Texte intégral
C'est pour moi un honneur et un plaisir de vous retrouver pour une autre étape de notre dialogue diplomatico-parlementaire. Je salue à nouveau la contribution décisive des membres de votre commission à la diplomatie française, qu'il s'agisse de vos déplacements à venir au Liban, au Maroc et aux États-Unis ou dans le cadre de la 3ème conférence des Nations unies sur l'océan. Le 13 mai, jour de mon anniversaire, j'ai accueilli au Quai d'Orsay les présidents des groupes d'amitié de l'Assemblée nationale en présence de la présidente de celle-ci. C'était une première, et une manière de manifester l'intérêt et la considération que nous portons à la diplomatie parlementaire, parfaitement complémentaire du travail que nous menons.
Le 2 avril, nous avons évoqué le bilan de l'action diplomatique conduite au cours des cent premiers jours du gouvernement de François Bayrou. Je viens vous rendre compte de ce qu'a été notre action depuis lors et je commencerai par le sujet de la semaine : l'attractivité de notre pays. Sur la carte projetée à l'écran figurent, pour l'ensemble de notre territoire, les lieux concernés par les annonces d'implantation d'entreprises industrielles résultant de la politique d'attractivité de la France, notamment des sommets Choose France, dont la huitième édition s'est tenue hier à Versailles. J'insiste sur le rôle de nos ambassadeurs et de nos agents en service dans les missions diplomatiques et les postes consulaires. Ils ne passent pas leur temps dans des réceptions : ils accompagnent sans relâche nos entreprises à l'export et identifient les investisseurs internationaux pour les amener à prendre des décisions d'investissement qui concernent notre pays. La carte montre qu'au cours des six ou sept années écoulées, les bénéficiaires de la politique d'attractivité menée ont été toutes les Françaises, tous les Français et toutes les régions de France. Notre politique d'attractivité conduit à réindustrialiser ou à engager la réindustrialisation de sites particulièrement éprouvés par des décennies de désindustrialisation : ainsi de l'implantation à venir, sur le site de l'ancienne centrale à charbon de Saint-Avold, d'une usine de recyclage de textiles qui redynamisera le bassin d'emploi.
En Ukraine, nous continuons de jouer un rôle central dans la mobilisation des Européens et la coordination avec les Américains pour bâtir une coalition pour la paix et créer les conditions d'une paix solide et durable sur la base d'un soutien à l'Ukraine et, lorsqu'un cessez-le-feu sera intervenu, de capacités de réassurance et d'arrangements de sécurité. Nous avons réuni à Paris, le 17 avril dernier, les partenaires européens et américains et, pour la première fois, l'Ukraine, les Européens et les Américains étaient assis à la même table. Le 9 mai dernier, j'étais à Lviv, à l'Ouest de l'Ukraine, avec mes collègues ministres des affaires étrangères : nous avons acté la création du tribunal spécial qui jugera le crime d'agression russe contre l'Ukraine. Le 10 mai, j'ai accompagné le Président de la République à Kiev. Avec nos partenaires européens, nous avons réaffirmé notre priorité : un cessez-le-feu immédiat de 30 jours complet et inconditionnel. L'Ukraine l'a accepté et tous nos partenaires soutiennent cette démarche ; seule la Russie refuse d'y adhérer.
Pas de cessez-le-feu côté russe, pas de discussions en direct à Istanbul : si, donc, Vladimir Poutine ne veut pas la paix, nous devons l'y contraindre. Depuis trois ans, les sanctions européennes ont eu pour effet d'infliger 400 milliards d'euros de pertes à l'économie russe, l'équivalent de trois années d'effort de guerre. La semaine dernière, le dix-septième paquet de sanctions européen a été adopté par la Commission européenne. Il vise principalement la "flotte fantôme" utilisée par la Russie pour contourner l'embargo sur son pétrole et financer son économie de guerre. Nous sommes prêts à aller plus loin, en coordination avec les Etats-Unis, où les sénateurs préparent un train de sanctions massif visant les secteurs financier et pétrolier. Ils envisagent notamment d'instaurer des droits de douane de 500 % sur les importations de pétrole russe et sur toutes les importations en provenance de pays qui continueraient d'importer du pétrole russe. La Commission européenne travaille à une proposition un peu différente mais dissuasive. Ne demandons pas aux Etats-Unis ce qu'ils peuvent faire pour nous ; demandons-nous ce que nous pouvons faire pour l'Ukraine. Il nous appartient aussi de faire cesser à la guerre coloniale que la Russie mène contre cet Etat.
À Gaza, nous appelons inlassablement à un cessez-le-feu afin qu'un avenir politique se dessine pour les Palestiniens et les Israéliens. Gaza est une plaie ouverte aux yeux du monde. Tout y manque : l'eau, la nourriture, les soins, les médicaments. Selon le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), plus de 70 000 enfants ont besoin d'un traitement d'urgence contre une malnutrition aiguë. Dimanche dernier, après trois mois d'efforts diplomatiques constants, le gouvernement israélien a annoncé le déblocage d'une partie de l'aide humanitaire. Cette annonce est insuffisante. J'appelle à ce que l'aide humanitaire parvenant à Gaza soit immédiate, massive et sans entrave pour répondre à l'ampleur de la tragédie humaine en cours. Je condamne fermement la volonté exprimée par certains membres du gouvernement israélien de contraindre les populations, à force de destructions, à quitter définitivement Gaza. Ce projet est inacceptable et il est contraire aux intérêts de sécurité d'Israël. On ne construit pas la paix, la stabilité, la sécurité sur l'injustice et la violence.
Mon homologue néerlandais a demandé à la Commission européenne de réexaminer l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël si son article 2, qui impose le respect des droits de l'Homme, est violé. Nous avons appelé la Commission européenne à se saisir du dossier et à apporter une réponse à la hauteur de ce que vivent les Palestiniens. En attendant, il est urgent d'aller vers un cessez-le-feu, que cessent les souffrances des populations civiles, que soient libérés sans conditions tous les otages du Hamas - qui doit être désarmé -, dont les dirigeants doivent quitter la bande de Gaza et qui doit être exclu à l'avenir de toute forme d'administration de Gaza ou de la Palestine.
Dans ce contexte dramatique, nous préparons activement la conférence sur la solution à deux Etats que la France co-présidera avec l'Arabie saoudite du 17 au 20 juin prochains à New York ; c'est la seule initiative diplomatique porteuse d'espoir. Nous avons pour priorités la reconnaissance de l'Etat de Palestine, la normalisation par des pays musulmans de leurs relations avec Israël, les réformes de l'Autorité palestinienne, le désarmement du Hamas et l'architecture régionale de sécurité. Je recevrai, vendredi en principe, les représentants des pays arabes pour que nous puissions progresser.
J'ajoute que le ministère des affaires étrangères a réalisé deux opérations d'évacuation de la bande de Gaza les 16 et 25 avril. Elles ont permis de mettre à l'abri 174 personnes, ressortissants français et leurs ayants-droit, personnels de l'Institut français de Gaza et leurs familles et personnalités palestiniennes proches de notre pays.
Nous oeuvrons à la stabilisation de la Syrie. Le 7 mai, le Président de la République a été le premier chef d'Etat occidental qui ait reçu le président intérimaire Ahmed al-Charaa. Cette visite a permis de sécuriser des engagements importants dans la lutte contre le terrorisme de Daech - dont nous voulons écarter le risque de résurgence en Syrie -, les négociations avec nos alliés kurdes et la lutte contre l'impunité des crimes commis par le régime de Bachar al-Assad comme par les auteurs des exactions contre les communautés alaouites et druzes au cours des derniers mois. En contrepartie, nous avons annoncé la levée des sanctions économiques visant la Syrie, adoptée aujourd'hui au Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne ; le clan Assad et les groupes terroristes demeurent évidemment sous sanctions.
Sur place, nous rouvrons notre dispositif diplomatique. Le chargé d'affaires nommé pour renforcer l'action de la France auprès de toutes les composantes de la société syrienne s'est rendu à Damas pour la première fois la semaine dernière. Nous sommes lucides sur la situation politique en Syrie, où des affrontements ont eu lieu ces dernières semaines. Un accord a été trouvé le 2 mai entre le gouvernement syrien et les notables druzes mais la situation reste fragile. Comme il n'y a pas de paix possible sans justice, nous avons demandé aux autorités syriennes de traduire devant les tribunaux les auteurs des exactions et, à mon initiative, nous avons fait adopter des sanctions européennes visant les responsables des massacres perpétrés en mars contre la population alaouite, comme je m'y étais engagé publiquement.
Le dossier nucléaire iranien engage la sécurité du territoire national. Nous encourageons le dialogue ouvert par les Etats-Unis avec l'Iran et souhaitons qu'il aboutisse mais nous sommes vigilants. Si, dans quelques semaines, lorsque l'accord sur le nucléaire iranien expirera, nos intérêts de sécurité n'étaient pas garantis, nous appliquerions à nouveau les sanctions que nous avions décidé de lever lors de la signature de cet accord, il y a dix ans.
Nous sommes mobilisés sans relâche pour obtenir la libération des otages Cécile Kohler et Jacques Paris, couple de professeurs emprisonné arbitrairement depuis trois ans en Iran et détenu dans des conditions assimilables à de la torture. Je remercie l'Assemblée nationale de leur avoir rendu hommage. Comme je vous l'avais annoncé, nous avons fait adopter le 14 avril dernier des sanctions européennes contre les responsables des services pénitentiaires et judiciaires iraniens qui mettent en oeuvre cette politique d'otages d'Etat. Le 16 mai, comme je m'y étais également engagé devant vous, nous avons déposé plainte devant la Cour internationale de justice pour violation du droit international par les autorités iraniennes, qui refusent à nos ressortissants la protection consulaire à laquelle ils ont droit. Ne leur ont été permises que quatre visites consulaires en trois ans, dans des conditions extrêmement restrictives. Les services du ministère continuent d'accompagner étroitement les familles et les proches de Cécile Kohler et de Jacques Paris dans cette épreuve douloureuse.
Au Soudan, la guerre entre l'armée et la milice paramilitaire des Forces de soutien rapide continue de plonger le pays dans la crise humanitaire la plus grave que connaît le monde ; 12 millions de personnes sont déplacées et 30 millions sont au bord de la famine. Pour marquer les deux ans de ce conflit, nous avons organisé le 15 avril dernier, à Londres, avec le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Union européenne et l'Union africaine la deuxième Conférence humanitaire pour le Soudan que j'ai co-présidée. La première s'était tenue à Paris. Vingt-deux Etats et organisations internationales et régionales ont participé à cette rencontre qui a permis de lever près d'un milliard d'euros d'aide supplémentaire pour soutenir la population soudanaise. Nous continuerons de nous mobiliser pour éviter de devoir marquer le troisième anniversaire de ce conflit.
En Europe, nous avons fait redémarrer au quart de tour le moteur franco-allemand. Le nouveau chancelier, Friedrich Merz, est venu à Paris rencontrer le Président de la République le 7 mai, dès le lendemain de son élection. J'ai rencontré mon homologue allemand le même jour et nous nous sommes rendus ensemble à Varsovie, puis à Lviv le 9 mai, pour rappeler notre détermination à soutenir l'Ukraine. Face à la menace russe et compte tenu de la posture de l'administration américaine, nous sommes décidés à rebâtir un couple franco-allemand fort, capable de redonner une impulsion solide à l'Europe. La compétitivité sera au coeur de notre action. Nous agirons pour renforcer nos convergences en matières économique, fiscale, sociale, de sécurité et d'immigration.
Le 9 mai, nous avons aussi célébré le 75ème anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, point de départ de la construction européenne et, le même jour, signé le traité pour une coopération et une amitié renforcées avec la Pologne dit "traité de Nancy". Je salue l'engagement des agents de mon ministère qui ont rendu ce succès diplomatique possible au terme de négociations très dures. Ce traité touche à de très nombreux domaines : énergie, mobilité étudiante, industrie et coopération de défense. Il comporte notamment une clause de solidarité mutuelle en cas d'agression. C'est le premier accord d'une telle ampleur signé par la France avec un pays qui ne lui est pas limitrophe.
Je me rendrai la semaine prochaine en Arménie pour poursuivre nos initiatives en faveur d'une paix respectueuse de l'intégrité territoriale et de la souveraineté des deux États concernés. J'invite les membres du groupe d'amitié qui le souhaitent à se joindre à ce déplacement. Lors de ma dernière audition, je vous avais indiqué combien nous étions mobilisés en faveur de la signature rapide du traité de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ; cette mobilisation ne faiblit pas et le Président de la République s'est entretenu avec le premier ministre arménien vendredi dernier à Tirana. Les deux pays se sont mis d'accord sur les termes d'un traité de paix mais les travaux se poursuivent sur la délimitation de la frontière. La France a exprimé avec l'Union européenne et les Etats-Unis le souhait de voir le traité signé et ratifié dans les meilleurs délais. L'Arménie accueillera d'autre part à Goris, les 2 et 3 juin, les Assises de la coopération décentralisée franco-arménienne. Je souligne l'importance de l'implication des élus au service de notre action diplomatique. Les collectivités territoriales, par le biais de la coopération décentralisée et de leur action internationale, sont le premier partenaire du ministère des affaires étrangères.
La Communauté politique européenne a tenu son sixième sommet à Tirana le 16 mai dernier. Quarante-sept dirigeants européens ont répondu à l'appel, dont Volodymyr Zelensky, et des échanges importants ont eu lieu sur la sécurité européenne et la lutte contre les ingérences étrangères. La Communauté, lancée en 2022 pendant la présidence française de l'Union européenne, a démontré sa pertinence ; elle illustre la force créative de la diplomatie française.
Du 2 au 13 juin prochains, nous accueillerons à Nice la 3ème Conférence des Nations unies sur l'océan. L'océan est l'affaire de tous. Il produit la moitié de l'oxygène que nous respirons : c'est notre plus grand puits de carbone - il absorbe 30 % de nos émissions de CO2 - et un réservoir de biodiversité, un quart des espèces y ayant leur habitat. Pourtant, l'océan reste méconnu, ne dispose ni d'une gouvernance globale ni des financements nécessaires à sa préservation, et il est en danger. Nous souhaitons que la 3ème Conférence marque pour l'océan un tournant équivalent à ce que fut l'accord de Paris pour le climat il y a dix ans. Vous êtes toutes et tous invités à participer, le 8 juin, au Parlement de la mer qui rassemblera des parlementaires du monde entier. Je remercie les députés Eléonore Caroit et Hervé Berville qui se sont fortement mobilisés pour donner le maximum d'impact à ce très important sommet.
Je reviens sur les deux chantiers de transformation du ministère dont j'avais fait état devant vous le 2 avril.
Le premier vise à mesurer l'impact de notre action sur la vie quotidienne des Françaises et des Français. Nous avons lancé un travail interne permettant non seulement de faire valoir tout ce que le ministère apporte à nos compatriotes établis à l'étranger - je parle, ce disant, du service public sans doute le mieux géré de France, qu'il s'agisse de la délivrance des actes, de l'accès à l'enseignement ou de l'organisation des votes, qu'ils peuvent réaliser par Internet - mais aussi de démontrer précisément l'impact de l'action diplomatique de la France sur les préoccupations de nos concitoyens. Je vous parlais tout à l'heure de l'importance de la politique d'attractivité pour l'emploi mais il n'y a pas que cela : les agents du ministère à Paris et dans les postes diplomatiques sont pleinement mobilisés dans la lutte contre l'immigration irrégulière, le narcotrafic et le terrorisme. Le groupe de travail que nous avons constitué avec des volontaires issus de toutes les directions du ministère nous permettra de le faire apparaître. J'en dirai un mot demain à la commission des finances de votre Assemblée, qui m'auditionnera sur le bilan de l'année 2024 dans le cadre du Printemps de l'évaluation.
Je vous avais aussi dit notre intention de "monter le son", afin que la voix de la France soit entendue pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle dit dans un monde structuré par des réseaux sociaux qui déforment et fragmentent l'espace public. Cela vaut pour les messages que porte la France. Cela vaut aussi pour riposter lorsque la France ou son image sont prises pour cibles par des acteurs étrangers qui veulent lui causer du tort.
Pour mieux faire comprendre l'action de la France à l'étranger, nous avons engagé une démarche auprès des diasporas, notamment africaines, en France. Le Forum Ancrages, que nous avons organisé à Marseille il y a quelques semaines, visait à mettre en valeur les créateurs et les entrepreneurs issus des diasporas qui forment des ponts entre la France et les pays africains et montrent par leurs activités et les programmes dont ils sont les bénéficiaires ou les lauréats l'approche transformée de la France vis-à-vis des pays d'Afrique. Cette approche partenariale qui respecte la souveraineté des pays africains tend à des coopérations mutuellement bénéfiques. J'ai aussi engagé le dialogue avec les principales figures des grandes diasporas africaines en France. Je poursuivrai ce travail.
S'agissant de la riposte, je signale que, pour la première fois, nous avons officiellement attribué au service de renseignement militaire russe des cyberattaques sur le mode APT28 ayant pris pour cibles l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et la campagne présidentielle de 2017, le dénonçant donc publiquement comme nous avions dénoncé l'origine russe d'une campagne de désinformation, par le mode opératoire informationnel Storm-1516, visant des élections un peu partout en Europe - y compris, en France, les élections européennes et législatives de 2024. Vous aurez aussi constaté que nous avons riposté avec plus de vigueur que par le passé à deux opérations récentes. L'une, dite "du mouchoir", tendait à faire passer un mouchoir en papier pour un pochon de cocaïne dans le train emmenant les dirigeants européens jusqu'à Kiev. Plus récemment, nous avons été la cible d'allégations infondées sur une supposée ingérence de la France dans le processus électoral en Roumanie alors que, chacun s'en souvient, si les élections ont eu lieu dimanche dernier dans ce pays c'est parce que la première tentative a dû être annulée après qu'il eut été établi que les règles de financement de la campagne électorale avaient été dévoyées avec l'aide du réseau TikTok pour favoriser l'émergence d'un des deux candidats. Nous avons très vigoureusement réagi aux allégations infondées dont la France était la cible ce week-end, et vous pouvez vous attendre à ce que, dans les semaines et les mois qui viennent, nous montions également le son en matière de riposte.
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R - Il est vrai que l'absence de Vladimir Poutine à Istanbul n'était pas un détail mais un message. Initialement, nous considérions qu'un cessez-le-feu ne suffisait pas car nous voulions une paix durable mais Donald Trump, jugeant que l'on ne peut pas négocier sous les bombes, a beaucoup insisté en ce sens. Il avait raison, puisque les discussions engagées il y a trois ans, à Istanbul déjà, avaient été interrompues par le massacre de Boutcha. Cela signifie que lorsqu'on se bat pour un cessez-le-feu et que l'on essaye de structurer l'architecture de sécurité d'une région comme celle-là, on a assez peu de chances d'y parvenir. Nous avons désormais intérêt à bloquer la continuation de la guerre coloniale de Vladimir Poutine par la menace de sanctions suffisamment dissuasives pour produire un effet utile : le cessez-le-feu.
Je parle presque un jour sur deux au téléphone au sénateur américain Lindsey Graham, qui est à l'origine de la proposition de loi tendant à taxer à 500 % les importations en provenance de pays qui continuent d'acheter du pétrole russe. La base de réflexion de la Commission européenne pour le nouveau paquet de sanctions dissuasives n'est pas tout à fait la même mais nos échanges avec les sénateurs américains nous ont permis de faire accélérer ce travail, la Commission n'ayant pas l'intention, avant que nous fassions monter la pression, de remettre l'ouvrage sur le métier avant l'été. Nous avons donc obtenu qu'elle se retrousse les manches et c'est une bonne chose. Je veux une nouvelle fois mettre en valeur le travail des agents du ministère : pour le 17ème paquet de sanctions que nous avons adopté et qui n'est pas de nature à interrompre la progression de Poutine, le Quai d'Orsay a fourni à lui seul près de la moitié des désignations, alors que l'Union européenne compte vingt-sept membres. J'appelle tous les Européens à trouver des moyens de contribuer à cet effort de sanctions.
Avec l'Algérie, nous avons appliqué les ripostes que j'avais annoncées : immédiates, fermes et proportionnées. La vérité, c'est que, par leurs décisions, les autorités algériennes ont dénoncé de facto l'accord de 2013 régissant la délivrance et l'utilisation des passeports diplomatiques entre nos deux pays. Ce faisant, elles creusent encore le fossé qu'elles ont contribué à établir entre nos deux gouvernements. C'est donc à elles qu'il faut demander comment rétablir le dialogue ; pour notre part, nous ne voyons, à ce stade, aucun espace de dialogue possible. Nous sommes très préoccupés par l'état de santé de Boualem Sansal et très attentifs à sa situation. Le procès en appel a encore été repoussé et je le déplore. Je souhaite que le jugement intervienne au plus vite et qu'ensuite les autorités algériennes, comme nous les y avons appelées, fassent un geste d'humanité à son égard.
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R - Vous êtes un peu dure. Nos diplomates ont des raisons d'être fiers de l'action qu'ils mènent. Je vais néanmoins vous répondre point par point.
Au Sahel, je vous le disais, notre point d'entrée, même si des difficultés - que nous devons régler - subsistent sur la question des visas des étudiants, est la société civile. C'est pourquoi la première des diasporas que j'ai rencontrées est la diaspora malienne : l'une des principales en France, dont certains représentants sont opposés à la junte au pouvoir dans leur pays, ont envie d'un autre avenir pour le Mali et sont attachés à la France comme ils le sont à leur pays d'origine. C'est avec eux que nous voulons rebâtir une relation. C'est la raison pour laquelle, au Sahel et ailleurs, les liens établis par la diplomatie parlementaire dans les pays où vous vous déployez sont si précieux.
Il n'y a aucune raison que la décision prise par la France au sujet du Sahara occidental ait un impact sur notre relation avec l'Algérie. Beaucoup de pays européens ont pris cette décision avant nous sans que l'Algérie en tire des conséquences pour sa relation avec eux. La France a le droit souverain d'entretenir les relations qu'elle entend, différentes les unes des autres, avec chacun des pays de son voisinage immédiat.
Je trouve aussi dure l'appréciation que vous portez sur l'annonce que la France est déterminée à reconnaître l'Etat de Palestine à brève échéance. Cette annonce a soulevé une espérance et de nombreux pays européens attendent que nous fassions ce mouvement pour le faire avec nous. On ne peut s'empêcher de vouloir que cette décision ne reste pas que symbolique, même si les symboles comptent, surtout quand la perspective d'une solution politique est fragilisée comme elle l'est aujourd'hui. Imaginons que l'on parvienne ainsi au désarmement du Hamas et à une réforme en profondeur de l'Autorité palestinienne la mettant en mesure, le moment venu, d'administrer l'État de Palestine ? Il est difficile de ne pas vouloir le tenter.
On peut toujours faire mieux, certes, mais l'accord de Paris sur le climat est l'un des grands succès de ces dernières décennies de la diplomatie française. Nous démontrerons, lorsque nous célébrerons son dixième anniversaire cette année, qu'il a eu un impact mesurable sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. L'accueil de la 3ème Conférence des Nations unies sur l'océan, auquel nous consacrons tant d'énergie et de ressources, est une nouvelle démonstration de la volonté de la France de ne rien lâcher à ce sujet, comme sur les autres.
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R - Vous avez raison, Vladimir Poutine a pour stratégie la conquête par les armes sur le champ de bataille en Ukraine mais aussi l'influence dans les urnes lors des derniers scrutins européens. Il est heureux que les dégâts causés lors du scrutin de la fin 2024 aient pu être réparés, mais le mal est fait. Se pose bien sûr la question de savoir si la Roumanie, située sur le flanc oriental de l'Union européenne et en prise directe avec une Russie désormais armée jusqu'aux dents, a intérêt ou non à se donner un dirigeant nationaliste et pro-russe. Mais, de manière plus grave et plus profonde, l'annulation de l'élection présidentielle a indiqué qu'à moins que nous nous réveillions, nous prenions le risque de voir démontré que les élections peuvent être facilement manipulées - et si le sentiment s'installe qu'il en est ainsi, s'installe aussi le sentiment qu'elles sont peut-être insincères et que ce n'est peut-être pas la meilleure manière de prendre les décisions.
Nous devons donc prendre cette question très au sérieux, d'abord en détectant ces manoeuvres. Cela suppose de disposer de moyens d'expertise particuliers et la France a pris un peu d'avance avec Viginum. Cela suppose aussi de préserver et de défendre une presse libre, indépendante, pluraliste, l'un des leviers principaux pour détecter ces manoeuvres. Il faut ensuite leur faire échec. J'ai parlé de la riposte mais les plateformes de réseaux sociaux doivent prendre leurs responsabilités. Elles sont codifiées par le règlement sur les services numériques démocratiquement adopté au niveau européen et que la Commission européenne est chargée d'appliquer. Ce règlement établit que les plateformes de réseaux sociaux doivent veiller à ce que leurs services ne perturbent pas le débat public et l'exercice démocratique. Des enquêtes ont été diligentées ; il est temps qu'elles soient conclues et que des sanctions soient prononcées. Il y a enfin une question d'immunité collective : nul d'entre nous ne doit se laisser contaminer, afin de ne pas contaminer les autres. Cela suppose le développement de l'esprit critique.
La plainte que nous avons déposée contre l'Iran devant la Cour internationale de justice va être plaidée et si, comme je l'imagine, l'Iran est estimé coupable par les juges, il sera condamné. Cette plainte est aussi un levier de pression. Si nous avons pu obtenir une très courte visite consulaire cette année, c'est grâce à la pression que nous avons collectivement fait monter sur l'Iran, et je vous invite à continuer de faire pression sur ce pays au sujet de nos deux otages.
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R - Je trouve dans cet accord une satisfaction presque personnelle, parce qu'il y a un an exactement, j'étais à Boulogne-sur-Mer avec des pêcheurs très inquiets sur le sort qui leur serait réservé. Alors qu'approchait la renégociation des accords du Brexit, l'accès aux eaux britanniques risquait de leur être interdit en 2026. Grâce à l'accord trouvé par la Commission européenne - et la France a tapé du poing sur la table ou, en tout cas, a rechigné à laisser filer un accord sans avoir de garanties -, cet accès sera préservé jusqu'en 2038.
S'agissant des programmes militaires, nous défendons la même position que vous : nous travaillerons plus étroitement avec le Royaume-Uni tout en conservant notre objectif, celui de la souveraineté européenne, en matière de défense comme en d'autres domaines. Et si le rapprochement est manifeste, le Royaume-Uni ne peut pas être traité tout à fait comme un Etat membre de l'Union européenne, ni même comme les membres de l'Espace économique européen, qui contribuent financièrement à la politique de cohésion.
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R - Le Président de la République, en déplacement dans la région la semaine prochaine, abordera la question du Myanmar avec tous ses interlocuteurs. Avec plus de 11 millions d'euros d'aide humanitaire en 2024 et son soutien aux organisations de la société civile et de l'opposition démocratique, la France est au premier rang de l'aide donnée par l'Union européenne, qui a été de 46 millions d'euros en 2024. Pour porter assistance aux populations touchées par le séisme du 28 mars dernier, la France a apporté une aide exceptionnelle de 2 millions d'euros, dont 1 million est allé aux ONG françaises sur place, 0,5 million au Programme alimentaire mondial et 0,5 million au Comité international de la Croix-Rouge. Nous continuerons de soutenir la population birmane au Myanmar et les personnes déplacées dans les pays voisins. Nous poursuivrons aussi nos pressions sur le régime issu du coup d'Etat, par le biais de la politique européenne de sanctions à l'encontre des entreprises et des individus birmans impliqués dans la fourniture de matériel militaire ; le neuvième train de sanctions a été adopté en octobre 2024. La France appelle également à l'arrêt durable des violences et à l'ouverture d'un dialogue incluant toutes les parties, conformément au consensus en cinq points de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et à la résolution 2669 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nous sommes très opposés aux modalités de la délivrance de l'aide humanitaire à Gaza présentées par le gouvernement israélien et que vous avez décrites. Elles contreviennent au droit international humanitaire en prévoyant le criblage des organisations qui peuvent délivrer l'aide ainsi que le criblage des bénéficiaires. On ne peut méconnaître le détournement par le Hamas d'une partie de l'aide humanitaire, qui a contribué à entraver la tâche des travailleurs humanitaires sur place, mais la solution proposée créerait un précédent dangereux et nous ne pouvons que nous y opposer.
(...)
R - Avant de vous répondre, je vous indique qu'une dépêche tombée à l'instant nous informe que le Royaume-Uni dénonce son accord de libre-échange avec Israël. L'accord d'association entre l'Union européenne et Israël suppose le respect de son article 2 stipulant que les relations entre les parties sont fondées sur le respect des droits de l'Homme. Les Pays-Bas ont proposé - et nous soutenons cette proposition, je vous l'ai dit - que la Commission européenne examine le respect de l'article 2 par le gouvernement israélien. La discussion doit avoir lieu aujourd'hui à Bruxelles mais j'ai préféré être avec vous plutôt qu'avec mes collègues au Conseil européen.
S'il est avéré que le gouvernement israélien ne respecte pas l'article 2 de cet accord, plusieurs possibilités sont envisageables. La première est, comme l'avait proposé Josep Borrell, le précédent Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de convoquer les Européens et les Israéliens pour que l'on en discute. Cela a été fait mais Israël n'a pas répondu à cette sollicitation. La deuxième possibilité, c'est la suspension de l'accord d'association dans son entier : elle requiert l'unanimité, hors d'atteinte aujourd'hui. La troisième possibilité est la suspension du volet commercial de l'accord : elle suppose une majorité qualifiée qui, selon nos estimations actuelles, n'est pas tout à fait à portée. C'est pourquoi nous avons, en première intention, soutenu l'effort des Pays-Bas. Mais lorsque nous avons pris des initiatives au niveau européen, nous avons privilégié celles qui avaient toutes les chances d'aboutir rapidement. Ce fut le cas pour les sanctions contre les colons extrémistes et violents et les entités favorisant ou participant d'une manière ou d'une autre à la colonisation. C'est aussi ce qui explique nos efforts en perspective de la conférence internationale, en juin, visant à la reconnaissance de l'État de Palestine et à faire progresser la solution à deux États.
Pour le Salon du Bourget, nous prendrons une décision en temps et en heure. Vous savez quelle a été la politique de la France pour les salons Eurosatory et Euronaval et ce qu'est sa position au sujet des exportations d'armes à destination d'Israël.
J'ai épuisé mon temps de parole, monsieur le président, mais je reparlerai très volontiers du Sahara occidental.
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R - Je comprends que le profil du président de transition de la Syrie ne vous réjouisse guère mais, si vous étiez à ma place, votre principale préoccupation serait précisément de contenir le risque de résurgence de Daech en Syrie en profitant de la période intérimaire. Daech qui n'a qu'une chose en tête : aller ouvrir les prisons qui, dans le Nord-Est syrien, contiennent plusieurs dizaines de milliers de combattants terroristes, dont des combattants terroristes étrangers et leurs familles. C'est cela notre priorité absolue parce que, comme vous l'avez dit, c'est en Syrie qu'ont été fomentés les attentats du 13 novembre 2015, au Bataclan et ailleurs.
C'est aussi de Syrie que, fuyant les persécutions et les crimes du régime de Bachar al-Assad, sont partis des millions de réfugiés prenant le risque de perdre leur vie en Méditerranée pour chercher l'asile en Europe.
Donc, oui, quelques semaines après la chute de Bachar al-Assad, je me suis rendu en Syrie avec ma collègue allemande pour dire aux autorités quelles étaient nos attentes et dans quelles conditions nous pouvions espérer coopérer avec elles. Nous leur avons demandé de laisser l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques entrer en Syrie pour recenser et détruire les stocks d'armes ; c'est chose faite. Nous leur avons demandé d'engager un dialogue avec les Kurdes, avec lesquels nous avons des liens historiques, parce qu'ils sont nos alliés dans la lutte contre Daech et parce qu'ils gardent les prisons dans lesquelles sont détenus les combattants terroristes de Daech ; ce dialogue a commencé. Nous leur avons demandé de constituer un gouvernement un peu plus représentatif ; la pleine représentativité de toutes les composantes syriennes n'est pas encore atteinte mais, de fait, le nouveau gouvernement est plus représentatif que le précédent. Nous ne faisons pas de chèque en blanc : nous jugeons sur les actes et nous veillons à tout instant à ce que nos attentes soient respectées.
Il en est deux en particulier, que nous avons formulées lors de la visite du président intérimaire. La première, c'est l'engagement ferme de lutter contre Daech. Il n'a guère eu d'hésitation à ce sujet, Daech voulant faire tomber le président et même, à mon avis, l'exécuter à la première occasion. Mais parce que nous voulions un engagement beaucoup plus ferme, publiquement assumé, nous avons demandé que le gouvernement syrien écrive au Conseil de sécurité des Nations unies pour réclamer le soutien explicite de la coalition internationale contre Daech, à laquelle nous appartenons. Nous avons aussi demandé que soient traduits en justice tous les responsables - quels qu'ils soient et quelle que soit leur proximité avec le gouvernement actuel - des exactions commises à l'encontre des communautés alaouites et druzes. Notre dialogue est donc très exigeant.
Je note que vous n'avez pas mentionné la décision prise par le président Trump de rencontrer Ahmed al-Charaa, parce qu'il en vient à la même conclusion que nous : il voit que, dans l'intérêt de la sécurité des Etats-Unis, pour éviter la résurgence de Daech et sa prolifération partout au Moyen-Orient, il est obligé d'être réaliste et donc de travailler avec cette autorité de transition.
(...)
R - Il a eu le même tarif, si je puis dire, que n'importe quel dirigeant en visite dans notre pays. La question qui se pose à nous, lorsque nous nous intéressons à la sécurité des Français, c'est d'éviter le risque, que vous ne devez pas sous-estimer, d'une très forte résurgence de Daech en Syrie. La France a toujours été du côté des Syriennes et des Syriens. Nous avons toujours dénoncé la répression sanglante du régime de Bachar al-Assad ; nous avons permis l'exfiltration de César, le lanceur d'alerte syrien qui par ses milliers de photos des corps torturés par les bourreaux du régime de Bachar al-Assad a éveillé la conscience internationale, permis aux Etats-Unis et aux Européens de prendre des sanctions contre ce régime qui a assassiné près de 500 000 personnes, utilisé des armes chimiques contre son propre peuple et développé la torture à l'échelle industrielle. Lorsque, par une coalition de mouvements aux origines troubles - c'est vrai -, le régime est tombé, les Syriens que nous avions soutenus pendant dix ans nous ont dit : soyez exigeants avec eux mais donnez-leur une chance de rétablir le pays.
La perception est celle-là, y compris chez ceux qui ont été les victimes du terrorisme en Syrie : il faut encourager les autorités de transition, celles qui ont été reçues à Paris, à oeuvrer sur la bonne voie : celle qui ne laisse aucune place au terrorisme de Daech et au terrorisme islamiste tout court, une voie qui permet à toutes les composantes de la société syrienne de vivre dans un pays unifié, où chacun a le droit d'accéder à la pleine citoyenneté, un pays qui redevient un foyer de stabilité dans la région en coopérant de manière pacifique avec ses voisins, le Liban, Israël et l'Irak. S'il n'en va pas ainsi, nous risquons de voir se perpétuer ce que le régime de Bachar al-Assad a fait de la Syrie : un pays réduit en quelque sorte à un entrepôt logistique pour l'activité de tous les proxies de l'Iran que sont les Houthis, le Hamas et le Hezbollah, un foyer d'instabilité d'où partent les projections d'attaques terroristes et d'immenses vagues migratoires qui déferlent vers l'Europe et où prolifèrent les armes chimiques.
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R - Le désarmement d'un groupe armé, et même d'un groupe terroriste, a fonctionné dans certaines situations historiques desquelles on peut s'inspirer pour construire un processus ordonné de désarmement, démobilisation et réintégration. C'est évidemment d'autant plus difficile que la guerre fait rage à Gaza, puisqu'à chaque fois que l'armée israélienne lance une offensive, elle donne en quelque sorte un prétexte au Hamas pour ne pas désarmer. La situation n'est pas spécifique à Gaza et c'est pourquoi nous appelons Israël à ne pas donner de prétexte au Hezbollah au Liban pour se reconstituer ou perturber un processus désormais sur les rails. Certains pays se sont manifestés après nos déclarations récentes ; ils veulent non seulement reconnaître l'Etat de Palestine mais aussi contribuer à notre démarche qui, vous l'avez compris, est de faire levier, par la puissance symbolique d'une telle décision, pour obtenir des contreparties. L'Egypte et le Qatar sont en attente d'une telle décision puisqu'ils soutiennent la cause palestinienne mais ils ont aussi compris que nous pouvons peut-être, grâce à eux, obtenir des concessions de certains acteurs, Palestiniens ou pays de la région.
Avons-nous les moyens d'amener le gouvernement israélien à cesser le feu ? Ce que je peux vous dire à ce sujet, c'est que si tous les pays du continent européen ou nord-américain s'étaient comportés comme la France depuis le 7 octobre 2023, nous n'en serions sans doute pas là. Certains des leviers dont nous disposons sont européens ; nous avons tenté de les activer lorsque nous le pouvions et, par nos déclarations récentes, nous avons déclenché une dynamique diplomatique. Il n'est pas innocent que le Royaume-Uni et le Canada aient emboîté le pas de la France avec la déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement, historique par ses termes et par les engagements dont elle témoigne. Nous allons travailler dur, avec l'aide des parlementaires, pour aboutir aux meilleurs résultats possibles à la conférence de New York, en espérant aboutir. Mais pour cela, il faut se retrousser les manches.
(...)
R - Dénonciation de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, embargo européen immédiat sur les armes, soit ; mais comme l'indique l'intitulé de ces propositions, cela ne dépend pas que de la France. D'autre part, je vous l'ai dit, si d'autres avaient adopté la même attitude que la nôtre au sujet des livraisons d'armes, nous ne serions pas dans la situation que nous connaissons aujourd'hui. Mais la situation humanitaire catastrophique à Gaza fait que de plus en plus de voix s'élèvent, que de plus en plus de pays font mouvement. Ainsi de l'initiative des Pays-Bas tendant au réexamen de l'accord d'association en cas de violation avérée de l'article 2 du texte. De même, le Canada et le Royaume-Uni ont accepté de signer la déclaration que la France leur a proposée. Ce sont des mouvements auxquels on ne se serait pas attendu il y a encore quelques mois. Nous avons donc aussi une capacité d'entraînement pour essayer d'exercer la bonne pression sur le gouvernement israélien.
Le travail de mémoire au Sénégal est très important ; vous le rappelez à juste titre. Il appartient aux instances du Parlement de décider si une commission d'enquête est indispensable. Pour ce qui me concerne, je soutiens la poursuite de ce travail ; je l'ai dit à Thiaroye. Nous ne voulons pas que notre histoire soit entachée d'une manière que nous n'avons pas pris le soin de confier à l'examen des historiens.
En Côte d'Ivoire, nous soutenons tous les efforts en faveur d'un processus électoral inclusif, transparent et apaisé. Nous entretenons un dialogue avec toutes les forces politiques et la société civile ivoiriennes. Nous suivons la situation avec attention, sans ingérence parce que nous respectons la souveraineté de nos partenaires comme nous exigeons qu'ils respectent la nôtre, et sans indifférence car nous sommes liés à ce pays par un partenariat ancien et étroit. La décision de réviser la liste électorale relève de la responsabilité des institutions ivoiriennes.
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R - Les sanctions ont un impact, je le pense comme vous. Elles ont privé la Russie d'environ 400 milliards d'euros, l'équivalent d'un effort de guerre de trois ans. N'eussent-elles pas été prises qu'Odessa serait peut-être aux mains des Russes et peut-être auraient-ils réussi une percée jusqu'à Kiev. Les sanctions ont aussi une portée symbolique, ce pourquoi, vous l'avez dit, la plupart des pays sanctionnés en demandent la levée. Mais les régimes de sanction européens sont parfois frustrants en ce qu'ils supposent l'unanimité. Aussi ai-je demandé que nous révisions notre capacité à prendre des sanctions plus facilement au niveau national, ce que nous faisons volontiers quand nous le pouvons : ainsi des sanctions à l'encontre de 28 colons extrémistes et violents qui ont pris la forme de restrictions d'accès au territoire national et, par extension, à l'espace Schengen, mais nous voudrions aussi pouvoir prononcer des gels d'avoirs, ce qui est beaucoup plus compliqué. J'ai donc demandé la réforme de notre dispositif de sanction, s'agissant des personnes ou entités visées et de la constitution des dossiers, un exercice long et pénible. Je vous l'ai dit, la France a, à elle seule, apporté près de la moitié des preuves permettant de préparer le 17ème paquet de sanctions contre la Russie ; c'est beaucoup de temps mobilisé pour aller les chercher et les rassembler.
S'agissant d'Israël, l'émotion est très vive dans plusieurs Etats membres de l'Union européenne et nous verrons jusqu'où ira le Conseil européen la prochaine fois qu'il se réunira et qu'il sera saisi de la question. Certains pays ont déjà reconnu l'Etat de Palestine ; d'autres s'interrogent. Le Conseil européen a une plus grande latitude si un quasi-consensus se dessine pour agir. C'est peut-être ainsi que, comme vous l'avez dit, les choses pourraient se débloquer.
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R - Notre objectif est de faire faire mouvement à l'ensemble des parties. J'ai des échanges avec mes collègues européens et je constate que mon collègue norvégien, qui a déjà pris la décision, souhaite aider à rassembler un certain nombre de pays pour aller dans la même direction que la nôtre. Je recevrai vendredi, je vous l'ai dit, des représentants des pays arabes. J'aurai des contacts avec l'Autorité palestinienne et avec les principaux interlocuteurs du Hamas au sujet du désarmement. La société civile ne doit pas être oubliée et c'est pourquoi je vous invite à ne pas confondre complètement le gouvernement israélien et le peuple d'Israël car des voix s'élèvent dans la société civile israélienne qui aspirent à la paix. Il faut toujours faire cette différence, et la conférence de New York doit aussi être l'occasion de les mettre en valeur et de faire dialoguer des Israéliens et des Palestiniens pour parvenir à la solution politique de deux Etats. Tel est notre programme de travail.
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R - C'est aux autorités algériennes, dont les décisions récentes sont injustifiables, qu'il faut poser la question. L'expulsion de douze agents français en poste à Alger a été brutale sur le plan diplomatique et très brutale pour les agents eux-mêmes, sommés de quitter leur domicile et leur famille sous 48 heures. Nous avons dû répondre par la fermeté, de manière proportionnelle et immédiate. Quelques jours plus tard, nous avons assisté au renvoi des agents français en Algérie titulaires de passeports diplomatiques en mission de moins de 90 jours : autrement dit, à la dénonciation tacite de l'accord de 2013 régissant la délivrance et l'utilisation des passeports diplomatiques. Ces très graves décisions des autorités algériennes ne sont au bénéfice ni de la France ni de l'Algérie, et tous les binationaux qui vivent d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée en subissent les conséquences les plus lourdes. C'est vraiment aux autorités algériennes qu'il appartient de se poser la question.
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R - Je vous remercie d'appeler notre attention sur ce sauvetage en mer ; les éléments me manquent pour vous répondre à ce sujet. Soyez assuré de notre détermination à resserrer plus encore le suivi et le contrôle de la distribution par la Commission européenne des fonds dont elle a la responsabilité.
S'agissant de l'aide française au développement, les députés de la commission des affaires étrangères, les rapporteurs de la commission des finances et maintenant une commission d'évaluation de l'aide publique au développement me paraissent très bien armés pour contrôler ce type de dérives si elles se manifestaient.
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R - Il y a un partage des rôles entre le ministère de l'intérieur et le ministère des affaires étrangères. Pour notre part, nous sommes en train d'appliquer les propositions du rapport Hermelin. Elles sont fondées sur le constat que la délivrance de visas est un levier d'attractivité et d'influence et qu'elle concourt à notre prospérité quand elle a pour effet de faire venir des talents qui, par leurs travaux de recherche, leurs entreprises, leurs créations artistiques, enrichiront notre pays. J'ai pris note du cas que vous avez mentionné ; je l'examinerai pour vous apporter une réponse plus détaillée sur les raisons ayant conduit les agents de nos postes consulaires à ne pas délivrer ces visas.
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R - Nous avons restreint l'accès à la France de membres de la nomenklatura algérienne en janvier et ces mesures ont été vivement ressenties par les personnes concernées. Ensuite, nous avons répondu aux mesures prises par les autorités algériennes avec une stricte réciprocité : pour douze agents expulsés d'Algérie, douze agents expulsés de France, puis renvoi des agents algériens titulaires de passeports diplomatiques sans visa en mission de courte durée. Les autorités algériennes nous ont fait savoir que tout Français se rendant en Algérie en mission de moins de 90 jours devrait désormais obtenir leur agrément. C'est une violation des termes de l'accord de 2013, qui ne prévoit rien de cela. Nous appliquons donc la même mesure. Comme je vous l'ai dit, par ces décisions les plus récentes, les autorités algériennes ont de facto dénoncé cet accord.
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R - D'abord, pour compléter ma réponse à M. Pfeffer, je n'exclus évidemment rien, y compris les bonnes idées du président Hollande : dès lors que de nouvelles atteintes seraient portées aux intérêts français, on ne peut exclure de prendre des sanctions pour rétablir la France dans ses intérêts.
S'agissant de la bataille des communiqués, si vous entendez donner des leçons de droit international au Quai d'Orsay, madame la députée, commencez par prendre connaissance de ce que ce droit est précisément. Contrairement à ce que vous affirmez régulièrement, le droit coutumier international prévoit des régimes d'immunité et il n'y a pas de consensus absolu sur la manière d'équilibrer les obligations faites aux États membres de la CPI, dont fait partie la France, et le respect de ce droit. Dans tous les cas, ce n'est ni à vous ni à moi de décider de faire justice : c'est à l'autorité judiciaire qu'il appartient de mettre en oeuvre et d'exécuter les mandats d'arrêt de la CPI. Faisons donc chacun notre métier : je suis membre du gouvernement, vous êtes parlementaire et c'est à la justice de trancher ce type de questions. C'est d'ailleurs ce que nous disons dans le communiqué.
(...)
R - Les États-Unis ont effectivement une approche nouvelle de certains sujets et l'ouverture du dialogue en direct sur le nucléaire iranien est spectaculaire. Nous l'avons accueillie favorablement parce que, pour nous, il n'y a pas de solution militaire au programme nucléaire iranien. Certains pensent que l'on peut réduire ce programme à néant par la force ; ce n'est pas notre analyse. Nous considérons qu'il faut agir par la négociation pour que l'Iran ne puisse pas disposer de la bombe et que notre sécurité soit préservée. Concrètement, avec un missile balistique d'une portée de 2.000 kilomètres pouvant être chargé d'un engin nucléaire, l'Iran pourrait théoriquement - il n'est pas aujourd'hui en situation de le faire - tenir en joue le territoire national à brève échéance. Nous voulons absolument éviter cela et c'est pourquoi nous soutenons les efforts américains. Mais nous serons très exigeants : tout accord devra être suffisamment protecteur. Pour la suite, nous continuerons de dialoguer avec les Etats-Unis, pas uniquement sur la crise iranienne, pour tenter de trouver au Proche-Orient des solutions bénéfiques pour la région et pour nous-mêmes.
Madame Josserand, je partage votre opinion sur l'insuffisante efficacité de la gestion de l'épargne européenne, notre principale force. Nous nous sommes interrogés plusieurs fois sur la manière de faire entendre la voix de l'Europe. C'est en prenant conscience que nous sommes un continent riche et en acceptant de consacrer une partie de cette richesse à notre influence dans notre voisinage et dans le monde que nous parviendrons à des résultats. Cela dit, il faut prendre garde aux effets d'optique. Les investisseurs américains et étrangers détiennent beaucoup de notre capital, c'est vrai, mais la zone euro a une exposition plus forte - elle est de 10.000 milliards d'euros - aux actifs américains, avec beaucoup de bons du Trésor américains, que ne l'est l'exposition des États-Unis à la zone euro, avec 7.000 milliards d'euros. La différence réelle est donc de 3.000 milliards d'euros, au bénéfice des États-Unis puisque cette épargne va s'y placer, soit dans de la dette de l'État, soit dans des titres d'entreprises ou d'autres actifs.
Nous apportons de l'argent aux États-Unis, ce qui est invraisemblable. Au moment où nous aurions besoin d'investir dans notre propre économie, nous prêtons aux États-Unis, nous y investissons, nous finançons l'économie américaine, de fait très dépendante de notre épargne. Pour résoudre cela, il faut construire l'union des marchés de capitaux en Europe mais nous devons aussi agir au niveau national. En France, l'épargne réglementée et l'assurance-vie fiscalement encouragée ont pour effet que les ménages investissent beaucoup dans des placements exigibles à tout moment, très liquides et sans risque, et une partie significative de cette épargne va se placer sur des actifs sans risque à l'étranger, notamment aux États-Unis. Nous aurons intérêt à bouger quelques curseurs.
(...)
R - Je veux d'abord vous annoncer que Kaja Kallas, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union européenne, vient d'annoncer qu'elle consentait à examiner le respect par le gouvernement israélien de l'article 2 de l'accord d'association signé entre l'Union européenne et Israël. Je salue cette décision soutenue par dix-sept États membres.
Au Soudan, la guerre est alimentée par des puissances étrangères qui ont fait de ce pays le lieu de leur confrontation. C'est pourquoi, lorsque je me suis rendu à la frontière entre le Soudan et le Tchad, j'ai appelé solennellement les puissances étrangères à cesser de jeter de l'huile sur le feu en continuant d'alimenter le conflit. Nous avons ressenti cette tension lors de la conférence à Londres que j'évoquais tout à l'heure. Elle a été un succès pour ce qui est des engagements en matière de soutien humanitaire mais nous avons eu les plus grandes difficultés à obtenir une déclaration politique commune, certains pays s'opposant frontalement sur la manière de qualifier les parties au conflit. Pour espérer trouver une voie de sortie, un dialogue doit se nouer entre les principales puissances régionales impliquées et nous les y appelons, en particulier l'Égypte et lesÉmirats arabes unis, qui ont une empreinte très forte dans la région. Nous souhaitons qu'un dialogue permette une solution politique et nous sommes disposés à faciliter ces discussions.
Dans son discours d'investiture, la présidente de la Commission européenne a annoncé la création d'un bouclier européen pour la démocratie prévoyant le renforcement des moyens de coordination dans la lutte contre les ingérences étrangères. Ce bouclier n'existe pas encore et les sanctions prévues aux termes du règlement sur les services numériques n'ont pas été prononcées. Nous devons donc continuer de nous mobiliser car les épisodes d'ingérence dans les processus électoraux préoccupent, plus qu'avant, Parlements et gouvernements nationaux. La France, qui a commencé à construire des outils, peut montrer la voie. Nous devons aussi monter le son au niveau national. C'est le chantier engagé au sein du ministère, je l'ai dit, pour que notre message porte et pour riposter plus efficacement. Dans "l'affaire du mouchoir", le ping-pong entre influenceurs des sphères de l'extrême droite américaine et personnalités russes a fait que le trucage a été vu plusieurs dizaines de millions de fois. Pour limiter l'impact de ces fausses nouvelles, nous devons être capables de riposter ou de produire des contenus tout aussi viraux.
Parlementaire dans l'âme, je me réjouis de l'évaluation exigeante que les parlementaires comptent faire des activités de l'AFD et de l'aide publique au développement en général. La commission d'évaluation de l'aide publique au développement qui a été installée montrera que l'aide publique au développement en général sert les intérêts des Françaises et des Français. Elle entraîne de l'activité économique, et donc des emplois sur le territoire national. Elle permet de lutter contre les maux qui nous viennent de l'extérieur, tel le narcotrafic : vous verrez que certains projets de cultures alternatives soutenus par l'AFD permettent de faire reculer la culture du pavot dans certaines régions du monde. Elle contribue à la lutte contre les filières d'immigration irrégulière : ainsi, aux Comores et dans certains pays africains, l'aide publique au développement permet aux autorités de se doter des moyens d'état civil qui leur permettent de mieux contrôler leurs propres ressortissants et de maîtriser l'immigration irrégulière. Que vous ayez pour priorité la lutte contre l'immigration irrégulière, la lutte contre le narcotrafic, la préservation de l'environnement, l'emploi ou le pouvoir d'achat, vous verrez que l'aide publique au développement est un formidable outil pour exercer une forme d'influence sur les pays dont nous attendons qu'ils fassent mouvement pour répondre à nos intérêts. C'est ainsi qu'il faut envisager cette politique, qui est une politique de partenariat.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juin 2025