Texte intégral
BRUCE TOUSSAINT
7h36. Bonjour Adrien GINDRE.
ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruce.
BRUCE TOUSSAINT
Votre invitée ce matin, l'ancienne Première ministre, Élisabeth BORNE, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
ADRIEN GINDRE
Bonjour Élisabeth BORNE.
ÉLISABETH BORNE
Bonjour.
ADRIEN GINDRE
Après le meurtre d'un fidèle dans une mosquée vendredi et le meurtre d'une lycéenne à Nantes jeudi, le président de la République, hier, en conseil des ministres, a exprimé, je le cite, sa préoccupation face à la montée de la violence dans le pays. Par le passé, on sait que vos collègues, Bruno RETAILLEAU et Gérald DARMANIN avaient même parlé d'ensauvagement de notre société. Comment vous, vous nommez ce qui est en train de nous arriver ?
ÉLISABETH BORNE
Que ce soit le drame qui s'est produit à Nantes jeudi dernier ou le meurtre d'un fidèle dans une mosquée près d'Alès, ce sont des actes d'une violence inouïe. Et moi, je veux d'abord dire mes pensées, ma solidarité aux familles, aux proches, s'agissant de ce qui s'est passé à Nantes, à toute la communauté éducative et de ce qui s'est passé dans le Gard, à tous les musulmans de France. Et évidemment, je pense qu'on est tous sous le choc et que ça nous oblige collectivement, ça appelle des réponses à la fois en termes de sécurité, en termes judiciaire, mais a minima dans le cas de Nantes, aussi en termes de santé mentale.
ADRIEN GINDRE
Alors avant d'en venir aux solutions, vous avez raison, c'est très important, sur le diagnostic. Bruno RETAILLEAU, qui était à vos côtés jeudi à Nantes lorsque vous êtes rendus sur place, a dénoncé une société qui a encouragé, de son point de vue, le laxisme, qui a voulu déconstruire les interdits, disait-il, et qui donc a accouché toute cette violence. Est-ce que ce sont le laxisme et les interdits déconstruits qui sont en cause aujourd'hui ?
ÉLISABETH BORNE
Ce qu'on sait dans le drame de Nantes, c'est que le jeune n'a pas pu aller au bout de sa garde à vue et qu'il a fait l'objet d'une prise en charge psychiatrique. Donc forcément, ça nous interroge. C'est fragilité…
ADRIEN GINDRE
Donc votre réponse, ce qui est en cause, c'est la psychiatrie.
ÉLISABETH BORNE
Dans le cas de Nantes, je vous dis, le jeune a été transféré dans une unité psychiatrique et il a manifestement des problèmes psychiques très lourds.
ADRIEN GINDRE
On a d'ailleurs entendu à votre place, il y a quelques jours, un élu européen, Bernard GUETTA, qui est de votre parti, la maire de Nantes socialiste, Johanna ROLLAND, qui dit justement, la priorité, c'est la santé mentale des jeunes. Ça veut dire que quand on entend le Premier ministre dire : "Il faut des portiques devant les établissements scolaires, en tout cas, regardez cette solution", la réponse est à côté de la plaque ?
ÉLISABETH BORNE
Ça veut dire qu'il faut agir sur les deux plans. Il faut évidemment que l'école reste un sanctuaire où la violence n'a pas sa place. Et c'est tout le sens des mesures que l'on prend depuis plusieurs années avec les collectivités locales pour renforcer la sécurité dans les écoles, dans les établissements scolaires.
ADRIEN GINDRE
Mais vous, vous êtes favorable même aux portiques, à l'installation de portiques devant les établissements ?
ÉLISABETH BORNE
Moi je dis qu'il faut regarder établissement par établissement. On n'est pas dans la même situation quand vous avez un collège qui accueille une centaine d'élèves dans le monde rural ou quand vous avez un lycée qui accueille plus de 1 000 élèves en zone urbaine. Donc ce sont des réponses qui se construisent localement, naturellement, l'éducation nationale, en lien avec les préfectures, mais aussi avec les collectivités locales qui sont responsables de la sécurisation des établissements. Donc il faut agir sur ce plan-là. Mais on l'a dit, donc le jeune avait des troubles psychiques et donc on a aussi une action à mener pour mieux repérer, mieux prendre en charge les jeunes qui ont des problèmes psychiques. Vous savez qu'il y a des protocoles qui sont en cours de déploiement dans les établissements scolaires pour faire ce repérage et cette prise en charge. Et moi, je tiendrai, mi-mai, des Assises de la santé scolaire qui doivent notamment permettre d'avancer aussi sur ce volet.
ADRIEN GINDRE
Vous avez vu qu'au Royaume Uni, le Premier ministre, Keir STARMER, dit : "Il faudrait diffuser, il faut diffuser la série "Adolescence" dans tous les établissements de type collège, lycée". Série à succès qui traite notamment des problématiques qu'on est en train d'évoquer. On pourrait le faire en France ?
ÉLISABETH BORNE
Alors la série en question, elle dure très longtemps et elle soulève énormément de problèmes, mais qui sont des réels problèmes. En tout cas, je pense qu'il faut qu'on soit très sensibilisés sur tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux qui nous échappent parfois…
ADRIEN GINDRE
Vous n'êtes pas favorable à une diffusion en cours à l'école ?
ÉLISABETH BORNE
Pas forcément systématiquement celle-là, mais en tout cas de sensibiliser aux risques des réseaux sociaux dont on voit qui peuvent induire des comportements parfois violents, parfois violents aussi des jeunes contre eux-mêmes, avec la promotion de l'anorexie sur les réseaux sociaux. Évidemment, il y a une sensibilisation à faire sur l'usage de ces réseaux sociaux et moi, je continue à souhaiter qu'on puisse les interdire en en dessous d'un certain âge pour nos jeunes.
BRUCE TOUSSAINT
Vous l'avez vue cette série ? Vous avez pu la voir ?
ÉLISABETH BORNE
Je ne l'ai pas vue en entier, mais elle pointe bien les risques de ces théories qui se sont développées sur les réseaux sociaux, notamment les codes masculinistes dont on voit bien qu'ils durcissent l'agressivité entre les filles et les garçons et qui peuvent déboucher, c'est le cas dans la série aussi, sur des actes violents de la part des jeunes.
ADRIEN GINDRE
Autre sujet très important, je citais le chef de l'État. Hier, il a aussi appelé à ne laisser aucune place au communautarisme. Et il se trouve que la semaine dernière, le tribunal administratif de Lille a ordonné le rétablissement d'un contrat qui lie l'État au lycée musulman Averroès à Lille. Un contrat qui avait été résilié en 2023 par la préfecture du Nord en raison, je cite, de manquement grave aux principes fondamentaux de la République. Est-ce que vous allez respecter ou est-ce que vous allez contester cette décision du tribunal administratif ?
ÉLISABETH BORNE
Alors comme vous l'avez dit, il y a plusieurs manquements graves qui ont amené l'État à résilier ce contrat. Le tribunal administratif a annulé cette résiliation. Moi, ce que je note, c'est que parmi les manquements, il y a notamment le fait que l'établissement a interdit l'accès à des inspecteurs de l'éducation nationale pour pouvoir faire un contrôle de l'établissement. Et ça, c'est inacceptable. C'est un établissement sous contrat. Cela veut dire qu'il est financé à 75% par de l'argent public. C'est inacceptable qu'on ne permette pas à des agents de l'État d'accomplir leur mission dans l'établissement. Donc j'ai décidé en effet de faire appel.
ADRIEN GINDRE
Faire appel, ça veut dire que vous souhaitez que ce contrat soit durablement résilié entre l'État et l'établissement ?
ÉLISABETH BORNE
Oui. Je souhaite dire très clairement qu'un établissement sous contrat ne peut pas empêcher des inspecteurs de l'éducation nationale de faire les contrôles qui sont de leur responsabilité.
ADRIEN GINDRE
Vous avez noté que le tribunal administratif, dans ses décisions, considère que la préfecture n'a pas suffisamment démontré les manquements. Ils pointent notamment le manque de pluralisme culturel, le caractère contraire aux valeurs de la République, du cours d'éthique musulmane, l'existence d'un système de financement illicite. Est-ce que ça veut dire que vous ou la préfecture en l'occurrence, serait capable de présenter de nouveaux éléments pour solidifier cette décision ?
ÉLISABETH BORNE
Vous savez, à soi seul, le fait qu'un établissement sous contrat, et donc qui doit respecter un certain nombre d'engagements sur les programmes pédagogiques, sur l'utilisation de l'argent public, refuse un contrôle, pour moi, c'est légitime, une forme de perte de confiance et donc de résilier ce contrat. Et donc c'est ce que nous défendrons en appel.
ADRIEN GINDRE
C'est légitime aussi la décision du président de Région, Xavier BERTRAND, dire : "Je ne verse aucun argent public tant que tout le processus n'est pas allé à son terme" ?
ÉLISABETH BORNE
Ça, c'est une décision qui lui appartient. Pour l'État, la décision de justice s'impose à lui et donc notamment s'agissant du financement des rémunérations des professeurs.
ADRIEN GINDRE
Un dernier mot, Élisabeth BORNE, hier, votre collègue de la Justice, Gérald DARMANIN, sur TF1, a dit vouloir faire payer aux détenus une partie des frais d'incarcération, même si bon le montant reste à préciser. C'est une bonne idée de votre point de vue ?
ÉLISABETH BORNE
Enfin je pense que Gérald DARMANIN pointe que ceux qui le peuvent doivent naturellement participer aux frais de l'administration pénitentiaire. Je pense que c'est une question de bon sens.
ADRIEN GINDRE
L'abattement fiscal de 10% pour les retraités, possible de le supprimer ou tabou ?
ÉLISABETH BORNE
Je crois qu'on a beaucoup de niches fiscales. Amélie DE MONTCHALIN, la ministre des Comptes publics, a dit qu'il était utile de réexaminer régulièrement ces niches. Après, je pense que c'est bien qu'on présente globalement la réponse du Gouvernement sur ces sujets, et pas que chacun exprime des idées sur ces questions.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2025