Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France Inter le 16 avril 2025, sur les tensions franco-algériennes.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Sonia Devillers, vous recevez le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Q - Bonjour, Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour Sonia Devillers.

Q - Dimanche, douze policiers et gendarmes français en poste à Alger ont été sommés de quitter le pays. Hier soir, Paris a fait le choix d'expulser en retour douze agents consulaires algériens en poste chez nous et de rappeler son ambassadeur. S'agit-il, Monsieur le Ministre, entre la France et l'Algérie, d'une crise d'une gravité historique ?

R - En tout cas, les autorités algériennes ont choisi l'escalade, et comme nous l'avions annoncé, nous répliquons avec fermeté vous l'avez dit, douze fonctionnaires français ont été expulsés. Nous expulsons douze agents algériens de leur réseau diplomatique et consulaire. Et oui, nous rappelons pour consultation notre ambassadeur, auquel d'ailleurs je veux rendre hommage, ainsi qu'à tous les agents qui, à Alger, mais aussi dans d'autres pays, travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, souvent éloignés de leurs familles et sous pression.

Q - La France se résout au rapport de force ?

R - La France réplique avec fermeté, comme elle l'avait annoncé et avec la plus stricte réciprocité.

Q - Oui mais, il y a dix jours, vous vous êtes rendu vous-même à Alger, vous avez serré la main du président Tebboune. Vous avez parlé d'une relation, je vous cite : "Sereine et apaisée". Cette visite était censée mettre fin à huit mois de tension entre la France et l'Algérie. Est-ce que cela a été un trompe-l'oeil ? Est-ce que cela a été un échec ? Est-ce qu'il n'en reste rien ?

R - Pas du tout. Il faut évidemment toujours donner sa chance au dialogue. C'est la seule manière de résoudre durablement les tensions. Ceux qui vous disent le contraire sont des irresponsables. Ce qui est très regrettable et ce qui est très brutal...

Q - Laurent Wauquiez est un irresponsable ? Bruno Retailleau est un irresponsable ? Jordan Bardella est un irresponsable ?

R - Ceux qui vous disent que c'est autrement que par le dialogue qu'on peut résoudre durablement les sanctions, oui, sont des irresponsables. Parce que, avec l'Algérie comme avec d'autres pays, tous les autres pays, c'est par le dialogue qu'on peut bâtir des coopérations dans notre intérêt, dans l'intérêt des Français, que ce soit en matière économique, migratoire ou sécuritaire. Et donc, en l'occurrence, il fallait donner sa chance au dialogue. Nous avons obtenu des engagements. Et puis, vendredi dernier, la justice française, indépendante, a décidé d'arrêter trois Algériens qui sont visés dans une affaire où ils sont soupçonnés d'avoir commis des faits graves sur le territoire national.

Q - Enlèvement et séquestration d'un opposant au régime qui est...

R - Ils ont été mis en examen. Ils ont été placés en détention provisoire. C'est une décision indépendante. Et pourtant, les autorités algériennes, dimanche, soit deux jours après, ont pris cette décision très brutale, qui dégrade la possibilité d'avoir un dialogue de qualité avec elles.

Q - Oui, mais Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur, affirmait encore hier soir sur CNews, avoir été trop longtemps seul au Gouvernement à prôner la fermeté. Est-ce que vous le rejoignez ? Est-ce qu'il avait raison, Bruno Retailleau ?

R - Non, je crois qu'il n'y a qu'une seule ligne au Gouvernement. Le Premier ministre a d'ailleurs convié, il y a quelques semaines un comité interministériel de contrôle de l'immigration, où nous avions dressé une feuille de route de reprise du dialogue de sortie de détention avec l'Algérie. Et je le redis, c'est une décision judiciaire indépendante, qui a provoqué une réaction totalement disproportionnée et brutale de l'Algérie, à laquelle nous ne pouvons que répondre avec fermeté.

Q - Votre homologue, Jean-Noël Barrot, votre homologue algérien, affirme officiellement que Bruno Retailleau porte la responsabilité entière de la tournure que prennent les relations entre la France et l'Algérie. Est-ce que Bruno Retailleau fait partie du problème ?

R - Mais Bruno Retailleau n'a rien à voir avec une décision judiciaire, parce qu'en France, la justice est indépendante. Et lorsqu'elle décide de poursuivre, de mettre en examen, de placer en détention provisoire des Algériens sur le territoire national, elle le fait sans demander l'autorisation, ni au Président de la République, ni au ministre de l'intérieur, ni au ministre des Affaires étrangères.

Q - Soit. Mais quand l'Algérie choisit douze fonctionnaires français, pas n'importe lesquels, c'est-à-dire des policiers et des gendarmes, tous rattachés au ministère de l'intérieur, est-ce qu'ils ciblent Bruno Retailleau ? En tout cas, lui, il se dit ciblé.

R - C'est à eux qu'il faut le demander. Quant à nous, nous n'avons jamais changé de position. Nous avons intérêt à avoir une relation normale avec l'Algérie, à sortir des tensions pour que nous puissions expulser les Algériens en situation irrégulière, que nous puissions avoir un dialogue sur le renseignement, sur la lutte contre le terrorisme. Que nous puissions aussi obtenir la libération de notre compatriote Boualem Sansal, aujourd'hui détenu arbitrairement en Algérie. C'est l'Algérie qui, ce week-end, a brutalement fait le choix de l'escalade.

Q - C'est ça. Ce dialogue, on ne l'a plus. C'est-à-dire que la liste des personnes sous OQTF, sous obligation de quitter le territoire français, que vous avez envoyée au pouvoir algérien, qu'est-ce qu'elle va devenir ?

R - Nous allons continuer d'exiger de l'Algérie qu'elle respecte ses obligations. Ses obligations aux termes des accords, des différents accords qui régissent la relation entre la France et l'Algérie.

Q - Sauf que c'est devenu un noeud politique, c'est-à-dire que ça n'a plus rien à voir avec le droit international. Ça risque de devenir un bras de fer, purement et simplement politique, entre les deux pays ?

R - Ce qui est certain, c'est que nous avons intérêt, à terme, à renouer avec eux un dialogue exigeant, un dialogue lucide, mais un dialogue néanmoins, parce que c'est ainsi qu'on défendra au mieux les intérêts de la France et des Français. C'est ce qu'on a vu avec d'autres pays. Prenez le Maroc voisin, par exemple. C'est à la fin, par le dialogue et la diplomatie, que nous avons réussi à normaliser notre relation avec eux. Et Bruno Retailleau, puisque vous en parliez, était lundi au Maroc, avec, au retour, des bonnes nouvelles sur le front migratoire, avec un engagement pris par le Maroc à doubler le taux de délivrance des fameux laissez-passer consulaires.

Q - Alors, on veut savoir : comment on renoue le dialogue avec les Algériens, Jean-Noël Barrot ? Comment on renoue le dialogue ? C'est-à-dire, est-ce qu'on en vient, comme le réclame François Bayrou, qui n'a pas hésité à le mettre sur la table, Gabriel Attal, qui a publié un texte très virulent, lundi dernier, dans Le Figaro, est-ce qu'on en vient à remettre en cause les accords de 1968 ? Est-ce qu'on en vient à remettre en cause les accords sur les visas ? Est-ce qu'on en revient à mettre en cause les accords commerciaux ?

R - Non, je crois d'abord que les accords doivent être respectés. Respectés par l'Algérie en particulier, que ce soit notamment sur la question des réadmissions. On a un protocole qui est spécifique à la relation entre la France et l'Algérie. Malgré les tensions, malgré les différences, l'Algérie doit respecter ses obligations.

Q - Mais quels moyens on a, alors, de faire respecter à l'Algérie ses obligations ? Quels moyens on a ?

R - On a des accords qui, s'ils ne sont pas respectés, emportent des conséquences.

Q - Oui, alors d'accord, les conséquences, on y est, là. Vraiment, on y est. Quels moyens on a de se faire entendre et de se faire respecter ?

R - Non, là où nous sommes - et c'est très regrettable - c'est une situation où, effectivement, le dialogue se dégrade brutalement, du fait d'une décision injustifiable de l'Algérie.

Q - Vous n'êtes pas pour montrer les muscles encore plus ?

R - Je crois qu'en répliquant à la décision des autorités algériennes, en expulsant douze agents algériens en poste en France, en rappelant notre ambassadeur pour consultation, nous démontrons, sans aucune forme d'ambiguïté, notre capacité à répliquer sans hésiter et avec fermeté.

Q - On est au maximum ? Et on n'ira pas plus loin ?

R - Je ne vais pas préempter le futur de nos discussions avec l'Algérie. Je dis simplement que si nous voulons des résultats pour les Françaises et les Français, il nous faudra, un jour ou l'autre, revenir à un dialogue franc, lucide et exigeant.

Q - Bon, donc vous êtes pour la solution diplomatique. On le comprend, vous êtes le patron du Quai d'Orsay. Les douze Français en poste en Algérie avaient 48 heures pour quitter le pays. Se sont-ils exécutés ? Sont-ils arrivés en France ? Où est-ce qu'on en est ?

R - En principe, ils sont de retour à Paris.

Q - Là, déjà ?

R - À l'heure où nous parlons.

Q - Et l'ambassadeur de France, quand est-ce qu'il va quitter Alger ?

R - Il sera de retour à Paris sous 48 heures. Je veux une nouvelle fois le remercier pour tout le travail qu'il a réalisé pendant cette période de vive tension.

Q - Et l'idée, c'est qu'il reparte à Alger ?

R - L'idée, c'est que, comme lorsque l'on rappelle un ambassadeur pour consultation, c'est qu'on puisse dialoguer avec lui, faire un état des lieux de la situation, qu'il puisse ensuite retrouver son poste. Pourquoi ? Parce que notre ambassadeur, c'est celui qui représente les intérêts de nos compatriotes établis en Algérie. Et c'est aussi important qu'il soit là-bas, puisque certains de nos compatriotes sont parfois dans des situations difficiles. Et je pense à nouveau à Boualem Sansal.

Q - Jean-Noël Barrot, vous avez évoqué le dossier extrêmement douloureux de l'écrivain franco-algérien emprisonné à Alger, Boualem Sansal. Il a 80 ans, il est atteint d'un cancer, il n'est donc toujours pas libéré, alors qu'Emmanuel Macron lui-même s'était dit confiant au moment de ce rétablissement diplomatique de courte durée. Est-ce qu'il ne risque pas de devenir une monnaie d'échange politique entre les deux pays ?

R - Il n'a pas à faire les frais des tensions entre les deux pays. Sa détention est injustifiable au regard des peines ou des charges aberrantes qui pèsent sur lui, au regard de sa santé, mais aussi de son âge. Et c'est pourquoi nous avons plaidé, le Président de la République le premier, pour un geste d'humanité. Et j'ose croire qu'un geste d'humanité est encore possible. Et je veux le dire, puisqu'il s'agit d'un de nos compatriotes franco-algériens, qui est, aujourd'hui dans une situation très critique. Je veux le dire aussi à tous nos compatriotes franco-algériens, et je le redirai avec force à Marseille aujourd'hui. Nous avons, avec le Forum Ancrages, un événement consacré aux diasporas africaines en France. Les diasporas africaines en France et la diaspora algérienne en France. Les Franco-Algériens, les Français qui ont un lien avec l'Algérie, sont une chance pour la France et ils ne doivent pas faire les frais de cette tension entre nos deux pays.

Q - Mais les filles de Boualem Sansal, quand elles publient une lettre publique dans Le Figaro, elles qualifient leur père d'otage. Est-ce que vous validez ce terme ? Est-ce que Boualem Sansal est un otage du conflit diplomatique entre la France et l'Algérie ?

R - Sa détention est injustifiable. Elle n'a pas de fondement. Et c'est la raison pour laquelle nous plaidons pour sa libération.

Q - Merci, Jean-Noël Barrot.

R - Merci à vous.

Q - Et merci Sonia Devillers.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2025