Texte intégral
SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Philippe BAPTISTE.
PHILIPPE BAPTISTE
Bonjour.
JÉRÔME CHAPUIS
Bonjour.
SALHIA BRAKHLIA
Près d'un million de candidats Parcoursup retiennent leur souffle ce matin. C'est aujourd'hui qu'ils vont savoir s'ils sont ou non directement acceptés dans la filière de leurs choix ou s'ils sont en liste d'attente. Verdict en fin d'après-midi. C'est stressant pour eux. Qu'avez-vous à leur dire ce matin ?
PHILIPPE BAPTISTE
Ce n'est qu'une étape. Donc évidemment, ils vont avoir leurs premiers résultats, là, tout de suite, en ce soir.
SALHIA BRAKHLIA
Oui. 19h.
PHILIPPE BAPTISTE
Évidemment 19h. Moi, mon objectif, c'est que, enfin, j'aimerais bien qu'on ait déjà à peu près les deux tiers des élèves de lycée qui au moins aient un premier choix qui soit disponible dès ce soir. Ça, c'est mon objectif. On va voir ce que ça va donner. Et le but du jeu, c'est quand même qu'avant le Bac, il y en ait neuf sur dix qui ait au moins une première proposition qui soit déjà là, concrète, palpable.
JÉRÔME CHAPUIS
Le Bac, c'est dans huit jours.
PHILIPPE BAPTISTE
Oui. Tout ça va aller assez vite. Donc ça va quand même bouger assez rapidement. C'est un objectif. On va voir après ce que ça va donner.
SALHIA BRAKHLIA
Pas de risque de bug cette année ?
PHILIPPE BAPTISTE
Il y a toujours des petits risques. Mais honnêtement, je suis quand même confiant. C'est une plateforme qui a démontré aujourd'hui son efficacité, qui évolue tout le temps. Et puis moi, le message que je donnerais aux lycéens, c'est d'abord ben c'est une étape. D'abord, vous ne jouez pas toute votre vie sur cette étape-là. Parce que l'orientation, c'est un processus qui est long, qui est complexe. Mais vous avez le droit d'abord de tester, de changer, de changer d'avis.
SALHIA BRAKHLIA
De filière.
PHILIPPE BAPTISTE
De changer de filière. Juste un chiffre. Vous avez mentionné 1 million d'élèves sur Parcoursup, mais sur ce million-là, il y en a 200 000 qui sont en réorientation. Ça veut dire que ce sont des jeunes qui, à un moment donné, ils ont testé, ils ont tenté quelque chose, ça ne leur a pas plu et ils recommencent. Et c'est super. Je veux dire, ce n'est pas un échec. Bien au contraire, c'est un moyen de se construire. Et donc il faut dédramatiser un petit peu les choses. D'abord vous avez le droit de vous tromper, vous avez le droit de changer. Donc c'est un moment, vous ne jouez pas toute votre vie. C'est quelque chose d'important, mais ce n'est pas toute votre vie. Deuxième chose, c'est réfléchissez exactement, parce que là vous allez avoir une proposition, mais probablement plusieurs propositions. Et donc il faut que vous soyez clair dans votre tête maintenant pour savoir en gros c'est quoi vos priorités ? Qu'est-ce que je veux faire ? C'est-à-dire si j'ai le choix demain entre médecine ou un BTS ou je ne sais pas, enfin n'importe quoi, quelles sont mes priorités ? Et cela, il faut évidemment maintenant, c'est le moment.
JÉRÔME CHAPUIS
Ça, c'est le travail…
PHILIPPE BAPTISTE
Oui. Maintenant, il faut vraiment y aller parce que là, les propositions, elles vont arriver, il va falloir répondre et puis il faudra classer vos voeux juste avant le Bac.
JÉRÔME CHAPUIS
Vous avez un objectif. N'empêche que l'an dernier, à mi-juillet, il y avait 85 000 élèves qui n'avaient pas trouvé de place. Ça fait quoi ? 8-10% à peu près des élèves de terminale. Ce qui semble énorme. Ça peut arriver encore cette année ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors probablement. Enfin, deux messages. Le premier, c'est un peu comme dans l'armée américaine, Nobody is left behind. C'est-à-dire qu'on trouvera toujours des places pour les candidats qui veulent rentrer dans l'enseignement supérieur. A la fin de la phase d'admission, les recteurs sont mobilisés. Ils travaillent nuit et jour pour aller trouver des places pour les candidats adaptés à leurs besoins, etc. Après on a toujours un phénomène qui est aussi un phénomène, entre guillemets, je n'aime pas ce mot là, mais de déperdition naturelle. C'est simplement à un moment donné des candidats qui sont inscrits sur la plateforme, qui décident de partir faire leurs études à l'étranger, ils quittent la plateforme. Ben voilà.
JÉRÔME CHAPUIS
Donc on les comptabilise dans ces 85 000…
PHILIPPE BAPTISTE
Ben oui. On ne les voit pas. Ce sont aussi des élèves qui ne répondent pas aux sollicitations parce qu'ils sont partis. Ils ont un autre choix, ils ont un choix de vie professionnelle. Ils ont décidé de directement partir travailler ou des choses comme ça. Donc c'est très varié. Donc on aura toujours une partie d'évaporation dans le système. Mais notre mission, notre enjeu numéro 1, c'est que tous les gamins, tous les jeunes qui veulent entamer des études supérieures, l'an prochain, ils pourront entamer les études supérieures.
JÉRÔME CHAPUIS
Pas d'élèves sans formation. C'est un engagement ?
PHILIPPE BAPTISTE
C'est un engagement, mais qui a déjà été tenu précédemment. Ça veut dire que derrière tous les jeunes qui s'inscrivent, qui vont voir les recteurs et qui disent en gros, vous savez, dans la phase finale de l'admission, quand à un moment donné, effectivement, il y a des jeunes qui n'ont pas encore trouvé dans le système une place, à ce moment-là, les recteurs, à travers des commissions, prennent la main et ils vont trouver pour chaque jeune qui est en attente et qui sollicite ces recteurs, une place dans une formation adaptée à leurs besoins.
SALHIA BRAKHLIA
Parcoursup pose problème encore aujourd'hui. Vous savez, monsieur le ministre, François BAYROU, lui-même, lors de son discours de politique générale en janvier, avait dit ceci
FRANÇOIS BAYROU, PREMIER MINISTRE
L'obligation d'orientation précoce les perturbe et les met en danger. Les enfants ne sont pas comme les poireaux, ils ne poussent pas tous à la même vitesse. Parcoursup est une question.
SALHIA BRAKHLIA
Parcoursup est une question. Est-ce que ça veut dire qu'il faut réformer le système ?
PHILIPPE BAPTISTE
Moi, je crois que ce qui est très important dans l'intervention du Premier ministre, c'est le mot orientation. Parce que cette question-là, elle est absolument fondamentale. C'est savoir comment on prépare son avenir avant le Bac, mais aussi après le Bac. Et c'est vrai qu'on est dans un système aujourd'hui qui est un système avec des voies qui sont assez étroites, qui sont quand même très sélectives au fur et à mesure. Donc ça veut dire qu'en gros, pour des jeunes qui ont des projections pour leurs études supérieures qui sont très fortes, très figées, très fermées, ça marche tout seul.
SALHIA BRAKHLIA
C'est pratique.
PHILIPPE BAPTISTE
C'est par contre plus compliqué pour des jeunes qui peuvent hésiter. Et il faut qu'on arrive à ouvrir ça.
SALHIA BRAKHLIA
Mais c'est là où il y a un problème avec Parcoursup. L'outil Parcoursup pose problème, selon ces détracteurs, parce qu'il n'aide pas les jeunes qui, effectivement, doutent un peu, qui sont mal conseillés. Il accroît les inégalités sociales et géographiques. C'est ce qu'ils disent.
PHILIPPE BAPTISTE
Non. Attendez, parce qu'il y a deux sujets dans ce que vous dites. D'abord, ça n'est qu'un outil. Et c'est un outil, c'est une plateforme. C'est une plateforme numérique qui met en relation des formations et des jeunes. Le sujet n'est pas la plateforme numérique en tant que telle. Le sujet, c'est l'orientation avant et après. Et ça, il faut qu'on y travaille.
SALHIA BRAKHLIA
Comment mieux accompagner les élèves ?
PHILIPPE BAPTISTE
Bien accompagner les élèves, peut-être faire des réformes sur la manière dont on prépare les élèves, s'inscrire plus tôt, réfléchir aussi à des formations dans le supérieur qui sont peut-être un peu moins étroites, plus ouvertes, plus pluridisciplinaires, avoir des propédeutiques, c'est-à-dire des espèces de premières années qui permettent d'ouvrir sur le monde de l'enseignement supérieur, en particulier pour les jeunes qui sont en difficulté. Et ça, c'est un travail fondamental qui est vraiment très structurant. Et on aura des annonces avec le Premier ministre et avec la ministre d'État, Élisabeth BORNE, dans quelques jours sur ces différents sujets. C'est ça la question. La question de fond, c'est ça.
JÉRÔME CHAPUIS
Il faut nous en dire plus sur ça. Il faut nous en dire plus. Vous allez le réformer ou pas le système ?
PHILIPPE BAPTISTE
Deuxième sujet, peut-être ce que vous mentionniez, sur les inégalités. Ça, je veux vraiment m'inscrire en faux parce que cette plateforme, elle donne aujourd'hui une transparence que jamais nous n'avons eue précédemment dans l'enseignement supérieur. La transparence, c'est d'abord accéder à toutes les formations, savoir en face de chaque formation, est-ce qu'elle est adaptée à mon profil ou pas ? Est-ce qu'elle insère professionnellement ou pas ? Je veux dire, à quel point est-ce qu'elle est sélective ou pas ?
SALHIA BRAKHLIA
Donc là, ce que vous allez faire, c'est plus accompagner les élèves en amont et en aval pour qu'ils trouvent leur meilleure filière possible.
PHILIPPE BAPTISTE
Oui. Ça, c'est fondamental. Et peut-être le dernier point, c'est aussi avec Parcoursup, vous savez que dans la loi… la loi qui a été poussée sous le Gouvernement d'Édouard PHILIPPE, la loi ORE, il y a eu des quotas pour les boursiers. Et ces quotas pour les boursiers, ils permettent de privilégier les boursiers dans l'accès à un certain nombre de formations. Aujourd'hui, si on fait un bilan, ce sont 20 000 boursiers chaque année qui trouvent une place aujourd'hui dans l'enseignement supérieur, dans la formation de leur choix, qu'ils n'auraient pas trouvé sans ces quotas. Et 20 000 par an, ce n'est pas rien. Donc il ne faut pas dire que c'est vraiment le contraire. Je pense que vraiment, c'est un outil de promotion sociale
JÉRÔME CHAPUIS
Alors puisque vous parlez des bourses, lors de la période Covid, on a tous été marqués par les files d'attente d'étudiants pour l'aide alimentaire. Cette précarité étudiante, elle existe toujours. Votre prédécesseur, Patrick HETZEL, avait jugé ce système de bourses trop complexe, parfois source d'injustice. Est-ce qu'il faut là aussi revoir ce système boursier ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors d'abord, peut-être juste rappeler, aujourd'hui, on consacre à peu près un peu plus de 3 milliards, 3,2 milliards par an sur la vie étudiante. C'est-à-dire entre autres les bourses, etc. Les bourses, les Crous, les repas, etc. Ce n'est pas rien, c'est beaucoup d'argent. C'est de l'argent qui est consacré à ça. Est-ce qu'aujourd'hui, le système est simple, lisible ? La réponse, c'est plutôt non. Et en particulier, je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, mais il y a des phénomènes de marche. C'est-à-dire qu'en gros, soit vous êtes boursier, et à ce moment-là, à tel ou tel échelon, et vous avez telle somme, et brutalement, à un euro près, vous basculez dans un système où vous n'êtes plus boursier, vous n'avez plus rien. Et on voit en particulier, dans les épiceries solidaires ou des choses comme ça, la précarité étudiante.
JÉRÔME CHAPUIS
Chez ceux qui sont juste au-dessus.
PHILIPPE BAPTISTE
Exactement. Et donc, ça, c'est un vrai sujet. Et donc il faut réformer ces bourses. J'en suis profondément convaincu. Il faut les réformer. Alors la discussion, évidemment, tout ça a un impact budgétaire. Donc on est en pleine discussion budgétaire. Vous connaissez aussi les contraintes aujourd'hui, qui sont des contraintes budgétaires.
JÉRÔME CHAPUIS
Mais ça aura des effets dès septembre prochain, pour la prochaine rentrée universitaire ?
PHILIPPE BAPTISTE
Cette question, c'est trop tôt pour y répondre, parce que justement, la discussion budgétaire est en cours. Sur le fond, je n'ai aucun doute. Moi, c'est une réforme que je porte et auxquelles je crois profondément. Il faut qu'on change ça. Techniquement, elle est prête. Il faut être capable de la financer, peut-être en réfléchissant.
SALHIA BRAKHLIA
Donc là c'est en négociation, là, pour le prochain budget ?
PHILIPPE BAPTISTE
C'est un des objets, évidemment, que je vais porter auprès du Premier ministre, parce que je crois que c'est quelque chose qui est important.
SALHIA BRAKHLIA
Revenons à l'enseignement supérieur, côté filière. Après le Bac, nombre d'élèves choisissent le privé. Un secteur en plein essor, il faut le dire, puisque 26 % des étudiants sont scolarisés dans l'enseignement supérieur privé, alors qu'ils étaient 13 % en 1990. Est-ce que ça veut dire que le public déçoit de plus en plus ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non, je ne crois pas. D'abord, je n'essaierai pas d'opposer les uns aux autres. Il y a des formations privées qui sont là depuis très longtemps et qui sont absolument remarquables par leur qualité. Les plus grandes écoles de commerce aujourd'hui sont des écoles qui sont des écoles privées, les universités catholiques qui sont extraordinairement reconnues. Tout ça, il y a des formations qui sont de très grande qualité.
SALHIA BRAKHLIA
Mais il y en a d'autres qui le sont moins.
PHILIPPE BAPTISTE
Et après il y a une capacité d'adaptation du système, ils sont très flexibles, très souples. Je pense qu'il faut aussi qu'on donne nos outils à nos universités, les universités publiques en particulier, pour avoir cette souplesse.
SALHIA BRAKHLIA
En Master.
PHILIPPE BAPTISTE
Et c'est ce qu'on est en train de faire en ce moment même en leur donnant beaucoup plus la main, en leur donnant une vraie autonomie. À côté de ça, comme vous l'avez mentionné, il y a eu un développement qui a été extrêmement rapide avec l'apprentissage en particulier. Parce que l'apprentissage a permis des financements et un certain nombre d'entreprises se sont un peu engouffrées dans cette voie de l'apprentissage.
JÉRÔME CHAPUIS
Vous voulez dire qu'il y a eu des abus ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors ils sont marginaux, je pense. Mais ils existent. Il y a eu des abus. On a régulièrement des étudiants qui ont été inscrits dans ces formations et qui disent : "Ça ne correspondait pas à ce que je voulais faire. On m'a vendu une formation en apprentissage et puis finalement on m'a dit qu'il n'y avait pas d'apprentissage. On m'a dit ceci, on m'a dit cela."
JÉRÔME CHAPUIS
Mais ça c'est votre responsabilité aussi de veiller à ce que ça n'existe pas.
PHILIPPE BAPTISTE
En tout cas, oui, moi je considère que c'est une responsabilité du ministère, même si on n'avait pas encore complètement tous les outils aujourd'hui disponibles. On ne les a pas encore parce que c'est quelque chose d'un petit peu nouveau. On a eu aussi une explosion de ce type de formation. Donc on a un rôle de régulation qui est fondamental.
SALHIA BRAKHLIA
Mais alors du coup, on fait quoi pour faire le tri entre les vraies formations qui amènent à un diplôme et les fake formations qui permettent de récupérer de l'argent ?
PHILIPPE BAPTISTE
Première chose déjà, on a fait un peu le ménage, entre guillemets, en particulier sur Parcoursup avec en particulier des règles et une charte qui doit être respectée par l'ensemble des formations. Toutes les formations ne sont pas sur Parcoursup. Vous n'êtes pas obligé, quand vous êtes dans une formation privée, d'être sur Parcoursup. Et puis après, il y a un vrai travail à mener et ça je l'ai annoncé il y a quelques semaines aux professionnels du secteur. On va avoir un peu une refonte de l'enseignement supérieur privé avec en gros deux cercles. Un cercle vraiment des universités publiques et les très grandes formations du privé aujourd'hui, qui sont vraiment dans un cercle de confiance extrêmement étroit, qui ont des obligations sociales, des obligations de recherche. Un deuxième cercle un peu plus large, où on n'aura peut-être pas toutes ces obligations, mais vraiment où on aura une capacité de certification.
SALHIA BRAKHLIA
C'est quoi ? Il va y avoir un label ?
PHILIPPE BAPTISTE
Ce sera plus qu'un label. Et puis à la fin on aura vraiment…
JÉRÔME CHAPUIS
Plus qu'un label, ça veut dire quoi ? Pardon…
PHILIPPE BAPTISTE
Non. Ça veut dire que quelque part, on va aller probablement vers un petit projet de texte de loi qui devra à un moment donné revisiter…
JÉRÔME CHAPUIS
Une sorte de contrat comme ça existe avec l'enseignement privé ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non mais ce ne sera pas un contrat. Le but du jeu, c'est qu'à terme sur Parcoursup demain ou sur la plateforme d'accès à l'enseignement supérieur on ait une garantie de qualité absolue et qui soit extrêmement lisible pour tous. Ça, on a encore un travail.
JÉRÔME CHAPUIS
À terme, c'est quand ?
PHILIPPE BAPTISTE
Il faudra probablement quelques années simplement pour organiser le système. Donc ce n'est pas un travail immédiat, mais c'est en cours et on est vraiment dessus
JÉRÔME CHAPUIS
Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe BAPTISTE, est avec nous jusqu'à 9h sur France Info. C'est l'heure du fil Info. On vous retrouve dans une minute. 8h46, Maureen SUIGNARD.
(…)
JÉRÔME CHAPUIS
Et le ministre de l'Enseignement supérieur Philippe BAPTISTE. On parlait de Parcoursup, un résultat ce soir. Tous les étudiants qui vont être fixés ce soir ou dans les prochains jours, ils passent leur bac techno ou général ces jours-ci, dans une quinzaine de jours. Le 16 juin pour les principales épreuves. Philippe BAPTISTE, si tout est joué d'avance pour l'accès au supérieur, à quoi sert encore le bac ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors, le baccalauréat, d'abord, c'est un moment qui est un moment initiatique, c'est un moment de mobilisation, et c'est le diplôme qui permet l'accès à l'enseignement supérieur.
JÉRÔME CHAPUIS
Mais le rite initiatique, est-ce que ce n'est pas aujourd'hui, Parcoursup ?
PHILIPPE BAPTISTE
C'est les deux, c'est vrai que probablement il y a eu un petit changement un peu avant, le bac semblait être effectivement l'alpha et l'oméga de la terminale et de l'accès à l'enseignement supérieur. Ça reste un outil indispensable. Moi, je rappelle quand même, histoire de mettre un petit peu de pression sur nos jeunes lycéens, pas de bac, pas d'enseignement supérieur.
JÉRÔME CHAPUIS
Mais 96 % de taux de réussite ?
PHILIPPE BAPTISTE
Oui, bien sûr, pas dans toutes les filières, mais oui, absolument. Enfin, les taux de succès aujourd'hui sont très élevés, bien sûr, donc, effectivement. Ce qui est important aussi, c'est le bac, il sanctionne des études et il doit permettre, il doit garantir la possibilité de poursuivre ses études dans le supérieur. Et je pense qu'il faut aussi être vigilant et travailler, et on en discute régulièrement avec Élisabeth BORNE sur justement la qualité des bacheliers et être sûr qu'ils sont suffisamment armés quand ils arrivent dans le supérieur.
JÉRÔME CHAPUIS
On a entendu Gabriel ATTAL, quand il était ministre de l'Éducation puis Premier ministre, dire : "Peut-être qu'il y a un problème de vérité du diplôme", au sujet du bac.
PHILIPPE BAPTISTE
Je ne sais pas si j'utiliserais le mot de vérité du diplôme, mais ce qui est sûr, c'est que nous avons des bacheliers qui arrivent dans l'enseignement supérieur, donc qui ont eu un baccalauréat, pas forcément un bac général, souvent des bacheliers professionnels qui a priori ne s'étaient pas orientés initialement pour faire des études supérieures, et puis qui, à un moment ou à un autre, pour des raisons diverses et variées, sont à un moment donné dans une licence. Ils ne sont pas armés.
JÉRÔME CHAPUIS
Ils ne sont pas au niveau ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non, pardon, mais le taux de succès des bacheliers professionnels qui vont dans une licence est très, très bas, très, très, très bas, et quand je dis très bas, c'est de l'ordre de 5 %. Et donc, mais pourquoi ? Parce que simplement, initialement, quand vous faites un bac professionnel, quand vous décidez de faire un bac professionnel, ce n'est pas pour faire des études supérieures, donc vous n'êtes pas préparés, en particulier à l'université, en particulier à l'université, et donc vous n'êtes pas préparés pour ça.
JÉRÔME CHAPUIS
Vous dites - je n'utilise pas le mot mensonge - mais là, il y a au moins un malentendu.
PHILIPPE BAPTISTE
En tout cas, moi, je veux être sûr, et j'insiste là-dessus, et c'est pour ça que c'est très clair aussi sur la plateforme sur Parcoursup, il faut que les bacheliers professionnels qui font ce choix, il faut qu'ils soient conscients de la difficulté. Après, nous, notre rôle aussi, et je le crois profondément aussi, c'est de les accompagner quand ils décident de faire ce choix-là. Et donc, en particulier, c'est ce que je mentionnais tout à l'heure, par exemple, des années de propédeutique, des années où on transforme la licence. On l'a fait non pas en trois ans, mais on va la faire en quatre ans. On va accompagner les bacheliers. J'étais à Aix-Marseille Université il y a quelques semaines, où j'ai vu des enseignants, des enseignants-chercheurs hyper mobilisés pour faire réussir des bacheliers professionnels qui faisaient ça, mais ça demande un effort, ça demande un vrai travail sur l'orientation, et là aussi, vraiment, je crois vraiment que c'est un enjeu.
SALHIA BRAKHLIA
L'orientation, c'est un enjeu effectivement, Philippe BAPTISTE, et on voit aujourd'hui que l'intelligence artificielle bouleverse notre quotidien, elle bouleverse aussi le marché de l'emploi. Des métiers sont en train de disparaître, d'autres s'inventent. Est-ce que les formations dans le supérieur aujourd'hui qui sont proposées aux élèves tiennent suffisamment compte de cette révolution technologique ?
PHILIPPE BAPTISTE
Alors, évidemment, c'est une révolution qui nous transforme. Nous utilisons tous MISTRAL, CHATGPT, LECHAT, bien sûr. On voit bien à quel point effectivement ces outils peuvent nous aider. Je pense qu'il est fondamental aussi d'expliquer ce que font ces outils, ce qu'ils font ? Ils répètent des choses qui ont déjà été pensées avant et ils renforcent aussi mécaniquement un certain nombre de biais. Pardon mais c'est quelque chose qui est vraiment fondamental et qui est vraiment important. Ces outils, ils ne vous donnent pas l'alpha et l'oméga, ils ne vous donnent pas la vérité absolue, ils ne font que répéter, voire renforcer des choses qui ont déjà été dites. Et vous voyez bien pourquoi je dis ça, parce que ça veut dire qu'en fait, les utiliser bien, les utiliser, ça veut dire être conscient de ça, être conscient de la manière dont ils fonctionnent. Et donc, ça veut dire qu'évidemment qu'ils font partie de notre quotidien et il ne faut pas les mettre de côté. Il ne faut pas les interdire.
SALHIA BRAKHLIA
Oui, mais la question, c'est : est-ce que les formations qui sont proposées aujourd'hui préparent les futurs employés ?
PHILIPPE BAPTISTE
La question clé, c'est comprendre comment marchent ces outils, qu'est-ce qu'on peut leur demander aujourd'hui, qu'est-ce qu'on pourra leur demander demain, parce que ce qu'on pourra leur demander demain n'aura probablement rien à voir avec ce qu'on peut leur demander aujourd'hui. Mais il faut comprendre les fondamentaux. Et pardon, je reviens sur un point qui me tient vraiment à cœur, c'est que ça veut dire qu'on vit dans un monde qui est un monde de technologie, et ces outils d'IA ne sont qu'un des avatars de ce monde de technologie dans lequel on vit. Et il faut que les jeunes aujourd'hui, et les moins jeunes aussi, s'approprient ce monde de science et de technologie. Et aujourd'hui, on a une désaffection pour les filières scientifiques, on a une désaffection pour les filières techniques, et moi, je tire mon petit signal d'alarme en disant : mais intéressez-vous à ces sujets-là.
JÉRÔME CHAPUIS
Notamment pour les jeunes filles, on en parle beaucoup sur France Info.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais ils font le cœur de notre société aujourd'hui. Évidemment, il y a plein d'autres sujets qui sont passionnants, mais que vous fassiez aujourd'hui, c'est vraiment au cœur de : vous allez chez le médecin, votre diagnostic, demain il sera fait par des outils d'IA, ou en tout cas, il y aura une contribution des outils d'IA. Il y en a partout.
SALHIA BRAKHLIA
Donc les filières de l'enseignement supérieur vont tenir compte, tiennent déjà compte de cette révolution.
PHILIPPE BAPTISTE
C'est déjà très largement…
SALHIA BRAKHLIA
On augmente des places dans certaines filières, on en diminue dans d'autres.
PHILIPPE BAPTISTE
C'est déjà très largement le cas aujourd'hui, bien sûr, oui.
JÉRÔME CHAPUIS
Il faut qu'on parle des États-Unis, Philippe BAPTISTE. Parmi les étudiants, certains ont décidé de quitter la France pour se former à l'étranger. Donald TRUMP gèle la délivrance des nouveaux visas étudiants, pas d'exception. Il y a un impact pour la France d'abord ?
PHILIPPE BAPTISTE
Oui, bien sûr, parce qu'il y a des étudiants français qui étudient aux États-Unis et qui sont potentiellement impactés. Je suis très prudent.
SALHIA BRAKHLIA
Ils sont combien ?
PHILIPPE BAPTISTE
L'ordre de grandeur, c'est quelques milliers jusqu'à 10 000 à peu près. On n'est pas sur des chiffres gigantesques. Ce sont des chiffres assez modestes à l'aune du nombre total d'étudiants qu'on a aujourd'hui en France. Et puis je suis prudent parce que les revirements politiques de l'administration TRUMP sont quotidiens sur à peu près tous les sujets. Donc, laissons-nous un peu de temps pour être sûr de voir comment tout ça va atterrir.
JÉRÔME CHAPUIS
Mais on est curieux d'avoir votre regard sur ce qui se passe en ce moment aux États-Unis, notamment ce bras de fer absolument hallucinant entre le président Donald TRUMP et la plus prestigieuse université du pays, Harvard.
PHILIPPE BAPTISTE
Ça donne l'impression que l'administration américaine préfère des campus vides à des cerveaux pleins, c'est vrai que ça a un petit côté un petit peu inquiétant.
SALHIA BRAKHLIA
Rappelons ce que reproche Donald TRUMP à Harvard. Il dit que dans l'université est propagée une idéologie woke et les manifestations contre la guerre à Gaza sont assimilées à de l'antisémitisme.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, mais bon, je ne vais pas commenter la politique intérieure américaine. Je veux dire, c'est le…
SALHIA BRAKHLIA
Et là encore, quel impact sur nous ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non, mais l'impact sur nous… La question de… On a des questions qui sont des questions similaires qu'on trouve aussi dans un certain nombre de départements ou un certain nombre d'universités aujourd'hui en France de manière beaucoup plus modeste, je crois, qu'aux États-Unis et de manière beaucoup plus raisonnée qu'on a pu voir aux États-Unis. Maintenant, la question derrière simplement Harvard, c'est quand même une université qui est absolument extraordinaire qu'on ne peut pas réduire à ces questions-là. Voilà, mais après, c'est le choix de l'administration américaine et c'est à l'administration américaine de faire sa politique.
JÉRÔME CHAPUIS
On va les accueillir, les étudiants et les chercheurs qui seront effrayés par cette politique américaine ?
PHILIPPE BAPTISTE
Les étudiants européens qui ont envie de venir en France et qui sont aujourd'hui aux États-Unis et qui ont des problèmes de visa, on est sur des petits nombres. Évidemment, on sera extrêmement attentifs et on sera attentifs à leur trouver les places et les formations dans le respect des places disponibles, des procédures existantes, mais on fera du cousu main pour les aider. Évidemment, je voudrais revenir sur la question des chercheurs, parce qu'autant la question d'Harvard ou pas Harvard, j'ai envie de dire, c'est le problème des États-Unis. Si l'administration américaine a envie de se tirer une balle dans le pied, très bien. Le problème de la recherche est radicalement différent. Parce que le problème de la recherche, c'est qu'aujourd'hui, ce que fait l'Administration TRUMP sur la recherche, en coupant des crédits à droite, en coupant des crédits à gauche, en faisant un demi-tour et en recoupant ici, en recoupant là, etc., génère une incertitude absolue dans le monde de la recherche. C'est des programmes de recherche internationaux qui s'effondrent, mais qui s'effondrent parce que les États-Unis ont un rôle qui est pivot dans le monde de la recherche, et ça, c'est vraiment inquiétant, et ça, ce n'est pas acceptable, parce qu'on voit aujourd'hui des programmes sur la biodiversité, des programmes sur les océans, des programmes sur le climat, des programmes sur la santé des femmes, des programmes sur la bactériologie, etc., qui s'effondrent parce que, brutalement, à un moment ou à un autre, un partenaire très important comme les États-Unis décide de retirer l'université.
SALHIA BRAKHLIA
Justement, on fait quoi ? Parce que la France accueille la conférence des Nations Unies sur la mer et les océans à Nice, l'UNOC, la semaine prochaine, et hier, votre collègue en charge de la transition écologique a dit ceci, au moment où la science est remise en doute par certains, donc les États-Unis, il est important que l'Union Européenne et la Chine prennent leur responsabilité en matière de dérèglement climatique. Comment on fait ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non, mais je pense que c'est un vrai moment pour, effectivement, la recherche. Juste avant l'UNOC, rappeler qu'on a accueilli le Président de la République avec la Présidente de la Commission, il y a trois semaines à peu près, a accueilli à la Sorbonne un grand colloque sur cette question-là, et sur la place de la recherche, il faut que l'Europe prenne son leadership dans la recherche. Et je crois que la France a tout son rôle à jouer aussi sur ces sujets-là. On a une recherche d'excellence, on a été trop naïfs, de la même manière que sur des sujets de défense ou de sécurité, on a peut-être péché par une sorte de naïveté.
SALHIA BRAKHLIA
C'est le discours du ministre qui est en face de nous, c'est le discours du Gouvernement, sauf qu'il y a des entreprises, comme SANOFI, par exemple, qui ne font pas du tout ce que vous êtes en train de nous dire ce matin. SANOFI va investir vingt milliards aux États-Unis dans les prochaines années. SANOFI va investir pour la recherche aux États-Unis.
PHILIPPE BAPTISTE
Oui, mais c'est vrai. Je ne vais ni critiquer, ni prendre la défense de SANOFI, qui est une entreprise et qui fait ses choix, et peut-être que le timing n'est peut-être pas idéal, mais, quand même, vous dire que SANOFI investit aussi chaque année, en France, plusieurs milliards d'euros sur de la R&D.
SALHIA BRAKHLIA
Donc ce n'est pas au dépend de la France.
PHILIPPE BAPTISTE
Après que, derrière, SANOFI soit soumis aux injonctions de l'administration américaine, je ne sais pas.
SALHIA BRAKHLIA
En termes de signal ?
PHILIPPE BAPTISTE
Évidemment, ce n'est pas un signal qui est très intéressant. Le timing n'est pas idéal. C'est très clair. Par contre, SANOFI est un grand acteur de la R&D, aujourd'hui, en France et en Europe. Et on compte sur eux, évidemment, pour continuer leur investissement, aujourd'hui. Et aujourd'hui, tout est fait pour, justement, mettre en place les outils pour une bonne coopération.
Source https://www.senat.fr, le 3 juin 2025