Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec TF1 le 7 mai 2025, sur le conflit armé entre l'Inde et le Pakistan, la visite en France du nouveau président syrien, la situation à Gaza, les otages français en Iran, les relations franco-allemandes et un référendum concernant le budget.

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Média : TF1

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Q - Bonjour Jean-Noël Barrot. Commençons par cette actualité de la nuit. L'Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires qui se sont mutuellement bombardées cette nuit. Plusieurs dizaines de victimes. L'Inde dit avoir frappé des cibles terroristes. Votre réaction ce matin ?

R - Nous avons condamné avec beaucoup de force l'attentat terroriste du 22 avril qui a fait 26 victimes civiles, sauvagement assassinées en Inde. J'étais même à New York la semaine dernière pour faciliter l'adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies d'une déclaration condamnant cet attentat terroriste. Nous espérions que le Pakistan puisse lui aussi dénoncer avec beaucoup de force cet attentat. Nous comprenons l'aspiration de l'Inde à se protéger contre le fléau du terrorisme et nous appelons évidemment l'Inde comme le Pakistan à la retenue pour éviter l'escalade et évidemment à la préservation des civils.

Q - L'actualité aujourd'hui, c'est aussi la première visite en Europe du nouveau président syrien, ex-chef de guerre d'Al Qaïda, qui sera reçu à l'Élysée tout à l'heure. Marine Le Pen y voit provocation et irresponsabilité. Laurent Wauquiez, une lourde erreur. Votre réponse ?

R - Marine Le Pen n'est pas très bien placée pour parler de la Syrie, elle qui a soutenu Bachar al-Assad, le bourreau sanguinaire du peuple syrien qui, pendant 14 ans d'une répression sanglante, a tué 500.000 Syriens ou plus, a utilisé les armes chimiques contre son propre peuple, a développé des instruments de torture à l'échelle industrielle.

Q - En février, Emmanuel Macron avait dit, justement, qu'il l'inviterait à condition qu'il donne des garanties sur la sécurité du pays. En mars, 1.700 alaouites massacrés. La semaine dernière, des affrontements entre groupes armés plus ou moins proches du pouvoir en place avec des miliciens de la minorité druze on fait plus de 100 morts. Les Européens se laissent-ils berner ?

R - Ce qui est certain, c'est que nous ne faisons pas de chèque en blanc et que nous jugeons sur les actes. Et c'est dans cet esprit que je me suis moi-même rendu, dès le 3 janvier dernier, à Damas, où j'ai rencontré Ahmad al-Charaa, celui qui est devenu le président de transition de la Syrie. Nous avons demandé que ce nouveau gouvernement intérimaire puisse traiter des questions d'armes chimiques qui ont été disséminées en Syrie. Cela a été partiellement traité. Nous avons demandé aux autorités, à l'époque, d'engager un dialogue avec nos alliés fidèles dans la lutte contre le terrorisme, les Kurdes. Un dialogue a été engagé. Nous leur avons demandé également que le gouvernement puisse être un peu plus représentatif. Là encore, nous avons obtenu gain de cause.

Maintenant, si nous le faisons venir, c'est précisément pour lui demander d'aller plus loin. D'aller plus loin sur deux points en particulier. Celui que vous avez cité, la lutte contre l'impunité. Je parlais des crimes de Bachar al-Assad, mais il est tout à fait inacceptable que ceux qui ont été responsables du massacre sur la côte occidentale de la Syrie contre les communautés alaouites, comme les responsables des massacres contre les Druzes il y a quelques jours, en tout cas des violences confessionnelles contre les Druzes, soient traduits devant la justice et soient punis pour les faits qui leur sont reprochés. Et puis la deuxième chose, c'est d'afficher une détermination sans faille à se battre avec nous, comme nous le faisons depuis dix ans, contre le terrorisme de Daech. Et si nous engageons ce dialogue exigeant avec l'autorité syrienne de transition, c'est parce que si aujourd'hui la Syrie s'effondrait, si elle se fragmentait, ce serait tapis rouge pour Daech.

Q - Sur la situation à Gaza, "situation intenable", dit la chef de la diplomatie européenne hier. Emmanuel Macron le disait déjà il y a un mois, lors d'un déplacement pas loin de la bande de Gaza, et appelait Israël à laisser passer l'aide humanitaire sous blocus total, on le rappelle, depuis le 2 mars. Dans le plan de conquête présenté par Israël, l'aide serait confiée à des sociétés privées depuis Rafah. La situation reste au point mort et avez-vous le sentiment aussi qu'il y a une impuissance totale de la diplomatie française et européenne sur cette question en particulier ?

R - Vous savez, si tous les pays du monde tenaient les mêmes positions que la France, peut-être n'en serions-nous pas là. Ce qui est certain, c'est que ça fait deux mois et cinq jours maintenant qu'aucune aide humanitaire n'est entrée à Gaza. Et qu'effectivement, la situation est dramatique. Les Gazaouis sont affamés, ils sont assoiffés. C'est la raison pour laquelle nous continuons d'appeler inlassablement au cessez-le-feu immédiat, à l'entrée sans entrave et sans délai de l'aide humanitaire et à la libération, bien sûr, de tous les otages du Hamas, qui doit être désarmé. Vous évoquez la question de services privés pour dispenser l'aide humanitaire. Nous y sommes opposés, parce que c'est un principe qui serait contraire au droit international à l'accès inconditionnel de l'aide humanitaire à toutes celles et ceux qui en ont besoin. Et ils sont nombreux aujourd'hui à Gaza.

Q - Vous le disiez, sur cette situation justement dramatique, des mois que l'Élysée affirme que Paris reconnaîtra l'État palestinien quand ce sera utile. Alors on sait qu'il en sera question le mois prochain aux États-Unis avec les Saoudiens. Mais franchement, ce n'est pas déjà trop tard, en réalité ?

R - Je crois que cette disposition marquée par le Président de la République de la France à reconnaître l'État de Palestine une fois les conditions réunies a redonné de l'espoir. J'ai pu le mesurer lorsque j'étais il y a quelques jours dans la région. J'ai pu le mesurer auprès d'autres pays européens qui eux aussi se posent la même question. Nous voulons que cette reconnaissance ne soit pas un symbole, qu'elle ne soit pas un geste, mais qu'elle permette très concrètement de cranter les conditions nécessaires à l'existence même d'un Etat de Palestine. Et c'est ce sur quoi nous travaillons. Nous travaillons d'abord à associer d'autres pays à notre décision, mais aussi à amener d'autres pays, arabes ou musulmans, qui aujourd'hui n'ont pas de relation avec Israël, à le faire. Et puis nous voulons que le Hamas puisse être désarmé et que l'Autorité palestinienne puisse être profondément réformée. Oui, ça avance, parce que lorsque la France prend une position... La France, qui a une histoire singulière dans cette région, qui est membre permanent du Conseil de sécurité, lorsqu'elle affirme sa volonté, elle crée une dynamique. Et c'est ainsi que nous avons vu beaucoup de pays, des pays qui n'ont pas de relation aujourd'hui avec Israël, des pays qui n'ont pas encore de relation avec l'Autorité palestinienne ou qui n'ont pas reconnu l'État de Palestine, se sont tournés vers nous pour exprimer leur volonté de travailler activement, faire de cette conférence de juin un succès.

Q - Autre sujet très important aujourd'hui : cela fait trois ans que l'Iran retient les Français Cécile Kohler et Jacques Paris, accusés d'espionnage. Leurs proches les disent désormais désespérés. Quelles sont les nouvelles dont vous disposez ce matin ?

R - Vous savez, après trois ans dans des geôles iraniennes où on est détenu dans des conditions qui sont assimilables à de la torture, il y a des raisons de désespérer. Et c'est pourquoi trois ans après leur prise en otage par le régime iranien, nous avons décidé de durcir notre position. Nous avons proposé des sanctions qui ont été adoptées à l'encontre des magistrats qui sont responsables de cette politique d'otage d'État, parce que Cécile Kohler et Jacques Paris ne sont pas les premiers de nos compatriotes à faire les frais de cette politique. Et puis je déposerai plainte très prochainement devant la Cour internationale de justice pour violation par l'Iran de ses obligations au titre de la protection consulaire. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que non seulement nos deux compatriotes sont détenus dans des conditions indignes, dormant à même le sol, privés de contact avec leurs proches à quelques exceptions ; mais en plus, l'Iran ne reconnaît pas notre capacité, celle de nos diplomates, de nos agents consulaires sur place, à leur rendre visite régulièrement pour s'assurer qu'ils vont bien et qu'ils n'ont besoin de rien.

Q - Jean-Noël Barrot, tout à l'heure, le chancelier élu dans la douleur hier rendra visite à Emmanuel Macron. C'est sa première visite d'État. Est-ce qu'aujourd'hui, vous dites avec Merz, ce sera plus facile qu'avec Scholz ? On sait que les relations étaient frileuses...

R - En tout cas, il y a une volonté des deux côtés de redémarrer le moteur franco-allemand au quart de tour et d'avancer très vite à un moment où l'Europe est à la croisée des chemins. Ça sera l'objet des discussions d'aujourd'hui, mais des discussions ont déjà eu lieu ces derniers mois entre le Président de la République et le chancelier allemand. Ça sera surtout l'occasion de montrer l'importance de ce couple ou de ce tandem franco-allemand, puisque le premier déplacement international, tout naturellement, du nouveau chancelier, aura été consacré à la France et à Paris.

Q - Revenons en France avec cette proposition de référendum du Premier ministre pour trouver une solution à ce cauchemar budgétaire qui s'annonce, et ce sont les mots de certains membres du Gouvernement, en cette période d'instabilité politique. D'abord, est-ce que c'est périlleux ? Et enfin, que fait le Gouvernement, déjà si fragile, si les Français répondent non à la question qui leur sera posée ?

R - Vous savez, ce n'est jamais une mauvaise idée que d'interroger les Français. Et notamment lorsque nous sommes face à des menaces - la guerre sur le continent européen, la planète qui est en ébullition, le risque de décrochage économique et technologique -, et lorsque nous sommes face à un Himalaya budgétaire qui demande à ce que des efforts considérables puissent être consentis. C'est pourquoi je pense que consulter les Français par la voie du référendum, mais même plus généralement et plus souvent sur ces questions, est indispensable si nous voulons que les Français puissent s'approprier les efforts que nous allons devoir faire.

Q - Et s'ils disent non ? S'ils refusent les solutions que vous leur proposez ?

R - Si nous partons en campagne pour un référendum, nous n'allons pas partir défait, nous n'allons pas partir perdant. Nous allons proposer aux Français les moyens de garantir que la France conservera son rang, que nous pourrons préserver ce que nous sommes dans un monde qui est devenu beaucoup plus dur et beaucoup plus brutal. Mais ça suppose des efforts, parce que se reposer... ou être libre, il va nous falloir choisir.

Q - Une dernière question. Le conclave. La France a-t-elle agi, et Emmanuel Macron, pour essayer de faire élire un pape qu'il aurait lui-même désigné ? C'est ce que dit la presse italienne.

R - C'est une fake news. Je ne suis pas cardinal. Je n'ai pas le droit de vote. Et je ne m'immisce pas dans les décisions des cardinaux. Cependant, évidemment, si le collège des cardinaux devait élire un pape français, je n'y verrais aucun inconvénient.

Q - J'ai une toute dernière chose à vous demander. Vous avez évoqué l'appel à la retenue entre l'Inde et le Pakistan. Mais les choses s'aggravent de minute en minute. L'armée pakistanaise dit à l'instant avoir abattu cinq avions indiens dans l'espace aérien indien, dont trois Rafale français. C'est une information qui vient de nous parvenir. Est-ce que l'escalade vous inquiète ?

R - Je suis très préoccupé par la situation. Il s'agit de deux grandes puissances militaires. C'est pourquoi nous appelons à la retenue. J'ai eu mon collègue indien la semaine dernière. Je l'aurai dans les prochaines heures, aujourd'hui ou demain. Et il en ira de même avec mon collègue du Pakistan pour faire ma part du travail collectif. Je crois que personne n'a intérêt, personne, à une confrontation durable entre l'Inde et le Pakistan.

Q - Merci beaucoup, Jean-Noël Barrot.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2025