Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à France Info le 22 avril 2025, sur le décès du Pape François, le conflit en Ukraine, la situation au Proche-Orient, l'immigration clandestine à Mayotte et les droits de douane américains.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Bonjour, Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour.

Q - Le pape François est mort hier à l'âge de 88 ans, le lendemain de Pâques. Vous qui êtes issu d'une grande famille de démocrates-chrétiens, qu'est-ce qui vous touchait chez François ?

R - Comme beaucoup de Françaises et de Français, croyants ou non croyants d'ailleurs, j'ai été touché par son style, sa manière d'exercer ce sacerdoce avec beaucoup de simplicité, avec beaucoup de proximité, avec une sorte d'invitation, comme il le disait, à la "sainteté de la porte d'à côté", c'est-à-dire une Église à hauteur d'homme, un pape à hauteur d'homme. Et ça, je crois que ça a touché beaucoup de monde. Et j'ai pu m'en apercevoir notamment lors de sa visite à Marseille, il y a quelques mois.

Q - Il a rapproché l'Église des fidèles, selon vous, en mettant l'Église à hauteur d'homme ?

R - Il a fait beaucoup de choses. Je veux saluer évidemment son engagement au service de la planète, ce qu'il appelait la "maison commune", son message de fraternité, mais aussi son ouverture - oui - de l'Église sur le monde, avec une proximité dans la manière d'exercer ses fonctions, mais aussi des décisions importantes qu'il a prises pour associer les laïcs à la vie de l'Église, pour confier à des femmes des postes à responsabilité dans l'Église et plus généralement pour la rapprocher des grandes questions de notre époque.

Q - Emmanuel Macron vient d'annoncer, Jean-Noël Barrot, qu'il se rendrait donc aux obsèques du pape. Elles sont prévues sans doute cette fin de semaine, entre vendredi et dimanche. On doit apprendre aujourd'hui la date précise, le jour précis. C'est évident qu'un président de la République française doit se rendre aux obsèques du pape ?

R - C'est une bonne chose. Et moi-même, comme ministre des Affaires étrangères, j'ai également marqué ma disponibilité pour m'y rendre. Vous serez informés en temps utile de la délégation française qui représentera notre pays lors de ces obsèques. Il y a une relation particulière entre l'Église de France et le Vatican. Nous avons célébré, il y a trois mois, au Quai d'Orsay, dans mon ministère, le centenaire de l'accord Poincaré-Cerretti, qui a donné son statut juridique à l'Église de France quelques années après la loi de 1905, la loi de laïcité. Et donc, d'un point de vue même purement institutionnel, il est tout à fait naturel et il est tout à fait bon que la France soit représentée.

Q - C'était un pape très engagé politiquement. Il ne se gênait pas pour faire la leçon, parfois, aux dirigeants du monde entier, notamment sur l'immigration. Son premier déplacement d'ailleurs hors de Rome a été pour l'île de Lampedusa, symbole de la crise des migrants. Il avait dénoncé la "mondialisation de l'indifférence". François, c'était l'accueil le plus large possible. Est-ce que ce n'est pas l'inverse de la politique macroniste ces dernières années : plus de frontières, plus de contrôles ?

R - Non, je ne crois pas. Et d'ailleurs, l'accent qui a été mis par le pape François sur la Méditerranée - qui est déchirée par de nombreux conflits, par la crise des migrations qui est intervenue au moment où il prenait ses fonctions en 2015, avec la fuite de millions de Syriennes et de Syriens qui cherchaient refuge en Europe - a été également au cœur de l'action internationale de la France. Et à bien des égards, même si chacun est dans son rôle...

Q - Il ne prônait pas du tout la même chose que le président français.

R - Le Président de la République est dans son rôle, le pape lui-même est dans son rôle. Mais cette attention très particulière sur la Méditerranée, où se jouent beaucoup des conflits qui ont une dimension mondiale, était en quelque sorte commune.

Q - Jean-Noël Barrot, ce n'est pas antagoniste de se dire chrétien ou d'être chrétien et de vouloir refouler des migrants et de dire : "Vous ne passerez pas la Méditerranée" ?

R - Mais je vous le redis : chacun est dans son rôle. Vous me parliez tout à l'heure de la famille politique à laquelle j'appartiens, qui a été fondée au tournant du XXe siècle...

Q - Parce qu'en l'occurrence, vous êtes effectivement une famille démocrate-chrétienne.

R - ...par des personnalités qui étaient inspirées par leur foi, par le message de l'Évangile, mais qui ont toujours refusé de porter la religion en étendard et qui se sont engagées dans la vie politique, poussées par des convictions fortes, mais qui, dans leurs responsabilités politiques, prennent compte de la réalité des choses et tentent d'œuvrer au service du bien commun.

Q - Vous voulez dire, Jean-Noël Barrot, que dans un contexte de montée des nationalismes - en Italie avec Meloni, aux États-Unis avec Donald Trump, en France aussi - le discours du pape François était peut-être parfois difficile à entendre et a fortiori à mettre en œuvre ?

R - Moi, ce que je retiens des discours du pape François, c'est notamment la primauté du dialogue et de la coopération. C'est la nécessité, pour que le monde puisse continuer à tourner, si l'on peut dire, d'associer plus largement les pays du Sud, dont il était issu, aux grandes décisions du monde. Et c'est précisément l'agenda qui est celui de la France. La France, en ce mois d'avril, préside le Conseil de sécurité des Nations unies. J'irai la semaine prochaine à New-York animer notamment des réunions sur la manière d'associer les grands pays du Sud, les pays africains à la gouvernance du monde.

Q - Alors, Jean-Noël Barrot, une question qu'on s'est souvent posée, c'est : le pape aime-t-il vraiment la France ? On se souvient qu'il a plusieurs fois fait des déplacements en France, trois fois, en disant par exemple : "Je ne viens pas en France, je viens à Marseille" ou "Je ne viens pas en France, je viens à Strasbourg." Mais surtout, il a refusé l'invitation d'Emmanuel Macron à venir inaugurer Notre-Dame nouvellement rénovée. Est-ce que, quatre mois après, vous comprenez pourquoi il a refusé ?

R - Vous savez, il est, vous l'avez dit, venu trois fois en France, dont une fois en Corse. C'est le premier souverain pontife à s'être déplacé sur l'île. Je crois qu'il avait donc une considération toute particulière pour notre pays. Ensuite...

Q - C'étaient les Rencontres méditerranéennes, en Corse.

Q - Tout en disant à chaque fois qu'il ne venait pas en France.

R - Quel était le sens de ces déplacements ? Premier déplacement à Strasbourg, au Parlement européen et au Conseil de l'Europe, pour défendre la paix, pour défendre les droits humains et la dignité humaine. Et ensuite, deux déplacements, l'un à Marseille, l'autre en Corse. Pourquoi ? Pour donner de l'élan à ses ambitions pour restaurer la paix en Méditerranée. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si c'est à Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille - qu'il a créé Cardinal - qu'il a confié la mission, d'oeuvrer au service d'un dialogue - interreligieux, d'ailleurs - sur la Méditerranée et que Jean-Marc Aveline a donné le coup d'envoi, il y a quelques jours, du Bel Espoir, une odyssée maritime tout autour de la Méditerranée qui va rassembler plusieurs centaines de jeunes issus de tous les pays, issus de toutes les religions.

Q - Jean-Marc Aveline fait partie des "papabile", c'est-à-dire des possibles successeurs du pape. On va en parler dans un instant. Mais quand même, Jean-Noël Barrot, Emmanuel Macron avait insisté pour que le pape François vienne pour la réouverture de Notre-Dame de Paris. Peut-être qu'il n'aimait pas la France ou qu'il était dérangé par les positions de la France, par exemple, la vision trop progressiste d'Emmanuel Macron sur les questions bioéthiques, sur la PMA, sur la fin de vie ?

R - Je crois qu'il y a eu à de nombreuses reprises des échanges très francs entre les deux chefs d'État, entre le Président de la République et le Souverain pontife. Une nouvelle fois, chacun est dans son rôle. Mais je crois que quand on relit l'œuvre du pape François, quand on relit ses encycliques, quand on relit la bénédiction urbi et orbi de dimanche à Rome, on retrouve un certain nombre de principes qui sont, je dirais, consubstantiels à ce qu'a fait la Nation française. Et c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles sa disparition a autant d'écho dans le monde, mais singulièrement en France.

Q - On le décrit comme un pape progressiste, qui a eu des mots - même si, on l'a entendu sur "France Info", quelquefois il a pu revenir un petit peu en arrière - favorables et d'accueil sur les homosexuels, sur la place des femmes dans l'Eglise. Pour autant, il y a un certain nombre de points, que ce soit l'ordination des femmes, le célibat des prêtres, sur lesquels il n'est pas...

R - Allé jusqu'au bout.

Q - Voilà. Est-ce que vous, vous jugez qu'il n'est pas allé jusqu'au bout ?

R - Il a initié un mouvement extraordinaire, que ce soit sur le climat...

Q - Mais vous auriez aimé qu'il aille plus loin sur ces sujets-là ? Je ne parle pas spécifiquement du climat, en l'occurrence : célibat des prêtres, ordination des femmes ?

R - Mais d'autres, après lui, prendront le relai. Il a, le premier, placé la sauvegarde de la planète, de la "maison commune" au coeur de son pontificat. Il est le premier pape à s'être emparé des questions si compliquées, si difficiles et exigeantes de l'intelligence artificielle.

Q - Oui, en 2020.

R - Il est le premier aussi à avoir voulu ouvrir l'Église à ceux qui en étaient écartés : les couples divorcés, les personnes homosexuelles.

Q - Et les couples homosexuels. C'est une bonne chose, pour vous, qu'il ait introduit cette bénédiction des couples, même si ce n'est pas une bénédiction de l'union, mais des personnes au sein de ces couples irréguliers aux yeux de l'Église ?

R - L'ouverture de l'Église est une bonne chose. Ensuite, il n'a pas été jusqu'au bout, peut-être, de ce qu'il voulait faire. Il n'a peut-être pas eu le temps d'aller jusqu'au bout. Mais ce mouvement qu'il a initié en ouvrant l'Eglise sur la famille dans ses transformations, sur la technologie, sur le climat, c'est évidemment une très bonne chose pour l'Église. Et je suis sûr que son successeur, que ceux qui vont lui succéder continueront à travailler dans ce sens-là.

Q - Et ce n'est pas évident, Jean-Noël Barrot, parce que le pape François était aussi un pape clivant. Certes, il a fait progresser l'Église, mais certains redoutent aujourd'hui un retour en arrière au moment où, justement, la question de nommer un successeur se pose. Vous, vous dites, il faut continuer l'action du pape François, aller vers encore plus de modernité, de progressisme, attention, pas de retour en arrière ?

R - Il ne m'appartient pas de prescrire à l'Église catholique ce que doivent être ses orientations. Mais si vous m'interrogez, est-ce que l'Église catholique doit porter un message sur l'environnement ? J'ai tendance à dire que oui. Est-ce que l'Eglise catholique doit continuer à se mobiliser au service des plus petits, des plus humbles, des plus démunis ? La réponse est oui.

Q - La question du célibat des prêtres, vous dites oui aussi ?

R - Je dis que c'est une question qui appartient à l'Église catholique. Et je salue le fait que, dans ces réflexions qu'il a lancées, le pape François ait décidé d'associer très largement les évêques.

Q - Il faudra un pape qui ait des qualités diplomatiques ? On parle, vous savez, de Pietro Parolin qui est le secrétaire d'État du Vatican, donc le numéro 2 du Vatican. Il faudra, dans le contexte actuel, un pape qui soit un diplomate ?

R - Le numéro 2 du Vatican qui était justement présent au Quai d'Orsay pour célébrer le centenaire de nos accords. La diplomatie vaticane joue un rôle très important. Je le disais tout à l'heure, reprenez la bénédiction urbi et orbi qui a été prononcée dimanche à Rome et vous retrouvez tous les théâtres de crise, avec un appel au cessez-le-feu et un appel à la paix. Prenez aussi la question de l'Ukraine, où l'Église a joué un rôle très important pour venir au secours des enfants de l'Ukraine, de ces enfants qui ont été arrachés à leurs familles, qui ont été déportés, qui ont été envoyés dans des camps de redressement en Russie ou en Biélorussie. Grâce à la mobilisation de l'Église catholique et de ses réseaux, des enfants ukrainiens ont pu retrouver leurs familles, voire même être accueillis à Rome.

Q - Le pape François s'était aussi interrogé sur un génocide à Gaza. On parle de son successeur. Est-ce qu'un pape français serait une bonne chose ?

R - Je ne vais pas dire le contraire.

Q - Vous connaissez bien Jean-Marc Aveline, l'archevêque de Marseille. Il serait un bon successeur du pape, Jean-Marc Aveline ?

R - J'ai rencontré la semaine dernière le cardinal Jean-Marc Aveline pour parler notamment, à Marseille, chez lui, de ses projets pour la Méditerranée qui est au centre de l'action que nous menons au Quai d'Orsay. Je veux saluer, comme beaucoup l'ont fait ces derniers temps, ses qualités de dialogue, son engagement au service du dialogue interreligieux puisque, vous le savez, le pape François est aussi celui qui est sans doute allé le plus loin dans le dialogue avec l'Islam, en allant rencontrer Ahmed el-Tayeb, le grand imam de la mosquée al-Azhar, en Égypte. Mais c'est aussi le premier souverain pontife à s'être rendu en Irak, où je serai dès ce soir, pour rencontrer Ali al-Sistani, le leader spirituel du chiisme. Jean-Marc Aveline, c'est l'homme du dialogue interreligieux. C'est l'homme auquel le souverain pontife avait confié cette mission.

Q - Vous restez avec nous Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, alors qu'on apprend à l'instant que Volodymyr Zelensky prévoit à son tour de se rendre aux obsèques du pape.

(...)

Q - Comme promis, nous parlons de l'Ukraine. Vladimir Poutine a annoncé hier que Moscou allait analyser la proposition de Volodymyr Zelensky de suspendre les frappes contre les infrastructures civiles, tout en sachant que la Russie a elle-même violé le cessez-le-feu qu'elle avait décrété. Est-ce que, à vos yeux, ce que dit Vladimir Poutine est porteur d'une forme d'espoir, ou est-ce que sa parole finalement n'a plus beaucoup de valeur ?

R - Je crois que la trêve de Pâques qu'il a décrétée de manière un peu inattendue était une opération marketing, une opération séduction visant à éviter que le président Trump ne s'impatiente et ne s'énerve, si l'on peut dire. Ce que l'on constate néanmoins, c'est que malgré les très nombreuses, les centaines, les milliers de violations qui ont été constatées par les Ukrainiens...

Q - Il y a eu une baisse d'intensité.

R - Il y a une baisse d'intensité sur les drones et les missiles de longue portée. Mon collègue ukrainien me le confirmait hier soir au téléphone. C'est la raison pour laquelle Volodymyr Zelensky a réitéré pour la dixième fois sa proposition d'entrer dans un cessez-le-feu sans condition, d'une durée de trente jours, permettant d'amorcer des négociations visant à une paix - durable, cette fois-ci.

Q - Mais justement, après avoir menacé de jeter l'éponge, Donald Trump a dit espérer un accord dans la semaine entre la Russie et l'Ukraine. Est-ce que vous, vous avez des éléments en ce sens ?

R - Nous avons accueilli la semaine dernière, jeudi, des délégations ukrainienne et américaine. C'était la première fois d'ailleurs que les Ukrainiens, les Américains et les Européens étaient autour de la même table. Et ça a été l'occasion d'exprimer aux Américains, qui se placent dans une position aujourd'hui de médiateurs, les attentes, les lignes rouges des Ukrainiens et des Européens. Ces discussions vont se poursuivre mercredi à Londres.

Q - Mais on se demande si vous êtes vraiment retenus à la table des négociations, parce qu'après ces discussions, les Etats-Unis ont menacé de jeter l'éponge. Et aujourd'hui, Donald Trump dit qu'il s'attend à une trêve dans la semaine. Et quand je vous pose la question de savoir si vous avez les mêmes informations, vous ne me répondez pas.

R - D'abord, oui, les Européens étaient effectivement à la table. C'était la première fois et c'était à Paris, ce qui est un succès diplomatique. Ensuite, est-ce que c'est une fin en soi d'être à la table des négociations ? La réponse est non. Le seul objectif qui nous préoccupe, le Président de la République, le ministère des Affaires étrangères, c'est de défendre les intérêts des Français et la sécurité de l'Europe et de la France. C'est la raison pour laquelle, puisque les États-Unis aujourd'hui ont décidé de se placer dans une position de médiateurs, que nous leur faisons entendre ce que sont nos lignes rouges, ce sur quoi nous ne céderons pas.

Q - Je vous permets de reposer la question d'Agathe. Est-ce qu'aujourd'hui, vous avez des indications laissant penser qu'une trêve, qu'un accord pourrait être signé dans la semaine ?

R - Mais c'est à Vladimir Poutine qu'il faut poser la question, puisque ça fait plus d'un mois...

Q - Là, en l'occurrence, c'est plutôt à Donald Trump, semble-t-il.

R - Cela fait plus d'un mois que les Ukrainiens, sur le fondement d'une proposition franco-britannique, ont proposé de manière unilatérale un cessez-le-feu en mer, dans les airs et sur les infrastructures énergétiques. Proposition qui a été accueillie par les Américains, qui ont demandé aux Ukrainiens d'aller plus loin : cessez-le-feu général de trente jours. Proposition que les Ukrainiens, avec beaucoup de courage et dans un esprit de compromis, ont acceptée. C'est maintenant à Vladimir Poutine d'accepter le même principe.

Q - Jean-Noël Barrot, vous entamez demain une tournée au Moyen-Orient pour échanger notamment avant la conférence de l'ONU en juin, conférence lors de laquelle la France pourrait reconnaître un État palestinien. Cette reconnaissance est toujours au conditionnel ?

R - Je serai d'abord en Irak pour poursuivre la lutte qui est la nôtre, inlassable, contre le terrorisme de Daech, qui menace de ressurgir en Syrie et en Irak, et puis pour renforcer ce pays, qui doit devenir un foyer de stabilité pour la région. Et puis ensuite j'irai rencontrer un certain nombre de mes homologues dans des pays arabes qui sont engagés pour la paix à Gaza, en rappelant que l'urgence est évidemment le cessez-le-feu, la libération des otages du Hamas et l'entrée massive de l'aide humanitaire dans l'enclave, mais qu'au-delà, comme il n'y a pas de solution militaire au conflit israélo-palestinien, qu'il n'y a pas de solution militaire à la sécurité d'Israël, il nous faut cheminer au plus vite vers la solution politique : deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité.

Q - Est-ce vraiment une solution ? Parce que Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, est farouchement contre.

R - C'est la seule solution.

Q - Il dit : "Imaginez un État palestinien établi à quelques minutes de villes israéliennes, ça deviendrait un bastion du terrorisme iranien." Est-ce que cette reconnaissance, ce serait une victoire pour le terrorisme ?

R - Mais nous voulons, le Président de la République veut que cette reconnaissance de la France, au moment où elle interviendra, soit la plus utile possible. C'est-à-dire qu'elle permette de créer les conditions pour qu'un tel Etat puisse advenir. C'est-à-dire le désarmement et le règlement de la question du Hamas, c'est-à-dire les réformes indispensables de l'autorité palestinienne, la déradicalisation de la Palestine, et puis aussi l'implication des pays de la région pour la reconstruction de Gaza, en matière de financement notamment. Et c'est alors que la France pourrait prendre sa décision, accompagner d'autres pays qui veulent eux aussi que leur décision puisse avoir un impact concret et que, dans l'autre sens, des pays musulmans qui aujourd'hui n'ont pas de relations avec Israël puissent le faire à leur tour.

Q - L'Arabie saoudite... C'est un objectif, que l'Arabie saoudite normalise ses relations avec Israël et reconnaisse Israël ?

R - C'est évidemment un objectif pour la sécurité et la paix dans la région, et plus généralement que tous les pays de la région autour et avec Israël acceptent d'entrer dans ce qu'on appelle, dans le jargon diplomatique, une " architecture de sécurité ", comme nous l'avons en Europe, et qui permet de garantir la stabilité et en quelque sorte la solidarité.

Q - Jean-Noël Barrot, autre sujet dans l'actualité internationale et en même temps nationale : c'est Emmanuel Macron qui est en déplacement dans l'océan Indien. Il était hier à Mayotte, qui fait toujours face à cette immigration que certains décrivent comme incontrôlée, avec le lancement d'une opération "Mur de fer" et l'expulsion, dit le chef de l'Etat, de 35.000 clandestins par an. Le problème, c'est que le président comorien, il dit qu'il ne veut pas reprendre de clandestins. Pourquoi vous n'arrivez pas à mettre la pression sur les Comores ?

R - C'est un peu approximatif ce que vous nous dites là, puisque nous avons une coopération active avec les Comores pour lutter contre l'immigration irrégulière. Cette coopération permet d'éviter environ 6.000 départs des Comores vers Mayotte par an et elle permet de réadmettre 25.000 étrangers en situation irrégulière vers les Comores.

Q - Qui, pourtant, reviennent, nous disent les élus et les habitants...

Q - Pardon Jean-Noël Barrot, mais ce n'est pas flagrant quand on voit la situation à Mayotte, si tout fonctionnait bien peut-être...

R - Excusez-moi, si vous ne savez pas reconnaître qu'il y a une coopération quand il y en a une, ça va quand même poser quelques difficultés.

Q - Mais donc la coopération est bonne avec les Comores ?

R - La coopération doit être renforcée, elle doit être améliorée. C'est l'objet du déplacement du Président, qui veut aller plus loin dans cette coopération avec les Comores, aller plus loin dans la mise à disposition des forces de sécurité française, d'instruments...

Q - Il faut de la coopération ; il ne faut pas menacer de coercition, Jean-Noël Barrot ?

R - Je vais répéter ce que je viens de vous dire. Vous dites qu'il y a zéro réadmission, je vous dis qu'il y en a 25.000.

Q - Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.

R - Si. Vous avez dit qu'ils ne voulaient pas réadmettre.

Q - J'ai cité le président comorien.

R - Vous avez dit qu'ils ne voulaient pas en réadmettre, alors qu'ils y en admettent 25.000. Alors il faut quand même regarder les faits. 25.000 ce n'est pas suffisant, nous voulons aller au-delà. Et cela passe par des investissements à Mayotte et des investissements aux Comores, pour mettre fin à cette situation qui fragilise considérablement Mayotte et sur laquelle les Mahorais attendent des réponses très concrètes.

Q - Vous pensez à quoi comme investissements aux Comores ?

R - Ce sont des radars, ce sont des moyens pour éviter les départs et pour faciliter les retours.

Q - Au Rassemblement national, on s'interroge sur la pertinence de ces investissements. On propose plutôt de suspendre l'aide au développement. Vous y avez pensé ?

R - L'aide au développement, elle permet notamment de renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière au départ des Comores. Et donc je crois que si nous nous privons de ces outils-là, nous obtiendrons des résultats bien moindres au service des Mahoraises et des Mahorais.

Q - Donc, si on suit votre logique, il faudrait davantage d'aide au développement pour empêcher davantage de départs ?

R - Pas nécessairement. On peut et on travaille en continu - c'est mon ministère qui est à la charge de l'aide publique au développement - à réallouer en permanence l'aide publique au développement au service de cette coopération en matière d'immigration irrégulière.

Q - Alors que Donald Trump - un autre sujet - a déclaré la guerre commerciale aux Européens, de grands patrons français ont jugé pertinent de critiquer non pas les États-Unis, mais l'Union européenne et sa bureaucratie, ces derniers jours. Est-ce que c'est irresponsable comme comportement ?

R - Est-ce qu'il y a trop de complexité, trop de bureaucratie dans les processus européens ? La réponse est oui. C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup poussé depuis un an, avec l'Allemagne, pour que la Commission européenne se dote d'un agenda très résolu, très radical de débureaucratisation. Elle a commencé à présenter un certain nombre de textes, de lois européennes que nous accueillons favorablement, mais nous voulons qu'elle aille plus loin.

Q - Je vous interroge sur les patrons, Jean-Noël Barrot. Vous êtes d'accord avec les patrons, alors ? Vous ne trouvez pas qu'ils sont un peu ingrats ?

R - Avec la Commission européenne ?

Q - Ils ont profité aussi du système qu'ils critiquent aujourd'hui.

R - Mais attendez, excusez-moi, vous avez vu le monde dans lequel on entre, où il va falloir être dix fois plus compétitifs si nous voulons défendre nos intérêts commerciaux et industriels ? Nous ne pouvons pas continuer d'accepter qu'une chape de plomb inhibe, entrave la capacité des entreprises, des entrepreneurs, des patrons français et européens à innover, à se développer, parce que, en quelque sorte, cette capacité à créer de la richesse et à innover, c'est notre muscle. Et nous en avons bien besoin dans la guerre qui s'annonce.

Q - Et d'un mot, Jean-Noël Barrot, il y a eu aussi l'appel d'Emmanuel Macron aux patrons à suspendre les investissements aux États-Unis le temps d'y voir plus clair, etc. La plupart des patrons, ils ont répondu non. Et LVMH, par exemple, annonce qu'ils envisagent de produire davantage aux États-Unis. Le Président est lâché par les patrons ?

R - Une nouvelle fois, pardon de vous reprendre légèrement, mais vous dites que la plupart des patrons ont dit non. Interrogez les patrons véritablement, et vous verrez que beaucoup s'inquiètent du caractère erratique de la politique économique qui est menée aujourd'hui.

Q - Ce n'est pas exactement le même sujet. L'incertitude et la demande du Président de ne pas investir n'est pas exactement le même sujet.

R - Pardon, mais si, c'est exactement la même chose. Et vous voyez beaucoup de patrons français qui envisageaient des investissements aux États-Unis et qui sont aujourd'hui en train de reconsidérer ces décisions parce qu'ils vous disent qu'ils ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés.

Q - En tout cas, vous ne les appelez pas au patriotisme, comme votre collègue Eric Lombard, par exemple ? Vous, vous dites que vous êtes d'accord avec eux sur l'Europe ?

R - J'appelle chacun au patriotisme. Cela fait partie de ma mission. Et dans le monde dans lequel nous entrons, nous avons besoin d'une France forte, d'une Europe forte si nous voulons défendre ce que nous sommes, dans un monde qui sera beaucoup plus dur et beaucoup plus brutal.

Q - Merci à vous, Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2025