Texte intégral
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Marc FERRACCI.
MARC FERRACCI
Bonjour.
JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Soyez le bienvenu, vous êtes ministre de l'Industrie et de l'Énergie ; vous répondez aux questions d'Antoine COMTE. C'est parti.
ANTOINE COMTE
Bonjour Marc FERRACCI. Avant qu'on aborde les dossiers concernant directement votre portefeuille de l'industrie, j'aimerais voir votre réaction sur cette ferveur populaire autour de la victoire historique du PSG en Ligue des Champions : la parade sur les Champs-Élysées hier, cette fête assez mémorable au Parc des Princes, mais aussi malheureusement de nombreuses violences, de nombreux débordements. Encore hier soir, plus de 300 interpellations, nous dit la préfecture de police de Paris. Est-ce que finalement les risques n'ont pas été sous-estimés par Bruno RETAILLEAU, ministre de l'Intérieur, ou le préfet de police de Paris, quand on voit ces deux soirées si tendues finalement, notamment sur les Champs-Élysées ?
MARC FERRACCI
Moi, je veux retenir la ferveur. Vous en avez parlé, ça faisait 32 ans que la France attendait ça. Et dans leur immense majorité, ceux qui sont descendus dans la rue, pas seulement à Paris d'ailleurs - j'étais en province ce week-end et je peux vous dire que ça faisait la fête, tout autant qu'à Paris... Moi, c'est ça que je retiens, mais effectivement, cette ferveur, cette liesse, elles ont été entachées - je dis " entachées " parce que je n'ai pas envie d'utiliser le terme " gâchées " - je ne me résous pas à ce qu'une infime minorité de casseurs, de fauteurs de troubles puissent gâcher une fête. Mais effectivement, ça a été entaché par un certain nombre de débordements. Est-ce que le dispositif a été sous-estimé ? Je ne pense pas. Je ne pense pas, parce qu'il y avait plus de 5 000 policiers. Parce que vous savez, quand vous avez 100 000 personnes sur les Champs-Élysées, ou plus de 100 000, et que quelques centaines de casseurs se glissent dans l'immense foule des gens qui veulent faire la fête, c'est évidemment très difficile d'intervenir, c'est évidemment impossible de mettre un cordon de CRS devant chaque vitrine. Donc il faut être évidemment très réactif. Il y a eu beaucoup d'interpellations, vous l'avez dit. J'espère que la réponse judiciaire sera très ferme, parce que c'est aussi à ça qu'on s'attend. Mais on doit quand même constater que le football - et je le regrette parce que je suis moi-même un fan de football - depuis un certain nombre d'années, est aujourd'hui, au fond, pris en otage par ces débordements qui n'ont absolument rien à voir avec le sport.
ANTOINE COMTE
Vous parlez de casseurs. Bruno RETAILLEAU qualifie ces individus, ces jeunes, de barbares. Est-ce que vous pourriez, vous, employer la même qualification, le même adjectif, le même terme ? Est-ce que vous qualifiez ces jeunes qui ont commis ces exactions de barbares ? Est-ce que c'est de la barbarie ?
MARC FERRACCI
Non, je n'utiliserai pas ce terme, parce qu'il y a une connotation historique d'abord, il y a une connotation culturelle, il y a presque une connotation anthropologique à ce terme, ce sont des délinquants.
ANTOINE COMTE
Il se trompe, Bruno RETAILLEAU, quand il dit ça ?
MARC FERRACCI
Ce sont des délinquants. Je ne juge pas la sémantique des uns et des autres. Moi, j'utilise les mots que je souhaite utiliser, et le mot que j'utilise c'est que ce sont des délinquants, puisqu'ils commettent des délits. Ils s'attaquent à des biens publics, parfois ils s'attaquent aux forces de l'ordre, et donc de ce point de vue, la réponse, c'est une réponse qui doit être extrêmement ferme, qui est forcément judiciaire, pénale, qui doit être aussi - et ça ne résout évidemment pas tous les problèmes - mais aussi éducative. Et on doit se poser la question collectivement, de la manière dont la société juge et met la pression sur ce genre de comportement. Il y a des pays dans lesquels ce type de comportement n'a pas lieu, aussi parce qu'il y a une forme de pression sociale qui empêche les gens de passer à l'acte. Il faut peut-être qu'on ait cette réflexion…
ANTOINE COMTE
On est trop laxistes en France que vous dites ?
MARC FERRACCI
Ce n'est pas un sujet de laxisme au sens judiciaire du terme, parce que vous voyez que quand les gens sont interpellés, ils sont en général condamnés de manière assez sévère. Mais je pense qu'on a une réflexion collective à avoir sur la manière dont, au fond, on laisse passer ce genre de comportement. Et ça, c'est vrai que c'est particulièrement prégnant dans le football.
ANTOINE COMTE
Alors Marc FERRACCI, on le disait au début, vous êtes ministre de l'Industrie et de l'Énergie. On va parler des dossiers qui vous concernent directement. Emmanuel MACRON s'est beaucoup gargarisé ces dernières semaines de la réussite du sommet Choose France à Versailles. Et c'est vrai qu'il a raison de le faire, puisque quand on voit finalement que la France est le premier pays en Europe qui attire le plus d'investisseurs étrangers ; c'est assez logique qu'il le dise de cette façon-là. En revanche, au niveau national, il y a pas mal de soucis – on va le dire comme ça - pour l'industrie française. Je pense notamment aux 600 emplois menacés chez le géant de l'acier, ArcelorMittal. Je pense au secteur de l'habillement aussi, avec l'enseigne JENNYFER qui est en grande difficulté, ou encore NAF NAF qui est en liquidation judiciaire. On a l'impression quand même d'une puissance de l'État vis-à-vis de tous ces plans sociaux.
MARC FERRACCI
D'abord, JENNYFER, NAF NAF, ce ne sont pas des industries, ce sont des commerces qui effectivement importent beaucoup de textiles, notamment venus de l'étranger, venus d'Asie, à bas prix, qui ont un modèle économique qui, aujourd'hui, s'essouffle. Et à côté, vous avez ArcelorMittal, qui est effectivement une industrie. Il faut bien voir qu'il y a des entreprises et des filières en difficulté. L'acier, c'est une filière en difficulté. La chimie, l'automobile, les équipementiers automobiles sont des filières en difficulté qui sont confrontées à de la concurrence internationale déloyale, contre laquelle on se bat en Europe, et contre laquelle on a obtenu ces dernières semaines et ces derniers mois des mesures et des annonces de la part de la Commission européenne dont il faut qu'elles soient mises en oeuvre aujourd'hui très, très vite. Mais je dois le dire, il y a aussi des choses qui fonctionnent bien dans notre industrie. Il y a aussi...
ANTOINE COMTE
Juste en deux mots, à ArcelorMittal, il faut faire quoi ? 600 emplois menacés, qu'est-ce qu'il faut faire ?
MARC FERRACCI
Ce n'est pas 600 emplois menacés, c'est 600 emplois supprimés. Ce n'est pas 600 licenciements, parce qu'il y a aussi des gens qui vont partir à la retraite, mais c'est 600 emplois supprimés. Effectivement, c'est une industrie absolument essentielle. Pourquoi ? Parce que l'acier, c'est ce qu'on appelle l'industrie des industries. Sans acier, vous n'avez pas de défense, vous n'avez pas d'automobile, vous n'avez pas d'aéronautique. Donc nous, notre but et toute mon action consiste à faire en sorte qu'on continue demain, dans les prochaines années, dans les prochaines décennies, à produire de l'acier en France. Qu'est-ce qu'il faut pour ça ? Il faut qu'ARCELOR, comme les autres entreprises de la filière, investissent notamment dans la décarbonation, c'est-à-dire produire de l'acier en émettant moins de CO2. C'est ça qu'on essaye d'obtenir d'ARCELOR.
ANTOINE COMTE
Est-ce que vous nous dites que les 600 emplois, c'est terminé, on ne peut rien faire ?
MARC FERRACCI
Non, on va discuter et on discute d'ores et déjà avec ARCELOR pour essayer de limiter le périmètre de cette restructuration, de ce plan de licenciement. Mais il y aura des suppressions de postes. Il ne faut pas se le cacher, il y aura des suppressions de postes. Maintenant, ce qui m'importe moi, c'est que les sites ne ferment pas. Dans d'autres pays, en Allemagne en particulier, des sites ferment. Des concurrents d'ARCELOR, comme ThyssenKrupp, ont annoncé il y a quelques mois 11 000 suppressions d'emplois avec des sites qui ferment. Nous, notre but, c'est que les sites ne ferment pas, qu'on continue à produire de l'acier en France. Et je note quand même qu'ARCELOR a annoncé pour les prochaines semaines, pour les prochains mois, des investissements, notamment à Dunkerque, dans la décarbonation de son processus de production. C'est la meilleure garantie de maintenir les emplois et de maintenir l'activité. C'est ça qu'on essaie de créer. On essaie de se battre au niveau européen avec plus de protections commerciales, parce que ça, c'est une demande, avec plus de taxation carbone aux frontières, notamment vis-à-vis de l'acier chinois qui est produit en émettant beaucoup de CO2. Il faut taxer cette manière de produire et cette manière d'exporter. Et c'est comme ça qu'on s'en sortira, c'est comme ça qu'on arrivera à maintenir la production sidérurgique en France. Je pense qu'on peut le faire.
ANTOINE COMTE
Emmanuel MACRON se déplace demain - et je crois que vous êtes aussi du déplacement avec le chef de l'État - dans le Nord-Pas-de-Calais pour une visite dédiée " Renouveau du bassin minier ". Il s'était déjà rendu plusieurs fois sur place. Il va notamment visiter une usine de production de batteries à Douai. Ces batteries doivent alimenter le constructeur d'automobiles RENAULT, en batterie, notamment dans le cadre de la construction de la R5 électrique. Est-ce qu'il y a des annonces qui sont prévues ? Quel est l'objectif ? On entend dire que c'est plus finalement une visite de communication qu'autre chose. Est-ce qu'il y a quelque chose de concret qui va être annoncé par le Chef de l'État et par vous-même ?
MARC FERRACCI
Non, ce n'est pas une visite de communication. C'est une visite qui montre qu'il y a une constance et une cohérence dans l'action des gouvernements successifs qui se sont succédé sous Emmanuel MACRON. Concrètement, moi, j'ai visité à Douai l'usine qui produit les fameuses R5 électriques. Et là on va visiter effectivement une usine qui produit les batteries. Qu'est-ce qu'on veut montrer et qu'est-ce qu'on veut incarner avec cette visite ? On veut montrer qu'on est capable de produire l'intégralité des composants d'une voiture électrique sur notre sol. C'est un enjeu de souveraineté. Pourquoi ? Parce que produire des voitures électriques, aujourd'hui, c'est se rendre moins dépendant des énergies fossiles, du gaz, du pétrole, qu'on importe à 99%. Aujourd'hui, 60% de notre consommation d'énergie, c'est du gaz et du pétrole, ce sont des énergies fossiles. Et on les importe et donc on est dépendant. En électrifiant nos usages, et notamment la mobilité avec les véhicules électriques, on se rend moins dépendant. Ça coûte moins cher parce qu'on dépense 70 milliards d'euros par an pour importer du gaz et du pétrole. Et donc c'est ça qu'on essaie de montrer. On essaie de montrer que la souveraineté industrielle et la souveraineté énergétique, ça va de pair. Et le bassin minier l'illustre bien.
ANTOINE COMTE
Marc FERRACCI, le temps fil un peu ; je voudrais qu'on parle d'un autre sujet, la TVA sociale. François BAYROU ne s'interdit pas de la remettre en place. En tout cas, il appelle les partenaires sociaux à travailler sur le sujet. On nous a dit… Emmanuel MACRON répète à longueur d'interviews qu'il ne souhaite pas augmenter les impôts si la TVA sociale est mise en place. C'est un nouvel impôt ?
MARC FERRACCI
Ce qui est aujourd'hui en réflexion - je dis bien en réflexion - c'est l'idée de ne pas augmenter les impôts de manière globale, mais l'idée de baisser les prélèvements obligatoires sur le travail, notamment les cotisations sociales sur le travail. Vous savez qu'on finance notre protection sociale beaucoup en taxant le travail. Et ça, c'est un des problèmes parce que ça coûte des emplois, ça coûte de la compétitivité. Et vis-à-vis de nos concurrents internationaux, nos industriels et nos entreprises de manière générale, ne jouent pas armes égales de ce point de vue-là. Donc l'idée, ce n'est pas d'augmenter les impôts de manière globale, ce serait - je parle toujours au conditionnel - ce serait de substituer à cette taxation du travail d'autres impôts. La TVA, c'est une option, mais il y en a d'autres. Il y a des économistes qui proposent d'aller vers l'impôt foncier par exemple. Moi, ce que je dis, c'est qu'aujourd'hui, la taxation du travail, ça nous coûte des emplois, et l'emploi, c'est la meilleure protection contre les pertes de pouvoir d'achat que peuvent connaître les Français.
ANTOINE COMTE
Marc FERRACCI, un dernier mot sur la proportionnelle. Aujourd'hui, François BAYROU reçoit, à Matignon, Bruno RETAILLEAU en tant que président des LR. Il est aussi son ministre de l'Intérieur. Bruno RETAILLEAU est opposé à la proportionnelle. Combien de temps il peut rester au Gouvernement, Bruno RETAILLEAU, dans ces conditions ?
MARC FERRACCI
Ecoutez, ce n'est absolument pas, je pense, le sujet de l'entretien qui va avoir lieu aujourd'hui.
ANTOINE COMTE
C'est la question qui se pose.
MARC FERRACCI
Je pense qu'il y a une réflexion à avoir sur la proportionnelle, sur le mode de scrutin. Qu'est-ce qu'on attend d'un mode de scrutin ? Un, qu'il représente correctement la population française et sa diversité. La proportionnelle est, de ce point de vue, un mode de scrutin plutôt adapté, mais aussi qui dégage des majorités. Et moi, je le vois, aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, vous avez une Assemblée extrêmement fragmentée qui rend très difficile la prise de décision. Je pense qu'il faut aussi intégrer cette réflexion dans la réflexion sur le mode de scrutin et la proportionnelle.
ANTOINE COMTE
Merci Marc FERRACCI, merci d'avoir répondu à nos questions.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 juin 2025