Texte intégral
Q - Bonsoir, Benjamin Haddad.
R - Bonsoir.
Q - Vous êtes ministre délégué chargé de l'Europe. Si vous étiez venu il y a une petite dizaine de jours seulement, Benjamin Haddad, c'est de ça dont on aurait parlé probablement, et aussi de la crise économique mondiale. Si vous étiez venu il y a moins d'une semaine, on aurait parlé des 90 jours désormais, mais d'une escalade avec la Chine. Si vous étiez venu avant-hier, on aurait parlé de la reculade de Trump sur la tech vis-à-vis de la Chine. Aujourd'hui, nous en sommes donc toujours à 10% flat pour tout le monde, 25% sur l'acier et l'aluminium. Donc tout ça c'est toujours très haut, mais à chaque fois c'est Trump qui recule. Et au fond la question que j'ai envie de vous demander, alors que le commissaire européen est à Washington en ce moment avec son homologue, c'est est-ce qu'il faut vraiment négocier avec les États-Unis, qui disent tout au son contraire ? Qu'est-ce qu'on risquerait à les laisser faire et à attendre 90 jours pour voir ce qu'il se passe derrière ?
R - La réponse c'est qu'on doit faire les deux. On doit négocier, et l'on l'a dit, qu'on est prêts à avoir un dialogue sur la relation économique avec les États-Unis, mais qu'on a aussi une réponse très ferme, très forte, qui est prête pour pouvoir riposter si on continue à être dans l'escalade sur les droits de douane. Les droits de douane américains, il faut quand même le dire, ceux qui ont été imposés par l'administration Trump, ils sont totalement injustifiés et ils n'ont aucune espèce de fondement sur la relation réelle entre l'Europe et les États-Unis. Je veux le dire, parce qu'on calcule le déficit commercial des États-Unis sur les biens, mais on ne compte pas les services, les services numériques américains, par exemple, qui sont présents en Europe ; on inclut un certain nombre de taxes, par exemple la TVA, qui est considérée par l'administration américaine comme un droit de douane, alors que pourtant c'est une taxe que paient les entreprises européennes comme les entreprises étrangères qui sont sur le sol européen. Donc tout ça n'a aucun rapport. Et puis surtout, fondamentalement, le déficit américain vis-à-vis de l'Union européenne n'est pas lié à des tarifs douaniers de la part de l'Union européenne. Il est lié à un modèle économique américain qui est un modèle de demande intérieure, de consommation, qui a été dopé d'ailleurs largement par de la dette, y compris au niveau des ménages, des individus. Donc tout ça n'a aucune espèce de fondement.
Q - Mais du coup, est-ce qu'on sait ce qu'il attend de nous ? Est-ce que vous savez, très honnêtement... Est-ce que vous savez dire à votre interlocuteur : "Voilà ce que nous on peut vous proposer" ? Qu'est-ce qu'il attend de nous, en fait ? Qu'est-ce qu'il attend que vous disiez ?
R - Mais de toute façon, là, on aura le commissaire au commerce extérieur, Sefcovic, qui sera aux États-Unis. Mais la question c'est surtout ce qu'on attend, nous. Nous, on attend de revenir à une relation économique et commerciale normale avec les États-Unis. Vous l'avez mentionné, on est revenus aux mêmes droits de douane que le reste du monde, c'est-à-dire à 10%. On a toujours 25% aussi sur l'acier et l'aluminium. Alors, tant mieux, on a vu forme d'apaisement ces derniers jours, donc il faut s'en réjouir, pour pouvoir engager un dialogue. Mais fondamentalement, il ne faut pas... Là, il faut quand même être assez clairs : on n'est pas revenus à une situation normale. Il ne faut pas entériner cet état de fait comme étant la situation économique et commerciale normale entre l'Europe et les États-Unis, d'où une très grande vigilance de notre part. Ce que nous avons répété - et ce sont les messages que nous faisons passer aussi à la Commission européenne, et c'est pour ça qu'on sera capables de répondre de façon vraiment absolument déterminée pour frapper l'économie américaine en cas d'échec du dialogue politique...
Q - Donc, le dialogue que vous avez avec les États-Unis en ce moment, c'est à l'envers ? C'est-à-dire, c'est de dire : "Voilà ce qui se passe si vous ne remettez pas les droits de douane là où ils étaient" ? Est-ce qu'on peut dire que c'est ça, le dialogue de l'Europe, en ce moment, avec les États-Unis ?
R - C'est de dire que nous, on a envie de commercer, d'avoir une relation économique normale avec les États-Unis, encore une fois. Et d'ailleurs, quand on voit les conséquences sur l'économie, sur les marchés boursiers, sur les entreprises américaines, on voit bien que les droits de douane, le protectionnisme, c'est dans l'intérêt de personne et que ça frappe en premier lieu les États-Unis, les consommateurs et les ménages américains. Et donc, nous, on s'est donné les moyens de pouvoir répondre. L'Europe est forte et l'Europe, d'ailleurs, a renforcé ces dernières années ses instruments de défense commerciale, parce qu'on a déjà eu ça lors du premier mandat de Donald Trump, où on s'étaient défendus, on avait riposté et c'est ce qui avait permis de désescalader. Entretemps, on s'est dotés d'autres instruments pour faire face précisément à ce type de situation, comme le fameux instrument anti-coercition qui permettrait de taxer les services numériques ou les pubs des services numériques, qui permettrait d'exclure les entreprises américaines de certains marchés publics européens, qui permettrait aussi de saisir la propriété intellectuelle, donc qui étend le champ, notamment, au service de ce que l'Union européenne peut faire pour se défendre. Donc nous on est prêts à se défendre, mais on préfère le faire par un dialogue politique. Mais les deux sont liés, vous voyez : c'est la négociation appuyée sur un rapport de force.
Q - Mais donc si les États-Unis - parce que c'est ce qu'on entend - veulent essayer d'abaisser certaines barrières douanières, notamment sur tout ce qui est non tarifaire - on pense par exemple aux GAFAM, on pense aux politiques de confidentialité, etc., que les Américains ne supportent pas... Donc s'ils arrivent en disant : "Il va falloir jouer sur le non tarifaire", est-ce que vous, vous êtes prêts à dire : "Il n'est pas question d'assouplir la moindre restriction sur certaines exportations américaines" ?
R - On ne va pas changer notre État de droit européen sous pression commerciale des États-Unis. Ce à quoi vous faites référence, le DSA ou le DMA [Digital Service Act, Digital Market Act], ce sont des règles dont s'est dotée l'Union européenne ces dernières années face aux géants du numérique. Digital Service Act pour lutter contre la haine en ligne, la désinformation, la manipulation des algorithmes - plus urgent que jamais quand on voit par exemple le rôle que joue la Russie sur les réseaux sociaux dans les élections en Roumanie ou en Moldavie. Et le Digital Market Act pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles monopolistiques de la part des géants du numérique. Ça, c'est notre Etat de droit. On ne va pas changer nos propres règles pour protéger nos marchés ou protéger la liberté d'expression et la lutte contre la haine sur les réseaux sociaux face à la coercion commerciale des États-Unis. Et d'ailleurs, je voudrais souligner qu'à cet égard, la présidente de la Commission européenne, il y a quelques jours dans une interview sur ce sujet, a été extrêmement claire. Donc ça ne fait pas partie de la négociation.
Q - Donc je vous entends, mais il n'y a pas de négo, du coup. Est-ce qu'il y a une négo ? Et s'il y a une négo, elle porte sur quoi, en fait ? Encore une fois, de quoi on leur parle ? Ou est-ce qu'on leur dit simplement : "Non, non, retour à la case départ" ?
R - Mais effectivement, on leur dit que ces tarifs sont injustifiés, qu'ils n'ont aucune espèce, encore une fois, de fondement sur la relation commerciale entre l'Europe et les États-Unis, et que nous avons les moyens de réagir, de nous défendre et de se faire respecter. L'Union européenne, vous savez, c'est 450 millions d'individus, c'est le plus grand marché unique intégré au monde et en plus, largement sous l'impulsion de la France ces dernières années, elle est sortie de la naïveté commerciale et s'est dotée d'instruments pour pouvoir se défendre. Parce qu'il y a quelques années on n'était pas capables de le faire. Il y a quelques années, on attendait les jugements de l'OMC, parfois des recours interminables, une organisation qui a été quand même très largement affaiblie, voire vraiment détruite sous les coups de boutoir des administrations américaines, républicaines comme démocrates. On n'était pas capables aussi de protéger les États qui pouvaient être sous pression de la part de la Chine, comme ça avait été le cas de la Lituanie. C'est pour ça que, encore une fois, aujourd'hui, on a ces instruments de défense commerciale. On sera prêts à les utiliser si la négociation, si le dialogue politique échoue avec les États-Unis. Ce que je constate encore une fois, c'est que cette administration est aussi sous pression au niveau intérieur parce qu'on voit bien le protectionnisme... On a eu des exemples dans les années 30, on avait déjà eu Hawley-Smoot, des dérives protectionnistes de la part de l'administration américaine, qui avaient mené à des guerres commerciales qui avaient été une catastrophe économique pour les États en question, à commencer par les États-Unis. Ça avait renforcé à l'époque la Grande Dépression. Donc ce n'est pas dans l'intérêt des États-Unis. Je crois que l'administration commence à s'en rendre compte. À nous aussi de faire passer ce message et de dire que nous souhaitons commercer.
Après, le deuxième point que je voudrais rajouter, c'est que fondamentalement, la question que nous devons nous poser aussi en Européen, c'est d'investir dans notre propre compétitivité, dans notre propre attractivité. C'est le moment précisément de nous rendre moins dépendants des turbulences géopolitiques et économiques mondiales et de faire de l'Union européenne, alors qu'on voit l'incertitude sur la Chine et sur les États-Unis, la zone n°1 pour les investisseurs, pour les innovateurs, pour les créations d'entreprises dans le monde. Ça, ça passe par de la simplification, ça passe par l'approfondissement du marché unique avec un régime des droits des affaires intégré, ça passe par un soutien massif à nos innovateurs et à nos industries, et par changer aussi les règles de concurrence et d'aides d'État. Il y a tout un volet qu'on voit dans les rapports Draghi et Letta, qui est poussé là aussi par la France, qui est une autre réponse, pas seulement défensive, mais au contraire, ambitieuse, innovante, face à ces défis.
Q - Deux choses. D'abord, 90 jours, effectivement, c'est le temps de voir pour nous comme pour eux, et de voir surtout, pour nous, si on joue à 27. Est-ce que Giorgia Meloni, par exemple, qui va à Washington jeudi, y va pour son propre compte ? Est-ce qu'elle y va pour le compte des Européens ? Est-ce qu'elle a un message européen à transmettre ? Ou est-ce qu'elle est en train de le jouer "perso", de son côté ?
R - Je crois que c'est très important de rester unis et de faire passer des messages européens. Aucun État n'a intérêt à y aller.
Q - Sauf qu'elle, elle y va.
R - Encore une fois, on verra ce qu'elle aura à dire. Moi, j'ai entendu les dirigeants italiens qui disaient qu'ils y allaient au nom aussi de l'Union européenne, pour faire passer ce même message d'unité. Je pense que c'est très important, en effet, de ne pas se disperser, de rester extrêmement unis dans ce moment. Le président Trump, d'ailleurs, a dit lui-même qu'il négocierait avec la Commission européenne puisqu'on a une politique commerciale qui est intégrée. Nous, on a des échanges réguliers, bien sûr, avec nos partenaires...
Q - Est-ce qu'on a confiance aujourd'hui dans les Américains, s'ils ont envie de faire un accord isolé avec Giorgia Meloni ? Franchement, on sait très bien qu'ils le feront, non ?
R - C'est vraiment là un exemple typique du moment où nous sommes plus forts en Européens. Mais vous voyez bien, on a 450 millions d'individus, un marché unique intégré, 27 États qui peuvent avancer ensemble et qui ont des instruments pour pouvoir se faire respecter au niveau européen. Si on veut pouvoir avoir une négociation qui est appuyée sur un rapport de force, bien sûr qu'on a intérêt à y aller au niveau européen. Cette situation, elle dément typiquement, tous les discours des populistes, des nationalistes, comme Marine Le Pen, le Rassemblement National et les autres depuis des années, qui nous expliquent qu'il faut revenir à des solutions nationales, qui nous expliquent qu'il faut faire le Frexit ou sortir des mécanismes européens. Aujourd'hui, on seraient profondément affaiblis, divisés, on n'aurait aucun moyen de se défendre, et on seraient dans la soumission et l'affaiblissement.
Q - Je vous entends, Benjamin Haddad, mais est-ce que ça veut dire qu'il y a eu un coup de fil, par exemple, entre Ursula van der Leyen et Giorgia Meloni, pour lui dire :"Attention à ce que tu vas faire jeudi avec Donald Trump" ? Est-ce qu'on a besoin de faire ça avec Giorgia Meloni ?
R - Les dirigeants européens se parlent, échangent beaucoup. Vous savez que le Président de la République échange régulièrement aussi avec le président Trump - sur des sujets comme l'Ukraine, comme sur la Russie -, avec les dirigeants européens. Donc il y a ces échanges. Encore une fois, le message que l'on fait passer, et c'est aussi le message d'ailleurs de la présidente de la Commission européenne, c'est un message d'unité, de fermeté, de garder son sang-froid, d'être capables de riposter le cas échéant. Mais nous avons tous intérêt à avancer en Européens. C'est la meilleure façon de défendre nos intérêts collectifs comme individuels.
Q - L'Europe n'a pas répondu à l'appel du pied de Pékin, qui dit : "Résistons ensemble". Est-ce qu'il y a moyen de s'en faire un allié, selon vous ? Peut-être en mettant un certain nombre de garde-fous, effectivement, et éviter que l'Europe devienne la piste d'atterrissage, si j'ose dire, des marchandises chinoises ? Mais est-ce que cet appel du pied, il peut être entendu par l'Europe ?
R - Votre dernier point, il est très important. Faisons attention aussi à ce qu'on respecte des règles de commerce équitables et que nous ne devenions pas les récipiendaires de produits qui pourraient aussi faire l'objet de subventions massives, de pratiques de commerce déloyales de la part de la Chine. Donc il y a ces deux éléments : il y a à la fois la réponse vis-à-vis des États-Unis ; il y a aussi la protection de notre marché vis-à-vis d'autres partenaires commerciaux, à commencer par la Chine. C'est aussi le message que nous avons fait passer à la Commission européenne. Vous savez que la Commission européenne a adopté, par exemple, il y a quelques mois, des barrières douanières sur les véhicules électriques chinois qui venaient en Europe, parce que nous avons pu constater qu'ils ne respectaient pas des règles de concurrence équitables, parce que vous avez là un secteur qui est massivement subventionné par la Chine. Donc, là aussi, il faut être extrêmement prudents, vigilants. C'est une opportunité, bien sûr, pour diversifier les partenaires commerciaux, pour se tourner, pourquoi pas, vers d'autres pour approfondir nos relations. Mais il faut toujours le faire avec une seule boussole, qui est la défense de nos intérêts, la défense de nos entreprises, de nos économies, de notre souveraineté, de la réduction de nos dépendances. Donc ne nous faisons pas passer d'une dépendance à une autre. Le plus important, encore une fois, c'est là de défendre, d'assurer l'autonomie stratégique de l'Europe.
Q - Alors, autonomie stratégique de l'Europe, et vous le disiez, il faut que personne ne se la joue "perso", mais est-ce que vous pensez que le Mercosur n'est finalement pas si mal, on va dire, au regard de ce nouveau contexte ? Je vous pose la question parce qu'on finit par être les derniers, en fait. L'Autriche, qui était encore un pays disant : "Non, le Mercosur, ce n'est pas une bonne idée", finalement, désormais, y est plutôt favorable, au regard du contexte. Est-ce que nous aussi, au regard du contexte, on change d'avis sur ce genre de choses ?
R - Non, parce que ça revient exactement à ce que je vous disais, c'est que, bien sûr, on veut des partenaires commerciaux, on n'est pas contre les accords de libre-échange qu'il y a eu récemment, avec la Nouvelle-Zélande ou le Chili, des accords de libre-échange de l'Union européenne. La question, c'est encore une fois celle de respecter des règles de commerce équitable. Le Mercosur, la raison pour laquelle on est opposé en l'état - et on est loin d'être seuls : vous avez beaucoup de partenaires européens qui partagent ces mêmes préoccupations - c'est que vous ne pouvez pas dire, d'un côté : "On va appliquer en Europe des normes, des standards, des règles à nos entreprises et à nos agriculteurs, et en revanche, on va aller importer des pays du Mercosur, des produits qui ne respectent pas ces mêmes normes, ces mêmes standards", et mettre nos agriculteurs dans une situation défavorable.
Q - Mais ce débat, c'était le débat avant que Trump devienne fou, si je puis dire, avec les droits de douane. Est-ce que ce débat est exactement le même ? Maintenant que nous savons, et vous nous l'avez dit, il faut trouver des partenaires qui sont des partenaires ailleurs ?
R - Mais moi je pense que ce débat, il est encore plus pertinent. Quand on parle de sortie de la naïveté commerciale et d'être capables de se défendre, et justement de commercer sur une base équitable, et bien précisément avec le Mercosur, avec la Chine, avec les autres partenaires, ce sont ces règles-là que nous devons faire respecter.
Q - Une dernière chose là-dessus, parce que je voudrais qu'on parle un tout petit peu de Russie et d'Ukraine. Quoi qu'il arrive, on est entrés effectivement dans une autre ère commerciale. Est-ce qu'on cesse d'avoir de toute façon confiance dans les Américains - confiance y compris en ce que dira Trump dans 90 jours, quitte à ce que ça change 10 jours après et 10 jours derrière ? Est-ce qu'on a perdu la relation de confiance ? Avez-vous perdu la relation de confiance avec les États-Unis ? Sur ce sujet comme sur d'autres, sur les questions géopolitiques, stratégiques, il faut voir qu'on fait face à une transformation de plus long terme de la part des États-Unis. Le protectionnisme, il n'a pas commencé sous Trump. On l'avait vu déjà sous Trump I, mais on a vu sa continuation, son amplification sous l'administration Biden. On a vu certains tarifs douaniers de Trump qui ont été continués par Biden. On a vu l'Inflation Reduction Act, ce plan massif de subventions dans l'économie et les entreprises américaines, au détriment de et sans aucune coordination avec les Européens. On a vu - c'est un peu passé inaperçu - dans les tous derniers jours de l'administration Biden, pendant la transition, des contrôles d'exportation sur les microprocesseurs.
Q - Mais du coup, est-ce qu'on a toujours confiance, ou on n'a plus confiance ?
R - La question, fondamentalement, c'est d'être capables de défendre nos intérêts. Ce n'est pas une question, en réalité, de confiance - "allié" ou "pas allié". C'est de faire en sorte que... Si on veut être capables d'avoir une relation équitable, il faut montrer qu'on peut se défendre, il faut montrer qu'on peut négocier, qu'on peut assurer des rapports de force. Et puis, fondamentalement, faire de l'Union européenne une grande puissance à l'échelle internationale. J'ai vu un sondage il y a quelques jours d'un think tank qui s'appelle ECFR. On demandait aux citoyens du monde s'ils pensaient que l'Union européenne pouvait faire jeu égal avec la Chine et les États-Unis. Les Chinois disent oui, les Indiens disent oui, les Américains disent oui. Il n'y a que les Européens qui se sous-estiment et qui disent : "Non, on n'est pas capables". Ayons un peu plus d'optimisme et de confiance en nous et montrons qu'on est capables de faire jeu égal avec les grandes puissances. C'est ça, le test.
Q - Une dernière chose et rapidement, Benjamin Haddad : la tentative d'accord avec la Russie et l'Ukraine pour mettre fin à la guerre est là aussi un échec, visiblement - en tout cas, pour l'instant - de Donald Trump. L'attaque de Soumy en est la preuve. Est-ce que c'est le moment de revenir dans le jeu pour nous, les Européens, peut-être même nous, la France ?
R - Mais on l'est, fondamentalement. Vous voyez bien le rôle que joue le Président de la République avec ses partenaires à la fois pour continuer et accélérer notre soutien à l'Ukraine, le soutien militaire notamment, pour définir des garanties de sécurité de plus long terme pour les Ukrainiens, le dialogue avec les Américains. Et fondamentalement, nous, ce qu'on dit depuis le début, c'est qu'on souhaite des négociations, on souhaite une paix. Il y a presque un mois aujourd'hui, le président ukrainien a dit qu'il était d'accord pour faire une trêve de 30 jours. C'est le président russe qui n'a jamais répondu, qui continue ses bombardements, qui continue d'ailleurs les bombardements meurtriers sur les civils, comme on l'a vu ces derniers jours, qui continue à avoir des objectifs maximalistes, comme la neutralisation...
Q - Mais du coup, est-ce qu'on continue à essayer de faire une forme de négociation et de faire au moins une trêve, ou est-ce qu'on se dit : "De toute façon les Russes n'y sont pas prêts, donc on n'y va pas" ?
R - La seule façon de l'obtenir - et c'est ce que nous disons aux Américains et à tous les autres -, c'est de mettre une pression maximale sur la Russie : pression économique en augmentant les sanctions, pression militaire en continuant le soutien aux Ukrainiens. Aujourd'hui, comme depuis trois ans, c'est la Russie de Vladimir Poutine qui choisit l'agression, qui tourne le dos à la diplomatie et à la paix. Et quand l'administration américaine parle de "paix par la force", aujourd'hui, c'est le temps de forcer les Russes à se mettre autour de la table.
Q - Benjamin Haddad, vous êtes ministre délégué chargé de l'Europe. Merci de votre passage dans "Un jour dans le monde".
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 2025