Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France 2 le 15 avril 2025, sur les tensions avec l'Algérie. le conflit en Ukraine et les droits de douane américains.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

Q - Merci à vous, Jean-Noël Barrot. Bonjour.

R - Bonjour.

Q - Merci d'être avec nous au lendemain de ce regain de tension évidemment particulièrement spectaculaire avec l'Algérie, qui a annoncé l'expulsion de 12 agents français. Vous avez demandé hier, ça a été votre première réaction, aux Algériens d'y renoncer. Est-ce que vous avez eu un retour ou pas ?

R - D'abord, quelle est la situation ? D'une part, il y a le dialogue qu'on a voulu réinitier avec l'Algérie. On a mis tous les sujets sur la table, y compris les plus irritants. Et puis de l'autre, il y a une procédure judiciaire indépendante, une enquête qui vise trois ressortissants algériens qui sont soupçonnés de faits graves sur le territoire national.

Q - L'enlèvement d'un opposant.

R - Ces deux choses-là n'ont rien à voir.

Q - Ce n'est pas ce que dit l'Algérie...

R - Ce sont des choses tout à fait différentes, puisque la justice est indépendante et les procédures judiciaires n'ont rien à voir avec la relation entre deux gouvernements. Mais effectivement, les autorités algériennes ont décidé de réagir à cette procédure judiciaire indépendante en expulsant 12 fonctionnaires français. C'est une décision qui est très regrettable, qui ne sera pas sans conséquence, et qui compromet évidemment le dialogue que nous avions réamorcé.

Q - Alors sur les conséquences, dites-nous exactement quelles mesures de rétorsion. Est-ce que vous nous dites : "La France, oui, va prendre des mesures de rétorsion", puisque l'Algérie confirme cette décision ?

R - Si l'Algérie persiste à vouloir expulser ces 12 fonctionnaires français qui avaient 48 heures pour quitter le territoire algérien, alors oui, nous n'aurons d'autre choix que de prendre des mesures similaires.

Q - Lesquelles ?

R - Je vous l'ai dit.

Q - Est-ce que vous pourriez fermer le consulat de Strasbourg ? Une mesure qui est dans les tuyaux.

R - Nous sommes prêts à agir. Nous sommes prêts à prendre des mesures similaires. Il reste quelques heures aux autorités algériennes pour revenir sur leur décision, dont je le dis, qui est très regrettable.

Q - Mais vous savez bien qu'ils ne reviendront pas sur leur décision. Il y a eu un communiqué hier soir qui a été publié par l'Algérie, qui cible plus précisément, pas vous Jean-Noël Barrot, mais votre collègue du Gouvernement Bruno Retailleau, qui, dit Alger, porte la responsabilité entière de la tournure que prennent les relations entre les deux pays au moment où elle venait d'entamer une phase de décrispation. Est-ce que Bruno Retailleau joue contre son camp, sur le plan diplomatique ?

R - Non, Bruno Retailleau n'a rien à voir avec cette affaire judiciaire. La justice est indépendante, c'est une procédure judiciaire qui a été engagée depuis des mois et qui n'a rien à voir avec le dialogue que nous avons réinitié il y a quelques semaines avec le gouvernement algérien.

Q - Donc c'est un prétexte que prend l'Algérie. Comment on fait pour discuter avec un pays qui prend ce genre de prétexte pour décider cette expulsion ?

R - C'est en tout cas une décision très regrettable qui va venir compromettre les efforts que nous avions consentis de part et d'autre pour essayer de régler les problèmes des Français d'un côté et les problèmes des Algériens.

Q - Vous avez des contacts directs prévus avec votre homologue algérien dans les heures qui viennent ou pas ?

R - Le contact n'est pas rompu. Je souhaite en tout cas que les autorités algériennes reviennent sur leur décision.

Q - Le contact n'est pas rompu, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que vous pensez qu'on peut revenir sur cet état d'esprit d'avant cette annonce ?

R - Ça veut dire que ma responsabilité de ministre des affaires étrangères, c'est de maintenir le contact. Mais si les autorités algériennes persistent, si elles font le choix de l'escalade, eh bien nous répondrons avec la plus grande fermeté.

Q - Alors on a dit hier dans vos services que le ministère des affaires étrangères souhaitait malgré tout revenir à l'apaisement, en coulisses si l'on ose dire. Et on se demande un petit peu pourquoi, alors que visiblement cette volonté n'est pas du tout partagée.

R - Non, je crois que notre position n'a pas changé. Nous avons toujours dit que nous voulions revenir à des relations normales, que nous voulions sortir des tensions parce qu'elles ne sont ni dans l'intérêt de la France ni dans l'intérêt des Français. Mais c'est évidemment à l'Algérie aujourd'hui de prendre ses dispositions. Et je le redis, si l'Algérie fait le choix de l'escalade, si les autorités algériennes font le choix de l'escalade, nous répondrons avec la plus grande fermeté.

Q - On a quand même ce sentiment un petit peu diffus. En tout cas, il y a de nombreuses attaques qui viennent de l'opposition, mais pas seulement, que la France se couche face à l'Algérie et face à la dureté du discours algérien. Il y a Laurent Wauquiez qui le dit, qui est un de vos opposants, mais qui dit que la France est humiliée en la matière. Le RN dit la même chose. Et puis ce matin, dans le Figaro, il y a une tribune d'un ancien ambassadeur de France en Algérie, qui connaît donc bien le sujet, qui dit que...

R - Ça, c'est vous qui le dites.

Q - Enfin, un ancien ambassadeur de France en Algérie, a priori, il sait à peu près de quoi il parle.

R - C'est vous qui le dites.

Q - Ah bon ? Parce qu'il ne sait pas de quoi il parle ?

R - C'est vous qui le dites. Je vous laisse maître de vos propos.

Q - D'accord, d'accord.

R - Je vous répondrai, allez-y.

Q - Ses propos à lui, il dit : "On pensait avoir touché le fond, on pensait la crise terminée. Quelle erreur, quelle naïveté de notre part ! Sur quoi le rideau devrait-il se lever selon le ministre français ?" Donc vous, il vous cible directement. Vous répondez quoi ?

R - Je ne commente pas les propos de ceux qui constamment jettent de l'huile sur le feu. Le principe numéro un de la diplomatie, c'est qu'il faut toujours laisser sa chance au dialogue. Ceux qui vous disent le contraire sont des irresponsables. La diplomatie française, il faut bien que tout le monde en ait conscience, est l'une des plus dures du monde. Regardez, hier, c'est moi-même qui ai obtenu que l'Union européenne prenne pour la première fois dans son histoire des sanctions contre des juges iraniens qui sont responsables de la politique d'otage d'Etat dont sont victimes deux de nos compatriotes. Mais il faut utiliser la fermeté à bon escient. Et il faut toujours, au préalable, donner sa chance au dialogue, parce que c'est ainsi qu'on résout les tensions.

Q - Alors, sur le cas très spécifique de l'écrivain Boualem Sansal, vendredi, le Président Macron se disait confiant sur une issue positive. Est-ce qu'aujourd'hui, quatre jours plus tard, avec ce qui s'est passé, l'état d'esprit reste le même ? Est-ce que vous êtes toujours confiant ou pas ?

R - Boualem Sansal n'a pas à faire les frais de problèmes entre le gouvernement français et le gouvernement algérien. Et j'ose croire, étant donné son état de santé et sa situation, à un geste d'humanité de la part des autorités algériennes. En tout cas, c'est en ce sens que j'ai plaidé lorsque je me suis rendu à Alger. C'est en ce sens que je continuerai de plaider.

Q - Mais vous êtes confiant ou pas ? C'est le terme employé par le Président.

R - Je suis préoccupé par son état de santé et par sa situation, les conditions de sa détention.

Q - Est-ce que vous êtes préoccupé aussi par le sujet des OQTF ? Parce qu'on sait que les tensions avec l'Algérie viennent beaucoup de cette question. Est-ce que le dossier a évolué ? Le renvoi des OQTF jugés dangereux par la France et par le ministère de l'intérieur, l'Algérie n'en veut pas. Est-ce que ça avance ou est-ce que ça reste bloqué ?

R - Nous n'avons jamais expulsé autant d'Algérie en situation irrégulière que l'année dernière. C'est pourquoi, lorsque je me suis rendu à Alger il y a deux semaines, nous voulions réamorcer le dialogue pour aller encore plus loin, pour obtenir encore plus de résultats sur les expulsions, les réadmissions d'Algériens en situation irrégulière. J'espère vivement que les autorités algériennes pourront revenir sur la décision qu'elles ont prise hier, sans quoi ce dialogue sur les questions migratoires sera évidemment compromis.

Q - Vous n'avez donc pas eu de garantie sur ce plan ?

R - J'ai eu de la part des plus hautes autorités algériennes des expressions de bonne volonté sur ce sujet, volonté d'aller encore plus loin que les bons résultats que nous avions obtenus l'année dernière.

Q - D'où cette surprise lorsque vous avez vu, j'imagine, cette nouvelle d'hier des 12 expulsions. Il y a un autre grand sujet international évidemment qu'il faut qu'on aborde ce matin, c'est la situation en Ukraine, parce que la Russie ce week-end a tué des dizaines de civils, à Soumy, et c'était juste après une visite de l'émissaire américain. Est-ce que c'est un camouflet pour Donald Trump ? Est-ce que la méthode Trump est en train d'échouer sous nos yeux ?

R - Écoutez, de toute évidence, ce massacre du dimanche des Rameaux à Soumy, où je me suis rendu il y a quelques mois, démontre, s'il en était besoin, que la cruauté de Vladimir Poutine n'a pas de limite. Et oui, ça fait maintenant plus d'un mois, plus d'un mois que l'Ukraine a accepté un cessez-le-feu sans conditions. Et malgré tous les efforts des Américains, malgré toutes les promesses de Vladimir Poutine, eh bien la Russie continue ses crimes de guerre et ses agressions. Et donc si elle ne sait pas faire preuve de bonne volonté, je crois qu'il faut la contraindre à cesser le feu en appliquant les sanctions les plus lourdes pour asphyxier son économie de guerre.

Q - Comment vous expliquez que Donald Trump ne semble pas changer sa politique alors qu'elle n'obtient aucun résultat, voire c'est pire qu'avant ?

R - Que les États-Unis souhaitent amener la Russie à mettre fin à sa guerre d'agression, c'est une bonne chose. Nous n'allons pas les dissuader. Mais ce que nous disons, c'est que de toute évidence, le temps du dialogue arrive peut-être à son terme et qu'il faut passer à une autre méthode, celle de la fermeté et des sanctions, qui seules sont susceptibles de forcer Vladimir Poutine à mettre fin à cette guerre.

Q - Un mot sur les droits de douane. Il y a un commissaire européen qui est à Washington en ce moment. Ça avance, les négociations, ou pas ?

R - Je le souhaite, parce que même si cette pause qui a été décrétée par Donald Trump est une forme, je dirais, d'apaisement dans cette guerre commerciale, nous ne sommes pas sortis des problèmes, puisque nous avons 10% de droits de douane appliqués sur tous nos produits, que nous avons 25% sur l'automobile, 25% sur l'aluminium et l'acier. Notre objectif, c'est d'obtenir la désescalade, le désarmement tarifaire. Mais nous devons nous tenir prêts à toute éventualité, être prêts à défendre nos intérêts commerciaux en utilisant tous les instruments à notre disposition.

Q - Il y a un autre sujet dont on parle, qui est dans l'actualité internationale mais qui va vous occuper aujourd'hui, parce que juste après les "4V", vous allez prendre l'Eurostar pour aller à Londres. Il y a une conférence sur le Soudan, qui est un sujet qui est un peu plus sous les radars mais sur lequel la France est très impliquée. Est-ce que vous allez faire des annonces lors de cette conférence ou pas ?

R - On en parle moins et pourtant, et pourtant, ça fait deux ans maintenant, aujourd'hui, que cette guerre a provoqué au Soudan la crise humanitaire la plus grave du monde. Et c'est pourquoi je participerai à cette conférence, pour maintenir la mobilisation de la communauté internationale, pour appeler les belligérants à cesser le feu, pour appeler les puissances tierces extérieures à cesser d'alimenter ce conflit. Et j'apporterai, comme nous l'avons fait l'année dernière, le soutien financier de la France à hauteur de 50 millions d'euros pour soulager les souffrances des millions de personnes qui fuient la guerre et les persécutions.

Q - On a entendu les engagements de fermeté de Jean-Noël Barrot ce matin sur le dossier algérien. On verra ce qui va se passer, évidemment, dans les heures qui viennent. Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2025