Interview de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, à CNews le 5 mai 2025, sur la conférence Choose Europe for Science pour développer la recherche et faire venir des scientifiques américains en Europe et les violences à l'université de Lyon 2.

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Média : CNews

Texte intégral

ROMAIN DESARBRES
On accueille Philippe BAPTISTE, ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Merci monsieur le ministre d'être là ce matin. Bonjour.

PHILIPPE BAPTISTE
Merci de votre invitation.

ROMAIN DESARBRES
Vous organisez une conférence, la conférence Choose Europe for Science. Bon, choisissez l'Europe pour les sciences, avec Emmanuel MACRON, avec Ursula VON DER LEYEN, la présidente de la commission européenne. C'est quoi cette conférence exactement ?

PHILIPPE BAPTISTE
Alors c'est un moment qui est assez unique parce que je pense que ce n'est jamais arrivé. C'est non seulement le Président de la République, la présidente de la commission, mais aussi 4 ou 5 commissaires européens, une douzaine de ministres de la Recherche de toute l'Europe qui sont là aujourd'hui. Et j'ai envie de dire qu'il y a 3 objectifs. Le premier c'est, on sait tous ce qui se passe aujourd'hui aux États-Unis avec une liberté académique qui est remise en question à chaque moment, avec des programmes entiers de recherche qui sont mis en danger aujourd'hui aux États-Unis, enfin plus que mis en danger, qui sont abandonnés. Et ces programmes de recherche en fait, pardon, mais ils ont un impact majeur parce que non seulement ils impactent la recherche aux États-Unis, mais compte tenu des volumes et compte tenu de l'ampleur de ces programmes, ils mettent en danger la recherche au niveau mondial, y compris les nôtres. Donc d'abord, c'est une réaction. C'est aussi dire, en fait, la liberté académique pour nous en Europe, elle est fondamentale et donc on la défend. Ça, c'est le premier point. Le deuxième point, c'est aussi de dire, mais en fait, c'est un moment de réveil aussi ; c'est de dire, mais finalement, l'Europe, on s'est quand même beaucoup reposé sur cette coopération franco-américaine ou européano-américaine. Et donc, quelle est notre autonomie ? Quelle est notre vision ? Qu'est-ce qu'on veut porter, nous, en tant qu'Européens, comme grand programme ? Il y a des domaines où on est leader, d'autres où on est en retard. Il faut accélérer. Et puis le troisième sujet, et je serai bref… Mais le troisième sujet, c'est quoi ? C'est simplement de se dire, aujourd'hui en Europe, on n'investit pas assez dans la recherche. Si vous regardez la part du PIB, c'est-à-dire la part de nos richesses qu'on consacre à la recherche aujourd'hui en Europe, par rapport à la Corée, par exemple, Corée du Sud, on est deux fois moins. Par rapport à Israël, on est presque deux fois moins. Par rapport aux États-Unis, on est très significativement en dessous. Donc, je veux dire, on sous-investit là-dessus. Et le risque, c'est quoi ? C'est de transformer, c'est de faire de l'Europe une Europe des châteaux de la Loire. Pardon de l'image ; j'adore les châteaux de la Loire. Le problème n'est pas là. Mais une Europe qui est simplement une Europe musée. Et alors qu'il faut que notre Europe d'aujourd'hui soit une Europe qui soit sur la recherche, sur l'innovation, parce que ce sont les jobs de demain.

ROMAIN DESARBRES
Vous nous dites, on arrête de regarder dans le rétroviseur, on regarde devant. Qu'est-ce qui va les attirer en France ?

PHILIPPE BAPTISTE
J'aurais envie de dire la liberté en Europe, la liberté de faire de la recherche, premier point. Deuxième point, on n'a pas les salaires des États-Unis, c'est très clair. Les fonds de salaire sont beaucoup plus bas. Ça, c'est sûr. Par contre, on a un réseau de chercheurs qui est excellent.

ROMAIN DESARBRES
Combien peut espérer gagner un chercheur qui va répondre à votre appel ?

PHILIPPE BAPTISTE
C'est très variable, parce que ça va dépendre du chercheur, ça va dépendre de son degré de séniorité, ça va être…

ROMAIN DESARBRES
Autour de… ?

PHILIPPE BAPTISTE
Je ne peux pas répondre simplement à votre question.

ROMAIN DESARBRES
100 000 euros annuels, 200 000, 300 000 ?

PHILIPPE BAPTISTE
Les salaires de la recherche publique sont significativement… Ce n'est pas 200 000 euros, c'est nettement en dessous de ça. Donc maintenant, après, on peut avoir des cas particuliers, on peut avoir des packages particuliers. Donc ça, ça va se discuter.

ROMAIN DESARBRES
Donc vous leur dites : "venez, on sera au cas par cas."

PHILIPPE BAPTISTE
Ça va se discuter au cas par cas, comme ça se fait déjà aujourd'hui.

ROMAIN DESARBRES
Parce que les Français vont peut-être ronchonner si vous sortez le carnet de chèques…

PHILIPPE BAPTISTE
Non, je pense que ça se discute déjà aujourd'hui. Il y a eu d'énormes efforts qui ont déjà été faits pour la recherche. Il y a 6 milliards d'euros qui ont été rajoutés sur la recherche depuis 2020. Et au total, le budget de la recherche aujourd'hui, c'est 20 milliards d'euros par an. Je ne dis pas que c'est suffisant – moi, j'aimerais bien qu'on fasse plus encore - mais il y a déjà de l'argent sur la recherche aujourd'hui.

ROMAIN DESARBRES
Comment faire pour qu'on ne se retrouve pas… ? Alors je vais être très clair, très calme.

PHILIPPE BAPTISTE
Peut-être juste pour vous dire, qu'est-ce qui va faire venir aussi nos amis américains ou d'ailleurs ? C'est simplement qu'aujourd'hui, on a une recherche qui est très bonne. Il y a des domaines où on est des leaders mondiaux. En maths, on est le premier pays au monde. On ronchonne souvent en se disant qu'on n'est pas bon, etc. Mais il y a des domaines où on est excellent. Je veux dire, en maths, on est absolument excellent. En physique, par exemple, et dans ce qu'on appelle la big science, c'est-à-dire les grandes installations de physique, en Europe, on est les leaders mondiaux, là aussi. Il y a plein de sujets où on est très, très bons. Soyons fiers de ce qu'on fait et on a de quoi attirer les gens.

ROMAIN DESARBRES
Comment faire pour qu'on ne se retrouve pas avec tous les wokistes ? Question cash, mais…

PHILIPPE BAPTISTE
Je mets de côté la question du wokisme, mais très rapidement. Parce que je voudrais juste signaler le fait que c'est un terme qui attrape tout et qui n'est pas toujours très clair. Il n'y a pas de communauté scientifique qui se revendique wokiste. Mais je mets ça de côté un instant. Aujourd'hui, ce que je peux vous dire, c'est que dans le programme Choose France for Science, on a identifié des thématiques prioritaires qui sont identifiées depuis longtemps, qui sont l'énergie, qui sont les composants de demain, qui sont l'intelligence artificielle, qui sont le transport, qui sont les médicaments de demain, etc. Et c'est ça, c'est là-dessus, c'est sur ces sujets-là qu'on investit.

ROMAIN DESARBRES
Ce sont vraiment les sciences, d'accord. La France a besoin d'ingénieurs.

PHILIPPE BAPTISTE
Absolument.

ROMAIN DESARBRES
Ils ne forment pas assez d'ingénieurs. Ce sont les ingénieurs qui trouvent des solutions, qui créent des brevets. C'est comme ça qu'on va s'enrichir, qu'on va sortir de l'ornière.

PHILIPPE BAPTISTE
On a d'excellents ingénieurs aujourd'hui qui sont attirés partout de par le monde. Si vous allez sur la côte ouest des États-Unis, on parle beaucoup français. Ce sont souvent des gens qui ont été formés chez nous. C'est la circulation des cerveaux. Mais on n'en forme pas assez. On a besoin d'ingénieurs, on a besoin de scientifiques, on a besoin de docteurs. Et ça, il faut absolument qu'on continue à en former plus. Le problème, ce sont les capacités de formation, mais c'est surtout l'attrait des sciences. On a un problème de perte d'attractivité des sciences.

ROMAIN DESARBRES
Les Français n'ont pas attrait vers les sciences.

PHILIPPE BAPTISTE
C'est la place des sciences dans nos sociétés aujourd'hui.

ROMAIN DESARBRES
Pourquoi ? Ce n'est pas assez valorisé ?

PHILIPPE BAPTISTE
Je pense que c'est difficile. Déjà, la place des femmes est totalement insuffisante. Les femmes qui font des sciences sont en tout petit nombre. Déjà, on se prive de la moitié de la population qui ne va pas faire des sciences. Grosso modo, j'ai 20 ou 25 % des élèves qui sont des femmes seulement dans les écoles d'ingénieurs. Donc, il y a d'énormes efforts à faire. Et il faut aussi faire la promotion des sciences parce que ce sont des métiers qui sont des métiers… Moi, je suis scientifique. J'ai passé ma vie dans les laboratoires et dans l'industrie. Ce sont des métiers qui sont passionnants. Ce sont des métiers où on construit l'avenir. On construit la France de demain.

ROMAIN DESARBRES
C'est un métier magnifique. Vous êtes scientifique. Vous êtes également politique parce que vous êtes ministre. Je veux qu'on revienne sur ce qui s'est passé à Lyon 2. On va regarder à nouveau les images avec le professeur Fabrice BALANCHE qui a été extrait par des militants violents d'extrême-gauche. Pourquoi ? Parce qu'il avait refusé que soit organisé dans les locaux de cette université, de cette fac, un dîner de rupture du jeûne pour les étudiants musulmans. Ce qui est totalement interdit… Ce qui est interdit d'organiser un dîner de… ?

PHILIPPE BAPTISTE
Je reviens 30 secondes. La présidente de l'université avait préalablement interdit cette manifestation. Elle l'avait interdit. Et effectivement, le maître de conférences en question, monsieur BALANCHE, était aussi allé dans le sens de ça. Et ce qui est arrivé, ce qu'on voit sur les images, est proprement scandaleux. C'est une honte. C'est-à-dire qu'avoir aujourd'hui un professeur, un maître de conférences qui est interrompu violemment pendant ses cours, c'est honteux.

ROMAIN DESARBRES
On parlait tout à l'heure de liberté académique.

PHILIPPE BAPTISTE
Mais c'est le contraire de la liberté académique. C'est le contraire de la liberté académique. On peut être d'accord avec monsieur BALANCHE ou pas d'accord avec monsieur BALANCHE, la question, j'ai envie de dire, n'est même pas là. La question, c'est que la liberté académique, l'université, c'est le lieu de débat. Un lieu de débat qui doit être encadré par la loi. Et la loi prohibe la violence, elle prohibe l'antisémitisme, elle prohibe le racisme, etc. Et donc, l'université est un cadre extraordinaire où on doit être capable de discuter en grande liberté, mais évidemment, sans violence. Et ce qu'on a vu là, c'est une honte pour la République.

ROMAIN DESARBRES
Lyon 2, des tags ultra violents ont été écrits sur la façade le 1er mai. Des tags qui visent votre collègue de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU. Des tags qui visent également les policiers. Qu'est-ce qui se passe à Lyon 2 ?

PHILIPPE BAPTISTE
Nous avons fait un article 40. Donc évidemment, on a…

ROMAIN DESARBRES
Article 40, c'est quand on est fonctionnaire, on dénonce des faits délictueux. On est obligé de dénoncer des faits délictueux.

PHILIPPE BAPTISTE
Sur les tags en question qui, sauf erreur de ma part, ont déjà été effacés. Enfin, ou en tout cas sont encore de… Voilà, bien sûr, c'est évidemment lamentable. Alors, qu'est-ce qui se passe ? Je pense qu'aujourd'hui, on a effectivement, dans quelques universités aujourd'hui en France, des tensions. Alors, ce sont des tensions qui sont liées au contexte international, au conflit israélo-palestinien. Et si j'ouvre 30 secondes la question sur le conflit israélo-palestinien, dans les universités, c'est normal qu'on puisse en parler. Et c'est normal qu'on puisse défendre des points de vue qui sont des points de vue qui peuvent être radicalement différents. Mais il faut qu'on ait la liberté de pouvoir parler et de pouvoir dialoguer sur ces questions-là. Et dialoguer, ça veut dire pluralité des opinions. Et ça, c'est fondamental et il faut le garantir. Et s'il y a des endroits où ce n'est pas le cas, où ce n'est pas suffisamment le cas, eh bien, c'est à nous de le rappeler, évidemment, dans le respect de l'autonomie de ce que sont les universités aujourd'hui c'est-à-dire des établissements qui sont, par nature, très autonomes.

ROMAIN DESARBRES
Philippe BAPTISTE était avec nous ce matin. Merci, monsieur le ministre.

PHILIPPE BAPTISTE
Merci beaucoup.

ROMAIN DESARBRES
Merci d'être venu ce matin nous parler de la recherche Choose Europe for Science. Ça démarre ce matin ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ce matin, dans une petite heure.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mai 2025