Déclarations à la presse de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations franco-africaines, les tensions avec l'Algérie et le conflit en Ukraine, à Marseille le 16 avril 2025.

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Circonstance : Forum Ancrages

Texte intégral

Je suis aujourd'hui au Forum Ancrages, qui tient sa deuxième édition à Marseille, pour valoriser la place des diasporas africaines en France. En France, un de nos compatriotes sur dix à peu près a un lien avec l'Afrique. C'est une chance, un atout pour notre pays, parce que nos diasporas font briller la France. Nos entrepreneurs issus des diasporas, qui étaient nombreux à Marseille toute la journée, sont à la fois des entrepreneurs mais aussi des ambassadeurs et des bâtisseurs. Des ambassadeurs parce qu'ils permettent de changer le regard qui est posé sur la France en Afrique, et réciproquement. Et puis des bâtisseurs parce que par les projets qu'ils portent dans le domaine culturel, dans le domaine économique, technologique, ils contribuent à établir des solidarités entre la société civile en France et avec les pays desquels ils sont originaires. Et sur le fondement de ces liens solides qui unissent le peuple français avec les peuples des autres pays du monde, le travail diplomatique qui est porté au niveau du Gouvernement peut être réalisé dans les meilleures conditions. C'est pourquoi j'ai souhaité que cette année 2025 soit l'année des diasporas.

Et après le Forum Ancrages qui nous réunit aujourd'hui à Marseille, j'ai donné plusieurs rendez-vous.

Le premier rendez-vous, ce sera à Paris, au mois de juin, pour l'inauguration de MansA, la Maison des mondes africains, qui sera un véritable incubateur, un lieu où pourront s'exprimer toutes les créatrices, tous les créateurs de contenu entre l'Afrique, la France et l'Europe.

Deuxième rendez-vous, je l'ai donné pour Dakar au mois de juin, où la FIDEMO, la Fondation de l'innovation pour la démocratie, tiendra la deuxième édition des Assises de la démocratie.

Troisième rendez-vous, ce sera pour la fête de la musique, où j'ouvrirai grand les portes du Quai d'Orsay pour valoriser les créateurs et les artistes issus de nos diasporas.

Et puis le quatrième rendez-vous de cette année des diasporas, c'est celui que j'ai donné à Lagos, au Nigeria, où se tiendra la deuxième édition du Forum Création Africa, qui a eu lieu pour la première fois l'année dernière, et qui permet de rassembler tous les acteurs franco-africains des industries culturelles et créatives.

Alors évidemment, un forum comme Ancrages, qui est une véritable réussite, s'il a pu se tenir à Marseille dans de si bonnes conditions, c'est grâce à la mobilisation de beaucoup d'acteurs, au premier rang desquels Les Déterminés, l'association de Moussa Camara. Et puis, en lien avec lui, tous les services de l'État qui sont très nombreux à être représentés aujourd'hui, pour se placer dans une posture d'écoute et d'accompagnement de toutes ces créatrices, de tous ces créateurs qui, par leur réussite, font honneur à la France et montrent l'exemple.


Q - Monsieur le Ministre, en parlant de diasporas, est-ce que la crise aujourd'hui entre la France et l'Algérie ne va pas nuire à la diaspora algérienne à Marseille et en France plus largement ?

R - Nos compatriotes franco-algériens et les Français d'origine algérienne n'ont en aucun cas à faire les frais des tensions qui peuvent s'établir entre les autorités françaises et les autorités algériennes. Vous le savez, nous l'avons toujours dit, nous considérons qu'il est dans l'intérêt de la France et des Français d'avoir un dialogue exigeant et lucide avec les autorités algériennes, une relation normalisée. Et c'est dans cet esprit que le Président de la république avait pris l'attache du président algérien, et que moi-même, je m'étais rendu à Alger au début du mois, avec, je dirais, un accord réciproque pour rétablir la coopération, pour normaliser les relations au bénéfice de la France et au bénéfice de l'Algérie. Mais, dimanche soir dernier, le gouvernement algérien a fait le choix de l'escalade en décidant d'expulser 12 fonctionnaires français en poste à Alger. Comme nous l'avions annoncé, nous avons répliqué avec fermeté, dans une logique de stricte réciprocité, en expulsant à notre tour 12 agents algériens du réseau diplomatique et consulaire en France.

Q - C'est quand même une crise qui est la plus grave, la plus forte depuis 1962 entre la France et l'Algérie...

R - Vous savez, je crois que, je le redis ici, dans ce forum où se pressent les créatrices, les créateurs d'entreprises issus de toutes les diasporas, qui ne doit pas atteindre, qui ne doit pas affecter les relations entre les peuples, et en particulier les franco-algériens ou les Français d'origine algérienne. Ensuite, je vous l'ai dit, la France considère et considérera toujours que c'est par le dialogue que les tensions peuvent être résolues. Mais pour dialoguer, il faut être deux. Ça ne peut être à sens unique.

Q - Monsieur le Ministre, il y a d'autres signes comme l'annonce par Alger que les études de médecine se feraient dorénavant en anglais, alors qu'il y avait de forts liens entre les étudiants en médecine des deux pays. Est-ce que les signes d'escalade se multiplient ?

R - La décision dont vous parlez, elle date d'il y a quelques mois déjà. Et c'est pourquoi, lorsque je me suis rendu à Alger, et que dans un esprit d'exigence et de franchise, j'ai mis sur la table l'ensemble des sujets qui nous paraissaient importants de résoudre dans l'intérêt de la France et des Français, j'ai évidemment parlé de la francophonie, de l'usage du français, avec le souhait que nous puissions ouvrir de nouvelles antennes de notre Institut français, que nos enseignants du français puissent exercer leur mission, faire leur travail dans les bonnes conditions. Cela faisait partie de nos attentes, dans le cadre d'un dialogue que nous avions choisi de rétablir dans l'intérêt de la France et des Français, mais que la décision brutale des autorités algériennes est venue interrompre.

Q - Vous avez dit espérer renouer à terme le dialogue avec Alger. Est-ce qu'un entretien téléphonique est prévu prochainement avec votre homologue algérien ou entre les deux présidents ?

R - Non, ce que j'ai dit c'est que les tensions ne peuvent être résolues, quelles que soient les circonstances, que par le dialogue. C'est toujours le cas, et c'est toujours par la diplomatie et par le dialogue qu'on parvient in fine à résoudre durablement les problèmes et durablement les tensions. Mais je le redis, en réagissant à une procédure judiciaire indépendante, qui vise trois ressortissants algériens soupçonnés de s'être rendus coupables de faits graves sur le territoire national, les autorités algériennes ont brutalement dégradé notre capacité à dialoguer.

Q - Vous avez déclaré aussi attendre d'Alger quelle respecte ses obligations, notamment en matière migratoire. Si l'Algérie ne reprenait pas ses ressortissants sous OQTF, est-ce que la France remettrait en place des restrictions sur les détenteurs de passeports diplomatiques ?

R - Nous avons des accords qui régissent notre relation et nous exigeons que les autorités algériennes respectent ces accords. C'est la moindre des choses dans la relation que l'on peut avoir entre deux pays. Et donc nous ferons tout pour que ces accords soient respectés. Et notamment, puisque vous en parlez en matière migratoire, en matière de réadmission des Algériens qui sont en France en situation irrégulière.

Q - Monsieur le Ministre, est-ce qu'il faut établir un rapport de force avec l'Algérie ?

R - Je crois que c'est aux autorités algériennes qu'il faut poser la question, puisque pour ce qui nous concerne, nous l'avons toujours dit, c'est par un dialogue exigeant, franc, lucide, sans faiblesse, que nous pouvons surmonter nos différends.

Q - C'est pourtant ce que dit Bruno Retailleau...

R - Mais, de toute évidence, les autorités algériennes ont choisi l'escalade, et comme nous l'avions annoncé, nous avons répondu avec fermeté et en stricte réciprocité.

Q - Comment renouer le dialogue, aujourd'hui, avec Alger ?

R - Je vous invite à nouveau à poser la question aux autorités algériennes, qui en expulsant 12 fonctionnaires français qui travaillaient à l'ambassade de France à Alger jusqu'à hier soir, ont brutalement dégradé notre capacité à travailler ensemble. Puisque vous imaginez bien que ces agents français postés à Alger portaient, avaient la responsabilité d'un lien, d'une coopération avec leurs interlocuteurs sur place. En expulsant ces agents, les autorités algériennes dégradent brutalement notre capacité à travailler ensemble.

Q - Est-ce que vous pensez que par la voie diplomatique, vous pouvez obtenir la libération de M. Sansal ?

R - La détention de Boualem Sansal est injustifiable au regard des charges aberrantes qui pèsent sur lui, au regard de son âge et de son état de santé. C'est pourquoi nous avons plaidé, le Président de la République l'a fait, je l'ai fait lorsque je me suis rendu à Alger, pour un geste d'humanité. Je souhaite que ce geste d'humanité puisse advenir, car Boualem Sansal n'a pas à être victime des tensions qui peuvent exister entre les autorités françaises et les autorités algériennes.

Q - Le secrétaire d'Etat américain est attendu à Paris. Est-ce que vous avez une rencontre prévue avec lui ?

R - Oui, nous accueillerons demain mon homologue américain, avec lequel nous allons échanger sur la poursuite de nos efforts pour mettre fin à la guerre d'agression russe en Ukraine. Je rappelle que le week-end dernier, jour du dimanche des Rameaux, l'horreur a atteint son apogée avec deux missiles russes qui ont fait perdre leur vie à 35 victimes innocentes. Vladimir Poutine a une nouvelle fois démontré que sa cruauté est sans limite, qu'il n'a aucune intention de cesser le feu alors que l'Ukraine y a consenti depuis plus d'un mois, et qu'il va donc falloir l'y contraire. Et en parallèle, comme vous le savez, nous travaillons à préparer les conditions d'un cessez-le-feu, et en particulier les conditions de sa surveillance. C'était l'objet des réunions présidées par le Président de la République ces dernières semaines. Et puis au-delà du cessez-le-feu, une fois que des négociations de paix auront pu être initiées, la responsabilité des Européens et alliés de l'Ukraine, c'est d'apporter les garanties nécessaires à ce que plus jamais, l'Ukraine ne fasse l'objet d'une agression de la Russie.

Q - Monsieur le Ministre, vous (inaudible) de l'ambassadeur à Paris. Quel est son programme ? Vous allez le rencontrer, quel est le message que vous lui faites passer ? Et ce rappel est-il durable ?

R - Nous avons rappelé notre ambassadeur pour consultation. Dans l'échelle des sanctions diplomatiques, c'est une mesure de très vive protestation. Notre ambassadeur, dont je veux saluer le professionnalisme, le dévouement, ainsi que celui de nos agents qui, à Alger, ont travaillé depuis des mois dans des conditions extrêmement difficiles et parfois éloignés de leurs familles, sera de retour dans les prochains jours, sous 48 heures. Et ce sera l'occasion, évidemment, d'échanger avec lui sur la suite que nous pouvons donner à cette rupture du dialogue précipitée par la décision prise dimanche soir par le gouvernement algérien.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2025