis, aura tout de même emporté – il faut le dire – des effets d'aubaine et la création de nombreux organismes de formation privés lucratifs qui ne sont pas toujours très regardants quant à la qualité pédagogique de leurs enseignements, certains ne proposant que des cours à distance et sans réel accompagnement.

Je souhaite donc vous poser deux questions, madame la ministre.

Aujourd'hui, la certification Qualiopi ne consiste qu'en un contrôle de conformité administrative. Le Gouvernement va-t-il poursuivre le travail de certification de la qualité des formations en alternance proposées sur Parcoursup, engagé par l'ancienne ministre Sylvie Retailleau ?

Certains centres de formation d'apprentis (CFA) associatifs, qui ont remarquablement absorbé la vague et la montée en charge de l'apprentissage en 2021 et 2022, se trouvent aujourd'hui fragilisés financièrement par l'incertitude que le Gouvernement fait peser sur leur activité. Quelles mesures comptez-vous prendre pour les soutenir ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Je répondrai très précisément à vos questions, madame la sénatrice.

Je réserve aux partenaires sociaux la primeur des résultats de la concertation lancée mi-novembre, que je leur communiquerai le 23 avril prochain. Toutefois, je puis vous en indiquer les grandes lignes, notamment sur le financement de la formation de l'apprentissage.

Les débats relatifs au projet de loi de finances pour 2025 se sont concentrés sur les aides à l'apprentissage, mais l'essentiel de l'effort porte sur le financement de la formation. Une réforme du financement des CFA est en effet envisagée, qui conférera à l'État et surtout aux branches professionnelles un rôle plus important dans la définition des priorités de financement en fonction des besoins actuels et futurs en compétences. Autrement dit, les branches professionnelles pourront bonifier certains "coûts-contrats" en fonction des besoins des entreprises et des compétences d'avenir.

Pour répondre à votre seconde question, un renforcement des mécanismes de régulation de la qualité est par ailleurs envisagé. Nous allons notamment poursuivre la révision de la certification Qualiopi en lien avec le ministère de l'enseignement supérieur. Je réserve les détails de ces actions aux partenaires sociaux, mais sachez, madame la sénatrice, que cela fait partie de la feuille de route que j'exposerai le 23 avril.

Nous allons également améliorer la transparence, au travers notamment de la plateforme InserJeunes, qui alimente Parcoursup et fournit aux futurs apprentis et à leurs familles des informations relatives aux taux d'insertion et aux rémunérations attendues.

Nous souhaitons enfin renforcer nos dispositifs de lutte contre la fraude, mais sans doute d'autres orateurs m'interrogeront-ils à ce sujet.

J'ai oublié de préciser qu'une bonification des coûts-contrats est prévue pour les centres de formation en outre-mer, et que nous allons nous pencher sur l'enseignement à distance, car – je l'ai longuement évoqué avec M. Fourny – celui-ci n'emporte pas les mêmes coûts de plateau technique que l'enseignement sur site.

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Karine Daniel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d'abord saluer l'organisation de ce débat, au croisement de l'économie, de l'éducation et des solidarités.

L'apprentissage est plus qu'un dispositif de formation : c'est un levier stratégique pour répondre aux défis économiques, sociaux, écologiques et territoriaux qui sont devant nous. Il l'est pour les jeunes, pour les entreprises, pour les organisations et pour les territoires. Il l'est aussi pour la cohésion sociale et la souveraineté économique de notre pays.

Je tiens à saluer la présence dans nos murs d'une dizaine de jeunes de Loire-Atlantique, venus participer aux rencontres sénatoriales de l'apprentissage, qui sont accompagnés de Frédéric Brangeon, président de la chambre de métiers et de l'artisanat de ce département, ainsi que de M. Fourny, qui connaît bien le département dont je suis élue. Leur présence nous rappelle que, derrière les chiffres, il y a des visages, des parcours et des projets d'avenir.

L'artisanat est un pilier essentiel de nos économies régionales comme de notre économie nationale. Il incarne à la fois la vitalité entrepreneuriale, la richesse de nos savoir-faire et l'enjeu crucial de la transmission.

En 2023, près de 20 % des apprentis des Pays de la Loire évoluaient dans le secteur artisanal. Ce chiffre illustre l'attractivité de ces métiers et nous appelle à penser un accompagnement à la hauteur de celle-ci. En effet, derrière chaque maître d'apprentissage, il y a un engagement fort : former, transmettre, maintenir et développer des compétences. Cet engagement doit être reconnu, valorisé et soutenu.

Cela implique une prise en compte réaliste des coûts pédagogiques, notamment pour les formations artisanales, pour lesquelles l'équipement, la matière première et l'adaptation aux évolutions techniques représentent des charges importantes.

Cela implique également, à rebours de la diminution progressive des aides, un accompagnement renforcé des maîtres d'apprentissage.

Cela implique enfin une politique de mobilité ambitieuse, car l'accès à un contrat d'apprentissage ne doit pas être conditionné à un lieu de résidence ou à des réseaux familiaux.

Nous devons aussi élargir et adapter l'offre de formation, en lien avec les besoins des filières en tension.

Je pense ici aux métiers des secteurs de l'animation, du social, des aides à domicile, dans lesquels la crise des vocations est profonde. Je pense aussi au secteur paramédical et à celui de la petite enfance, piliers de notre cohésion sociale. Je pense enfin au secteur des métiers de bouche, qui peinent à recruter, alors même qu'ils participent à l'identité culturelle et au dynamisme économique de nos territoires.

Dans ces domaines, l'apprentissage doit être développé et reconnu. Cela suppose une concertation renforcée entre l'État, les régions, les branches professionnelles et les territoires.

L'apprentissage demeure trop genré. Les filières industrielles ou artisanales demeurent majoritairement masculines, tandis que les secteurs du soin ou de l'éducation sont majoritairement féminins.

Nous devons renforcer la féminisation de l'apprentissage et la mixité au sein de chaque filière, en luttant contre les stéréotypes, en améliorant les conditions d'accueil, en assurant la mixité dès l'orientation et en modifiant les représentations.

L'essor de l'apprentissage dans le supérieur est incontestable : près de 40 % des contrats concernent aujourd'hui des niveaux bac+3 à bac+5.

Ce développement est une bonne chose, notamment dans les écoles d'ingénieur, dans les instituts universitaires de technologie (IUT), dans les universités. Il permet de diversifier les profils, de favoriser l'égalité des chances et de mieux connecter la formation à l'emploi. Dans le supérieur, la formation par l'apprentissage contribue à valoriser toutes les filières et atteste que cette modalité de formation peut concerner tous les cursus et les niveaux de diplômes les plus élevés.

Pour autant, nous ne pouvons ignorer certaines dérives, en particulier la manière dont certains établissements privés lucratifs captent massivement les aides à l'apprentissage. Ces structures, parfois très éloignées des standards de qualité et d'accompagnement attendus, bénéficient des mêmes niveaux de soutien public que les CFA des chambres consulaires ou les établissements publics.

Nous saluons la volonté du Gouvernement de réformer le modèle de financement, en limitant les excès, en encadrant les marges, en rétablissant l'équité entre les acteurs. Il faut assurer une juste allocation de l'argent public, au service de l'intérêt général et non au bénéfice de stratégies commerciales.

L'apprentissage doit aussi être un levier de développement local. Cela a été souligné.

Le département de la Loire-Atlantique compte des filières clés : l'industrie navale, l'agroalimentaire, le bois, l'économie circulaire ou l'économie du soin. Ces secteurs appellent à l'ouverture de nouvelles formations, construites avec les entreprises, les branches, les chambres consulaires et les collectivités.

Dans certains territoires, il existe aussi des besoins de formation spécifiques, dans des secteurs de niche. Leur développement et la transmission des savoirs pourraient être mieux accompagnés grâce à des filières d'apprentissage. Je pense ainsi au métier de couvreur spécialisé en couverture en chaume dans le parc naturel régional de Brière. Des moyens spécifiques doivent être déployés pour accompagner la transmission des savoir-faire spécifiques, qui sont importants pour la préservation du patrimoine.

Cette territorialisation de l'offre, souple et concertée, est la seule façon d'assurer une adéquation entre formations dispensées et besoins réels.

J'en viens à la réforme de la rémunération des apprentis, qui concerne les contrats signés à partir du 1er mars 2025.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, le Gouvernement a fait adopter deux dispositions qui participent malheureusement à la baisse de la rémunération des apprentis.

La première mesure porte sur la réduction des exonérations de cotisations sociales. Alors que l'exonération de cotisations concernait 79 % de la rémunération des apprentis, celle-ci est désormais ramenée à 50 % du Smic. Cela signifie que la part du salaire soumise à cotisations sociales augmente, ce qui a des conséquences concrètes pour les employeurs et, potentiellement, pour les jeunes eux-mêmes.

La seconde mesure a trait à la fin de l'exonération de la CSG (contribution sociale généralisée) et de la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale). Pour les nouveaux contrats, la part du salaire dépassant 50 % du Smic sera désormais soumise à la CSG et à la CRDS. L'exonération totale concernera les seuls contrats en cours.

Ces changements alignent le régime des apprentis sur celui des stagiaires. Ce choix politique injuste pèse sur la dynamique de l'apprentissage, notamment dans les secteurs les plus fragiles, comme l'artisanat, où chaque euro compte dans la décision de recruter ou non un apprenti.

Il faut faire preuve d'une vigilance accrue sur la mise en œuvre de cette réforme, pour qu'elle ne vienne ni freiner l'essor de l'apprentissage ni décourager les entreprises, qui, au quotidien, forment et accompagnent la jeunesse de notre pays.

Madame la ministre, mes chers collègues, l'apprentissage ne doit pas être un outil parmi d'autres. Il faut le considérer comme un pilier de notre pacte républicain.

L'apprentissage peut donner une chance. Il peut conduire à l'excellence dans tous les domaines. Il forme des professionnels, mais aussi des citoyens en s'appuyant sur des liens intergénérationnels forts, son rôle de transmission est reconnu. Il est aussi tourné vers l'innovation.

Il faut valoriser celles et ceux qui choisissent l'apprentissage, mais aussi tous ceux qui s'engagent pour que cette modalité de formation soit de grande qualité et à la portée de tous, qu'ils soient formateurs ou maîtres d'apprentissage.

Nous devons continuer à promouvoir une vision exigeante et humaniste de l'apprentissage : ancré dans les territoires, ouvert à tous, équitablement financé et au service du bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que, dans le cadre des vingtièmes Rencontres sénatoriales de l'apprentissage, se tient actuellement en salle Clemenceau une séance d'échanges entre des apprentis et des sénateurs, qui, selon les nouvelles qui me parviennent, donne lieu à un dialogue riche et fructueux.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice, pour la fixation des coûts-contrats, le Gouvernement veut désormais développer une démarche beaucoup plus axée sur la réponse aux besoins des entreprises et sur les compétences nécessaires à notre pays.

Ainsi, les branches professionnelles deviendront de véritables têtes de pont pour définir les priorités avec les entreprises adhérentes et les partenaires sociaux. Elles sont en effet les plus à même de le faire.

Par ailleurs, compte tenu des coûts liés à l'apprentissage, les niveaux 3 et 4 de qualification seront privilégiés.

De plus, le Gouvernement entend moduler et plafonner les dépenses de communication, car, comme vous l'avez souligné, madame la sénatrice, dans le secteur lucratif, leur montant pose problème.

En outre, et c'est très important, l'État pourra favoriser certaines formations par le biais de bonifications. Vous avez cité les métiers du lien, mais tous les secteurs qui relèvent de la réindustrialisation ou de la transition environnementale sont également concernés.

Enfin, il s'agit de réguler par la qualité, mais aussi par certaines bonifications territoriales – je pense aux départements et régions d'outre-mer (Drom) – et par le développement de l'apprentissage en distanciel.

Je reviens sur la question de la rémunération des apprentis.

La baisse du niveau d'exonération des rémunérations vise aussi à permettre une meilleure égalité salariale entre les apprentis les mieux rémunérés – ceux qui gagnent plus de 900 euros par mois – et d'autres salariés qui pourraient recevoir une rémunération nette inférieure alors qu'ils occupent le même type de poste.

Il ne faut pas qu'en voulant accroître l'apprentissage on prenne le risque de créer de la dette sociale. En effet, l'exonération de cotisations pour les apprentis pourrait avoir une incidence sur le montant de la retraite qu'ils percevront. Il me semble qu'il s'agit là d'un point important.

En outre, il s'agit de permettre aux jeunes qui seraient recrutés après leur contrat d'apprentissage de ne pas subir une baisse de leur rémunération nette, en raison de l'augmentation du niveau des cotisations sociales.

M. le président. La parole est à Mme Karine Daniel, pour la réplique.

Mme Karine Daniel. L'apprentissage, c'est peut-être de la dette sociale, mais c'est aussi et avant tout un investissement pour l'avenir. Or une moindre baisse est tout de même une baisse.

La comparaison entre petites et grandes entreprises n'est pas très opérante, les PME étant centrées sur leur fonctionnement.

J'entends bien votre argument sur la rémunération des catégories socio-professionnelles les moins qualifiées, mais il ne faut pas décourager l'embauche d'apprentis au plus haut niveau de qualification, ces derniers méritant aussi une reconnaissance de leur diplôme et de leur engagement dans ce type de formation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qui, dans cet hémicycle, a conseillé ou conseillerait à ses enfants de choisir un lycée professionnel ou un CFA plutôt qu'un lycée général ou une grande école ?

Posons d'emblée le décor. Comme pour beaucoup de choses, l'apprentissage, c'est bien, c'est beau, mais chez les autres, pas chez soi. L'apprentissage reste un tabou.

Encore récemment, en début de semaine, un parent d'élève m'a raconté que le professeur de son enfant était content de ne pas envoyer d'élèves en lycée professionnel cette année. Les yeux m'en sont sortis de la tête !

Comment donner l'envie aux jeunes de choisir l'apprentissage ? Tel est bien là, en effet, le nerf de la guerre. De belles histoires, il en existe dans tous les secteurs et dans tous les territoires. Je pourrais passer la journée à vous en raconter, madame la ministre, mes chers collègues. Le problème, c'est qu'on en parle aujourd'hui avec nostalgie, alors qu'on devrait en faire des modèles et les brandir en exemple, tels des étendards !

On a tous dans notre entourage quelqu'un qui a débuté avec un CAP (certificat d'aptitude professionnelle) ou un BTS (brevet de technicien supérieur) en poche et qui occupe à présent un poste qui aurait dû nécessiter plusieurs années d'études.

On connaît tous un ancien salarié d'une TPE-PME qui a pris son envol en montant sa boîte, a fait fortune et passe désormais le relais à ses compagnons.

"Maintenant, gamin, ce n'est plus possible : plus tu feras d'études, moins tu bosseras et plus tu gagneras." Qui n'a jamais entendu ces paroles ?

En 2018, on a choisi de réformer l'apprentissage pour en faire une voie d'excellence, un moyen de lutte contre le chômage des jeunes et une politique d'émancipation sociale. Aujourd'hui, on se bat dans les entreprises pour recruter les jeunes apprentis, car le patron a la certitude d'avoir des salariés opérationnels et, surtout, déjà intégrés !

À défaut, on recrute de la main-d'œuvre étrangère. Personnellement, je l'ai souvent fait. Après quelques années dans notre pays, ces travailleurs étrangers, mus par la volonté d'apprendre et de gagner leur vie, connaissent des parcours et des réussites qui étaient impensables lorsqu'ils ont débuté. C'est le chef d'entreprise qui vous le dit : les apprentis sont des pépites rares qu'il faut désormais dénicher.

Le pendant, pour ne pas dire le paradoxe, c'est que l'apprentissage est aussi une folie financière : la dépense publique pour le soutenir a explosé.

Plusieurs pistes existent pour contenir la dépense. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires en retient deux. D'une part, il convient de réviser les NPEC. D'autre part, il faut évaluer le taux d'insertion dans l'emploi pour concentrer la dépense publique sur les formations en alternance qui débouchent véritablement sur un emploi.

N'oublions pas qu'investir dans l'apprentissage, c'est investir dans l'avenir et garantir notre souveraineté économique et industrielle. C'est aussi de l'emploi et des cotisations sociales pendant des années ! Le retour sur investissement est imbattable, madame la ministre. Bercy peut bien sortir les calculettes, c'est tout vu, mes chers collègues.

Au-delà de la technique, on ne pourra pas faire l'impasse sur cette question et ne pas y apporter une réponse : comment donner aux jeunes l'envie de devenir apprentis ?

On pourrait aussi s'inspirer de l'Allemagne pour accompagner davantage encore les maîtres d'apprentissage. Il n'est qu'à voir le numéro un de Mercedes : il est passé par cette voie.

Je ne suis pas là pour refaire l'éducation des parents. Quant aux professeurs, tous ne pensent pas comme l'enseignant que j'ai cité en exemple. Heureusement ! J'en profite pour saluer les équipes enseignantes et les remercier du travail qu'elles accomplissent. Beaucoup se démènent corps et âme.

Après le président, j'ai à mon tour le plaisir de saluer la chambre de métiers et de l'artisanat de ma région, le Centre-Val de Loire, dont je dépends. Elle est présente aujourd'hui au Sénat avec des apprentis du territoire, dont certains sont mobilisés pour la réussite de cette journée.

Je suis moi-même un ancien élève du collège technique Benjamin-Franklin à Orléans. J'ai créé ma propre entreprise dans la région. Elle pèse aujourd'hui 70 millions d'euros de chiffre d'affaires. Il est donc important de passer par l'apprentissage.

Mes chers collègues, vous l'avez compris, je lance un cri du cœur, car j'en ai assez que l'on dévalorise la voie professionnelle et l'apprentissage. Si ce dénigrement est malheureusement parfois sincère, il est souvent l'expression d'une forme de résignation plus profonde, directement liée à la réalité de notre culture de l'entreprise et de l'entrepreneuriat.

L'apprentissage, c'est un trampoline : il peut vous faire décoller très rapidement et, dans tous les cas, vous retomberez sur vos pieds.

Je le dis et le répète, l'apprentissage n'est pas une voie de garage. C'est une voie d'excellence et, parfois même, la voie royale, celle qui donne les outils pour démarrer dans la vie et la liberté ensuite d'en faire ce que l'on veut. N'oublions pas que la main est le prolongement de l'esprit. L'apprentissage devrait être une fusée vers l'entrepreneuriat et les postes à responsabilités.

Aujourd'hui, vous voulez monter votre boîte après avoir roulé votre bosse dans une TPE-PME – je pense au bâtiment bien sûr, mais pas seulement – ? Eh bien, vous vous cognez les délais de l'administration, la complexité des normes, la pression fiscale, l'instabilité de notre politique nationale et la folie des géants de ce monde, qui flinguent votre business du jour au lendemain.

Vous l'avez dit ce matin en ouvrant les vingtièmes Rencontres sénatoriales de l'apprentissage, monsieur le président : simplification !

Vous voulez intégrer une grande boîte par la technique et monter en compétence ensuite ? Ce n'est plus possible – en tout cas, c'est devenu trop rare. On vous répondra que l'on préfère embaucher un ingénieur ou un bac+5 pour faire votre boulot plutôt que de vous faire monter en interne.

Faites donc une école de management ! N'apprenez surtout pas à travailler et à faire quelque chose de vos mains ! Voilà la réalité à laquelle nous sommes trop souvent confrontés, mes chers collègues.

Donner envie aux jeunes, c'est d'abord changer notre culture de l'entreprise et de l'entrepreneuriat.

J'entends souvent que les jeunes n'ont plus le goût de l'effort. Comment leur donner tort quand, dans notre pays, le système est tel que l'on préfère passer plus de temps à éviter de perdre de l'argent plutôt qu'à en gagner, à chercher les niches fiscales plutôt qu'à produire de la richesse ?

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. C'est vrai !

M. Jean-Luc Brault. À la fin, c'est notre pays qui tombe en ruines.

Ce n'est pas aux jeunes de changer ; c'est à nous de revoir notre logiciel, notre façon de penser et de faire, pour valoriser le goût de l'effort, du risque et de la réussite. (Mme Évelyne Perrot applaudit.)

Je souhaite à tous les jeunes qui sont présents dans nos tribunes d'être ambitieux et forts et je les invite à écouter leurs professeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Monsieur le sénateur Jean-Luc Brault, je vous remercie de ce plaidoyer qui rappelle qu'en France nous faisons une coupure artificielle entre l'intelligence de la tête, celle du cœur et celle de la main, alors que toutes trois sont complémentaires et utiles les unes aux autres.

Dans le cadre de la concertation que nous avons lancée avec les partenaires sociaux, les chambres consulaires et les différents acteurs, nous avons pour ambition résolue et assumée de définir des priorités, au regard des grandes masses financières que l'apprentissage représente.

Ainsi, pour l'octroi des aides, nous privilégierons les plus petites entreprises aux plus grandes. De même, nous privilégierons les niveaux 3 et 4 de qualification. Enfin, nous privilégierons une plus grande adéquation de la formation aux besoins des entreprises et aux compétences d'avenir. Voilà quelques-unes des annonces que je ferai le 23 avril prochain.

Nous le voyons, l'apprentissage est la garantie d'une insertion professionnelle plus rapide des jeunes sur le marché du travail, tous niveaux de qualification confondus.

Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque nous comparons la France à l'Allemagne, nous observons que, même hors apprentissage, les élèves et les étudiants allemands qui sortent du système, tous niveaux de qualification confondus, connaissent une meilleure insertion professionnelle que nos jeunes. Ce constat est valable également pour la voie générale, qui doit proposer des enseignements plus pratiques et plus en phase avec ce dont le monde de l'entreprise a besoin.

Nous sommes en train de réfléchir aux moyens de développer l'apprentissage et d'y envoyer plus de jeunes. Reste que, même hors apprentissage, nous faisons moins bien que les Allemands.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je salue le président de Chambres de métiers et de l'artisanat France, ainsi que tous les apprentis, qu'ils se trouvent dans les tribunes ou en salle Clemenceau où se déroulent les Rencontres sénatoriales de l'apprentissage. Je salue tout particulièrement les apprentis de l'Isère – un beau département de France ! (Sourires.)

Au mois de juin 2022, Martin Lévrier, Corinne Féret et moi-même avons présenté à la commission des affaires sociales du Sénat un rapport d'information intitulé France Compétences face à une crise de croissance.

La commission des affaires sociales a fait siennes nos conclusions. Nous y avons notamment pointé la réforme de 2018, qui, certes, a amorcé une dynamique considérable en faveur de l'apprentissage, mais n'a pas anticipé ses besoins de financement.

Nous indiquions dans les conclusions de nos travaux que, sans remettre en cause les avancées permises par cette réforme, il était nécessaire de réguler le système afin d'assurer sa soutenabilité et sa performance.

France Compétences a été créé par la loi du 5 septembre 2018 et est le fruit de la réunion de quatre structures dans un même établissement public.

France Compétences prend en particulier en charge deux postes de dépenses : d'une part, les dotations versées aux opérateurs de compétences (Opco), pour répondre à leurs besoins de financement des contrats d'apprentissage et des contrats de professionnalisation ; d'autre part, la dotation versée à la Caisse des dépôts et consignations pour assurer le financement du compte personnel de formation (CPF).

La large ouverture de ces deux dispositifs, qui ne s'est pas accompagnée de nouveaux moyens de financement, a créé des besoins non couverts par les ressources de France Compétences. Par conséquent, son déficit cumulé depuis sa création en 2019 avoisine aujourd'hui 11 milliards d'euros. Qui plus est, son équilibre financier – donc celui de l'apprentissage – n'a toujours pas été trouvé à l'échelon national.

Il faut conclure de ce constat que la réforme de l'apprentissage de 2018 n'a pas été financée et qu'au cours de ces dernières années elle a contribué à creuser notre déficit. Il faut le dire, notamment dans cet hémicycle.

Pourtant, nous en sommes tous persuadés : il faut encore et toujours encourager l'apprentissage. La supériorité d'un enseignement par la pratique est d'autant plus manifeste qu'elle s'adresse à tous les publics, notamment ceux qui peuvent se trouver en difficulté.

Croire en l'apprentissage, c'est avant tout fiabiliser ses mécanismes. J'en suis persuadée, et je ne suis pas la seule, la réforme de l'apprentissage ne sera finalisée et n'atteindra son apogée que lorsque ses outils financiers seront à l'équilibre.

Pour ce faire, madame la ministre, je propose depuis longtemps et de manière constante plusieurs solutions qui se déclinent dans le temps.

Premièrement, il convient de ne donner à France Compétences que deux missions claires : l'apprentissage et le CPF. À cette fin, il me paraît souhaitable que l'opérateur ne contribue plus au financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC), qu'il a financé à hauteur de 8 milliards d'euros depuis 2019. Je rappelle que le déficit de France Compétences atteint aujourd'hui 11 milliards d'euros…

Deuxièmement, il importe de faire une pause et de stopper cette logique de guichet en arrêtant les compteurs au financement de 900 000 apprentis, tout en considérant que le CPF a trouvé son rythme de croissance. Cette logique permettra de désendetter France Compétences et de cesser les changements permanents de financements, notamment sur les coûts-contrats, rendant aujourd'hui fragile, complexe et parfois illisible le financement de l'apprentissage.

Troisièmement, il faut considérer que la seule logique future d'augmentation du nombre d'apprentis, au-delà des 900 000, doit reposer sur trois leviers : d'abord, la hausse de la subvention à France Compétences, arrêtée depuis quelques années à environ 2 milliards d'euros ; ensuite, la relance d'une concertation entre les régions, les CFA, les organisations professionnelles et les organisations syndicales, aux fins de trouver des marges de manœuvre supplémentaires ; enfin, un possible basculement du budget de la mission "Enseignement scolaire" à celui de la mission "Travail, emploi et administration des ministères sociaux", à due proportion des jeunes formés en apprentissage.

J'en suis persuadée, l'apprentissage est un investissement à long terme pour notre jeunesse. Pour qu'un tel investissement soit un succès, il faut éviter les pertes sérieuses et permanentes.

C'est cette logique que je vous propose, madame la ministre. Elle nous permet de dire que nous croyons à l'apprentissage, alors qu'aujourd'hui, il faut le dire, l'apprentissage n'est pas financé. Comment parvenir à l'équilibre pour former 900 000 apprentis – et plus encore demain –, sinon en mettant autour de la table tous les partenaires qui contribuent à la réussite de l'apprentissage ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice Puissat, vous posez les bonnes questions.

La concertation que le Gouvernement a lancée avec tous les acteurs vise à retrouver une soutenabilité financière. Introduire des mécanismes de régulation financière ne signifie pas que l'on ne croit plus à l'apprentissage. Vous avez tout à fait raison de souligner qu'il est absolument indispensable de lier les deux.

J'ai déjà évoqué la réforme du financement des CFA en répondant à d'autres intervenants.

Il faut également renforcer les mécanismes de régulation par la qualité et de lutte contre la fraude – je sais que vous êtes aussi à la pointe sur ces sujets. Cela passe par la révision de la certification Qualiopi, par une meilleure transparence des résultats, grâce notamment au dispositif InserJeunes, via Parcoursup.

À cet égard, je salue les travaux qui ont été réalisés au Sénat et l'introduction d'un certain nombre de dispositions dans le projet de loi de simplification de la vie économique.

Nous avons discuté d'autres mesures, notamment de la participation obligatoire des employeurs d'apprentis de niveaux de qualification 6 et 7, à l'occasion de l'examen d'un amendement sénatorial.

Vous avez également mentionné le CPF, madame la sénatrice. J'aime bien l'idée de recentrer France Compétences sur les deux dispositifs de droit commun majeurs que sont l'apprentissage et le CPF.

Pour limiter la mécanique inflationniste du CPF, nous avons introduit le ticket modérateur, hors demandeurs d'emploi. Nous avons également supprimé un certain nombre de formations qui ne sont pas qualifiantes, comme l'aide à la création d'entreprises. Nous continuerons de le faire.

Dans ce domaine aussi, nous renforçons la lutte contre la fraude.

Je vous rejoins sur ce point : afin de recentrer France Compétences sur les très grands dispositifs de droit commun mis en place ces dernières années, il est nécessaire d'avoir une vision plus structurelle, et pas simplement, même si c'est ce que nous sommes en train de faire, d'agir par à-coups, de façon conjoncturelle ou ponctuelle.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour la réplique.

Mme Frédérique Puissat. Madame la ministre, il nous faut une vision structurelle, certes, mais également concertée. Nous avons besoin de retrouver autour de la table les acteurs qui ont fait l'apprentissage et qui continuent de le faire. Ils ne peuvent avoir l'impression de recevoir d'en haut des décisions sur lesquelles ils n'ont pas de prise.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Bienvenue aux jeunes apprentis qui se trouvent dans nos tribunes ou en salle Clemenceau, accompagnés de leurs professeurs, à l'occasion des vingtièmes Rencontres sénatoriales de l'apprentissage.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'intelligence de la main vaut celle de l'esprit. J'ai depuis longtemps fait de cette expression une conviction.

L'apprentissage, qui s'est fortement développé, est une priorité stratégique pour notre pays. C'est une voie privilégiée pour l'avenir professionnel de nos jeunes, en particulier dans un contexte où leur insertion sur le marché du travail constitue un défi majeur. Elle est aujourd'hui un levier essentiel d'insertion sociale et professionnelle. Poursuivons les efforts engagés pour développer cette voie, qui attire de plus en plus de jeunes gens dans notre pays.

En effet, l'apprentissage en France a connu une progression significative ces dernières années, permise par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et par le dispositif "1 jeune, 1 solution". En 2024, près de 880 000 contrats ont ainsi été signés, soit une augmentation de 3,2 % par rapport à 2023. Ce chiffre témoigne du succès du modèle.

L'apprentissage est ainsi un outil de lutte contre le chômage des jeunes. L'année dernière, leur taux de chômage a atteint 20,5 % en France, soit un taux bien au-dessus de la moyenne européenne, qui est de l'ordre de 15,3 % pour la même période, selon Eurostat.

De nouvelles mesures, adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2025 et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, ont récemment modifié le système de l'apprentissage en France.

Un décret publié le 23 février dernier fait évoluer les aides à l'embauche. Celles-ci passent de 6 000 euros à 5 000 euros pour les petites entreprises et à 2 000 euros pour celles de plus de 250 salariés.

Un autre décret, publié voilà seulement quelques jours, modifie quant à lui le système d'exonérations de cotisations sociales salariales, en application de l'article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Désormais, les apprentis qui sont rémunérés au-delà d'un demi-Smic sont assujettis au paiement de la CSG et de la CRDS.

Lors des débats budgétaires, notre groupe avait exprimé un certain nombre d'inquiétudes sur ce sujet. Nous craignions alors que le signal envoyé au monde économique ne vienne briser la bonne dynamique de l'apprentissage.

L'enjeu est clair : il faut trouver un équilibre entre la nécessaire maîtrise des finances publiques et le maintien d'un niveau d'apprentissage élevé au service de l'emploi des jeunes et de la compétitivité de nos entreprises.

Une évolution des politiques de soutien à l'apprentissage est-elle pour autant malvenue ? Non, de toute évidence. Au-delà des aides, il est essentiel de continuer d'investir dans la qualité des parcours, dans l'orientation et l'accompagnement des jeunes, afin de garantir une insertion durable.

Pour préparer cette intervention, j'ai rencontré la semaine dernière la présidente et le directeur du centre de formation des apprentis interconsulaire de l'Eure de Val-de-Reuil. Véritable modèle de réussite, cet établissement est l'un des plus grands CFA de France.

Nos échanges ont été riches. L'abaissement du niveau des aides à l'embauche ne devrait pas dissuader les artisans et les petites entreprises de recruter des apprentis, en particulier dans les secteurs en tension.

Je pense particulièrement au secteur de la restauration, qui peine à trouver des salariés en raison des contraintes des différents métiers, mais d'autres secteurs sont concernés : il est également difficile de trouver des boulangers, des coiffeurs, des couvreurs ou d'autres artisans.

Malheureusement, cette pénurie de main-d'œuvre fait que les apprentis seront toujours vus comme une solution dans les secteurs et métiers en tension. Et si la hausse prévue des cotisations sociales a pour mérite de rationaliser les niveaux de rémunération, la question du financement de l'apprentissage demeure centrale.

Madame la ministre, nous saluons à cet égard le bon déroulement des concertations que vous menez depuis l'automne dernier et qui devraient aboutir à la fin du mois d'avril. Leurs conclusions sont attendues par toutes les parties prenantes.

Les fonds publics alloués à l'apprentissage sont importants, et c'est une bonne chose. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait ainsi le coût de l'apprentissage pour l'année 2023 à 24,9 milliards d'euros.

Dans le contexte budgétaire actuel, nous devons absolument orienter nos discussions vers un meilleur fléchage de ces dépenses, tout en préservant l'excellence du modèle français de l'apprentissage. J'emploie à dessein le terme d'excellence, car c'est le seul qui peut qualifier la voie de l'apprentissage dans notre pays.

En conclusion, l'apprentissage reste un pilier central de notre politique de formation et d'emploi. Les ajustements à venir devront être pensés de manière concertée avec l'ensemble des acteurs concernés pour continuer de faire de l'apprentissage un modèle satisfaisant pour tous.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice, je vous remercie d'avoir évoqué la concertation. Nous avons souhaité écouter l'ensemble des acteurs : acteurs de la compétence, branches professionnelles et partenaires sociaux.

Que Mme Puissat se rassure : cette réforme ne sera en rien centralisée ni verticale. Nous avons voulu la coconstruire avec les acteurs concernés, en mettant l'accent sur le financement et en faisant des choix résolus.

Compte tenu du contexte budgétaire qui s'impose à nous, nous privilégierons les formations qui répondent aux besoins des entreprises, les métiers d'avenir et les niveaux de qualification 4 et 5. Nous soutiendrons également les entreprises de plus petite taille. Enfin, nous serons beaucoup plus fermes en matière de lutte contre la fraude et exigeants en termes de qualité.

Il est souvent fait référence aux travaux du chercheur Bruno Coquet, qui évalue le montant de la dépense publique liée à l'apprentissage à 25 milliards d'euros. Or cette vision est très extensive. Pour notre part, nous estimons plutôt le montant de cette dépense pour 2025 à 14 milliards d'euros environ, si l'on n'y inclut pas les niches fiscales comme les exonérations d'impôt sur le revenu des apprentis et d'autres exonérations dont bénéficient les entreprises.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, j'adresse mes chaleureuses salutations au président de la chambre de métiers et de l'artisanat de Lot-et-Garonne, M. Jean-François Blanchet, présent dans nos tribunes avec les apprentis du CFA. Je remercie également le président Larcher pour l'organisation de cette journée.

La formation par l'apprentissage, outil formidable pour notre pays, fait aujourd'hui l'objet de choix politiques contestables ou discutables.

L'apprentissage permet de former nos jeunes et de renforcer l'adéquation entre les besoins en ressources humaines des entreprises et les formations proposées. Ces dernières, cofinancées par les entreprises et par l'État, sont moins onéreuses qu'un lycée professionnel et permettent une meilleure insertion.

Toutefois, force est de constater que, depuis 2018, une partie du système a été fortement modifiée. Les étudiants de l'enseignement supérieur, qui représentent désormais près de 60 % des apprentis, sont massivement recrutés et formés par la voie de l'apprentissage.

Cet engouement s'explique par des politiques publiques particulièrement généreuses, qui se sont révélées être parfois en décalage avec les coûts réels de certaines formations du tertiaire ou les besoins en ressources humaines.

Comme le constate la Cour des comptes, le cadre législatif a été rénové sans stratégie nationale ni financement adapté. L'objectif apparemment louable du Gouvernement d'atteindre le million d'apprentis n'a été associé à aucun critère d'utilité de la dépense.

Ainsi, primes à l'embauche, financement des contrats d'apprentissage, exonérations de cotisations sociales, dérogations et autres exemptions sont accordés sans prendre suffisamment en compte la taille de l'entreprise ou la formation concernée.

De nombreux centres de formation, publics et privés, ont été ouverts. De grandes entreprises du bâtiment, de grandes écoles de commerce disposent désormais de leurs propres centres, qui concurrencent parfois directement des CFA publics, dont l'existence est conditionnée au maintien de leurs effectifs d'élèves.

Finalement, les 16 milliards d'euros que coûte annuellement l'alternance représentent un poids trop important pour France Compétences. Le déficit de cet organisme a justifié des baisses de prise en charge du coût des formations de façon quasiment indiscriminée. Ces baisses ont particulièrement fragilisé les formations aux métiers de l'artisanat de niveaux 3 et 4, dont les coûts sont souvent incompressibles.

C'est pourtant à ces premiers niveaux de formation que l'apprentissage a démontré sa plus grande efficacité, favorisant l'accès des jeunes à l'emploi et contribuant à maintenir une économie dynamique dans les territoires.

Nos jeunes artisans devront reprendre, dans les dix prochaines années, environ 300 000 entreprises, qui sont toutes importantes pour notre vie locale. Sans sauvegarde de notre modèle d'apprentissage, ce sont nos boulangers, nos cuisiniers, nos mécaniciens, nos charpentiers, nos plombiers, nos agriculteurs, et tant d'autres métiers encore, que nous pourrions voir disparaître de nos territoires. La plupart de ces secteurs d'activité font d'ailleurs déjà face à une pénurie de main-d'œuvre.

Pourtant, les CFA sont laissés sans solution. En Nouvelle-Aquitaine, les centres spécialisés dans le BTP subiront ainsi une baisse de revenus de 7 % tandis que leurs charges augmenteront dans les mêmes proportions. Pour le centre d'Agen, le déficit annuel programmé s'élève à 500 000 euros.

La dérive actuelle du système d'apprentissage menace nos métiers traditionnels et artisanaux. Or préserver l'apprentissage, c'est préserver une école de vie, une école de la vie en commun, qui permet à des jeunes actifs et avides de savoir de découvrir leur futur métier sous l'égide d'un sachant.

En joignant formation du geste et formation de l'esprit, l'apprentissage est le ciment des compétences de demain.

Madame la ministre, mes questions sont les suivantes. Quel modèle de transmission des savoirs et des entreprises souhaitons-nous promouvoir ? Voulons-nous préserver un modèle faisant contribuer les plus grandes entreprises, qui bénéficieront ensuite, sur le marché du travail, de jeunes très qualifiés ? Quelle place le secteur privé doit-il occuper dans les centres de formation en alternance ?

Au regard des conclusions de la Cour des comptes, clarifions nos objectifs en matière de financement public de l'apprentissage. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Monsieur le sénateur Michel Masset, au sein de la classe d'âge des 15-29 ans, seulement 14 % des jeunes sont apprentis. Ce n'est pas assez.

Comme le souligne une étude du Conseil d'analyse économique (CAE) de début mars sur le plein emploi, trop de jeunes suivent exclusivement des études théoriques, sans aucune application pratique dans le cadre d'une alternance. Et je ne vous parle pas des fameux Neet – pour neither in employment nor in education or training –, ces jeunes qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation.

Sur les CFA, j'ai donné quelques pistes ; peut-être trop d'ailleurs, car je souhaitais réserver la primeur de mes annonces aux partenaires sociaux le 23 avril prochain. Nous voulons réellement donner la priorité aux niveaux 3 et 4, ainsi qu'aux plus petites entreprises, mais aussi mettre l'accent sur la qualité et renforcer la lutte contre la fraude.

Concernant le statut des CFA, public ou privé, nous n'avons pas de religion. En revanche, ce que nous souhaitons, c'est que la qualité soit rendez-vous, et cela passe par une information en amont auprès des apprentis et de leurs familles.

Nous avons déployé récemment la plateforme InserJeunes, qui permet, au sein de Parcoursup, d'accéder à des informations concrètes, comme le taux d'insertion professionnelle à six mois ou encore les rémunérations attendues. Il est ainsi possible de différencier les CFA de bonne qualité et les autres.

Peu importe le statut des CFA, l'important est qu'ils forment mieux nos jeunes, pour qu'ils puissent avoir une insertion professionnelle rapide et réussie.

Enfin, nous serons absolument intransigeants sur la fraude. Sur ce sujet, nous sommes déjà passés à la vitesse supérieure, avec la proposition de loi Cazenave et au travers d'un certain nombre de décrets.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons une conviction commune : l'apprentissage est un levier puissant d'insertion et de réussite qui a fait ses preuves.

Pour qu'il poursuive sa dynamique, encore faut-il lever les freins que rencontrent les acteurs sur le terrain. C'est dans cet esprit, madame la ministre, que je vous interrogerai sur plusieurs points concrets : la mobilité, la fin de contrat et Qualiopi.

La mobilité est la première marche vers l'apprentissage. Pour certains jeunes, cette marche est bien trop haute. Nous avons donc là un levier à actionner. Alors qu'un jeune peut désormais passer son permis dès 17 ans, il doit attendre d'avoir 18 ans pour accéder à l'aide au financement du permis B. Cette incohérence pénalise particulièrement les jeunes issus des territoires ruraux, où la mobilité conditionne l'accès à la formation et à l'emploi.

Je rejoins ici l'analyse de mon collègue Yves Bleunven, qui a interpellé le Gouvernement à ce sujet cette semaine : il convient de prendre une mesure de bon sens. Comment le Gouvernement envisage-t-il concrètement de corriger cette anomalie ?

Nous pouvons également agir sur la fin de contrat, et plus précisément sur les situations de rupture. Aujourd'hui, la rupture d'un contrat d'apprentissage se fait simplement : il suffit de télécharger un modèle sur le site du ministère, sur lequel l'employeur et l'apprenti n'ont qu'à apposer leurs signatures.

Cette simplicité apparente peut masquer un déséquilibre. Un jeune en difficulté, parfois en position de fragilité, peut-il réellement consentir librement à une rupture sans accompagnement ? Alors que le lien qui unit maître d'apprentissage et apprenti est asymétrique, la question mérite d'être posée.

Si le CFA était associé et impliqué en amont, il pourrait jouer son rôle d'accompagnement et probablement limiter le nombre de ruptures. Rappelons en effet que, selon les données de la Dares, près de 30 % des contrats d'apprentissage sont rompus avant leur terme.

Afin de mieux encadrer ces situations et d'assurer une médiation, prévoyez-vous, madame la ministre, d'impliquer systématiquement les organismes de formation dans la procédure de rupture ?

J'en viens enfin aux difficultés liées au renouvellement du certificat Qualiopi. Dans le département dont je suis élue, la Vendée, deux établissements conformes ont été suspendus pour cause de renouvellement tardif de leur certification.

Même si la période a été relativement courte, ils ont été signalés comme "CFA en non-conformité". En conséquence, il ne leur était plus possible de signer de nouveaux contrats, les aides aux entreprises étaient bloquées et les formations proposées ne figuraient plus sur la plateforme Parcoursup.

Afin d'éviter que ces retards ne pénalisent des structures pourtant conformes et engagées, il pourrait être envisagé d'instaurer un délai de grâce de deux mois, dès lors que l'audit de renouvellement a bien été réalisé à temps.

Cette mesure irait d'ailleurs dans le sens de la simplification administrative voulue par le Gouvernement, le Sénat et son président. Madame la ministre, qu'envisagez-vous de faire face à ces blocages purement administratifs ?

Pour conclure, j'évoquerai le rôle fondamental des collectivités territoriales.

Avec 18 000 contrats signés en 2023, elles ont été des piliers du développement de l'apprentissage. Pourtant, les chiffres de 2024 sont inquiétants : seuls 9 000 contrats sur les 21 000 prévus sont financés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Le désengagement de l'État, la baisse du soutien de France Compétences et la réduction des métiers éligibles fragilisent durablement cet engagement local. Les collectivités font face à des arbitrages douloureux. Elles auront le choix entre renoncer à l'apprentissage et… renoncer à l'apprentissage.

Il est impératif de construire un modèle pérenne de financement à la hauteur des enjeux, car, pour reprendre les mots de Thierry Dubin, président du conseil de région Pays de la Loire de la Fédération nationale des directeurs de centres de formation d'apprentis (Fnadir), l'apprentissage doit être vu non pas comme une dépense, mais bien comme un investissement, un investissement pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Marie-Do Aeschlimann et M. Laurent Burgoa applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice Annick Billon, sachez que nous portons une attention très particulière à la question du permis de conduire. Il paraît cohérent que les apprentis âgés de 17 ans puissent disposer, comme les autres, d'un soutien en la matière.

Comme vous l'avez souligné, les freins à la mobilité constituent un risque majeur de rupture. C'est la raison pour laquelle nous examinons très sérieusement la possibilité d'élargir l'aide au financement du permis de conduire aux apprentis âgés de 17 ans.

En dépit du contexte budgétaire, permettre ainsi à des jeunes de voler de leurs propres ailes assurerait un bon retour sur investissement. Sans faire d'annonce officielle, je suis très favorable à cette idée.

Les CFA jouent déjà un rôle d'accompagnement et de prévention des situations de rupture. En pratique, ils ont aussi un rôle de médiation, qui n'est pas précisé dans le code du travail. Y remédier permettrait peut-être de s'assurer qu'ils le remplissent bien. Toutefois, nous pouvons aussi privilégier le partage de bonnes pratiques. Telle est plutôt ma recommandation.

En ce qui concerne les deux CFA que vous mentionnez et qui n'ont pas fait l'objet d'un audit Qualiopi, je vous propose de demander à mes services de mener des investigations sur la difficulté qu'ils ont rencontrée, auxquelles vous pourrez être associée.

Vous avez ensuite soulevé la question très importante de l'apprentissage dans la fonction publique territoriale. Pour exercer sa mission de financement des CFA, le CNFPT bénéficie d'un certain nombre d'aides, notamment d'une contribution de l'État et d'un financement complémentaire par France Compétences, qui est assis sur les contributions des entreprises, que nous ne voulons pas aujourd'hui alourdir.

De leur côté, les employeurs territoriaux contribuent de façon pérenne au financement de l'apprentissage au travers d'une cotisation complémentaire assise sur la masse salariale et plafonnée à 0,1 %, taux à comparer aux 0,68 % que versent les employeurs privés. Cela explique le décalage avec le financement qu'assurent les employeurs territoriaux eux-mêmes. L'État comme les entreprises essaient, malgré les difficultés du moment, de tenir leur rôle.

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.

Mme Annick Billon. Je remercie Mme la ministre pour ses réponses encourageantes.

Je précise que le Sénat, qui est particulièrement engagé en faveur de l'apprentissage, a expérimenté le recrutement de collaborateurs en alternance.

J'ai moi-même pris une apprentie en 2022. On ne parle bien que de ce que l'on connaît ! Cette jeune femme est désormais à mes côtés. Par ailleurs, près de vingt-neuf contrats ont été signés au sein des différentes directions du Sénat.

Je tenais à souligner cet engagement. Les collectivités s'engagent ; il est important de dire que le Sénat le fait aussi.

M. Laurent Lafon. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Do Aeschlimann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, entre 2018 et 2024, l'apprentissage a connu un essor sans précédent, le nombre de contrats étant passé de 448 000 à près d'un million.

Cette réussite collective, fruit de la mobilisation des services de l'État, des régions, des CFA et du réseau des chambres des métiers et de l'artisanat, contribue à redonner à l'apprentissage ses lettres de noblesse.

C'est heureux, car, outre une formation diplômante et une rémunération, cette voie de formation assure une insertion rapide et durable dans le monde du travail. Elle constitue également un formidable levier d'ouverture sociale. Aujourd'hui, près de 60 % des apprentis sont dans l'enseignement supérieur, mais l'apprentissage forme également des jeunes très peu qualifiés ou pas qualifiés du tout, à qui elle garantit une bonne insertion dans l'emploi.

De fait, des milliers de jeunes accèdent à de hauts niveaux de qualification et à des formations d'excellence alors qu'ils n'en auraient pas eu les moyens autrement.

Toutefois, cette ambition a un coût faramineux : 25 milliards d'euros en 2024 selon certaines estimations. Face à cet emballement budgétaire, chacun admet que le soutien public à l'apprentissage doit être optimisé.

L'enjeu n'est pas seulement financier. Certaines évolutions induites par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel rendent indispensable le renforcement de nos exigences quant à la qualité des formations dispensées en alternance.

Le développement rapide de l'offre, facilité par une certaine forme de dérégulation – disons les choses –, se caractérise par l'émergence d'une multitude d'établissements d'enseignement à but lucratif, dont certains n'ont d'autre objectif que le rendement financier.

Certaines structures tirent profit de cet effet d'aubaine, en l'absence de véritable contrôle de la qualité pédagogique. Dans un rapport d'information de 2024, la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale a ainsi déploré un "contrôle qualité défaillant" et un niveau de prise en charge identique pour les formations rigoureusement encadrées et pour celles dont les standards pédagogiques sont discutables.

Il est donc impératif que l'optimisation du soutien public à l'apprentissage repose sur des critères objectifs liés à la qualité réelle des formations, à l'encadrement pédagogique, à l'agrément des établissements et à l'accompagnement vers l'insertion professionnelle des diplômés.

C'est dans cet esprit que j'ai fait adopter un amendement à la loi de finances pour 2025 visant à réduire le niveau de prise en charge des formations dispensées intégralement à distance.

La France doit continuer de nourrir une ambition forte en matière d'apprentissage. Ce dernier doit être non pas un marché, mais bien une voie royale d'accès à l'emploi et un vivier de compétences pour nos TPE, nos PME et notre artisanat.

Dans ce contexte, madame la ministre, vos prédécesseurs avaient envisagé de créer un label qualité, travaillé en lien notamment avec la Conférence des grandes écoles et des écoles de management, afin de certifier les établissements privés respectant des critères exigeants.

Le Gouvernement semble avoir récemment renoncé à cette idée, au profit d'un renforcement de l'agrément Qualiopi. Or les limites de Qualiopi sont connues : lourdeur administrative, coût élevé, fraudes, prolifération d'organismes de certification peu scrupuleux.

Dès lors, madame la ministre, comment garantir que les fonds publics alloués à l'apprentissage bénéficient aux établissements réellement engagés dans la réussite des jeunes, et non à ceux qui ne poursuivent qu'une logique de profit à court terme ? Par ailleurs, pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont vous entendez renforcer le dispositif Qualiopi ?

Plus largement, quelles garanties pouvons-nous offrir aux jeunes pour que l'alternance continue de rimer avec excellence et qualité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice Aeschlimann, les apprentis de niveaux 6 et 7 représentent en effet 38 % des apprentis aujourd'hui et contribuent ainsi à la montée en gamme de l'économie française.

L'apprentissage participe de la démocratisation, ce qui est une très bonne chose et il faut poursuivre dans cette voie, mais nous devons le réguler.

En lien avec le ministère de l'enseignement supérieur, nous allons lancer une mission d'inspection interministérielle sur l'enseignement supérieur lucratif. Cette inspection viendra s'ajouter au renforcement des contrôles Qualiopi et des prérogatives de contrôle de France Compétences sur les organismes certificateurs, ainsi qu'au plafonnement des dépenses de marketing, lequel touchera en particulier les organismes lucratifs.

Grâce à vous, nous pourrons différencier nettement les coûts-contrats des organismes ayant des plateaux techniques majeurs de ceux qui proposent exclusivement de la formation à distance. En effet, les modèles économiques sont différents.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Sophie Romagny. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Anne-Sophie Romagny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour l'organisation de ce débat.

En m'adressant à vous, mes pensées vont aux jeunes générations, qui sont l'avenir de notre pays.

Chacun se souvient du dilemme cornélien auquel nous faisions face il y a quelques mois, lors de nos débats budgétaires ô combien difficiles, au sujet d'une politique fondamentale : la formation professionnelle des jeunes.

Fallait-il réduire les dépenses de l'État en sabrant les aides en faveur de l'apprentissage ou maintenir ces aides sans contribuer à l'effort de réduction des dépenses ?

Au cours des auditions réalisées par la délégation sénatoriale aux entreprises et la commission des affaires sociales, nous avons unanimement constaté le bénéfice de l'apprentissage. Sa remise en cause totale aurait été désastreuse.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, j'avais déposé des amendements visant à moduler le montant des aides suivant la taille des entreprises. Madame la ministre, vous avez été à l'écoute de mes propositions et vous avez tenu vos engagements.

En effet, le Gouvernement a décidé de reconduire par décret l'aide aux entreprises qui emploient des apprentis selon un barème juste et proportionné : cette aide s'élève à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, à 2 000 euros pour les autres entreprises, à 6 000 euros pour toutes les entreprises accueillant un apprenti en situation de handicap.

Par ailleurs, un décret publié le 28 mars dernier prévoit l'exonération de la totalité des cotisations salariales pour les rémunérations inférieures ou égales à 50 % du Smic, contre 79 % auparavant.

Si cette mesure a une incidence sur le salaire net d'environ un quart des apprentis, elle constitue un alignement, pour des raisons d'égalité, sur les conditions applicables aux stagiaires, également soumis à ces cotisations. Par ailleurs, cette mesure vise à accroître les recettes de la sécurité sociale d'environ 278 millions d'euros.

Il serait intéressant, en prévision des prochains débats budgétaires, d'organiser un point d'étape à l'automne sur l'incidence réelle de cette mesure.

Je souhaite à présent m'adresser aux jeunes présents dans nos tribunes. Aujourd'hui, plus que jamais, dans un monde en plein chahut, nous avons conscience que l'avenir est source de préoccupations, quels que soient votre niveau de diplôme et le secteur d'activité dans lequel vous évoluez. Vous êtes l'avenir de notre nation et notre priorité est de vous accompagner.

Madame la ministre, nous devons être vigilants sur la qualité de l'apprentissage, parce qu'il s'agit de mobiliser de l'argent public et surtout parce qu'il y va de l'avenir de la jeunesse.

Être attentif à la qualité des enseignements, c'est ne pas laisser la place à des structures peu scrupuleuses qui profiteraient du système sans être à la hauteur des enjeux. Comment les opérateurs de compétences et l'État peuvent-ils mieux contrôler, et plus fermement, les organismes de formation privés qui accompagnent des apprentis ?

Ensuite une petite musique se répand selon laquelle il faudrait supprimer l'aide aux apprentis de niveau bac+4 ou bac+5. Je n'y suis pas favorable, car cette aide constitue un véritable soutien aux TPE et aux PME. Nous devons éviter le raccourci selon lequel les petites entreprises embaucheraient des apprentis à de petits niveaux de diplômes. Leur besoin d'apprentis ayant un haut niveau de qualification est bien réel. Ne nous méprenons pas !

L'idée centrale, qui m'avait animée l'année dernière, lorsque j'ai déposé des amendements sur le projet de loi de finances pour 2025 visant à différencier les aides à l'apprentissage en fonction de critères déterminés, était la suivante : aider moins, oui, mais aider mieux, assurément !

Si une évolution doit avoir lieu, elle doit probablement concerner l'appui apporté au recrutement d'apprentis qualifiés dans les très grandes entreprises. Les auditions menées par la commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants donnent à penser que les multinationales continueraient de recruter des apprentis d'un niveau bac+5, même si elles n'étaient pas aidées.

Faire dans la dentelle, madame la ministre, c'est faire preuve de prudence pour ne pas casser la dynamique mise en place ces dernières années. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice Anne-Sophie Romagny, vous m'interrogez sur la possibilité d'améliorer le contrôle des organismes de formation privés.

De nombreuses réponses ont déjà été apportées à cette question. La proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques, qui a été adoptée par le Sénat et qui sera examinée le 6 mai prochain en commission mixte paritaire, nous donnera des leviers supplémentaires, qui permettront à France Compétences et aux administrations situées dans les régions et dans les départements d'amplifier les contrôles et d'exercer une pression sur les opérateurs.

Cette proposition de loi facilitera, si elle est adoptée, l'articulation entre les acteurs du contrôle – je pense, en premier lieu, à l'État et aux opérateurs de compétences –, en leur permettant de communiquer sur les contrôles passés et en cours.

Vous avez indiqué, madame la sénatrice, qu'il fallait faire un travail de dentelle : vous avez tout à fait raison. Le défi consiste effectivement à industrialiser les contrôles, tout en gardant la capacité de faire des contrôles sur mesure.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Evren. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trop d'entreprises peinent aujourd'hui à recruter. Trop de jeunes doutent de leur avenir et, il faut le dire, dans la France de 2025, trop de déterminismes sociaux pèsent encore sur notre système éducatif. Trop de talents passent entre les mailles du filet simplement parce que l'on n'a pas su les orienter ni les former.

Le premier pas dans le monde du travail est souvent celui qui lance un jeune dans la vie d'adulte. Le travail – faut-il le rappeler ? – nous responsabilise, nous émancipe et nous offre une place dans la société. Telle est justement la mission de l'apprentissage qui, depuis plusieurs années, joue un rôle central dans l'insertion professionnelle.

Comme l'a rappelé ma collègue Frédérique Puissat, nous comptions, au 31 décembre 2024, 900 000 apprentis, un chiffre record.

Si ce succès a bénéficié à l'enseignement supérieur, le nombre d'apprentis des premiers niveaux de qualification a également connu une augmentation de 76 % entre 2018 et 2024. Ces chiffres montrent que l'apprentissage a dépassé sa vocation initiale d'insertion et qu'il est devenu une réponse éducative à part entière.

Toutefois, le chemin est encore long. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit Frédérique Puissat sur France Compétences : nous avons en effet besoin d'une vision structurelle et concertée à ce sujet.

Le taux de chômage des jeunes de 15 à 25 ans s'élevait encore à 19 % au quatrième trimestre de 2024, un taux deux fois supérieur à la moyenne nationale.

Nous devons aujourd'hui relever les défis spécifiques auxquels les jeunes font face sur le marché du travail, comme l'a souligné ma collègue Marie-Do Aeschlimann. Cela suppose de réconcilier l'école et l'entreprise. Nous devons briser un tabou, en instaurant une coopération accrue entre les acteurs de l'éducation, de la formation professionnelle et du monde économique.

L'enjeu consiste d'abord à valoriser l'apprentissage, plus tôt et auprès du plus grand nombre. L'apprentissage n'est pas une voie de garage ni une simple alternative à la voie universitaire. C'est un chemin concret vers l'emploi, l'acquisition de savoir-faire et l'indépendance. Il progresse d'ailleurs dans tous les secteurs, que ce soit dans l'artisanat, le tourisme ou les services.

Développer l'apprentissage, c'est rendre plus accessible la première embauche, c'est aussi relancer l'emploi. C'est permettre la transmission des petites entreprises et le développement des plus grandes. C'est aussi revaloriser le travail comme une valeur républicaine.

L'apprentissage est une réussite collective qui implique les chefs d'entreprise qui embauchent, transmettent et forment. Je tiens d'ailleurs à saluer, à cette tribune, leur engagement.

Les aides aux entreprises pour l'embauche des apprentis ont largement contribué au succès de ce dispositif ces deux dernières années. Nous devrons être attentifs aux effets concrets de la baisse du plafond d'exonération des cotisations sociales pour les apprentis qui a été décidée lors de l'examen du budget. Si ces ajustements fiscaux visent à optimiser les dépenses publiques, ils doivent demeurer un soutien à l'apprentissage et un levier clé pour l'insertion professionnelle des jeunes.

N'oublions pas que l'embauche d'un apprenti constitue un investissement non négligeable, notamment pour les entreprises de moins de 250 salariés, qui emploient aujourd'hui près de 80 % des apprentis.

À Paris, la ville doit pouvoir prendre toute sa part à cette dynamique. Je pense notamment à la création de partenariats avec des CFA pour adapter l'offre de formation aux besoins économiques de la capitale.

L'enjeu est également de favoriser l'apprentissage dès l'enseignement secondaire. Nous devons réfléchir à la création d'un statut scolaire de l'apprentissage. Ce dernier devrait être possible dès l'âge de 14 ans, sans condition, pour mieux orienter les collégiens vers une filière en lien avec leurs compétences.

Enfin, en matière de pilotage des politiques liées à l'apprentissage, il apparaît cohérent de redonner à la région le rôle qui était le sien avant l'entrée en vigueur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018.

L'apprentissage, ce n'est pas seulement une politique éducative ou économique : c'est une composante de notre souveraineté économique qui permet aux entreprises de disposer des compétences dont elles ont besoin.

Je conclurai par une question plus spécifique relative à Paris, madame la ministre, puisque vous êtes également élue de cette ville. Paris manque de places en CFA dans certaines filières stratégiques, notamment dans les métiers du soin ou du numérique. Comptez-vous investir davantage pour développer l'apprentissage à Paris et répondre aux besoins du terrain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice Agnès Evren, avant de répondre à votre question spécifique sur Paris, je rappellerai que le système éducatif français est celui qui produit le plus de déterminismes sociaux, lorsqu'il ne les aggrave pas, selon les enquêtes du programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) parmi les pays de l'OCDE.

Une réforme du lycée professionnel a été entamée il y a quelques années. Nous la poursuivons avec la rénovation de la carte des formations professionnelles.

L'enjeu désormais est d'assurer une meilleure articulation entre les lycées professionnels et l'apprentissage. J'ai ainsi eu l'occasion de visiter le lycée professionnel de La Celle-Saint-Cloud, qui forme des apprentis qui préparent un bac professionnel. Cela lui permet de garder ses meilleurs éléments et d'avoir une plus grande ouverture sur le monde de l'entreprise.

Peut-être faut-il aussi développer, au sein même des lycées professionnels, des formations plus courtes qui permettent d'acquérir d'autres spécialisations. C'est absolument indispensable.

J'en viens à Paris. La concertation que nous avons lancée à l'échelon national vise à redonner la main aux branches professionnelles. Celles-ci devront définir les priorités, les attentes des entreprises, les compétences dont nous avons besoin. L'État accordera ensuite une bonification. Vous avez parlé des métiers du lien, mais je pense aussi aux métiers liés à la réindustrialisation, au numérique, à la transition écologique. Nous voulons vraiment accorder, en fonction du coût-contrat, ce que nous ne faisions pas suffisamment auparavant, les bonifications et les incitations adéquates, et envoyer les bons signaux.

Nous devons améliorer les choses. Je discutais hier avec François Bonneau, président de la commission éducation, orientation, formation et emploi de Régions de France, sur la manière de partager la carte des formations professionnelles au sein des régions, par le biais des comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop), afin d'articuler les priorités territoriales avec celles qui sont fixées par les branches professionnelles. Ce travail est en cours, à l'échelon régional. Je compte sur les élus des départements au sein de ces régions pour mettre en valeur les CFA de leur département.

M. le président. Avant de vous redonner la parole, madame la ministre, je souhaite préciser, puisque notre collègue Annick Billon a évoqué le nombre de contrats d'apprentissage au Sénat, que l'on recense à ce jour quarante-trois apprentis au Sénat, si l'on additionne les apprentis dans les services du Sénat, les apprentis auprès des sénateurs et les apprentis à la présidence du Sénat. (Mme Annick Billon et M. Henri Cabanel applaudissent.)

Les perspectives de développement de l'apprentissage dans les services du Sénat sont bonnes.

Il était, je crois, important de donner les chiffres exacts. Le Sénat s'est engagé en faveur de l'apprentissage depuis plusieurs années. Les apprentis apportent à notre institution une forme d'oxygène très utile.

Je salue de nouveau le président, ainsi que les vice-présidents et les membres du bureau qui l'entourent, de Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA France), qui sont présents dans nos tribunes. Je salue aussi de nouveau les jeunes apprentis qui viennent de quitter les tribunes pour aller visiter le Sénat.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission de la culture, de l'éducation et des sports, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président de CMA France, cher Joël Fourny, alors que nous sommes parvenus au terme de ce débat, je tiens à vous remercier pour la précision de vos questions, qui prouvent combien votre assemblée est engagée et exigeante sur ce sujet.

Je salue la ténacité du président Larcher qui a réussi à relancer les Rencontres sénatoriales de l'apprentissage, qui n'avaient plus eu lieu depuis la crise sanitaire.

Ce débat dans l'hémicycle nous a permis d'aller au fond des choses, davantage que lors des discussions budgétaires, soumises à plus de contraintes formelles.

Depuis 2018, nous avons lancé une révolution de l'apprentissage en adaptant les dispositifs en place, en amplifiant le soutien budgétaire et en changeant surtout les mentalités. Désormais, nous devons consolider les acquis de cette révolution, dans un contexte qui exige un sens aigu de la responsabilité budgétaire.

Après une phase d'extension et d'expansion de l'apprentissage, nous devons aujourd'hui améliorer le dispositif sur plusieurs points clés : l'adéquation entre l'offre et les besoins en emplois et en compétences, la qualité des formations et la lutte contre la fraude.

Le premier enjeu est l'adéquation entre l'offre et les besoins en emplois et en compétences.

L'apprentissage, comme l'ensemble de notre système de formation initiale et continue, doit être évalué au regard des besoins des entreprises, des artisans et de notre pays.

Beaucoup de professions, certaines filières parfois, connaissent des tensions de recrutement. Pour réaliser les quatre transitions que nous traversons – démographique, numérique, écologique et stratégique –, dans le contexte géopolitique que nous connaissons, nous avons besoin de disposer de certaines compétences clés.

Les branches professionnelles, mais aussi l'État, doivent pouvoir prendre la main pour définir des priorités, afin que les compétences transmises par le système d'apprentissage correspondent mieux aux attentes d'aujourd'hui et de demain.

Il est essentiel que les régions jouent aussi leur rôle dans la définition des compétences, car les besoins peuvent varier selon les territoires.

Le second enjeu est la qualité des formations.

D'un côté, l'État et les entreprises mobilisent des moyens importants. De l'autre, les attentes des apprentis et de leur famille sont également élevées.

Il est essentiel de s'assurer de la qualité des formations. La remise à plat de la certification Qualiopi, en lien avec le ministère de l'enseignement supérieur, nous permettra, grâce à de meilleurs indicateurs, de mieux garantir que les formations répondent aux besoins des entreprises et aux attentes des apprentis et facilitent l'insertion professionnelle de ces derniers.

La plateforme InserJeunes, qui alimente aujourd'hui Parcoursup, vise à aider les futurs apprentis à s'orienter vers les bons métiers et les bonnes formations, à apprécier, à un horizon de six mois, les perspectives d'insertion professionnelle dans un emploi, les rémunérations attendues et les différents métiers proposés.

Le pilotage par la qualité, qui permet la meilleure adéquation entre l'offre et les besoins, implique de renforcer le rôle des entreprises et des branches. C'est d'autant plus important que l'écosystème s'est élargi. L'apprentissage est sorti de ses territoires traditionnels. Il concerne désormais tous les niveaux de qualification. Dans le même temps, du côté de l'offre, de nouveaux acteurs, de nouveaux centres de formation d'apprentis sont apparus.

Nous resterons intransigeants sur la qualité, que l'on peut aussi mesurer par le taux de rupture et par l'accompagnement des apprentis.

Le dernier enjeu est relatif à la fraude.

Toutes les politiques publiques qui ont du succès attirent les fraudeurs ou les organismes dysfonctionnels. L'apprentissage n'échappe pas à la règle. Je le dis : il doit y avoir "zéro tolérance pour les fraudeurs !"

Je profite de mon intervention à cette tribune pour remercier le Sénat d'avoir renforcé, grâce aux nombreux amendements qu'il a adoptés lors de l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre la fraude aux aides publiques, dont le sénateur Olivier Rietmann était le rapporteur, les moyens pour lutter contre la fraude dans le domaine de la formation professionnelle. Je n'étais pas alors présente au banc du Gouvernement, mais j'ai suivi attentivement ces travaux, et mon cabinet a participé à la rédaction des différents amendements du Gouvernement et de ses avis sur les amendements que vous avez déposés.

Lorsque cette proposition de loi aura été adoptée, nous disposerons rapidement de moyens renforcés pour lutter contre la fraude. Nous pourrons suspendre la déclaration d'activité en cas de suspicion de fraude, et donc la capacité à accueillir de nouveaux apprentis ou à percevoir des financements, ce qui n'était pas possible auparavant. Les différents services pourront aussi communiquer dans un cadre juridique sécurisé sur les contrôles qu'ils réalisent. La réactivité et la coordination des actions sont absolument centrales pour lutter efficacement contre les organismes fraudeurs.

Recherche assumée d'une adéquation entre les besoins et l'offre pour parvenir à une meilleure insertion professionnelle de nos jeunes, qualité et tolérance zéro à l'égard de la fraude, tels sont les mots d'ordre qui doivent guider notre action. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)


source https://www.senat.fr, le 22 avril 2025