Entretien de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, avec RTL le 9 mai 2025, sur le nouveau pape, sur le défilé militaire du 9 mai à Moscou, le traité avec la Pologne, le parapluie nucléaire, le conflit en Ukraine et les tensions commerciales avec les États-Unis.

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Q - Et tout de suite, c'est l'invité d' "RTL Matin". Thomas, vous recevez aujourd'hui Benjamin Haddad, le ministre délégué chargé de l'Europe.

Q - Bonjour et bienvenue sur RTL, Benjamin Haddad.

R - Bonjour.

Q - Habemus Papam, le nouveau pape a été élu hier en fin de journée. C'est donc un Américain, l'Américain Robert Francis Prevost, devenu Léon XIV. "Le mal ne gagnera pas, nous devons être unis", a-t-il dit. Est-ce qu'il peut devenir un allié diplomatique dans ce monde tendu et compliqué, le pape ? Est-ce que vous le souhaitez ?

R - Je crois qu'il aura un rôle fondamental à jouer, dans ce moment de guerre, de tensions géopolitiques. D'être une voix pour l'espérance, pour l'universalisme, pour la paix. Vous savez, c'est intéressant de parler de ça le 9 mai, parce que les fondateurs...

Q - Les fondateurs de l'Europe.

R - Journée de l'Europe, 75 ans de la déclaration Schumann, la déclaration du ministre des affaires étrangères Robert Schumann dans le salon de l'horloge du Quai d'Orsay pour créer la Communauté du charbon et de l'acier, l'ancêtre de l'Union européenne. Les pères fondateurs de l'Union européenne, on l'oublie parfois, Robert Schumann, Adenauer, De Gasperi étaient profondément imprégnés de pensées catholiques, de démocratie chrétienne, et d'ailleurs inspirés aussi de l'encyclique Rerum novarum sur la justice sociale de Léon XIII, dont manifestement s'inspire le nouveau pape. À l'époque, la démocratie chrétienne était aussi vue comme une forme de troisième voie entre les nationalismes de la Seconde Guerre mondiale, entre le communisme aussi sur le continent européen, et donc un facteur de réconciliation pour mettre la dignité humaine, la paix au coeur de notre continent.

Q - Ça c'est la vision optimiste, sauf que ce 9 mai, c'est aussi un jour de grand défilé pour les Russes, qui officiellement célèbrent les 80 ans de la capitulation de l'Allemagne nazie, mais qui, là, aujourd'hui, vont surtout célébrer la guerre en Ukraine, leur guerre en Ukraine, visiblement, avec Xi Jinping, le président chinois, qui sera aux côtés de Vladimir Poutine. Est-ce que c'est un problème, cette présence de Xi Jinping ? Est-ce que la Russie vous fait peur, aujourd'hui ?

R - Vous savez ce que ça démontre, et d'une certaine façon, c'est ce qu'on a déjà vu dans cette guerre depuis trois ans, avec les missiles iraniens qui sont utilisés par la Russie, les troupes nord-coréennes sur notre continent face à l'Ukraine...

Q - Il y aura des soldats chinois qui vont défiler à Moscou aujourd'hui.

R - ..., c'est que, vous savez, cette guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, ce n'est pas, contrairement à ce que parfois certains ont pu dire, un conflit territorial, local, juste une affaire de quelques régions en Ukraine. Il y a une dimension profondément européenne et globale. Et nos adversaires, comme la Russie...

Q - Adversaire, la Russie ? Ennemie ? c'est quoi aujourd'hui la Russie pour la France, pour l'Europe ?

R - La Russie, c'est une menace. C'est une menace pour l'Europe, c'est une menace pour la France. C'est un pays...

Q - Vous diriez que c'est une ennemie ?

R - C'est un pays qui nous a désigné comme ennemi, qui a désigné l'Europe comme son ennemi. Il ne faut pas être naïf. Quand ils s'ingèrent dans nos processus électoraux comme on l'a vu en France, comme on l'a vu en Roumanie, comme on l'a vu en Moldavie ou encore en Pologne récemment avec une attaque cyber dans la campagne, comme quand il menace directement les frontières issues de la fin de la guerre froide et la souveraineté des États européens, quand il lance des attaques cyber contre nos infrastructures, contre nos hôpitaux par exemple, on voit la menace directe que ça peut représenter. Donc à travers l'Ukraine, c'est bien sûr la sécurité de l'Europe qui est concernée. C'est pour cela que nous nous battons non seulement pour soutenir les Ukrainiens avec le soutien militaire, avec les sanctions contre la Russie, que nous nous battons aujourd'hui avec les Américains et nos partenaires pour trouver les voies de la diplomatie, d'une paix juste et durable en Ukraine. Mais force est de constater qu'alors que les Ukrainiens ont dit depuis des mois qu'ils étaient prêts à des trêves inconditionnelles, à des concessions, des compromis aussi, aujourd'hui c'est la Russie qui continue quotidiennement de bombarder l'Ukraine.

Q - Vous évoquez les ingérences russes qui touchent notamment la Pologne. Tout à l'heure, vous serez aux côtés d'Emmanuel Macron à Nancy, où vous avez rendez-vous justement avec le Premier ministre polonais Donald Tusk pour signer un traité bilatéral entre la France et la Pologne. La Pologne qui, rappelons-le, a une frontière commune avec l'Ukraine. Ce traité, c'est quoi ? C'est une façon de dire à Vladimir Poutine "ne t'approche pas, ne t'avise pas de venir par ici" ? Ça veut dire ça ?

R - Ce traité, c'est une avancée majeure dans la relation entre la France et la Pologne. C'est ce qui nous permettra d'approfondir nos liens sur le plan institutionnel et politique, sur le plan économique, de la défense des infrastructures, avec un pays qui, vous l'avez dit, est en première ligne face à la menace de la Russie, qui est un acteur majeur de l'Europe aujourd'hui, en forte croissance.

Q - Ce traité, il est lié directement à la menace russe ?

R - Il est lié directement. Bien sûr, il y a un contexte géopolitique et la menace de la Russie, mais plus profondément, au fait que nous avons là un partenaire qui, pendant trop longtemps, si on se dit les choses, on a un peu négligé. On avait, je crois, raté le tournant de l'élargissement européen il y a 25 ans avec des pays comme la Pologne, comme les États baltes qui sont aujourd'hui, vraiment encore une fois, des moteurs de la construction européenne. On a corrigé ça dès le premier mandat d'Emmanuel Macron, c'est le premier Président à avoir fait le tour des 27 ou des 26 autres pays européens. Et là, on a vraiment, je crois, un partenaire avec qui, en réalité, on a des liens historiques, la Pologne, et on a beaucoup de choses à faire ensemble. Tout ça s'inscrit évidemment dans une semaine européenne très riche. Le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz, a fait son premier déplacement aussi en France, là aussi pour relancer ce couple franco-allemand sur les questions de compétitivité...

Q - Oui, parce que, Benjamin Haddad, on pourrait penser et croire que l'Europe est plus forte et plus unie que jamais. Sauf qu'on parlait du défilé au Kremlin tout à l'heure à Moscou, il y aura le Premier ministre slovaque Robert Fico qui sera là-bas. Est-ce que ça, c'est une faute de sa part ? Est-ce que c'est un défaut de loyauté pour un Premier ministre européen de l'Union européenne d'aller parader en plein coeur de Moscou aujourd'hui ?

R - Je crois que ce n'est pas la place aujourd'hui d'un dirigeant européen d'être à Moscou dans ce déplacement. Mais encore une fois, je veux voir ce moment qui est quand même un moment d'unité et de force des Européens...

Q - Est-ce qu'il faut sanctionner Robert Fico ? Est-ce que l'Union européenne doit dire : "Non, ta place n'est pas là-bas, tu es dans les 27, tu ne dois pas les parader avec Vladimir Poutine" ?

R - Non mais sanctionner, vous savez, chaque État après est souverain et en particulier sur les questions de politique étrangère et de défense, vous savez que c'est des sujets qui se prennent à l'unanimité et on a su ces trois dernières années, même avec la Slovaquie ou la Hongrie, on a su renouveler tous les 6 mois les sanctions, on a su continuer notre soutien à l'Ukraine et maintenir un dialogue permanent avec tous les membres de l'Union européenne. Mais moi je voudrais quand même revenir sur ce qui s'est passé cette semaine, qui a été aussi une semaine de succès diplomatiques .et européens pour notre pays, on peut en être fierd, avec le chancelier Merz qui se rend à Paris. Et là on a vraiment, je crois, une ambition très haute pour relancer la compétitivité de l'Union européenne, simplifier nos textes, investir dans la croissance pour avoir une ambition forte aussi sur la défense, pour défendre nos frontières face à l'immigration illégale, pour...

Q - Justement, il faut que l'Allemagne puisse bénéficier du parapluie nucléaire, autrement dit de la protection des deux puissances nucléaires françaises et anglaises. Qu'est-ce que vous lui répondez ? C'est ok, c'est bon, on va le faire ?

R - Mais vous savez, ce qui est très intéressant dans ce débat, qui relève des prérogatives du Président de la République, c'est que les thèmes qu'on porte depuis 2017, la nécessité pour les Européens de se prendre en main, d'investir dans leur autonomie stratégique, de ne plus être dépendant des autres, en particulier des Américains sur le plan militaire, à un moment, on était un peu seuls à le dire. Et aujourd'hui, vous avez un nouveau chancelier allemand qui, le lendemain de son élection, dit : "L'Europe doit être plus indépendante, et on doit être capable d'investir collectivement dans notre défense, d'avoir une vraie industrie de défense européenne."

Q - Donc c'est oui, pour le parapluie nucléaire ?

R - Encore une fois, ça c'est des sujets que vous pourrez voir directement avec le Président de la République, mais nous on a dit depuis des années qu'on était prêts à avoir ce débat avec nos partenaires allemands. Qu'il y avait bien sûr une dimension européenne dans les intérêts vitaux de la France. Le Président l'avait dit, Jacques Chirac déjà l'avait dit à l'époque. Ce n'était pas un débat nouveau. Aujourd'hui, ce qu'on constate, c'est qu'on a, et moi je le vois dans mes échanges avec mes homologues européens, de plus en plus d'Européens qui nous disent que l'Europe doit être plus souveraine, doit être plus autonome, doit investir dans sa défense, doit investir dans sa compétitivité. Au fond, doit s'affirmer comme puissance entre les é Etats-Unis et la Chine et ne pas laisser les autres écrire notre histoire à notre place.

Q - Vous nous parliez du nouveau chancelier allemand Friedrich Merz. Vous nous confirmez que vous serez avec Emmanuel Macron et lui à Kiev demain ?

R - Je n'ai pas de commentaire à faire là-dessus. Vous savez que nous sommes toujours aux côtés des Ukrainiens. Nous le sommes depuis le début de l'agression de la Russie contre l'Ukraine le 24 février 2022. Et nous continuerons à nous battre. Parce qu'encore une fois, c'est notre sécurité qui est en jeu. C'est pour ça qu'on se mobilise dans la diplomatie avec les Ukrainiens. C'est pour ça qu'on se mobilise dans la pression qui est mise sur la Russie, pour trouver une fois de plus les voies d'une paix juste et durable.

Q - Benjamin Haddad, ce n'est pas ma question. Vous allez à Kiev ce week-end ou pas ?

R - Je vous ai répondu.

Q - C'est secret ?

R - Je vous ai répondu.

Q - C'est quoi, c'est raison de sécurité ?

R - Encore une fois, je vous dis, nous continuerons à être mobilisés aux côtés des Ukrainiens.

Q - Bon, on verra donc demain que vous irez à Kiev avec Emmanuel Macron et le chancelier allemand. Quelques mots pour finir sur la guerre commerciale que nous mènent les Américains, les droits de douane avec Donald Trump. Est-ce que vous nous confirmez pour le coup que l'Union européenne va taxer durement les produits américains ? On parle de 95 milliards ce matin dans la presse.

R - Alors, sur ce sujet, notre position est très claire. Déjà, les droits de douane américains sont inacceptables, injustifiés, et surtout, ils n'ont aucune base sur la relation commerciale entre les États-Unis et l'Europe. Les Américains disent : "On a un déficit commercial sur les biens", mais la vérité, c'est que nous, on est importateurs, consommateurs de services, notamment de services numériques américains. La Commission européenne mène en ce moment une négociation avec les Américains pour aboutir à une désescalade avec les États-Unis, pour reprendre une relation commerciale normale. Nous avons des outils aussi de réponse. Donc il y avait eu une suspension de 90 jours, vous le savez, par l'administration américaine. Et donc on utilise cette fenêtre aussi pour négocier. Mais nous avons les moyens de répondre, à la fois...

Q - Non mais là, ces 95 milliards, c'est vrai ?

R - Alors un paquet... Ça fait partie effectivement des options qui sont en train d'être discutées.

Q - Et à partir de quand ça sera fait ?

R - Je vous ai dit, il y a cette fenêtre de 90 jours pour pouvoir négocier une désescalade. Pour vous répondre, il y a à la fois un paquet sur les biens, qui sera aussi d'ailleurs une réponse au tarif, vous savez, de 25% sur l'acier et l'aluminium de la part des États-Unis. Et après, on a d'autres instruments. On a deux instruments qu'on a développés ces dernières années précisément pour pouvoir défendre nos intérêts collectifs et assumer un rapport de force. La présidente de la Commission européenne, vous le savez, avait évoqué par exemple l'utilisation de ce qu'on appelle l'instrument anti-coercition, qui permettrait de taxer les services numériques. Donc nous, on ne souhaite pas une escalade, on souhaite revenir à une situation normale, mais on a les instruments pour se défendre.

Q - C'est le rapport de force qui se joue.

R - Exactement, c'est une négociation appuyée sur un rapport de force et la diplomatie.

Q - Merci beaucoup Benjamin Haddad d'être venu ce matin. Vous êtes dispo pour déjeuner demain à Paris ou pas ?

R - Avec plaisir.

Q - Demain samedi ?

R - Demain samedi, mais enfin bon, vous pouvez me laisser mon week-end.

Q - Merci beaucoup à vous, et dans un instant, c'est Philippe Caverivière qui nous rejoint.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 2025