Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec RTL le 6 mai 2025, sur le conflit à Gaza, la relation franco-allemande, la visite en France du président syrien, Boualem Sansal et les tensions avec l'Algérie.

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Média : RTL

Texte intégral

Q - Et tout de suite l'invité d'RTL Matin. Thomas, vous recevez aujourd'hui Jean-Noël Barrot, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Q - Bonjour et bienvenue sur RTL, Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour Thomas Sotto.

Q - Le gouvernement israélien veut élargir son offensive et partir à la conquête de la bande de Gaza. À l'instant, le Hamas dit que de nouvelles négociations de trêve n'ont plus d'intérêt. Est-ce acceptable pour vous de voir ce que veut faire Israël ?

R - Non, ce n'est pas acceptable. Et l'urgence, c'est évidemment le cessez-le-feu, mais c'est aussi l'accès sans entrave de l'aide humanitaire, massivement, puisque la bande de Gaza, les Palestiniens qui y vivent,en manque de manière dramatique. Et puis c'est la libération des otages du Hamas, évidemment.

Q - Comment faire pour que ces mots ne se perdent pas en l'air ?

R - Eh bien, on construit des coalitions. Et vous voyez, la semaine dernière, j'étais à l'ONU pour rassembler avec la France un certain nombre de pays de tout autour du monde - la Chine, le Kazakhstan, la Jordanie, le Brésil, l'Afrique du Sud -, pour défendre de manière systématique, et pas uniquement dans le cas de la Palestine, ce qu'on appelle le droit international humanitaire. C'est-à-dire que même s'il y a la guerre, on respecte un certain nombre de règles. On ne s'attaque pas aux civils, on ne s'en prend pas aux travailleurs humanitaires. On veille à ce que l'aide humanitaire puisse toujours parvenir aux populations qui en ont besoin.

Q - Mais visiblement, Benyamin Netanyahou s'en moque complètement.

R - Écoutez, il faut, je dirais, redonner des couleurs à ce qui longtemps a été l'objet d'un respect strict de la part de la communauté internationale, le droit de la guerre, la protection des plus vulnérables sur les théâtres de conflit.

Q - Est-ce qu'Israël est toujours là dans la réponse légitime aux attentats perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 ?

R - Vous savez, il ne faut pas sous-estimer le traumatisme très profond, très brutal provoqué par ce massacre antisémite, le pire de notre histoire depuis la Shoah.

Q - Il n'est pas question de sous-estimer.

R - Ça n'est pas faire offense au gouvernement, au peuple israélien, que dire que ce gouvernement est aujourd'hui en infraction manifeste avec le droit international et le droit international humanitaire. Et je le redis.

Q - Donc la France ne soutient pas Israël dans ce qu'elle fait en ce moment ? La France appelle Israël au cessez-le-feu, à laisser parvenir aux populations au sein de l'enclave de Gaza l'aide humanitaire. Le CICR, le Comité international de la Croix-Rouge le dit, le Programme alimentaire mondial le dit : il n'y a plus rien à manger à Gaza. Le risque de famine est réel. Il faut désormais ouvrir l'accès à l'aide humanitaire. Quant au Hamas, il porte une responsabilité extrêmement lourde. Il doit maintenant libérer tous les otages qu'il retient depuis le 7 octobre dans les tunnels de Gaza.

Q - Est-ce qu'il n'est pas temps, Jean-Noël Barrot, pour la France, d'accélérer la reconnaissance de l'État palestinien ? Est-ce que ça, ça ne pèserait pas ?

R - Nous y travaillons. Vous avez entendu les propos du Président de la République.

Q - Oui, il avait parlé de juin, si d'autres pays le font aussi, etc.

R - Oui mais nous voulons que cette décision, qui est très importante parce que la France, lorsqu'elle s'exprime sur ces sujets, est très entendue, nous voulons qu'elle puisse avoir un impact concret sur le terrain. Et c'est pourquoi nous voulons que d'autres pays le fassent au même moment que la France...

Q - Le calendrier, ça reste juin ?

R - ... et que des pays arabes ou musulmans puissent à cette occasion normaliser leurs relations avec Israël, et que des engagements soient pris, avec le désarmement du Hamas, avec la réforme de l'Autorité palestinienne, pour que cette décision que la France prendra crée les conditions pour l'existence même de l'Etat de Palestine, ce qui aujourd'hui est loin d'être acquis.

Q - En tout cas, la réponse de la France au projet d'occupation de la bande de Gaza par Israël, c'est non ?

R - C'est une condamnation très ferme, parce que c'est contraire au droit international.

Q - Benyamin Netanyahou est sous le coup de mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale, notamment pour crimes de guerre. S'il venait en France, est-ce que vous le remettriez à la justice internationale ?

R - Nous avons déjà eu ce débat. La France respecte la Cour pénale internationale. Elle en est l'un des principaux financeurs. Mais elle respecte le droit international généralement. Et la justice est indépendante en France. Et donc si cette situation se produisait et que la Cour pénale internationale sollicitait l'autorité judiciaire française, c'est l'autorité judiciaire qui déciderait du sort à réserver...

Q - Mais vous, vous dites...

R - Et je ne dis rien ! Je ne me substitue pas à la justice française.

Q - J'ai une question à vous poser, même si vous ne voulez rien dire : il est toujours le bienvenu en France ou pas ?

R - Je ne me substitue pas à la justice française. La justice française, l'autorité judiciaire, devra peser les différentes obligations qui s'appliquent à elle en vertu du droit international.

Q - Il n'y aura pas d'immunité ou d'impunité automatique. C'est la justice qui décidera s'il vient en France ?

R - Il y a des immunités qui sont prévues par le droit international dans certaines situations. Il y a les mandats de l'arrêt de la Cour pénale internationale. C'est l'autorité judiciaire qui fait la part des choses.

Q - L'Allemagne va avoir un nouveau chancelier tout à l'heure, Friedrich Merz, qui sera demain à Paris pour son premier voyage sur la scène internationale. Les images, évidemment, les symboles seront forts. Mais ça ne fait pas une politique. Alors concrètement, qu'attendez-vous ? Que peut-on attendre de ce nouveau tandem franco-allemand ?

R - Eh bien que le moteur franco-allemand redémarre au quart de tour. Et c'est bien l'ambition des deux dirigeants, le Président de la République et le nouveau chancelier. C'est sur cette base-là qu'ils vont se rencontrer demain. Je rencontrerai moi-même mon homologue, le nouveau ministre des affaires étrangères allemand. Et à la fois sur les champs de coopération traditionnelle entre la France et l'Allemagne, sur des sujets sur lesquels nous avons déjà travaillé et nous voulons accélérer, mais il y a aussi des champs sur lesquels nous avons eu ces dernières années des divergences. Je pense au commerce, je pense à l'énergie, je pense à la défense.

Q - Et là, ça va être plus simple ?

R - Je pense, parce que nous avons vu, lorsque l'Allemagne a négocié son accord de coalition, qu'il y avait des ouvertures dans le sens que nous attendons, c'est-à-dire celui d'une plus grande autonomie stratégique européenne, qui n'a de sens que si la France et l'Allemagne s'accordent sur ces grands sujets. Et je pense en premier lieu à la défense. Et vous avez vu, comme moi, le virage qui est en train de prendre l'Allemagne, et que nous accueillons favorablement et que nous voulons accompagner.

Q - Emmanuel Macron et le nouveau chancelier vont-ils se rendre ensemble à Kiev en fin de semaine ? Est-ce que c'est prévu ?

R - Je ne peux pas le confirmer à cette heure et l'Élysée le confirmera le moment venu.

Q - Le confirmera. Et est-ce que le président Zelensky sera à Paris pour les commémorations du 8 mai, jeudi ?

R - Je ne peux pas vous le confirmer non plus.

Q - Mais vous le savez ou pas ?

R - Je n'ai pas cette information à cette heure.

Q - En revanche, le président syrien Ahmad al-Charaa, lui, au pouvoir depuis la chute de Bachar al-Assad, sera reçu demain par Emmanuel Macron. On est sûr-sûr qu'il est fréquentable ? On est sûr-sûr que c'est une bonne idée de le recevoir ?

R - Vous savez, on m'a posé la même question lorsque le 3 janvier dernier, quelques jours après la chute de Bachar al-Assad, je me suis rendu en Syrie. Et la réponse à votre question est la suivante. Vous savez, la sécurité des Français, elle se joue en Syrie. La lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires, la maîtrise des trafics de drogue, tout cela se joue en Syrie. Et j'ajoute à ça, bien sûr, l'avenir du Liban. Et donc, ne pas engager le dialogue avec ces autorités de transition, ce à quoi nous appellent tous les Syriens que nous avons soutenus pendant les 14 ans du régime sanguinaire de Bachar al-Assad, eh bien, ce serait être irresponsable vis-à-vis des Français, et surtout ce serait tapis rouge pour Daesh.

Q - A propos de la Russie et de l'Ukraine, une journaliste russe, critique du régime de Vladimir Poutine et qui risquait jusqu'à 10 ans de prison pour avoir dénoncé la guerre en Ukraine a réussi à quitter la Russie pour se réfugier en France. Elle s'appelle Ekaterina Barabach. Elle demande l'asile politique. La France va-t-elle le lui accorder, cet asile ?

R - Nous allons le considérer. Nous avons vocation à accueillir celles et ceux qui fuient le régime impérialiste de Vladimir Poutine, qui veut étouffer la vérité des faits, et en particulier le coût imposé par Vladimir Poutine sur son propre peuple pour lancer cette guerre d'agression russe contre l'Ukraine.

Q - Donc c'est plutôt oui ?

R - Je ne peux pas vous donner la réponse ce matin, mais nous allons considérer cette demande avec beaucoup d'attention.

Q - Beaucoup d'attention. Je voudrais qu'on se dise quelques mots de l'Algérie, Monsieur le ministre des affaires étrangères. Déjà, alors que des rumeurs inquiétantes circulent sur l'état de santé de Boualem Sansal, est-ce que vous avez des nouvelles ?

R - Il est aujourd'hui à l'hôpital. Nous suivons sa situation tant bien que mal. Mais je dois dire que la décision très violente qui a été prise par les autorités algériennes d'expulser 12 de nos agents, à laquelle nous avons répondu avec la plus grande fermeté, tout en rappelant notre ambassadeur, ne nous facilite pas la prise de contact.

Q - Il n'y a pas de retour prévu à court terme aujourd'hui ?

R - Vous savez, de manière publique, de manière discrète, par tous les canaux, et depuis des mois, nous avons appelé à un geste d'humanité en faveur de Boualem Sansal, en raison de son âge et de sa situation de santé. J'espère que les autorités algériennes, et malgré la décision très brutale qu'elles ont prise il y a quelques jours, sauront faire preuve de cette humanité.

Q - Son état de santé, de ce que vous en savez, est stable ou s'est encore dégradé ?

R - Il est pris en charge à l'hôpital. Mais vous savez, pour un homme de 80 ans qui est éloigné de ses amis, puisqu'un certain nombre sont ici en France et à Paris, c'est une situation qui est très difficile, qui est très lourde et qui mérite donc un minimum d'humanité.

Q - Vous évoquez le rappel de l'ambassadeur de France en Algérie. Il est reparti ou il est toujours à Paris ?

R - Il est toujours à Paris.

Q - Et il va y retourner ?

R - Écoutez, à ce stade, la situation est bloquée et c'est la responsabilité des autorités algériennes.

Q - Donc ce n'est pas prévu pour l'instant ?

R - À ce stade, ce n'est pas prévu.

Q - L'ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driancourt, dit dans son dernier livre qu'il faut cesser de considérer que l'Algérie fait partie de notre politique intérieure. Est-ce que c'est aussi un des problèmes dans la tension entre nos deux pays ?

R - Vous savez, Xavier Driancourt n'est plus un diplomate. Il est aujourd'hui un porte-parole de l'extrême-droite, donc il faut prendre ses déclarations avec des pincettes. Ensuite, je crois que nous avons intérêt effectivement à ne pas faire de l'Algérie un sujet de politique intérieure. Parce que lorsque nous le faisons, nous prenons le risque, d'abord de causer tort à nos compatriotes franco-algériens, français avec des origines algériennes, qui n'ont rien demandé et qui n'ont pas à faire les frais des tensions entre nos deux gouvernements. Et d'autre part, parce qu'on l'a bien vu, c'est lorsque la relation est à peu près équilibrée, lorsqu'on s'abstient de s'invectiver les uns les autres, qu'on obtient des résultats, et c'est tout ce qui doit compter en matière d'expulsion d'Algériens en situation irrégulière, de coopération en matière de renseignement, de coopération judiciaire.

Q - Ministre des affaires étrangères, est-ce que ça inclut les relations avec le Vatican, Jean-Noël Barrot ?

R - Ça en fait partie puisque nous avons une ambassadrice près le Saint-Siège.

Q - Le conclave débutera demain. La France mène-t-elle une campagne sourde et discrète pour essayer de faire élire un pape français ?

R - Non, alerte fake news !

Q - Alerte fake news ?

R - Nous sommes très attentifs à ce qui va s'ouvrir demain, c'est-à-dire le conclave, mais nous ne faisons aucune forme d'ingérence. Invitez sur votre plateau les cardinaux français, les cinq cardinaux français. Ils vous expliqueront qu'ils ne prennent aucune forme de consigne de vote.

Q - Vous, vous votez [Jean-Marc] Aveline ?

R - Pardon ?

Q - Vous votez Aveline ?

R - Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on ait un pape français, si c'est la question.

Q - Merci beaucoup Jean-Noël Barrot d'être venu sur RTL.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2025