Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les efforts du gouvernement en faveur de l'agriculture et de la pêche réunionnaise, à La Réunion le 22 avril 2025.

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Circonstance : Déplacement à La Réunion ; Echanges avec des agriculteurs à la Réunion

Texte intégral

Bonjour, mesdames et messieurs,

Je suis heureux qu'on puisse se retrouver. Et merci, d'ailleurs, de vous être adaptés, parce qu'on devait initialement se voir beaucoup moins longtemps. Mais compte tenu de la situation et de ce qui s'est passé avec Garance et de ce que vos filières ont vécu, on a considéré que c'était sans doute plus pertinent. Donc merci de nous accueillir et de pouvoir faire un point d'ensemble sur toutes les filières, de regarder avec vous les difficultés concrètes qu'on a à très court terme, d'essayer aussi de se projeter collectivement.

Moi, je dois dire, et j'ai à chaque fois défendu ça, je considère que le modèle réunionnais est quand même très spécifique, parce que vous avez réussi, comme peu, un modèle qui s'est progressivement diversifié. On a soutenu, à juste titre, la portée, mais il y a une autonomie alimentaire qui est inédite dans nos Outre-mer, et qui est le fruit d'une diversification, d'une capacité à produire. Alors, il y a, en même temps, évidemment, les aléas qui vont avec la région, et vous n'avez pas été épargnés. Donc je veux qu'on puisse revenir là-dessus, ce qui fragilise, évidemment, certaines filières, et je veux qu'on puisse se dire les choses en vérité.

Je veux remercier vraiment la ministre d'avoir passé du temps avec vous et l'ensemble des services de l'État, et le ministre d'État, le ministre des Outre-mer, qui est venu il y a plusieurs semaines et qui est venu à plusieurs reprises pour pouvoir aussi faire le point avec vous, mais qu'on regarde un peu ce qu'on peut faire raisonnablement en termes d'urgence avec les filières et ce qu'on doit faire. Et puis aussi comment on regarde de l'avant avec vous, l'ensemble des filières et les collectivités pour continuer de passer une nouvelle étape parce qu'on sait bien qu'il faut continuer de créer de la valeur, réussir à transformer, réussir à justement passer de nouveaux caps dans la stratégie alimentaire. Et c'est pour moi un des objectifs de cette rencontre. Je ne serai pas plus long.

Je voulais vous remercier de vous être adapté et vous dire que le temps qu'on va passer là est à mes yeux très important et doit nous aider à faire face à l'urgence et à nous projeter. Et par définition, les solutions ne tombent pas du ciel, mais on arrive toujours à les trouver, quand il y a des femmes et des hommes de bonne volonté, ce qui est le cas ici. Donc, on va y arriver.

[Interventions des participants]

Bien. Merci beaucoup et merci aux ministres qui ont passé du temps dans les déplacements précédents et juste avant avec vous. Alors, écoutez, on va essayer ensemble de régler le sujet en ayant la bonne méthode et en partant des bons constats. Les constats, vous les avez tous posés. Je pense que, je veux vous le dire ici très clairement, c'est compris, entendu et porté par les membres du Gouvernement, qu'il s'agisse du ministre d'État, ministre des Outre-mer et de la ministre de l'Agriculture, le modèle réunionnais a ses spécificités, et il ne s'agit pas qu'une des filières vienne être bousculée ou fragilisée, et en particulier la canne, puisque c'est le cœur de la discussion qu'on a aujourd'hui compte tenu des difficultés sur les aides, parce que c'est en effet le pivot d'une agriculture qui a ensuite su se diversifier et aller vers l'autonomie alimentaire. Donc ça, c'est un acquis, on ne le remet pas en cause, et donc on va se battre.

La deuxième chose, je veux vraiment là aussi être très clair et explicite, nul ici ne sous-estime le caractère exceptionnel de ce que vous avez vécu en février dernier. Ça n'enlève pas un défi qui est le nôtre, mais c'est, je dirais, encore pire, c'est qu'il faut s'adapter de manière récurrente à ces événements. Et c'est tout le défi, d'ailleurs, qui est le nôtre pour toute la région, c'est de voir comment on adapte nos modèles agricoles et notre production alimentaire pour qu'ils soient beaucoup plus résilients et parce qu'ils auront à faire face, et vous l'avez très bien dit, les cyclones, vous connaissiez. Mais là, vous avez eu, je dirais, un triple problème, le cyclone l'année dernière, la sécheresse, et un cyclone totalement inédit, et donc, pour nous, c'est très clair, là aussi, je le dis, Garance, c'est situation exceptionnelle. Et donc, l'idée n'est pas de faire avec les mécanismes habituels.

Une fois posés ces deux éléments, comment avancer ? Les ministres sont revenus, et je ne vais pas ici le refaire, on a une série d'aides qui ont été posées sur la table, on a à peu près 244 millions d'euros d'aides qui ont été posées pour La Réunion, ce qui représente 45 % de toutes les Outre-mer sur la partie agricole, et sur ces 244, 145 qui vont à la filière canne et sucre, avec les efforts qui sont faits par les deux ministères. Donc, il y a un effort qui est fait. Je crois pouvoir dire quand même qu'il permet d'accompagner une partie des filières, je parle sous votre contrôle, et qu'il y a ensuite une volonté de structurer, sur fruits et légumes en particulier, de bien protéger, en tout cas, mieux intégrer à l'espace régional sur l'arboriculture et de consolider ce qui a été fait sur les filières viande. Mais donc là, tout ce qui a été annoncé par la ministre sur fruits et légumes, élevage, les éléments transversaux sont confirmés. Ça, c'est pour reprendre votre formule, le premier étage.

Deuxième étage, on ne peut pas ne pas entendre que vous avez une crainte — corrigez-moi si je vous traduis mal pour qu'on puisse agir utilement — c'est qu'on puisse passer à l'étape du dessus pour préparer la campagne à venir et que là, vous avez un sujet et la trésorerie. Et donc, ce qu'il nous faut faire, sous le contrôle du ministre d'État et de la ministre, c'est qu'on puisse avancer pour améliorer l'accompagnement à l'hectare dans les zones qui ont été les plus touchées. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, là aussi, je parle sous les contrôles, on a 40% des surcoûts qui sont pris en charge dans les zones Est et Nord, qui sont très impactées, ce qui fait 765 euros à l'hectare. Ce qu'on se dit, c'est que c'est sans doute là-dessus, pour que vous puissiez faire face aux campagnes de 26, qu'il faut qu'on puisse monter cet effort autour des 1 000. Simplement, ce que je vous propose, c'est que, du coup, à situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel, sous l'autorité du préfet, avec le département, la région, l'ensemble des filières et les représentants syndicaux, qu'on puisse, là, dès les prochaines semaines, se mettre autour de la table pour vérifier que c'est bien ça, parce que peut-être qu'il faut faire autre chose et prendre un autre dispositif. Et que d'ici à juin, on bâtisse un dispositif d'urgence pour avoir le deuxième étage, 26. Parce qu'on est clair que vous n'allez pas y arriver. Moi, j'ai besoin aussi que la filière nous aide. Il y a des réserves qui sont là, peut-être qu'on puisse les mobiliser, pas pour se substituer à l'investissement dans l'outil, parce que je vais venir à la suite, au troisième étage, mais sur le court terme, pour qu'on puisse tout faire.

Quelle est la contrainte des ministères ? Vous le savez bien, la situation à la fois financière et politique du pays. Et donc, je ne vais pas ici vous proposer et vous dire des choses, tout est possible, parce que je suis devant vous, j'essaie aussi de tenir en compte des contraintes qui sont celles des ministres qui sont là, mais on vous a entendu sur les surcoûts à l'hectare dans les zones les plus touchées, il faut en passer à un 2e étage et donc monter à une aide plus importante pour préparer à la campagne 26 et peut-être aussi d'autres dispositifs. Donc ça, on est tout à fait prêts à le faire et à le regarder.

Et donc, je souhaite qu'entre maintenant et le mois de juin, il y ait ce travail qui soit supervisé par le préfet avec vous : dispositif d'urgence, l'urgence agricole Réunion, avec, si on se le dit, un regard particulier sur, évidemment, la canne, et que d'ici à juin, on puisse sortir les bonnes options. Dernier étage maintenant, la suite. La suite, c'est qu'on arrive à renforcer, avec les filières qui sont là et vos élus, ce qui a déjà été fait et qui est un succès du modèle réunionnais. Et moi, je le vois avec, en quelque sorte, 3 axes.

Le premier, comment on arrive à bâtir une nouvelle étape dans les débouchés et la transformation ? On a la sécurisation de l'amont, ça, c'est ce que je veux qu'on fasse d'ici juin pour la canne, parce qu'on a les baisses de production qui ont été évoquées. Mais on doit beaucoup mieux valoriser sur l'aval. Donc, comment on consolide notre stratégie nationale et régionale avec des dispositifs qu'on pérennise, les ministères à vos côtés et l'ensemble des collectivités mobilisées. Il y a une deuxième étape, c'est comment on arrive à bâtir, et c'est un des objectifs de ce déplacement, en effet, avec tout le travail et avec la COI, une vraie stratégie régionale. Et je souscris à tout ce qui a été dit, mais qui est un peu notre schizophrénie à nous, collectivement, d'un point de vue régional, c'est-à-dire que quand on parle à nos Outre-mer et avec nos Outre-mer, on regarde toujours vers Paris. On a toujours conçu nos politiques comme ça. Ce qui est bien, c'est d'avoir la même chose qu'à Paris. Et c'est vrai parce que c'est le sens de l'égalité républicaine. Mais ce faisant, nous avons nous-mêmes contribué à créer des contraintes qui nous séparent du reste de la région, parce que vous ne pouvez pas être compétitif avec les mêmes fondamentaux économiques qu'à Paris dans la sous-région. Et parce que vous ne pouvez pas avoir 100 % de votre alimentation qui corresponde à des standards métropolitains quand, dans la sous-région, vous savez, on a bien parlé du zébu, et en effet, quand on a eu des vrais problèmes d'alimentation après Chido, qu'a fait le préfet ?

Première chose : il a créé des flexibilités pour pouvoir importer beaucoup plus simplement. Et tout le monde, quand il se déplace dans la sous-région, va consommer une alimentation ou une qualité de produit dont je n'ai pas le sentiment qu'elle est inconcevable pour nous. Et donc, il faut qu'en bonne foi, on regarde ce modèle qu'est-ce que c'est que l'intégration dans la sous-région. C'est au-delà de ce qui est fait au niveau du premier pilier pour la suite, qui est de consolider notre autonomie. Qu'est-ce qu'on peut mieux faire au niveau de la sous-région ? Qu'est-ce qu'on peut mieux à la fois exporter et importer ? Qu'est-ce qui fait que quand on ne le produit pas ici, on va le chercher beaucoup trop loin et beaucoup trop cher ? Et ça nourrit la vie chère. Et c'est encore plus vrai chez vos voisins mahorais qu'à La Réunion parce qu'ils sont encore plus dépendants.

Donc ayons enfin cette approche et c'est tout ce qu'on est en train de travailler avec l'AFD, l'IRD, mais aussi le CIRAD et les organismes de recherche. Nous, ce qu'on veut faire, c'est construire un modèle où on fait monter la performance, les pratiques de la sous-région sur le plan agroalimentaire, mais où on essaie aussi de créer des standards communs. Et ça, je crois qu'on a beaucoup à construire. Parce que si on arrive à créer des standards communs dans la sous-région, on crée la compétitivité et la résilience de celle-ci. Et la région océan Indien, elle a un modèle agricole qu'elle a à défendre. Et ça a été très bien dit. Il y a des niches aujourd'hui qui existent. Il y a des gens qui arrivent à s'en sortir. Est-ce que le modèle, bien au-delà de la question réunionnaise, aujourd'hui, est satisfaisant pour tout le monde dans la région ? Non. Et donc, nous, nous avons en quelque sorte deux jambes pour réussir cela : notre présence sur ce territoire, mais aussi tout notre investissement solidaire, le travail qu'on fait avec nos instituts de recherche et la politique qu'on mène sur le plan de la souveraineté alimentaire et agroalimentaire avec nos partenaires. Donc ça, c'est le deuxième axe où je souhaite vraiment qu'on puisse se développer et bâtir des solutions régionales qui vont nous permettre de traiter une partie de nos problèmes et qui créeront aussi des marchés export pour vous. Parce qu'il faut voir aussi que l'autonomie alimentaire, ça ne doit pas se regarder filière par filière. Il y a des filières qui exporteront, d'autres qui importeront, mais il faut que ça soit beaucoup plus flexible dans la sous-région.

Mon dernier point, c'est l'Europe. Ça a été dit. Et donc, le combat qu'on va mener, le vice-président l'a parfaitement rappelé, on s'est battus, il y a un peu plus de 5 ans, quand nos dispositifs étaient déjà menacés. Je crois aussi qu'on a aujourd'hui un président du Conseil qui est beaucoup plus attaché à nos RUP et je crois surtout qu'on a à faire valoir, dans ce moment géopolitique, on a une Commission, un Parlement, un collège, enfin pour moi, des partenaires, qui est beaucoup plus lucide sur l'état du monde. Il y a 5 ans, quand on parlait d'Indopacifique et des vulnérabilités de la contestation qu'on pouvait avoir, on vous regardait, on n'était pas totalement sûrs de vous suivre. Depuis, on a vécu des pandémies internationales, la guerre en Ukraine, une fracturation du monde qui fait que maintenant, tout le monde est lucide et nous sommes une chance pour l'Europe avec ces territoires. C'est qu'on lui donne des pieds dans des régions où elle a des intérêts à défendre. Et donc, en effet, on va se battre d'abord pour avoir un bon budget. Mais nous, ce qu'on porte, c'est-à-dire d'avoir un budget en accroissement, avec plus de ressources propres, et parce que les besoins d'investissement de l'Europe sont là, donc ça ne peut pas être un budget en repli ou même en maintien. On avait réussi il y a 5 ans, là, on nous disait qu'avec le Brexit, ça allait baisser. On l'avait maintenu. Là, il faut qu'il soit en expansion. Oui, il faut à la fois augmenter et moderniser le POSEI qui ne répond plus aujourd'hui aux besoins. Et la ministre sait ô combien sur les sujets que va avoir le ministre également. Et donc ça, c'est le deuxième axe qu'on veut pouvoir bâtir.

Sur nos RUP, là aussi, nous voulons flexibiliser les instruments. Et je vous le dis très simplement, il se trouve que la pêche n'est pas invitée ici, mais je veux avoir un mot pour nos pêcheurs. Je veux avoir un mot, parce que je le disais à mes équipes et ministres : j'ai honte, moi, de ce qu'on a fait depuis 6 ans sur la pêche. Et je le dis là-devant des Européens, je le sais, convaincus, mais comment créer le malentendu avec l'Europe et faire détester l'Europe ? C'est-à-dire qu'on gère nos flottes de pêche avec des mécanismes, comme si on était dans le golfe de Gascogne. On est des fous. Moi, il y a 6 ans, j'ai eu des pêcheurs, c'était chez toi, Serge, d'ailleurs, si ma mémoire est bonne, qui venait me dire : " on a besoin de renouveler les bateaux ". On n'a pas été fichu d'y répondre. » Là, on s'est battu, on fait bouger sur la Guyane, je veux au moins que La Réunion ait la même chose que la Guyane, c'est-à-dire qu'on a besoin d'avoir des réponses maintenant concrètes et rapides. Et on a aujourd'hui des contraintes qu'on nous met alors même que vous êtes dans des bassins de pêche où la concurrence est massive. Et donc quand je dis qu'on a besoin de moderniser le cadre des RUP, c'est-à-dire, qu'on a besoin de prendre en compte simplement l'écosystème dans lequel elles évoluent. Quand vous, vous avez de la concurrence sur la pêche par Madagascar et parfois de la prédation sur la pêche illégale par d'autres que je ne citerai pas, on pose les mêmes contraintes de renouvellement des flottes de pêche que si on se trouvait en Méditerranée. Ça n'a pas de sens. Et donc ça, c'est le troisième axe sur lequel on va se battre au niveau européen.

Je ne veux pas être plus long. C'étaient les quelques perspectives que je voulais ici vous offrir. Mais si j'ai voulu qu'on prenne le temps avec les ministres d'être à vos côtés, en changeant le programme pour y passer justement plus de temps, c'est parce que je suis convaincu, d'abord, que vous avez fait des choses vraiment extraordinaires ces dernières années. Et je vous le dis avec beaucoup de sincérité et de force, parce que je suis très sensible au message aussi que vous avez exprimé de détresse, de beaucoup de collègues et d'exploitants qui, aujourd'hui, n'ont pas de quoi vivre et qui portent une colère. Et ça, nous l'entendons très profondément.

Et donc, on va agir ensemble avec ces 3 temps. 1) L'urgence. Sous l'autorité du préfet d'ici juin, dispositif d'urgence post-Garance. Vous avez ma parole. Et on répond au deuxième étage de la fusée. 2) On consolide nos filières nationales et puis on se bat sur océan Indien et Europe. Vous pouvez en tout cas compter sur nous et je remercie les ministres qui sont pleinement mobilisés. Et puis, je remercie aussi la Chambre, tous les services de l'État qui sont là, vos collectivités locales, et l'ODEADOM qui fait un travail formidable. Merci à tous.