Texte intégral
Q - Bonjour Benjamin Haddad.
R - Bonjour.
Q - Et bienvenue à "La grande interview", sur CNews et Europe 1. Vous êtes le ministre délégué en charge de l'Europe. Il y a beaucoup de sujets brûlants à aborder avec vous ce matin. Et tout d'abord, le coup de chaud entre Paris et Alger. Le ministre des affaires étrangères vient de déclarer que la décision prise par Alger d'expulser 12 des agents de l'ambassade de France en Algérie ne restera pas sans conséquence. Malgré tout, Benjamin Haddad, le choix des mots pour qualifier notre attitude vis-à-vis d'Alger : Soumission ? Humiliation ? Génuflexion ? Lequel préférez-vous ?
R - Écoutez, les mots ont un sens et je pense qu'il faut parler de ces sujets avec du sang-froid. De quoi parlons-nous ? Il y a aujourd'hui une procédure judiciaire contre trois ressortissants algériens qui sont sur le sol français. La justice est complètement indépendante. Ça n'a rien à voir avec les autorités françaises ou avec le dialogue qui a été relancé par le ministre des affaires étrangères, le Président de la République, avec les autorités algériennes dans les dernières semaines. Vous voyez aujourd'hui, de la part des autorités algériennes, une réaction complètement disproportionnée et injustifiée de procéder à l'expulsion de 12 ressortissants français qui travaillent dans les services consulaires et diplomatiques. On l'a dit, c'est complètement injustifié. Et donc le ministre des affaires étrangères l'a dit ce matin, si Alger ne revient pas à cette décision, il y aura des mesures de rétorsion. Notre seule boussole, sur ce sujet comme sur d'autres, c'est de défendre nos intérêts.
Q - Mais on a du mal à voir la boussole. Il y a quelques jours, vous nous parliez au Quai d'Orsay d'apaisement. Aujourd'hui, on parle de riposte, alors qu'on a attendu des mois. En fait, qu'est-ce qu'on a obtenu, Benjamin Haddad, concrètement, sur ce sujet, sur les OQTF, sur Boualem Sansal ? Qu'avons-nous obtenu ?
R - Le but, justement, c'est d'obtenir de la réciprocité et le respect des engagements sur la question migratoire. C'est-à-dire que nos OQTF qui sont expulsés doivent être repris par l'Algérie. C'est le droit international.
Q - Bafoué pour le moment.
R - C'est d'avoir un geste de dignité, d'humanité pour l'écrivain Boualem Sansal, pour notre compatriote...
Q - Aucun signe pour le moment.
R - ...,dont la situation nous préoccupe énormément, et le Président de la République l'a souvent rappelé. C'est de pouvoir avoir une coopération normale sur les questions de sécurité, sur les questions de renseignement, sur tous ces sujets. Là, encore une fois, il y a une décision qui est injustifiée. Le ministre des affaires étrangères l'a rappelé ce matin. Si les autorités algériennes ne reviennent pas sur cette décision, il y aura des réponses. Vous savez que nous avons une palette d'instruments, on en a déjà parlé à nombreuses reprises, et donc on verra...
Q - Sans jamais les utiliser. On parlait de riposte graduée. Il n'y a eu que de la graduation et pas de riposte.
R - On verra ce que feront les Algériens dans les prochains jours.
Q - Mais parlons très concrètement, Monsieur le Ministre. Sur Boualem Sansal, vous parlez souvent, et à raison, d'unité européenne. Pourquoi est-ce que l'Europe, l'Union Européenne ne se bouge pas davantage sur le cas de Boualem Sansal ?
R - Oui, vous avez raison de le dire. Alors le Parlement européen s'est exprimé en des termes très clairs sur la situation de Boualem Sansal. Et certains de nos parlementaires, je pense à Nathalie Loiseau, ont porté ce combat au sein du Parlement européen. Je crois aussi, au-delà d'ailleurs simplement de la question de l'Algérie, en général, que l'Union européenne doit pouvoir se doter d'instruments sur la question migratoire pour pouvoir mettre plus de pression, avoir des instruments de rapport de force avec les pays de transit et de départ qui ne respectent pas le droit international.
Q - Les visas.
R - Exactement. On y travaille avec Bruno Retailleau dans nos interactions avec les autorités européennes. Par exemple, le règlement "retour", donc la révision du règlement "retour", ça a été annoncé par la Commission européenne sous l'impulsion de la France pour pouvoir expulser plus facilement les ressortissants qui font l'objet d'OQTF sur notre territoire, pour pouvoir aussi rétablir le délit de séjour irrégulier, aujourd'hui qui n'est pas permis par le droit européen ; et aussi utiliser, vous l'avez mentionné, des leviers comme les visas, comme la conditionnalité de l'aide au développement, comme la conditionnalité des accords commerciaux, de façon très concrète. Quand on a eu une politique, vous savez, de restrictions des visas vis-à-vis des pays d'Afrique du Nord, vous savez bien que...
Q - Quand est-ce qu'on l'a eu, cette politique ?
R - On l'a eu ces deux dernières années.
Q - Oui, il y a longtemps, parce que là, c'est un doublement des visas pour l'Algérie.
R - Elle n'a pas porté ses fruits. Pourquoi ? Parce que fondamentalement, vous pouvez avoir des logiques de contournement par l'Espagne, par l'Italie. Si vous avez les instruments au niveau européen de pouvoir dire : "On réduit les visas Schengen, toute la zone européenne, pour des pays qui ne respectent pas le droit international, qui ne donnent pas des laisser-passer consulaires pour reprendre leurs ressortissants, eh bien à ce moment-là, on pourra avoir un impact." Donc c'est au niveau européen qu'on peut avoir l'impact le plus important.
Q - Ça va se faire, Benjamin Haddad ? C'est la vie d'un homme, d'un citoyen français, et donc européen qui est en jeu.
R - Sur ce sujet, comme sur d'autres, sur le respect du droit international, notre objectif, c'est en effet de pouvoir doter l'Union européenne de ces instruments pour faire défendre ses intérêts. Encore une fois, la Commission européenne a annoncé la révision du règlement "retour". C'était une demande de la France. On a travaillé dessus avec le ministre de l'intérieur. Il y aura aussi des avancées cette année sur les visas, sur la conditionnalité de l'aide au développement. C'est la seule façon de pouvoir collectivement défendre nos intérêts migratoires.
Q - Toujours à l'international, la proposition du Président français d'aller vers une reconnaissance de l'Etat de Palestine continue de provoquer de nombreux remous. Une lettre ouverte lui a été adressée par de nombreux sénateurs, dont le sénateur Roger Karoutchi. Je vous lis un extrait, Benjamin Haddad, il dit : "Reconnaître aujourd'hui l'État de Palestine, c'est faire fi des morts du 7 octobre, des otages, de la volonté réaffirmée de certains acteurs de détruire Israël." En bref, ce serait une reconnaissance qui serait saluée par le Hamas et par le Hezbollah. Est-ce là votre objectif, Monsieur le Ministre ?
R - Non. Vous savez, déjà à titre personnel, j'ai fait partie de la première délégation parlementaire au monde à me rendre en Israël, dans un voyage de solidarité après le 7 octobre et à voir l'horreur barbare du Hamas qu'ont vécu ces kibboutz comme Be'eri, ou Kfar Aza. Et la France a été le seul pays à rendre hommage à ces victimes, à ses morts, nos 50 morts français du 7 octobre. Maintenant, la position de la France et du Président de la République, elle n'a jamais bougé d'un iota. Qu'est-ce que c'est ? C'est la libération de tous les otages. C'est trouver les voies d'un cessez-le-feu permanent dans la région. La défense du droit international humanitaire, en particulier l'aide humanitaire pour les civils. Et après, relancer le dialogue politique pour trouver une solution à deux États. Une solution à deux États, évidemment, sans le Hamas, qui a toujours été rappelée.
Q - Mais pardonnez-moi, ces objectifs ne sont-ils pas contradictoires aujourd'hui ? Vous pouvez aujourd'hui demander la reconnaissance d'un État de Palestine alors qu'il y a toujours des otages et que le Hamas est en position malgré tout de discuter...
R - Mais avec une position très claire qui est la libération des otages et le désarmement du Hamas. Et ça, ça a été rappelé encore une fois par le Président de la République dans la région. Mais vous savez, dans la lutte contre le terrorisme, c'était le même sujet pour les États-Unis, par exemple en Afghanistan, après le 11 septembre. Vous avez une réponse militaire, mais après, la question c'est le cadre politique durable que vous voulez donner.
Q - C'est clair que vous êtes pour les deux États. La question c'est : quand ? Est-ce que c'est le moment ?
R - Mais l'enjeu, c'est de savoir comment est-ce qu'on peut utiliser des leviers pour être le plus efficace possible.
Q - Efficace, c'est-à-dire ?
R - Efficace notamment parce que vous avez, à mon avis, un événement qui serait un changement majeur dans la région, ce serait la normalisation entre Israël et certains pays arabes comme l'Arabie saoudite.
Q - Ce qui était en cours, pardonnez-moi, avant les attaques terribles du 7 octobre.
R - Mais non seulement c'était en cours, mais vous savez qu'il y en a beaucoup qui considèrent que les attaques du 7 octobre étaient aussi peut-être une façon de saboter ce dialogue régional entre Israël et l'Arabie saoudite. Il y avait déjà eu des processus de reconnaissance, les fameux accords d'Abraham entre Israël et les Émirats ou le Maroc. Donc là, comment est-ce qu'on relance ce dialogue de normalisation, qui est dans l'intérêt de tous, pour la sécurité de la région ? Vous avez la question de la création à terme d'un Etat palestinien, donc de la reconnaissance de l'État palestinien, sans le Hamas, avec la reconstruction de la bande de Gaza...
Q - Mais avec qui vous discutez, sans le Hamas ?
R - Le Président de la République a parlé hier au président de l'Autorité palestinienne Abou Mazen.
Q - Vous lui reconnaissez une force ?
R - Mais c'est toute la question, avec des exigences très claires, parce que c'est aussi les conditions qui sont données précisément. C'est la réforme profonde de l'Autorité palestinienne, le fait d'avoir un plan de succession, et de pouvoir, justement, progressivement s'installer dans la bande de Gaza. Ça passera par le plan de reconstruction qu'ont proposé des pays arabes comme l'Égypte ou encore la Jordanie. Il y a tout intérêt, encore une fois, à travailler avec ces partenaires de la région pour reconstruire la bande de Gaza, pour sortir le Hamas de la gouvernance de Gaza, pour réformer en profondeur l'Autorité palestinienne, et amener à terme à cette solution politique entre un État souverain palestinien et un État d'Israël qui a quand même le droit de vivre en paix et en sécurité.
Q - Ils peuvent vivre ensemble, ces deux États ?
R - Moi, je crois qu'ils doivent vivre séparés. Vous savez, l'écrivain israélien Amos Oz avait écrit un très beau livre, pendant l'intifada, qui s'appelait "Aidez-nous à divorcer". Alors, on n'est peut-être pas dans les embrassades dans le Rose Garden, mais la séparation, la souveraineté, la sécurité. C'est ça l'objectif à terme que l'on veut atteindre. Et c'est pour ça que la France se bat pour un cessez-le-feu. C'est pour ça que la France se bat pour trouver, depuis le début, depuis toujours, depuis François Mitterrand, pour trouver une solution politique, et y inclut les acteurs de la région, comme l'Arabie saoudite ou encore l'Égypte.
Q - Les choses ont évolué, parce que le contexte international nourrit aussi, mais pas seulement, mais nourrit aussi un antisémitisme d'atmosphère dans notre pays. C'est pour ça qu'on vous interroge sur le timing et l'agenda de cette proposition de reconnaissance de l'État de Palestine.
(...)
Q - Vous parlez d'instrumentalisation, Benjamin Haddad. Il y a quelques jours, dans l'hémicycle, le Gouvernement a été pris à partie, vous-même, par le député LFI Aymeric Caron, qui a brandi la photo d'une fillette palestinienne victime. Le député veut ainsi démontrer, de son point de vue, que la vie, pour vous, en tout cas à vos yeux, d'un enfant palestinien n'a pas la même valeur que celle d'un enfant israélien. Que lui répondez-vous ?
R - Moi, je lui ai répondu lors de cette question au Gouvernement que sur des sujets si graves, on devait parler avec plus de dignité. Que la France a toujours été du côté de ceux qui souffrent, des deux côtés. Que la France, nous venons de l'évoquer, s'est toujours battue pour trouver une solution politique, pour défendre le droit international humanitaire, pour demander la libération de tous les otages, parce qu'on n'entend pas beaucoup la France insoumise sur ce sujet des otages. Mais qu'en revanche, la façon dont on fait de l'agitation dans l'Assemblée nationale, c'est indigne. Et il y a des termes qui sont utilisés, qui ont un sens lourd. Moi je crois au sens des mots. Un sens lourd contre concentration, génocide, qui sont complètement inappropriés pour parler de cette situation. Donc plutôt que l'agitation politique, il faut parler de ces sujets encore une fois, avec la gravité et la dignité qui s'imposent.
Q - On connait votre position, vous avez été clair, Benjamin Haddad, y compris pendant les législatives. Vous n'avez pas, entre le RN et la LFI, vous n'avez pas, contrairement à certains, appelé à voter pour la France insoumise. Vous estimez aujourd'hui que c'est un danger pour la République, si j'en crois vos paroles en tous les cas ?
R - Oui, je crois que la France insoumise, clairement, est un danger pour notre société. C'est-à-dire, il joue la division, il joue le chaos, il joue la fracture contre les institutions. J'ai toujours combattu la France insoumise. Merci de rappeler effectivement que pendant la campagne législative, je l'avais dit très clairement derrière sur votre antenne : pas une voix pour la France insoumise. Ça n'empêche de combattre avec une très grande fermeté aussi le Rassemblement national, qui a un projet qui me paraît totalement incompétent, qui me paraît totalement inapproprié pour affronter les défis d'aujourd'hui, si vous me le permettez. Quand on voit aujourd'hui la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, quand on voit les droits de douane qui sont imposés par l'administration Trump et le fait que l'Europe peut avoir une réponse unie, ferme, à 27, pour assumer un rapport de force face aux Etats-Unis... Mais imaginez si Marine Le Pen avait été élue en 2017 ou en 2022. En 2016-2017, elle faisait campagne pour le Frexit. En 2022, dans son programme, noir sur blanc, il y avait l'alliance stratégique avec la Russie. Aujourd'hui, la France n'a jamais...
Q - Emmanuel Macron a lui-même reçu Vladimir Poutine, nous avions des relations apaisées.
R - On peut avoir des échanges diplomatiques. Ce n'est pas la même chose que de se mettre à plat vent devant Vladimir Poutine et d'appeler à une alliance stratégique avec lui plutôt qu'avec nos alliés traditionnels, notamment nos alliés européens. Aujourd'hui, la France n'a jamais été aussi influente en Europe. Si Marine Le Pen avait été élue présidente en 2017-2022, aujourd'hui, on aurait un strapontin au bout du Conseil européen. On serait isolé, on serait sans influence et l'Europe serait plus faible. Aujourd'hui, l'Europe est capable de se défendre. C'est les idées françaises sur la fin de la naïveté commerciale, sur l'autonomie stratégique, sur les questions de défense qui font le débat européen... Ça n'aurait certainement pas été le cas avec Marine Le Pen.
Q - Benjamin Haddad, j'entends. Est-ce que vous avez la même fermeté sur tous les sujets ? On a commencé cet entretien par l'Algérie. Vous vous montrez ferme par rapport à la Russie. Et est-ce que nous n'avons pas un strapontin aujourd'hui par rapport à l'Algérie, pour reprendre vos mots ?
R - J'ai été très clair au début de l'émission sur le fait que...
Q - Vous trouvez que notre bras de fer a été engagé ?
R - Mais moi, je vous dis précisément que là, on attend une réponse et un recul des autorités algériennes. Et sinon, on a des moyens pour pouvoir répondre. Et que, encore une fois, moi, je souhaite, et c'est le travail qu'on fait avec mes collègues, qu'on puisse se doter aussi d'instruments européens - je parlais notamment des questions migratoires - pour pouvoir défendre nos intérêts de façon collective.
(...)
Q - Jean-Luc Mélenchon estime que la France de 2025, c'est la Grèce de 2010. En gros, nous serions bientôt sous tutelle du FMI. C'est un scénario totalement illusoire ?
R - Le problème, c'est que c'est l'enfant qui appelle au loup. Ça fait des années qu'il nous explique ça. Moi, quand j'ai été élu député en 2022, le premier texte qu'on a voté, c'est un texte sur le pouvoir d'achat, où on revalorisait les minima sociaux, on revalorisait les retraites, on a fait le bouclier énergétique pour protéger le pouvoir d'achat des Français. Dans l'hémicycle, la France insoumise nous disait : "C'est un budget d'austérité." Bon, alors vraiment, on marchait sur la tête. Tout ça, ce n'est pas très sérieux. Mais en revanche, effectivement, la question, c'est que... Vous savez, en France, souvent, on a l'impression que le débat, c'est soit réduire les dépenses, soit augmenter les impôts. Il y a une troisième voie, ça s'appelle la croissance. Ça s'appelle travailler plus, augmenter le taux d'emploi, faire la croissance, engendrer plus de recettes, et donc réformer le pays.
Q - Il y a une semaine, vous nous disiez qu'à cause des droits de douane, on serait en récession ; et maintenant, on attend la croissance ?
R - Mais justement, ça doit être aussi à un moment une opportunité pour l'Europe pour investir massivement dans sa compétitivité, pour simplifier ses textes réglementaires, pour soutenir ses investisseurs, ses innovateurs, ses entreprises, pour pouvoir finir le marché unique et faire en sorte que nos entreprises puissent conquérir le monde et plus facilement. On a des pépites dans l'intelligence artificielle, dans le quantique, dans les industries vertes. Soutenons-les. On doit pouvoir se défendre au niveau européen, mais on doit aussi réformer en profondeur l'Europe pour qu'elle devienne aujourd'hui la zone la plus compétitive au monde. Je crois que c'est une opportunité pour nous.
Q - En attendant la croissance, je vous remercie. Merci pour ce grand entretien et à très bientôt.
R – Merci.
Source : https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 2025