Déclaration de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la politique économique du gouvernement, au Sénat le 4 juin 2025.

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  • Éric Lombard - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Audition devant la Commission des Affaires économiques du Sénat

Texte intégral

Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Je suis honoré d'être reçu par votre commission, et regrette de n'avoir pas pu venir plus tôt.

1. Les fondements de notre action

Permettez-moi d'abord de revenir sur les fondements de mon action au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. La voici, telle que je la conçois, telle qu'elle m'a été confiée par le Premier ministre et le Président de la République, et telle que je la mets en oeuvre avec les ministres Amélie de Montchalin, Marc Ferracci, Clara Chappaz, Véronique Louwagie et Nathalie Delattre.

Au-delà des textes financiers qui nous ont beaucoup occupé les premières semaines, et que nous avons décidé d'anticiper pour l'exercice 2026 afin de répondre de la manière la plus concertée possible aux défis qu'ils posent, quelle est la mission de mon ministère ?

Il s'agit de créer les conditions de la prospérité économique pour tous. Cette prospérité économique pour tous signifie :

- une économie qui crée le plus de richesses possible,
- de façon pérenne, c'est-à-dire en tenant compte à la fois des préoccupations écologiques et des enjeux de souveraineté,
- avec un partage équitable de la valeur ajoutée.

J'entends parfois un discours pessimiste, voire décliniste, mais il convient de rappeler que notre croissance est supérieure à celle de l'Allemagne. Que notre marché du travail a rarement été aussi dynamique, même s'il reste de la marge vers le plein emploi puisqu'il s'établit autour de 7,4% aujourd'hui. Et que notre économie reste attractive, la plus attractive d'Europe pour les investisseurs étrangers selon le Baromètre Attractivité d'EY, témoignant de leur confiance continue depuis de nombreuses années. Le sommet international pour l'action dans l'IA, ou le récent sommet CHOOSE France ont également pu démonter combien notre politique d'attractivité pouvait porter des fruits. Les investisseurs s'y sont engagés pour 40,8Md€ d'investissements, dont 20,8Md€ qui concrétisent les engagements pris lors du sommet IA.

Ce bilan, positif, étant posé, soyons lucides également sur les faiblesses qui grèvent notre économie. Nous faisons d'abord face à un enjeu de compétitivité.

Nous sommes trop chers. Notre coût du travail est trop élevé, et notre balance commerciale dégradée, de 80 Md€ par an, ce dont nous ne saurions nous satisfaire.

Notre deuxième point faible c'est l'innovation. Nous n'innovons pas suffisamment, et pas assez bien, comme diagnostiqué par l'excellent rapport de Mario Draghi. Nous sommes à la traîne, à la remorque des Etats-Unis, et l'Europe doit collectivement investir dans la prochaine révolution industrielle, celle de l'Intelligence artificielle, si elle veut être au rendez-vous.

Notre troisième handicap enfin, c'est la complexité, normative comme administrative, en France certes, mais aussi et surtout à l'échelle européenne, qui est aujourd'hui responsable de l'essentiel de la complexification.

Sur ce chemin vers une prospérité économique partagée, notre économie fait également face à trois défis [exogènes] :

- L'instabilité géopolitique, dans ses aspects militaires, commerciaux et plus généralement économiques,
- La transition écologique, qui fait peser des charges nouvelles sur les entreprises,
- Et le contexte de vieillissement démographique, doublé d'une diminution de la part de population active.

Voilà pour le diagnostic, le cadre dans lequel notre action s'inscrit.

2. La condition de notre action, le redressement des finances publiques

La condition de l'efficacité de notre action, c'est le redressement de nos finances publiques. Notre organisation est devenue trop coûteuse, surtout en regard des résultats produits. Nous devons améliorer l'efficacité de notre système public : l'efficacité de l'Etat, mais aussi de la sécurité sociale, ainsi que des collectivités territoriales.

La charge de notre dette publique est devenue trop lourde pour nos entreprises, comme pour nos concitoyens. Non seulement en intérêts, mais également en prix plancher pour les entreprises, puisque le coût de leur endettement dépend étroitement du taux de référence de la dette souveraine. Il n'est donc pas question d'asseoir notre stratégie sur plus de dette. Ce serait contre-productif, au sens propre comme au sens figuré.

Le redressement de nos finances publiques est une condition de notre crédibilité, de notre souveraineté et finalement de notre puissance publique. C'est pour cela que nous avons d'ores et déjà initié les travaux de préparation des textes financiers pour l'année 2026, avec deux principes que les entreprises attendent de nous : la limitation des prélèvements, et la stabilité fiscale.

Nous avons maintenu notre objectif des 3% de déficit, l'horizon de désendettement, en 2029, et notre plan structurel de moyen-terme a été validé par Bruxelles malgré la réduction des prévisions de croissance. Et nous conserverons également la méthode qui m'est chère, celle de la concertation. C'est précisément en ce sens que nous avons présenté notre plan d'action pour améliorer le pilotage des finances publiques, qui met notamment l'accent sur une plus grande transparence envers le Parlement.

3. Notre objectif, une croissance durable par l'industrie

Au-delà du redressement des finances publiques qui est la condition de notre action, notre objectif, c'est une croissance durable, tirée notamment par l'industrie. La réindustrialisation doit en effet s'établir au coeur de notre stratégie économique. Parce que l'industrie, ce n'est pas seulement 11% de notre PIB, c'est aussi le catalyseur de nos innovations, un grand pourvoyeur d'emplois de qualité, et un moteur pour nos territoires qui accueillent nos 16.500 usines.

Enfin l'industrie c'est un sujet de souveraineté. Le Covid nous l'avait déjà rappelé, mais cette guerre tarifaire nous le rappelle encore : notre souveraineté sur les biens critiques, essentiels à la nation, est une condition de survie, et pas seulement de coûts.

Sans même évoquer la BITD, notre base industrielle et technologique de défense, qui concentre les investissements, les fleurons et la recherche technologique. Le salon du Bourget lundi en 8 sera l'occasion de confirmer notre excellence et notre attractivité dans ce champ devenu plus fondamental que jamais.

- Mais sans même aller jusqu'à l'industrie de défense, l'autonomie est une des priorités pour l'industrie française, afin que notre réindustrialisation soit durable et souveraine. Vous avez tous en tête notre relocalisation du principe actif du paracétamol.

Nous avons exigé de Sanofi que la cession de son activité par Opela soit assortie de conditions strictes sur le maintien de son activité, de son emploi, de sa production en France. Et nous y resterons vigilants, comme nous sommes vigilants sur l'ensemble des conditions associées aux investissement étrangers sur notre sol.

- Le deuxième objectif de notre industrie c'est la décarbonation, avec le déploiement d'une véritable politique publique de soutien depuis 2020, avec un marché carbone, des contrats de décarbonation pour les principaux sites, un soutien financier via France Relance et France 2030. Cette politique donne de premiers résultats très positifs.

- Enfin, son troisième objectif c'est la relance de la filière nucléaire. En effet, la situation de notre mix énergétique s'est dégradée depuis la période de pré-covid.

Nos coûts, notamment de production, ont donc augmenté par rapport aux Etats-Unis et à la Chine. La relance de notre filière nucléaire, avec l'aide de Bernard Fontana, nouveau PDG d'EDF permettra d'y oeuvrer en lançant dans les prochaines semaines les discussions sur le Nouveau nucléaire français. Je signerai d'ailleurs la semaine prochaine à Massy le contrat stratégique de la filière nucléaire.

Et parallèlement, nous approfondissons notre feuille de route en faveur des énergie renouvelables. Ce mix énergétique, c'est tout l'enjeu de la PPE, la programmation pluriannuelle de l'énergie, dont vous, le Parlement, êtes saisis. Nous souhaitons, avec le Premier ministre, que le débat puisse avoir pleinement lieu sur cet enjeu majeur.

A l'intersection de ces 3 objectifs de réindustrialisation, décarbonation, mix énergétique et souveraineté, nous avons déjà plusieurs exemples de réussite, comme le développement de 4 « Giga factories » de batteries électriques automobiles, dont 2 qui tournent déjà. Voilà d'ailleurs une belle illustration que l'on peut faire de l'industrialisation par la transition écologique.

Or, pour atteindre ces objectifs, l'économie française bénéficie d'atouts que beaucoup de nos partenaires nous envient : un marché du travail dynamique, avec une main d'oeuvre riche de compétences et bien formé, ce qui explique un taux chômage au plus bas depuis 40 ans. Des infrastructures de grande qualité, que l'on doit certes en partie à l'Etat, mais aussi et surtout aux collectivités locales. Et une énergie propre, abondante et bon marché.

Notre réindustrialisation doit aussi tenir pleinement compte de la révolution industrielle en cours, celle du numérique et en particulier de l'intelligence artificielle.

Cette énergie, ces ingénieurs, ces infrastructures et ces investisseurs permettent aussi de placer la France dans les leaders mondiaux de l'intelligence artificielle. Le succès du Sommet mondial d'action pour l'IA avec 109 Md€ annoncés est une belle confirmation de notre trajectoire. Nous avons d'ores et déjà identifié 35 sites pour l'installation de centres de données et 9 clusters pour développer le vivier de compétences nécessaires. En effet, les enjeux de notre souveraineté sont également numériques, et avoir des data centers en Europe c'est permettre des infrastructures numériques européennes. C'est d'ailleurs l'objet du projet de loi sur la résilience et la cybersécurité que vous avez adopté et qui est en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Nous poursuivrons ces travaux en étroite collaboration avec la ministre Clara Chappaz.

4. Plus largement, un environnement compétitif pour les entreprises et attractif pour les investisseurs et protecteur pour les consommateurs.

Au-delà de l'industrie, notre objectif est d'oeuvrer à un environnement qui soit à la fois plus juste et plus compétitif pour les entreprises, les investisseurs et les consommateurs.

Pour ce faire, la simplification est un de nos principaux chantiers actuels. Et je souhaite un aboutissement rapide du projet de loi qui est en cours de discussion. La mise en place du test PME en sera une des applications les plus concrètes. Nous gardons à l'esprit que cet effort doit se faire à la maille européenne pour être pertinent. Nous ferons prochainement des propositions en ce sens avec mes homologues du nouveau gouvernement allemand Lars Klingbeil et Katherina Reiche, comme nous l'avons sur les directives CSRD et CS3D.

L'amélioration de la qualité de notre financement est un autre chantier qui nous occupe en ce moment, en France comme au niveau européen. Nous lançons à ce titre dès demain le label européen pour l'épargne de long terme « Finance Europe ». En effet, les ménages européens disposent d'un levier considérable avec près de 35 000 milliards d'euros d'épargne. Il faut pouvoir les orienter vers des investissements utiles à la croissance économique de l'Union européenne.

Enfin, nous devons déployer un agenda de protection. Cette protection doit se déployer depuis la sécurité économique, jusqu'à la protection très concrètes de nos consommateurs, en passant par une véritable défense commerciale. Là encore, l'essentiel de notre action doit se conduire au niveau européen, afin de protéger collectivement nos entreprises contre une concurrence massive et déloyale.

Je peux vous confirmer par mes déplacements de ces derniers jours, aux Émirats arabes unis, en Égypte, au Vietnam, à Singapour, en Indonésie, aux États-Unis, que, au-delà des épreuves que nous traversons et de l'effort qu'il nous faut encore consentir, le rayonnement de la France à l'international est réel.

Mon cap restera à la fois de protéger et de projeter nos entreprises, nos ménages, nos investisseurs, vers l'avenir, vers l'international et vers l'innovation.

Ma méthode demeurera celle du dialogue, de la concertation. C'est en ce sens que je réunis dès demain matin à Bercy aux côtés d'Amélie de Montchalin et Véronique Louwagie, la deuxième session du Conseil des Entreprises.

Je vous remercie.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 6 juin 2025