Interview de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice, à RTL le 23 mai 2025, sur son idée de supprimer l'argent liquide pour contrer le trafic de drogue, les téléphones portables en prison, les enquêtes de corruption concernant les surveillants pénitentiaires, la location à l'étranger de cellules et les Frères musulmans.

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Média : RTL

Texte intégral

OLIVIER BOY
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

OLIVIER BOY
On va parler d'abord de cette idée que vous avez émise hier devant les sénateurs : supprimer l'argent liquide pour contrer le trafic de drogue. Est-ce que c'est vraiment une solution réaliste et possible ?

GERALD DARMANIN
J'ai répondu à la question de la commission d'enquête qui consiste à demander " qu'est-ce qu'il faudrait faire pour qu'il n'y ait plus de drogue et de manière générale de délinquance financière autour de la criminalité organisée ? " Et l'une des réponses - ce n'est pas la seule - c'est qu'effectivement l'argent liquide, on évalue entre 4 et 6 milliards d'euros par exemple d'argent liquide, de trafic de drogue chaque année en France. On n'en saisit que quelques millions d'euros et encore. L'une des réponses c'est la diminution très forte voire la suppression de l'argent liquide pour avoir une traçabilité. Des pays l'ont fait. Il y a des pays autour de nous, il y a des pays au Moyen-Orient, en Asie, où il n'y a quasiment plus d'argent liquide, où tout se passe par la traçabilité de votre téléphone, de votre carte bleue.

OLIVIER BOY
Et donc vous allez le faire ?

GERALD DARMANIN
Non, parce que je pense que d'abord on n'en a pas les moyens politiques. Ensuite il y a une longue discussion évidemment à avoir avec les Français. L'argent liquide pose d'autres avantages. Les avantages d'une liberté individuelle où l'État, en effet, ne regarde pas tout à tout moment. Mais si on veut, c'est la question…

OLIVIER BOY
Donc vous nous dites " c'est une bonne idée mais on ne va pas le faire " ?

GERALD DARMANIN
Non, je vous ai dit que là maintenant… Pour réussir, quand on est ministre, il faut du temps, un parlement et de l'argent. Moi je n'ai rien de tout ça. On a un parlement qui est facétieux, qui n'a pas de majorité. On a peu de temps et c'est un débat public qu'il faut sans doute poser dans une campagne présidentielle par exemple. Et puis évidemment, il faut pouvoir donner des moyens aux personnes âgées, aux petits commerces, de fonctionner. Donc je suis aussi réaliste. Je répondais très franchement à la question posée par les sénateurs. L'argent liquide - il faut aussi le dire aux Français - bien sûr, c'est une liberté individuelle très forte. C'est ce qui permet une grande partie du fonctionnement, de la criminalité organisée, de la prostitution, du trafic d'êtres humains.

OLIVIER BOY
Justement, restreindre une liberté des Français qui aiment payer en liquide. D'ailleurs on reçoit beaucoup de messages aux 64 900 d'auditeurs de RTL qui nous disent : " Qu'est-ce que c'est que cette idée étonnante ? " Restreindre une liberté parce qu'on n'a pas réussi à faire différemment pour lutter contre le narcotrafic, est-ce que ce n'est pas un aveu d'échec ? On ne s'attaque pas au fond du problème.

GERALD DARMANIN
Bien sûr que si, on s'attaque au fond du problème. Le fond du problème c'est l'argent. Vous savez les trafiquants de drogue, ils ne travaillent pas chez RENAULT et ils ne croient pas en leur modèle économique, en leurs produits et ils sont fiers de le faire. Non, ils trafiquent ce qui rapporte beaucoup d'argent. Et aujourd'hui, ce qui rapporte beaucoup d'argent, c'est la drogue. Cet argent liquide, c'est le nerf de la guerre, c'est le produit du produit, c'est pour ça…

OLIVIER BOY
Ils vont faire payer par carte. Il y a plein de manières de faire payer par carte sur son téléphone.

GERALD DARMANIN
Oui, d'abord, ce n'est quand même pas la majorité du genre et deuxièmement, ça permet la traçabilité. L'une des difficultés de la délinquance financière, de la délinquance de criminalité organisée, c'est que nous n'arrivons pas à retracer les flux d'argent. D'autres pays ont supprimé ou quasiment supprimé l'argent liquide. Il y a un deuxième point qui est très important pour lutter contre la drogue ou la criminalité organisée, c'est la reconnaissance faciale. Moi, je suis favorable à la reconnaissance faciale dans l'espace public, dans les aéroports. La France, l'opinion publique, est à la fois contre la suppression de l'argent liquide et contre la reconnaissance faciale. Mais en même temps, elle veut que le ministère de l'Intérieur, les policiers, les gendarmes arrêtent la drogue. Bon, il y a peut-être un peu, chez nous, le paradoxe.

OLIVIER BOY
Il faut plus de caméras pour faire la reconnaissance faciale.

GERALD DARMANIN
Oui, il faut des caméras intelligentes qui reconnaissent les personnes. Lorsque quelqu'un est recherché par un service de police, dans beaucoup de pays autour de nous, on retrouve très rapidement cette personne. Il y a vingt ans, on disait beaucoup de mal des caméras de vidéosurveillance. Maintenant, je crois qu'il n'y a plus grand monde qui les conteste. Vous verrez que dans cinq ou dix ans, on fera la reconnaissance faciale. Aujourd'hui, l'opinion publique ne semble pas prête, mais moi, mon langage de vérité, c'est de dire qu'il faudrait supprimer une grande partie de l'argent liquide et mettre en place la reconnaissance faciale si on veut vraiment lutter contre l'insécurité et contre la drogue.

OLIVIER BOY
Langage de vérité, est-ce que les prisons sont des passoires ? La question se pose, puisqu'il y a cette opération cette semaine qui s'appelle " Prison Break " : 66 prisons fouillées, 200 détenus entendus, 164 téléphones portables saisis. Et on découvre ces petits téléphones portables, format miniature, indétectables, qui sont absolument partout et qui servent, la justice le dit, essentiellement à gérer le business dans sa cellule.

GERALD DARMANIN
Oui, bien sûr.

OLIVIER BOY
La prison est une passoire aujourd'hui en France ?

GERALD DARMANIN
Une grande partie de la prison française permet effectivement aux délinquants de continuer leur trafic, de commander des assassinats, de menacer des agents pénitentiaires, des magistrats, des policiers, des journalistes, des avocats. Bien sûr, c'est ce que j'ai dit dès que je suis arrivé, Place Vendôme. Et c'est pour ça que je mets en place des prisons de haute sécurité, des régimes carcéraux extrêmement difficiles. Et nous mettons en place, vous l'avez vu, des opérations de " place nette " en prison pour retirer ce qui semble être, en effet, les moyens de communication extérieure qui rentrent par la corruption, qui rentrent par la menace, qui rentrent par les drones, qui rentrent par les parloirs, qui rentrent, vous l'avez compris, vous l'avez dit vous-même, mais désormais avec des recherches et développement. Ce n'est pas des iPhones qu'on retrouve en prison, ce sont des petits téléphones de quelques centimètres qui rentrent par les voies naturelles et qui, malheureusement, permettent de faire le trafic de sa prison. Monsieur AMRA s'est évadé de sa prison. Une partie des points de deal de Marseille sont gérés de la prison.

OLIVIER BOY
Monsieur AMRA avait une chicha dans sa cellule, en plus de gérer son trafic à distance. La chicha n'est pas rentrée, planquée sous un manteau. Est-ce qu'il y a un problème de corruption dans les prisons françaises ? Vous avez cité le mot exact, vous ne le développez pas souvent. Est-ce qu'il y a un problème de corruption ? Vous le voyez dans les sites ?

GERALD DARMANIN
Oui, il y a un problème de corruption et de menace, parce qu'on peut vouloir pactiser avec des délinquants pour de l'argent, on peut aussi le faire parce qu'on est menacé. Jusqu'à présent, par exemple, les agents pénitentiaires n'étaient pas anonymisés, c'est-à-dire que quand ils fouillaient une prison et qu'ils trouvaient un téléphone, ils devaient mettre leur nom, leur prénom, donner le petit papier aux détenus, aux criminels, pour dire : " voilà, j'ai saisi votre téléphone, si vous voulez faire un recours, voici le petit papier " le procès-verbal, comme quand un policier vous verbalise dans la rue ; c'est totalement délirant. L'agent pénitentiaire qui est payé 2 000-2 500 euros, il ne va pas risquer sa vie quand il va trouver un téléphone portable dans la cellule d'un grand criminel, parce que l'administration était assez bête pour ne pas le protéger.

OLIVIER BOY
Donc c'est plus qu'il a peur que corrompu ?

GERALD DARMANIN
Dans la loi, je viens de donner l'anonymisation pour tous les agents. Donc, il y a de la corruption, il y a de la menace, et puis après, il y a d'autres sujets qui sont importants. C'est aussi une forme de laxisme qu'il y avait jusqu'à présent dans le domaine pénitentiaire. Alors, je suis très critiqué sur les prisons de haute sécurité, mais le Conseil d'État, malheureusement, ne m'a pas suivi totalement sur l'interdiction des activités. Alors, il a accepté provocante, il n'a pas accepté ludique. J'interdis des sorties, j'interdis des téléphones, j'interdis un système qui, pour ma part, je trouve choquant, il y a les massages, demain, en effet, le fonctionnement, comme vous l'évoquez parfois dans les cellules des détenus, je pense qu'il est nécessaire de remettre de la fermeté dans les prisons.

OLIVIER BOY
Est-ce qu'il y a des procédures en cours sur des enquêtes de corruption concernant les surveillants pénitentiaires ?

GERALD DARMANIN
Oui, mais comme il y en a sur les agents des services qui font la nourriture dans les établissements pénitentiaires ou ceux qui apportent des cartons, parce que c'est une prison, malheureusement...

OLIVIER BOY
Combien d'enquêtes en cours, par exemple ? Vous pouvez essayer de nous dimensionner le phénomène de corruption dans les prisons françaises ?

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui, non, il y a une trentaine sur 45 000 d'agents pénitentiaires. Il y a une trentaine d'enquêtes qui touchent à la fois les agents pénitentiaires ou des greffiers, par exemple, ou des personnes administratives qui donnent des informations, mais comme il y en a chez les policiers ou des gendarmes qui, parfois, consultent des fichiers qu'ils n'auraient pas consultés et le donnent à des investigations criminelles, bien sûr.

OLIVIER BOY
Le problème aussi, c'est que les prisons sont débordées. Vous avez mis vous-même l'idée qu'on puisse louer des places de prison à l'étranger. Emmanuel MACRON a dit que c'était une bonne idée. Alors là, concrètement, pour le coup, ça en est où, ce processus ? Il y a des pays choisis ? Vous avez déjà des procédures en cours ?

GERALD DARMANIN
Alors, pour ma part, c'est une proposition du Président de la République que nous étudions. J'ai proposé de construire très vite des prisons différemment, donc c'est-à-dire des modulaires. C'est ce que nous faisons. La première prison A3, dans un an et trois mois, va être construite de façon extrêmement différente des autres prisons, beaucoup plus rapidement, et on n'y mettra pas là des grands criminels, on y mettra des délinquants de droit commun. Il y a un deuxième sujet qui est d'expulser des délinquants étrangers qui sont dans nos prisons. Il y a 25% d'étrangers dans nos prisons. Si on devait expulser ne serait-ce que 20% des 25%, on aurait beaucoup moins de surpopulation carcérale. Et le Président de la République avait mis l'idée à la télévision de louer à l'étranger des cellules. On pourrait imaginer en Allemagne où il n'y a pas de surpopulation carcérale, par exemple. Et nous avons pris contact dès l'annonce du Président de la République avec les pays voisins.

OLIVIER BOY
Et ils sont d'accord, les Allemands ?

GERALD DARMANIN
On discute avec eux. Évidemment, c'est une histoire de sous, parce que ça coûte cher d'avoir un détenu… Une place de prison, ça coûte 400 000 euros. Et puis, le fonctionnement des prisons en général en France, c'est 4 milliards pour l'ensemble des 82 000 détenus. Donc ça coûte cher d'avoir des détenus. Donc évidemment, nous discutons, y compris gros sous. Enfin, le Président, il a fait une annonce il y a quelques jours ; laissez-moi le temps d'y travailler. Mais en Brésil, par exemple, où je suis allé, puis en Guyane, il y a à peu près 200 Brésiliens dans les factions brésiliennes en Guyane. La première des choses, c'est de renvoyer au Brésil les plus dangereux des criminels brésiliens qui viennent terroriser la Guyane. C'est ce que nous faisons en ce moment avec le ministre de la Défense.

OLIVIER BOY
Et ça pourrait commencer quand, le premier détenu français transféré dans des prisons…

GERALD DARMANIN
Je l'espère très rapidement. Ça fait deux fois que je vois mon homologue brésilien. Il revient avec le Président LULA à Paris dans un mois. Donc j'espère que d'ici cet été, les choses seront faites. Mais aujourd'hui, on doit par exemple demander l'avis du détenu. Alors, les prisons françaises, c'est sûr qu'elles sont parfois indignes, elles ne sont pas terribles. Mais aucun détenu étranger ne préfère terminer ses peines dans sa prison d'origine. C'est bien que nous sommes un grand pays démocratique à l'écoute des droits de la défense et c'est tout à fait normal. Il faut faire sauter ce verrou de demander l'avis du détenu. C'est ce que je fais avec le Maroc et c'est ce que je fais avec le Brésil.

OLIVIER BOY
Une dernière question, Gérald DARMANIN. Entre la puissance et la menace des narcotrafiquants et celle des Frères musulmans dont on a beaucoup parlé cette semaine, qu'est-ce qui est le plus dangereux aujourd'hui en France, franchement ?

GERALD DARMANIN
Les deux. Je pense que d'abord, le narcobanditisme, c'est bien qu'on en parle plus. Ça tue beaucoup aujourd'hui dans les rues de France. C'est une grande menace du monde. Le fentanyl, c'est la première cause de mortalité des Américains. C'est une drogue de synthèse qui tue beaucoup de gens.

OLIVIER BOY
On a joué à se faire peur un peu avec les Frères musulmans cette semaine. La menace n'est pas telle que ça. Qu'est-ce vous nous dites ?

GERALD DARMANIN
Votre question montre d'ailleurs à quel point il faut continuer à en parler. C'est-à-dire que les Frères musulmans, c'est une vraie menace d'islam politique insidieuse qui ne veut pas commettre des attentats. Ce sont des courants beaucoup plus radicaux dans l'islam politique. Ils veulent imposer la loi islamique. Vous savez, des pays arabes comme l'Arabie saoudite, la Jordanie, les Émirats arabes unis, l'Égypte, l'ont interdit. Il faut qu'on se pose cette question. Il faut caractériser la menace et qu'on se pose la question en effet de nous séparer profondément des Frères musulmans.

OLIVIER BOY
Merci beaucoup Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Je vous en prie.

AMANDINE BEGOT
Monsieur le ministre, on a une question d'auditeur au 64 900. " Trafic de drogue et autorisation de la reconnaissance faciale ? ne seraient-ce pas un bon sujet de référendum ? "

GERALD DARMANIN
Il faudrait que ça rentre dans l'article 11 de la Constitution. De manière générale, je trouve que consulter le peuple, c'est toujours une bonne chose.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 mai 2025