Interview de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de la recherche, à France 2 le 6 mai 2025, sur la mise en œuvre du plan pour accueillir des chercheurs étrangers notamment américains en France, le budget alloué à la recherche scientifique et la démission de du vice-président de l'université Lyon 2.

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Média : France 2

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Philippe BAPTISTE.

JOURNALISTE
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci d'être avec nous. Vous êtes donc le ministre chargé de la Recherche et vous allez être en charge de mettre en œuvre ce plan annoncé notamment hier par Emmanuel MACRON à la Sorbonne, attirer en France les meilleurs chercheurs, notamment ceux qui ont décidé de quitter les États-Unis, contraints et forcés par les décisions de Donald TRUMP. D'abord, quand on voit l'état de nos finances publiques, vous pensez vraiment qu'on a les moyens de faire venir ces chercheurs en France ?

PHILIPPE BAPTISTE
Je pense qu'on n'a pas le choix. En fait, investir dans la recherche, c'est investir dans l'avenir. La question, elle est très simple, c'est est-ce qu'on veut simplement une France ou une Europe qui, j'ai envie de dire, je caricature, mais qui soit simplement une France de la gastronomie et des châteaux de la Loire. J'adore la gastronomie, j'adore les châteaux de la Loire. Mais est-ce que simplement on veut faire ça ? Ou est-ce qu'on veut aussi se projeter et être simplement une des grandes puissances économiques de demain ? Et pour être une grande puissance économique, pour rayonner demain, on a besoin d'innovation. Et pour l'innovation, on a besoin de la recherche. Donc, ce n'est pas simplement une question de savoir, c'est est-ce qu'on a envie ou est-ce qu'on n'a pas envie.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Pour vous, on n'a pas le choix ?

PHILIPPE BAPTISTE
Mais investir dans la recherche, c'est fondamental et on ne l'a pas assez fait. Et donc, il faut y aller. Et quand je dis on ne l'a pas assez fait, on ne l'a pas assez fait en France, on ne l'a pas assez fait en Europe, on est en retard par rapport aux États-Unis, on est en retard par rapport à Israël, on est en retard par rapport à la Corée du Sud, etc. Donc, il faut y aller, il faut investir.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
D'ailleurs, je reprends une de vos phrases en mars dernier, vous aviez dit : "Si on ne bouge pas plus vite, on va tous crever".

PHILIPPE BAPTISTE
Alors, je crois qu'à l'époque, je parlais du spatial, je parlais du spatial, mais c'est un petit peu le même sujet, parce que c'est à la fois un choc de réinvestissement, pareil, dans le spatial, on n'avait pas assez investi, mais c'est aussi, quand je parlais à l'époque, quand j'avais utilisé cette phrase, c'est aussi qu'il faut qu'on se réorganise, c'est-à-dire que ce n'est pas simplement injecter plus d'argent gratuitement, comme ça, c'est simplement, il faut aussi des transformations structurelles. Et pour notre recherche, aujourd'hui, on a aussi beaucoup de travail à faire, aussi bien au niveau national qu'au niveau européen, mieux se coordonner, être plus efficaces, être plus alignés avec nos grandes priorités stratégiques.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais, Monsieur le Ministre, regardez la une de La Tribune, les faiblesses de la France pour attirer les chercheurs américains. Vous disposez de quel budget pour les faire venir ? On a vraiment les sous pour ça ?

PHILIPPE BAPTISTE
Et vous savez, aujourd'hui, la recherche en France, on investit vingt milliards par an. Ce n'est pas rien vingt milliards, c'est un vrai budget, vingt milliards par an, c'est beaucoup d'argent. Et donc, effectivement, en plus de ça, hier a été annoncé 500 millions d'euros au niveau européen, cent millions d'euros au niveau français. En plus, pas spécifiquement pour les chercheurs américains, mais simplement aussi d'attractivité. Et au-delà de ça, quelque chose qui est quand même absolument fondamental, c'est qu'on a réaffirmé aussi une trajectoire, c'est-à-dire une ambition autour de ce qu'on appelle la loi de programmation pour la recherche. Et ça, c'est quand même beaucoup d'argent, c'est une très forte dynamique pour les prochaines années.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Soyons concrets, qui va être concerné par le dispositif ? Est-ce que n'importe quel chercheur peut venir taper à votre porte et dire j'ai envie de venir en France ou c'est uniquement dans certains domaines de recherche ?

PHILIPPE BAPTISTE
Alors, c'est quand même essentiellement sur des domaines qui sont des domaines prioritaires, qui sont annoncés depuis longtemps, qui correspondent à nos grandes agences de programmes : c'est l'énergie, c'est la santé, c'est les composants, c'est le numérique, c'est le transport de demain, c'est l'agriculture. Enfin, ce sont des grands champs qui ont un impact socio-économique absolument majeur. Et évidemment, à côté de ça, on soutient aussi une recherche de base, qui est une recherche qui couvre tous les champs. On soutient aussi la recherche en maths, etc.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais les sciences humaines, ce n'est pas la priorité numéro un… humaines et sociales, c'est plutôt les sciences…

PHILIPPE BAPTISTE
Les sciences humaines et sociales, on les retrouve dans tous ces champs, parce que quand vous travaillez sur l'énergie, vous avez aussi besoin de comprendre comment, dans la société, derrière les changements, par exemple, sur l'énergie, on a un impact sur la société, voilà.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Mais tout ça, c'est une démarche, disons-le, un peu élitiste. Vous assumez de vouloir faire venir les meilleurs en France, pas n'importe qui ?

PHILIPPE BAPTISTE
C'est-à-dire que la recherche, si vous ne voulez pas être le meilleur quand vous faites de la recherche, il ne faut pas faire de recherche. La recherche, c'est quand même avant tout, c'est quand même à la fois un travail collectif, parce qu'on est dans un laboratoire, on travaille à plusieurs, etc. Et on a besoin aussi d'avoir les meilleurs. Mais vous savez, ce n'est pas nouveau. Accueillir des chercheurs internationaux, aujourd'hui au CNRS, à l'INSERM, dans les grandes universités, en France… On accueille en permanence des chercheurs qui viennent du monde entier et c'est le mouvement naturel des cerveaux.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous avez annoncé ce plan, donc cent millions d'euros supplémentaires pour faire venir ces chercheurs, notamment américains. Mais disons-le, dans le même temps, le budget de la recherche française a été amputé de 493 millions d'euros cette année. Ce n'est pas un peu contradictoire ?

PHILIPPE BAPTISTE
Non, non, non, non, non, alors pardon…

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ce sont des baisses de crédit sur le budget 2025.

PHILIPPE BAPTISTE
Non, non, non, alors ce ne sont pas des baisses de crédit, excusez-moi, on va rentrer un petit peu dans les détails techniques. C'est de l'annulation de réserve. Qu'est-ce que ça veut dire ?

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous jouez sur les mots, non ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ah non, pas du tout, non, non, non, c'est simplement, quelque part, en gros, tous les ans, quand vous gérez un ministère, quel que soit le ministère, vous avez à la fois votre budget et puis vous avez une réserve. Et la réserve, c'est en cas d'accident, en cas de problème, c'est votre "poche", au cas où.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Elle est souvent ponctionnée, cette poche ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ben non, justement, dans le monde de l'enseignement supérieur de la recherche, elle n'est quasiment jamais ponctionnée. C'est très variable d'un ministère à l'autre et elle est systématiquement rendue, en général, à l'automne. Et c'est vrai que là, cette année, on l'a rendue plus tôt. Mais, il n'y a pas un euro de moins qui arrive aujourd'hui dans les universités ou dans les organismes. Les budgets qui ont été attribués sont les budgets qui arrivent, aujourd'hui, dans les organismes, dans les universités. Il n'y a pas de baisse.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous voyez, par exemple, le contrat de Libération qui alertait sur la situation de l'université que vous connaissez bien, Paris, Panthéon-Sorbonne, qui, faute de moyens, doit suspendre des invitations pour faire venir des chercheurs étrangers qui devaient venir à la Sorbonne. La recherche française ne va pas très bien non plus.

PHILIPPE BAPTISTE
Excusez-moi, mais alors, je veux dire, on peut toujours trouver des cas qui sont évidemment difficiles. À un endroit donné, vous avez une fuite dans le toit. Vous avez, à un moment donné, une université qui n'a peut-être pas suivi les bons schémas d'investissement, qui a trop dépensé à un moment ou à un autre. Tout ça, ça arrive tout le temps. Mais je répète les chiffres. C'est vingt milliards par an qu'on investit sur la recherche. Et la loi de programmation de recherche, elle a permis d'investir six milliards de plus au cours depuis 2020. Et devant nous, on a 19 milliards d'investissements qui vont arriver en plus d'ici à 2030 avec la loi de programmation de la recherche.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ça, c'est une annonce que vous nous avez faite ce matin ?

PHILIPPE BAPTISTE
C'est une annonce qui a été réaffirmée, hier ; par le président de la République, en réaffirmant quelque part la trajectoire autour de la loi de programmation de la recherche. Et c'est quand même fondamental. C'est un investissement qui est un investissement majeur pour la France et majeur pour l'Europe. Évidemment, je ne dis pas que tout n'est pas parfait. On a toujours des difficultés à droite, à gauche. Et notre travail, c'est aussi d'essayer de résoudre ces difficultés, mais ne soyons pas dans le défaitisme. On a une recherche qui est excellente en France et en Europe sur un certain nombre de secteurs. On est les meilleurs au monde en mathématiques. Il y a d'autres secteurs où on est très très bons aussi.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc, vous nous dites : "Soyons fiers de la recherche française".

PHILIPPE BAPTISTE
Soyons fiers de se confier et réaffirmons le fait que ça a un impact aussi sur nos vies comme citoyens. Ce n'est pas juste une recherche purement intellectuelle. C'est les jobs de demain.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Autre thème, Philippe BAPTISTE. Je voulais vraiment vous parler de ce qui se passe à l'université Lyon 2 en ce moment. Plus d'un mois après l'interruption d'un cours d'un professeur spécialiste du Moyen-Orient, le vice-président de cette université, Willy BEAUVALLET-HADDAD, a présenté sa démission hier. Il estime être victime de harcèlement, d'une campagne de dénigrement public. On rappelle quand même qu'il avait notamment rendu hommage au chef du Hezbollah, Hassan NASRALLAH, lors de la mort de celui-ci en septembre dernier. Qu'est-ce qui se passe dans cette université ?

PHILIPPE BAPTISTE
C'est très grave, c'est très grave ce qui s'est passé. Effectivement, le vice-président de cette université a démissionné et il avait précédemment fait un hommage à NASRALLAH, donc chef du Hezbollah. Vous savez que le Hezbollah, c'est une organisation terroriste. Et donc derrière, en fait, ce qu'on est en train de se dire, c'est qu'on a effectivement le vice-président d'une université qui a fait l'éloge d'une organisation terroriste. Donc évidemment, j'ai demandé au recteur de saisir le procureur et évidemment de signaler ces faits qui peuvent relever, effectivement, de l'apologie du terrorisme. Enfin, ça c'est à la justice, évidemment, d'instruire.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous demandez que le procureur soit saisi ?

PHILIPPE BAPTISTE
Le procureur, en tout cas, il y a eu un signalement qui a été fait à travers une procédure qui s'appelle un article 40 qui a été déposé. Donc effectivement, je trouve que c'est grave. C'est à la justice de travailler. Ce n'est pas à moi de dire, évidemment, à titre personnel. Ce que je veux vous dire, c'est qu'à titre personnel, évidemment, moi je suis profondément choqué et je ne vois pas comment, effectivement, on peut être vice-président d'une université quand on écrit des choses pareilles. Donc je prends acte du fait qu'il a déposé sa démission, évidemment. Ça n'interrompt rien pour autant. C'est très embêtant parce que, je veux dire, pourquoi c'est embêtant ? Parce qu'en fait, dans une université, moi je suis le premier défenseur des libertés académiques, mais ces libertés, elles doivent être encadrées, évidemment, par la loi. Et donc, il y a des choses qu'on ne fait pas. Il y a des choses qu'on ne fait pas.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
L'apologie du terrorisme, par exemple, ça paraissait évident, pourtant, c'est une réalité.

PHILIPPE BAPTISTE
Le racisme, ce n'est pas possible. L'antisémitisme, ce n'est pas possible. Le débat, il doit être serein dans les universités. Et je suis exaspéré par ce climat de tension qu'on peut avoir aujourd'hui avec des gens de part et d'autre, des deux côtés qui ne rêvent que d'une chose, c'est de mettre le feu dans les universités. Et ce n'est pas ça une université. Une université, c'est le lieu d'un débat qui est serein.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et d'un mot, votre prédécesseur Frédérique VIDAL dénonçait l'islamo-gauchisme à l'université. On y est ?

PHILIPPE BAPTISTE
Moi, je ne reprendrai pas ces termes-là parce que je pense que c'est un terme qui, d'abord, est mal défini. C'est plus un terme qui a vocation à faire réagir dans les médias que vous utilisez avec enthousiasme, mais ce n'est pas forcément un terme qui correspond à des réalités académiques. Je ne sais pas définir ce qu'est l'islamo-gauchisme. Donc, je suis un tout petit peu plus prudent que ça. Moi, ce que je vous dis simplement, c'est qu'il faut qu'il y ait liberté de débat, liberté de recherche dans les universités. La liberté académique, c'est le fondement de l'Europe, c'est ça qui est fondamental. Et il faut être le garant de ça.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci beaucoup, Philippe BAPTISTE, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, invité des 4V ce matin en Belgique.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 mai 2025