Texte intégral
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous entendons cette après-midi Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville.
Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue. C'est la première fois que vous vous exprimez devant nous depuis votre nomination, le 23 décembre 2024, l'audition prévue le 5 mars dernier ayant malheureusement été annulée.
Votre entrée en fonctions a coïncidé avec le retour d'un portefeuille ministériel spécifiquement dédié à la politique de la ville. Vous nous direz si c'est, selon vous, une plus-value dans l'architecture ministérielle, notamment pour agir de manière transversale plutôt que de manière sectorielle.
Vous aviez initialement annoncé la tenue d'un comité interministériel des villes (CIV) le 17 avril 2025. Puis cette rencontre a été décalée au 15 mai avant d'être de nouveau reportée, au grand dam des élus locaux et, plus largement, des acteurs de la politique de la ville. Elle devrait finalement se tenir dans trois jours, le vendredi 6 juin, toujours à Montpellier. Ce rendez-vous est très attendu. Il permettra de dresser le bilan des mesures du précédent CIV, tenu en octobre 2023, et de décliner concrètement votre feuille de route.
Le CIV ne saurait être le simple lieu d'annonces sans lendemain : notre commission souhaite qu'il devienne un rendez-vous régulier et un véritable outil de pilotage, à la main du Premier ministre, de la politique interministérielle et du déploiement du « droit commun » dans les quartiers. Au cours de la période récente, seul Jean Castex a tenu ses engagements à ce titre, en réunissant le CIV tous les six mois - je me dois de le souligner.
Vous avez déjà évoqué quelques-unes de vos priorités, notamment l'enfance et l'adolescence, de même que le développement économique des quartiers prioritaires ainsi que la sécurité, qui, à vos yeux comme aux nôtres, joue un rôle central en matière de rénovation urbaine. Pourriez-vous nous en dire davantage, qu'il s'agisse de l'agenda de ce très prochain CIV ou de la manière dont vous allez procéder pour décliner vos ambitions ?
Alors que le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) doit s'achever en 2026, notre commission a reçu en avril dernier Anne-Claire Mialot, Cédric Van Styvendael et Jean-Martin Delorme, coauteurs du rapport intitulé Ensemble, refaire ville. Avec Patrice Vergriete, nouveau président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), tous trois ont souligné l'urgence d'engager dès à présent un programme de troisième génération afin d'éviter tout « trou d'air ».
Je présume que ce rapport vous a également été présenté. Où en sont les réflexions quant à la mise en oeuvre d'un troisième programme de rénovation urbaine ? Valérie Létard a récemment évoqué la possibilité de repousser l'engagement financier du programme à 2027 et de reporter la livraison des opérations de 2030 à 2032. Quelle est votre position sur ce sujet ? Quels sont les projets concernés ?
Sur le volet financier, le même rapport évoque un possible financement européen des missions de l'Anru. Comme l'a souligné notre rapporteure pour avis des crédits de la politique de la ville, Viviane Artigalas, les 50 millions d'euros supplémentaires apportés par l'État en 2025 ne suffiront pas à résoudre les difficultés financières de l'Anru à moyen terme. À court terme, savez-vous quelles solutions vont être apportées pour sécuriser la trajectoire financière de l'agence ? Devant notre commission, Patrice Vergriete a évoqué la création d'une taxe affectée pour l'Anru. Cela vous paraît-il souhaitable ? Pour ma part, je ne crois pas que l'on puisse ou que l'on doive créer de nouveaux impôts dans le contexte actuel.
Enfin, au début du mois de février dernier, vous avez pris une position très remarquée à l'égard des bailleurs sociaux : vous avez donné instruction aux préfets d'envisager la dénonciation des conventions d'utilisation de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), lorsque les obligations d'entretien des parties communes des immeubles ne sont pas respectées dans les quartiers prioritaires.
Ces conventions sont signées entre l'État, les collectivités territoriales concernées et les bailleurs sociaux ; elles permettent à ces derniers d'obtenir un abattement de TFPB de 30%. Pouvez-vous nous en dire plus de cette démarche, qui a suscité de fortes réactions chez les bailleurs sociaux ? Vous aviez demandé aux préfets de vous fournir un état des lieux avant le 7 mars 2025 : quelles sont les premières remontées ?
Je vous rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. - Madame la présidente, je tiens avant tout à vous remercier de votre invitation.
Je sais à quel point le Sénat est attentif aux territoires et notamment aux quartiers. Vous êtes tous élus locaux ou, du moins, vous l'avez été : vous savez très bien ce que sont l'aménagement du territoire et l'organisation des services publics au quotidien dans nos villes et nos départements.
Comme vous, j'ai regretté que le CIV ait été différé par deux fois ; et, comme vous, je me réjouis de sa tenue prochaine, en présence de M. le Premier ministre et de nombreux membres du Gouvernement.
Dans un contexte budgétaire structurellement tendu, je me dois de faire plus avec moins, ce qui implique de renforcer encore les synergies entre ministères - c'est aussi l'ancienne magistrate de la Cour des comptes qui s'exprime en ce sens.
Depuis 2017, les crédits du programme 147 avaient connu une augmentation constante de 7,3%, conformément au voeu du Président de la République. Mais cette hausse bienvenue et nécessaire pour nos quartiers a été stoppée net l'an dernier, pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas. Il a donc fallu faire des choix assez cornéliens ; les crédits de l'an passé ont été exécutés à hauteur de 519,78 millions d'euros, en baisse de 16,3% par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale (LFI) pour 2024 et de 7% par rapport à 2023 - en parallèle, la population éligible a augmenté de 10% du fait de la nouvelle géographie prioritaire.
Cette situation n'a toutefois pas empêché l'État et les collectivités territoriales d'agir. En 2024, 333 contrats de ville ont ainsi été signés et 208 cités éducatives étaient recensées. Quant au programme " Entrepreneuriat Quartiers 2030 ", il a permis de créer de l'activité économique dans les quartiers.
En 2025, la situation ne sera guère plus simple, même si le Sénat, et je l'en remercie, a soutenu les initiatives gouvernementales destinées à préserver le budget de la politique de la ville. En définitive, les crédits du programme 147 n'ont été réduits que de 4%, et non de 16%, comme cela était envisagé avant mon arrivée. En loi de finances initiale pour 2025, ce programme a été doté de 609,6 millions d'euros. Nous avons ainsi pu sauver les postes d'adultes-relais et les cités éducatives.
Toutefois, 15 millions d'euros de crédits ont été annulés le 25 avril dernier et 31,5 millions d'euros ont été gelés. En incluant ces annulations et ces gels, la baisse de crédits par rapport à l'exécution 2024 s'élève à 18,5 millions d'euros - si l'on exclut de la comparaison la dotation de l'Anru.
Il s'agit là d'une somme importante, mais la politique de la ville ne se résume pas au programme 147. Il faut y ajouter les investissements des collectivités territoriales et la gestion urbaine de proximité, dossier que j'ai pris à bras-le-corps.
Lors de mes premières visites de terrain, j'ai été frappée par l'état des parties communes de certains logements sociaux. À la demande de certains élus locaux, j'ai lancé un pilotage un peu plus étroit de la gestion urbaine de proximité, donc de l'utilisation par les bailleurs sociaux de l'abattement de la TFPB, pris en charge par l'État à hauteur de 40% et par les collectivités territoriales à hauteur de 60%.
Cet abattement pèse singulièrement sur les dépenses locales. Or un certain nombre d'élus locaux m'ont fait part de leur insatisfaction à cet égard. Le 13 février dernier, j'ai donc adressé une instruction aux préfets. Je leur ai demandé de me fournir un état des lieux aussi documenté que possible. Je leur ai également demandé de m'adresser un diagnostic en résumant les principales difficultés constatées, les cas où le plan d'action n'est pas signé et les solutions envisageables.
Ce premier bilan m'a été adressé le 8 mars dernier. Il apparaît que, dans la moitié des départements, la situation est relativement satisfaisante, qu'il s'agisse de la propreté, de l'entretien des ascenseurs, des boîtes aux lettres, des caves ou de la présence de personnels de proximité ; mais, dans l'autre moitié des départements, divers problèmes se font jour - stockage d'encombrants, déchets non ramassés, carcasses de voiture calcinées régulièrement déplorées, parkings sauvages, etc. S'y ajoutent, dans 15% des cas, des problématiques tenant aux pannes d'ascenseurs, et, dans 12% des cas environ, un manque de personnel de proximité, notamment de gardiennage.
À la suite de ce bilan, j'ai demandé aux préfets de procéder à un classement plus précis des situations et, surtout, d'accompagner les bailleurs sociaux les plus en difficulté. Ce travail a été fait ; il y a environ quinze jours, j'ai reçu un état des lieux tout à fait encourageant.
À ce jour, la situation est normale, c'est-à-dire globalement satisfaisante, dans 85% des cas. En revanche, selon les préfets, les élus et les associations de locataires, 12% à 13% du parc social des quartiers se trouvent dans une situation insatisfaisante, même si la confiance est là. Les bailleurs dont il s'agit doivent faire l'objet d'un accompagnement renforcé, qui sera évalué au cours de l'été, avant une éventuelle sanction. En effet, la convention d'abattement de la TFPB doit être révisée cet été, pour un enrôlement de la taxe au mois de septembre prochain. À ce stade, j'ai bon espoir que ces problèmes soient résolus. Mais il reste 2% à 3% de situations inacceptables - je me suis rendue sur place et, dans ces cas précis, on n'est pas loin de l'habitat indigne -, au titre desquelles les préfets sont spécialement missionnés. Les bailleurs concernés savent que, si la situation ne s'est pas améliorée au 15 juillet prochain, ils perdront le bénéfice de leur abattement.
Je précise que ces actions sont menées à coût constant ; les sanctions prononcées permettront peut-être même de rapporter un peu d'argent public. Lorsque cette démarche a été engagée, nous estimions à 315 millions d'euros le coût total de l'abattement de la TFPB pour la collectivité. Après le travail accompli par les préfets, cette somme est tout compte fait évaluée à 450 millions d'euros.
Il faut s'assurer que cet abattement est accordé à juste titre. C'est pourquoi il fera l'objet d'un bilan annuel. À cette fin, j'ai d'ailleurs demandé aux préfectures de réunir des comités de pilotage trimestriels, où les élus et les associations de locataires seront représentés. Après quelques frictions initiales, j'ai pu constater la bonne volonté de la grande majorité des bailleurs sociaux. Les bailleurs qui travaillent bien forment une écrasante majorité, et un tel effort de contrôle permet en définitive de valoriser leur travail.
J'en viens au CIV, qui va concrétiser l'ambition du Premier ministre et de François Rebsamen pour la politique de la ville. Au terme de cette réunion, nous pourrons vous présenter un plan clair et coconstruit, car la politique de la ville est l'affaire de tous ; c'est une démarche collective, impliquant à la fois l'État, les élus locaux, les bailleurs sociaux, les associations et les habitants des quartiers.
Dès lors, on ne saurait préparer un CIV sans concertation avec les acteurs. C'est pourquoi j'ai lancé, à l'hôtel de Roquelaure, la démarche " Construisons ensemble ", reposant sur quatre collèges : un collège des bailleurs, un collège des entreprises, un collège des associations oeuvrant dans le domaine de la politique de la ville et - c'est la spécificité de ce CIV - un collège dédié à l'enfance.
L'enfant et l'adolescent seront bel et bien au coeur de cette réunion. Leur bien-être, leur santé mentale, leur émancipation et leur réussite éducative constituant autant d'enjeux majeurs, ce sera un CIV pour l'enfant dans la ville.
J'en suis profondément convaincue, que ce soit en tant que mère de famille ou comme élue locale : 1 euro investi pour un enfant avant ses 10 ans, c'est 10 euros économisés quand ce dernier arrive à l'âge adulte - j'en veux pour preuve les travaux de James Heckman, prix Nobel d'économie. Les débordements régulièrement déplorés nous donnent, hélas ! à voir une enfance sans cadre, parfois livrée à elle-même, et une jeunesse qui se cherche. Quand les parents ne peuvent jouer leur rôle, c'est à la République d'apporter un cadre pour que les enfants grandissent dans de bonnes conditions. C'est notre avenir que nous construisons ainsi avec eux.
Avec Élisabeth Borne, nous avons mobilisé les outils existants - nous avons notamment annoncé, la semaine dernière, la création de quarante cités éducatives. Lors du CIV, Mme Borne fera également des annonces au sujet des tout-petits. La scolarisation précoce est un facteur de réussite éducative, en particulier dans les quartiers défavorisés.
Avec Yannick Neuder, qui sera également présent à Montpellier, nous avons travaillé sur le volet de santé, en particulier sur la santé mentale des enfants. Cette dernière fera l'objet d'un dispositif dédié, à même de mobiliser des compétences spécifiques.
Avec Bruno Retailleau, nous nous penchons sur la tranquillité publique et sur la sécurité, qui, pour les habitants des quartiers, sont évidemment la priorité. François-Noël Buffet, qui a mené le Beauvau de la sécurité, assistera au CIV. Il annoncera diverses mesures, qu'il s'agisse du dialogue entre la police et la population ou de la coordination des interventions de police.
Je reviendrai également sur la gestion urbaine de proximité, car le pilotage de la TFPB a vocation à s'inscrire dans la durée. Nous allons poursuivre le dialogue avec les bailleurs sociaux, qui oeuvrent eux aussi en faveur de la sécurité et de la tranquillité publiques - à ce titre, j'insiste tout particulièrement sur la vidéoprotection, qui a fait ses preuves dans un certain nombre de quartiers. On peut tout à fait demander aux bailleurs sociaux d'assurer son installation dans le cadre des conventions d'utilisation de la TFPB.
Le logement est évidemment une priorité, étant entendu que l'Anru doit centrer ses priorités sur les quartiers. En outre, Valérie Létard, François Rebsamen et moi-même sommes convaincus de la nécessité de donner un an de plus à cette agence pour assurer l'engagement de 100% des contrats, sachant que l'État tiendra évidemment sa parole. De même, l'étalement des crédits jusqu'en 2032 nous semble de bonne politique.
Nous avons effectivement demandé à l'Anru de procéder à une revue de projets, laquelle nous a été présentée le 26 mai dernier. Ce travail souligne la nécessité, que j'ai rappelée à la directrice générale de l'agence, de finir, de manière préalable, la mise en place de l'Anru 2. Nous serons ainsi plus sereins quant au report des engagements en 2027.
On peut à la fois être raisonnable, comme nous le demande la direction du budget, et exigeant, car, à mon sens, l'Anru nous a permis d'accomplir un travail formidable. À cet égard, toutes les pistes de financement doivent être explorées, et notamment la taxe dédiée. Mais il ne s'agit là que d'une piste de réflexion.
Le CIV présentera également un important volet économique. Nos quartiers regorgent de talents et leurs habitants doivent pouvoir y travailler, y développer leurs activités économiques et commerciales. Ce faisant, on pourra également lutter contre l'économie souterraine, par définition illégale et dangereuse.
Ces quartiers sont forts d'une jeunesse incroyablement innovante. Pour preuve, le nombre de petites entreprises qui s'y créent est 2,5 fois plus élevé qu'ailleurs, mais les créateurs d'entreprise ont beaucoup plus de mal à trouver des crédits. Nous allons donc déployer d'importants efforts pour susciter les créations d'entreprises, via des dispositifs d'accompagnement dédiés. Je précise qu'avec la Banque publique d'investissement (BPI) nous réserverons un très important programme de soutien à l'entrepreneuriat féminin : il est grand temps que les femmes des quartiers disposent elles aussi du pouvoir économique.
De même, nous devons progresser en faveur de l'apprentissage, de l'emploi salarié et de la formation continue. Nous souhaitons en particulier que France Travail encourage l'organisation dans les quartiers de rencontres dédiées à l'accompagnement vers l'emploi.
Il s'agit, dans l'ensemble, d'un travail interministériel. Plus largement, je tiens beaucoup aux synergies, que ce soit entre l'État et les collectivités territoriales, mais aussi entre les différents services de l'État - je pense en particulier à la direction générale des collectivités locales (DGCL) et à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont les services sont absolument remarquables.
Peut-être pourrions-nous susciter encore davantage de synergies entre les services de l'État : nous gagnerions ainsi en efficacité. En effet, la politique de la ville est une politique humaine ; c'est l'humain au coeur de la ville. Or on constate un besoin urgent d'accompagnement dans les quartiers. C'est précisément pourquoi je tiens tant aux adultes-relais, dont la présence peut tout simplement sauver des jeunes.
J'ai confiance en ce travail de proximité et je souhaite tisser un véritable écosystème avec les représentants des associations, avec les élus locaux, pour assurer un accompagnement éducatif, social et sanitaire. C'est tout à fait fondamental.
À cet égard, je souhaite que les adultes-relais restent au coeur de nos politiques. Nous devons les défendre, car ils assurent la mise en oeuvre des actions entreprises par nos élus ; parce que nos jeunes en ont besoin ; parce que l'humain est la première urgence de la politique de la ville, qu'il s'agisse de la médiation ou du cadre de vie des 5,8 millions d'habitants des quartiers relevant de la politique de la ville.
Enfin, je vous signale que nous allons créer un comité de suivi du CIV, que je réunirai au moins tous les six mois. De même, il me semble indispensable d'organiser un CIV chaque année, sachant que le suivi sera également assuré par les préfectures de région.
Une vraie politique d'aménagement du territoire est indispensable à la cohésion de la République.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci de ce propos liminaire, où nous percevons votre enthousiasme et votre énergie. Comme vous, nous croyons fermement en la politique de la ville. Dans un rapport rédigé il y a trois ans et remis à M. Olivier Klein, alors ministre chargé de la ville et du logement, Viviane Artigalas, Valérie Létard et moi-même formulions d'ailleurs un certain nombre des propositions que vous défendez aujourd'hui.
Je tiens à insister sur les associations, et en particulier sur les plus petites d'entre elles : ces structures, qui jouent un rôle essentiel dans les quartiers prioritaires, sont aujourd'hui en difficulté. Non seulement elles subissent de plein fouet les baisses de crédits, mais, face aux grandes associations, elles peinent souvent à répondre aux appels à projets. Malgré leur manque de moyens humains et matériels, elles accomplissent le véritable travail de proximité. Il est essentiel de s'appuyer sur ce tissu associatif.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis des crédits de la politique de la ville. - Avant tout, je me dois de revenir brièvement sur la situation budgétaire.
Un décret du 15 avril dernier a annulé 15 millions d'euros - vous évoquiez même 18,5 millions d'euros - au titre du programme 147, dédié à la politique de la ville. Quelles sont plus précisément les actions affectées par cette baisse de crédits ?
Je souhaite ensuite vous interroger sur l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV).
Avec Mme Dominique Estrosi Sassone et Mme Valérie Létard, alors sénatrice, nous avions souligné dans un rapport de 2022 l'importance de mesurer les effets concrets de la politique de la ville. Il n'est pas concevable qu'une politique publique qui touche 6 millions de personnes en France reste si peu évaluée. C'est précisément pourquoi nous avons défendu l'ONPV, en janvier dernier, lors de l'examen de la proposition de loi de Mme Goulet tendant à supprimer certains comités " Théodule ".
Allez-vous relancer ce travail d'évaluation ? Va-t-on enfin travailler sur la base des parcours et des cohortes pour comprendre réellement la dynamique des quartiers populaires, qui - notre rapport le prouve - sont bien plus des sas que des nasses ? À regarder la photo et non le film, on finit par dire que la politique de la ville est un puits sans fond, ce qui n'est évidemment pas vrai.
En outre, à l'heure où l'on insiste sur la réduction du nombre d'agences de l'État, l'avenir de l'Anru est-il menacé ? Vous engagez-vous à garantir le maintien de cette agence sous sa forme actuelle ? La rénovation urbaine a fait ses preuves : ce constat inspire un large consensus dans les territoires, et ce n'est certainement pas le moment d'affaiblir ce qui fonctionne.
Enfin, j'évoquerai les cités éducatives.
Lors d'une visite dans les Ardennes, en mars dernier, vous avez annoncé le renouvellement du label de 83 d'entre elles. La Cour des comptes a récemment dressé un bilan positif des cités éducatives, saluant leur approche interministérielle et l'engagement des collectivités territoriales. Elle s'interroge néanmoins sur la pérennité de leurs moyens, à l'aune de l'objectif de généralisation d'ici à 2027. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, je déplorais justement l'abandon de cet objectif, un an après son annonce. En est résulté un " stop and go " préjudiciable à la conduite de la politique de la ville. À ce titre, doit-on attendre une évolution à la suite du CIV ?
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Madame la rapporteure, tous les programmes relevant du pôle « territoires » ont subi un gel de crédits de 5,5%. Pour le programme 147, la somme atteint 31,5 millions d'euros, étant entendu que les gels ne sont pas des annulations. Sans doute aurait-il mieux valu passer par un projet de loi de finances rectificative (PLFR), mais passons...
Si l'on y ajoute l'annulation de 15 millions d'euros, les crédits du programme sont en baisse de quelque 18,5 millions d'euros par rapport aux crédits exécutés en 2024.
Sitôt la loi de finances promulguée, j'ai délégué aux préfets de région la totalité des crédits placés sous mon autorité, en leur demandant de les consommer le plus vite possible. Pourquoi ? Pour préserver les associations locales, à commencer par les plus petites d'entre elles, sur lesquelles Mme la présidente insiste avec raison. C'est chose faite : ces associations ne seront pas affectées.
À présent, où procéder à ces économies, qui, in fine, sont de l'ordre de 10 millions d'euros ? Plusieurs pistes sont à l'étude. Peut-être le partenariat national sera-t-il mis à contribution. Mais, j'y insiste, je ne veux pas que l'effort pèse sur les petites associations. De plus, j'espère que la réunion du CIV facilitera le dégel des crédits, en tout cas qu'elle permettra d'éviter un surgel.
Vous savez avec quelle vigueur j'ai défendu l'ONPV, qui ne représente même pas 1,5 équivalent temps plein (ETP) de l'ANCT et coûte au maximum 40 000 euros par an. Il serait d'autant plus absurde de le sacrifier sur l'autel des économies budgétaires que des milliers de chercheurs travaillent bénévolement pour cette structure, en produisant des fiches très intéressantes en matière d'évaluation des politiques publiques. Lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique en commission mixte paritaire (CMP), la suppression de l'ONPV devrait être évitée - du moins je l'espère.
Plus largement, toutes les mesures du CIV seront assorties d'une échéance et d'un objectif chiffré. C'est indispensable, non seulement au pilotage des politiques publiques, mais aussi au travail d'évaluation mené par les assemblées parlementaires. Vous le constaterez en particulier au sujet de la petite enfance.
Cet effort d'évaluation est le meilleur moyen de défendre notre politique de la ville, en démontrant qu'elle n'est ni bancale ni déconnectée du terrain. Il démontrera toute la richesse du travail accompli par les services publics dans les territoires, grâce à l'engagement des élus locaux. Françoise Gatel et moi-même nous entendons parfaitement pour dire que l'on ne saurait opposer les zones rurales et les quartiers ; à l'inverse, il faut insister sur les problématiques communes aux différents territoires.
Pour ce qui concerne l'Anru, nous devons avant tout tirer les conséquences de la revue de projets. Surtout, il faut garantir l'avenir de cette agence. En ce sens, l'Anru 3 doit faire l'objet d'une discussion collective.
J'insiste sur la nécessité de concentrer l'effort de l'Anru sur les quartiers prioritaires, conformément à l'esprit de la loi Borloo : il faut éviter toute dispersion des crédits.
Sans doute pouvons-nous oeuvrer collectivement à l'amélioration de divers processus, notamment grâce à des synergies, sachant qu'une bonne politique de la ville et de rénovation urbaine doit s'appuyer sur de l'humain. À cet égard, notre seul et unique objectif reste l'amélioration de la vie quotidienne des habitants, ce qui implique d'embellir ces quartiers et de renforcer leur adaptabilité au changement climatique, conformément aux attentes des élus locaux. Cela suppose une certaine agilité, voire une capacité à se réinventer.
Les cités éducatives sont un outil extraordinaire. Elles permettent de s'adresser à la jeunesse dans son ensemble, de 0 à 25 ans, en mettant de l'huile dans les rouages pour que tous les acteurs travaillent ensemble. Je m'efforce d'assurer leur généralisation, souhaitée par le Président de la République. Depuis ma prise de fonctions, j'ai renouvelé 83 d'entre elles et, le 26 mai dernier, j'ai annoncé la création de 40 nouvelles cités éducatives.
Quant aux programmes de réussite éducative (PRE), ils couvrent aujourd'hui 1 200 des 1 600 quartiers de la politique de la ville, ce qui est beaucoup. Dans certains cas, ils pourraient se rapprocher des programmes des cités éducatives, car ces deux outils se complètent très bien, dans une logique de suivi individualisé ; ce serait également un moyen d'assurer une meilleure coordination des acteurs.
Je vais m'efforcer de préserver les budgets dédiés aux adultes-relais, aux cités éducatives et aux PRE. Ces crédits sont indispensables à notre politique de la ville ; qu'ils financent des séances de sport ou un accompagnement psychologique et social, ils ont un effet à la fois concret et immédiat sur le quotidien des enfants. Ils préviennent, à 16 ans, bien des situations de déscolarisation, qui peuvent préluder à de véritables sorties de route. Ces dispositifs sont à la fois utiles et efficaces.
M. Jean-Claude Tissot. - Madame la ministre, vous indiquez vouloir lutter contre le sentiment d'exclusion que ressentent certains habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ; en effet, c'est un objectif prioritaire. Pour ce faire, vous mettez en avant trois axes, dont la prévention, que vous citez en premier. Je m'en réjouis, car les réponses aux problématiques de la ville et des quartiers sont essentiellement sécuritaires ces derniers temps ; certains membres du Gouvernement, que je ne citerai pas, attisent les tensions...
Je souhaiterais obtenir plus de précisions sur les mesures liées à la prévention et à l'accompagnement. Par exemple, quel sera l'avenir du dispositif adultes-relais ? Ce dernier finance des postes de médiateurs sociaux ou d'éducateurs, qui jouent un rôle important pour conforter le lien social sur le terrain et prévenir les tensions. Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) publié à la fin de l'année 2024 plaide pour le maintien de cette présence humaine, indiquant que " l'intuition initiale qui avait donné lieu à la création du dispositif apparaît plus que jamais pertinente ". Or la loi de finances pour 2025 avait entériné la suppression de ces emplois aidés.
En amont du CIV, pouvez-vous nous expliquer la place qu'occupera ce dispositif dans les années à venir ? L'enveloppe de 350 millions d'euros que vous avez annoncée au début du mois contribuera-t-elle à son renforcement ? Il me semble que les QPV ont besoin d'un véritable engagement sur le long terme.
Mme Amel Gacquerre. - Merci pour ces éléments précis, madame la ministre.
Je n'ai pas de doute sur votre ambition et votre volonté d'agir pour les habitants, en faisant plus avec moins - même si cela peut avoir ses limites...
Toutefois, de nombreux élus des quartiers populaires sont inquiets. Certes, ils sont conscients du contexte budgétaire, mais ils font face à une réalité : le creusement des inégalités territoriales et la paupérisation des habitants dans les quartiers prioritaires. Toutefois, loin de moi l'idée de les stigmatiser : il fait bon vivre dans nombre de ces quartiers.
Ma première question porte sur l'efficacité des politiques publiques et leur évaluation, nécessaire ; vous avez évoqué le rôle du comité de suivi, mais pouvez-vous nous apporter davantage de précisions ?
Ma deuxième question relaie une préoccupation des élus : l'ambition du Gouvernement pour la politique de la ville est-elle bien réelle ? Vous évoquez des actions concrètes, mais avez-vous développé une vision à long terme ? Voulez-vous réellement faire évoluer ces quartiers ?
Enfin, je souhaiterais aborder deux sujets qui me tiennent à coeur. Le rapport de la mission Réussite républicaine, que vous a remis Vincent Léna, est très intéressant : il prévoit des actions ciblées en direction des parents, des enfants et des adolescents. Certaines de ces mesures ont-elles été mises en oeuvre ? Je pense à celles visant à soutenir la parentalité ou à accompagner les familles monoparentales, qui sont deux fois plus nombreuses dans les QPV qu'ailleurs - dans neuf cas sur dix, ce sont des femmes qui sont chefs de famille.
Enfin, je suis convaincue que le renforcement de l'attractivité de ces quartiers passe par un renforcement des services publics : le retour de la police de proximité, supprimée voilà plus de vingt-cinq ans, ne serait pas forcément une mauvaise chose. Qu'en pensez-vous ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Merci, madame la ministre, pour vos éclairages.
Je tiens malgré tout à souligner la disparition de certains dispositifs, à l'instar des Bataillons de la prévention, qui étaient des binômes d'éducateurs spécialisés et de médiateurs sociaux. Il y a les cités éducatives, mais des interrogations subsistent sur leur financement.
Les emplois francs, qui ont été supprimés, permettaient à un employeur de bénéficier d'une aide lorsqu'il embauchait un habitant d'un QPV ; ils n'ont pas été remplacés par un dispositif plus adapté. Pourtant, le taux de chômage reste plus élevé dans ces quartiers qu'ailleurs.
La politique de la ville est largement déléguée au secteur associatif, qui est fragilisé par des logiques d'appel à projets qui mettent en concurrence les territoires. Cela nourrit l'incertitude et tend à reconduire les grosses associations qui disposent de l'ingénierie nécessaire pour y répondre, alors que le travail au quotidien est souvent fait par de plus petites structures.
Dès 2025, le Gouvernement compte demander 2,2 milliards d'euros d'économies - si ce n'est plus - aux collectivités. Cela ne manquera pas de fragiliser encore davantage le secteur associatif. Que comptez-vous faire pour ne pas mettre totalement à l'arrêt les actions de la politique de la ville développées par ces associations et les collectivités ?
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Monsieur Tissot, je me suis engagée à maintenir en 2025 le nombre d'adultes-relais sur la base de ceux qui ont été effectivement payés en 2024, soit 4 500 personnes.
Je crois beaucoup à l'accompagnement humain. Quelque 75% des adultes-relais mènent des actions de médiation, conformément aux dispositions législatives en vigueur, tandis que 25% sont affectés à des tâches de secrétariat. Nous examinons cette situation avec bienveillance. Il serait toutefois plus facile de défendre le dispositif face à la direction du Budget si tous les adultes-relais effectuaient la mission que leur assigne la loi, à savoir la médiation.
J'ai visité une école dans laquelle les enfants étaient formés à la médiation. C'est très utile : trouver les mots justes permet d'éviter la violence. En plus d'être vertueuses, ces actions ne coûtent pas si cher que cela : la politique de la ville, ce sont non pas des milliards d'euros, mais des millions d'euros bien utilisés dans des dispositifs efficaces.
Voilà une dizaine de jours, j'ai signé une convention inédite avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), représentée par Olivier Sichel. Celle-ci bénéficie de 100 millions d'euros supplémentaires par rapport à la dernière convention triennale, qui avait pris fin en 2023.
La convention, dont le montant total s'élève à 350 millions d'euros, est très ambitieuse. Quelque 100 millions d'euros seront affectés à des prêts, tandis que 250 millions d'euros de capital seront destinés à des projets qui devront correspondre en priorité aux objectifs définis par le CIV : aides à la création d'entreprises, soutien à l'économie sociale et solidaire (ESS) ou secteur de la petite enfance, entre autres.
Je déplore la fermeture de commerces en centre-ville. Véronique Louwagie et moi-même avons demandé un rapport sur le sujet à Frédérique Macarez, maire de Saint-Quentin, à Dominique Schelcher, PDG du groupe Système U et à Olivier Sichel. Nous souhaitons le retour non pas des grandes surfaces, mais des petits commerces de qualité et des artisans, avec deux ou trois salariés au minimum, pour favoriser le recrutement des habitants des quartiers. En effet, je préfère que ces derniers développent leur activité sur place : c'est ainsi que nous tirerons les quartiers vers le haut. Nous attendons ces propositions innovantes pour le mois de septembre.
Madame Gacquerre, je souscris pleinement à vos propos sur la sécurité et sur la police de proximité ; Bruno Retailleau partage lui aussi la même vision, même si vous comprendrez aisément qu'il ne reprendra pas ce terme... Nous souscrivons à l'ambition de renforcer la présence des forces de l'ordre dans les quartiers. Je réserve la primeur des annonces à mon collègue François-Noël Buffet, qui s'exprimera à ce sujet vendredi lors du CIV. Soyez en tout cas assurée que la sécurité est un enjeu essentiel à mes yeux.
Vous me demandez ensuite si le Gouvernement est volontariste sur les dossiers de la politique de la ville. Désigner une ministre de la ville est un signal fort en période de vaches maigres : cela correspond à la volonté exprimée par le Président de la République et le Premier ministre d'avancer sur le sujet. Le soutien de François Rebsamen et le déplacement de neuf ministres à Montpellier vendredi est bien le signe d'un engagement fort du Gouvernement.
Bien sûr, il n'est pas aisé de fournir des preuves de l'efficacité des politiques menées pour un ministère dépensier comme le mien. Vous qui menez des actions dans vos territoires, qui êtes parfois bénévoles, vous le savez mieux que personne : les crédits doivent être bien utilisés. Cela dit, tout ne se résout pas à coups de milliards d'euros : la volonté politique peut soulever des montagnes dans notre pays.
Je suis très heureuse de disposer d'un réseau préfectoral puissant, bien organisé, avec des délégués du préfet, des préfets délégués à la politique de la ville et des préfets délégués à la sécurité.
Monsieur Tissot, certes, les associations mènent les actions sur le terrain, mais c'est bien de l'argent public qui les finance, que celui-ci provienne de l'État ou des collectivités locales, sans oublier le rôle d'animation des fonctionnaires chargés de la politique de la ville.
Nous avons reçu Vincent Léna, qui est très satisfait, car le premier volet du CIV, consacré à l'enfance, correspond en tous points à son rapport ; nous sommes en phase. Voilà vingt-cinq ans que l'on sait que 99% des chefs de familles monoparentales sont des femmes, qui, en plus de devoir assumer les charges matérielles, vivent dans des quartiers où elles ne se sentent pas en sécurité et où elles subissent des pressions sur leurs tenues vestimentaires. Leur vie n'est pas simple : nous devons les aider, les encourager à s'émanciper, à se sentir reconnues, et à pouvoir élever leurs enfants comme elles le souhaitent.
Accompagner un enfant sur le plan psychique revient souvent à s'occuper de ses parents. Je récuse tout discours culpabilisateur sur les parents ; c'est stérile. Les propositions visant à supprimer les allocations familiales aux parents d'enfants délinquants sont non seulement discriminatoires, mais aussi inefficaces.
En revanche, accompagner les parents, protéger l'enfant lorsque celui-ci vit dans une famille violente, faire intervenir un tiers est une mesure bien plus efficace que celles visant à précariser les familles. Le rappel des règles et la construction d'un cadre éducatif sont des éléments indispensables : cela passe par l'école, par la culture ou encore par le sport.
Voilà pourquoi la prévention occupe une place cardinale dans la politique de la ville que nous élaborons actuellement, monsieur Tissot. La prévention est plus efficace que la sanction, même si cette dernière est parfois nécessaire : il n'y a pas d'État de droit sans règles et sans actions. En plein accord avec Bruno Retailleau, le prochain CIV se concentrera sur la prévention, quelque peu délaissée au profit des sanctions, afin d'éviter la déscolarisation et la délinquance. L'éducation, l'accompagnement, le service public : voilà les clés du succès d'une politique de prévention réussie.
Monsieur Redon-Sarrazy, nous avons consacré de nombreux moyens pour renforcer l'efficacité de la politique de la ville. Les Bataillons de la prévention ont été supprimés en 2023 : j'aurais du mal à convaincre pour revenir sur une décision prise par mes prédécesseurs. Nous ne nous opposerons toutefois pas à la poursuite de certains projets qui fonctionnent bien : les préfets de région disposent de crédits pour agir. Mais je le répète, la loi a bien supprimé les Bataillons de la prévention.
Je me bats pour garder le dispositif des adultes-relais et pour améliorer leur formation, car ceux-ci doivent ensuite s'insérer dans le marché du travail : ils ne peuvent garder ce poste à vie. Je sais qu'une circulaire publiée en novembre dernier, soit avant ma nomination, a suscité des inquiétudes, que je tiens à lever : il n'est pas question de supprimer le dispositif des adultes-relais, qui poursuit les mêmes objectifs que les Cités éducatives et les programmes de réussite éducative.
M. Daniel Fargeot. - Madame la ministre, permettez-moi de formuler quelques remarques sur vos déclarations qui laissent transparaître des convictions dynamiques, mais qui sont parfois entravées par la réalité.
La convention de 350 millions d'euros de crédits signée avec la Caisse des dépôts est portée en étendard par votre ministère. Cependant, ces déclarations semblent en décalage avec la tonalité générale de l'action gouvernementale, qui vise à réduire la dépense publique de 40 milliards d'euros. Comment votre ministère s'intègre-t-il dans cette démarche de réduction de la dépense publique ?
Vous avez annoncé que cette enveloppe de 350 millions d'euros servirait à promouvoir l'économie légale dans les quartiers prioritaires de la ville, notamment pour développer des activités dans le secteur de l'intelligence artificielle et de la santé mentale. Or il existe déjà des dispositifs de soutien à l'entrepreneuriat, à l'instar des réseaux Initiative France ou France Active, entre autres. Les associerez-vous à cette ambition nouvelle ? Interviendront-ils en substitution ou en complément des actions financées par la convention ? Mènerez-vous des contrôles pour que les aides publiques versées soient à la hauteur des objectifs ?
Enfin, vos propos relatifs à la substitution de la société à la responsabilité parentale pour élever un enfant m'interrogent. N'avez-vous pas le sentiment que renvoyer la responsabilité et l'autorité parentales à un rang secondaire est en décalage avec les attentes des Français, comme le relaient d'ailleurs certains membres du Gouvernement ?
Mme Marianne Margaté. - Merci pour votre engagement, madame la ministre. Je suis toutefois un peu moins optimiste que vous lorsque vous affirmez qu'il est possible de faire plus avec moins. Il est dommage que vous ne disposiez pas des moyens à la hauteur de votre engagement et de votre ambition.
Les associations et les élus qui animent des QPV soulèvent la nécessité de mobiliser des moyens de droit commun. Or ces derniers pâtissent d'économies budgétaires extrêmement importantes et brutales. Les moyens sont donc insuffisants. Le constat vaut pour tous les territoires, mais les QPV souffrent d'un effet cumulatif : les collectivités subissent des contraintes pour boucler leur budget et doivent en plus faire face au gel des crédits de la politique de la ville. Cet effet démultiplicateur est assez désespérant. Comment les QPV peuvent-ils faire appel aux dispositifs de droit commun ?
Autre annonce brutale : la suppression d'une grande partie des crédits alloués au dispositif Quartiers d'été. Les maires qui se sont engagés se retrouvent face à un choix difficile : soit ils font partir moins d'enfants, soit ils suppléent le désengagement de l'État.
J'ai bien entendu vos propos sur les adultes-relais. Les associations sont inquiètes et constatent que les postes ne sont pas remplacés. J'espère que le maintien des 4 500 postes d'adultes-relais sera effectif, conformément à vos engagements.
Certains secteurs de l'est de mon département, la Seine-et-Marne, ne sont pas des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Pourtant, ils sont en train de basculer, en raison de leur éloignement, de l'apparition de phénomènes de ségrégations spatiale et sociale, de paupérisation des copropriétés et d'une forte désindustrialisation. Comment les préfets peuvent-ils porter attention à ces territoires en dehors des radars et qui satisfont à nombre des critères des QPV, si ce n'est à tous ?
Mme Martine Berthet. - Je me réjouis que l'économie, l'emploi, l'entrepreneuriat féminin, l'enfance et l'éducation figurent parmi vos priorités.
En tant qu'élue départementale, je préside la commission RSA de la communauté d'agglomération d'Albertville. L'apprentissage du français est essentiel pour relever le défi de l'insertion. Se pose toutefois la question des crédits affectés à cet objectif. France Travail ne dispose plus des moyens nécessaires et l'action des associations locales est insuffisante. Or, sans apprentissage du français, les femmes ne peuvent accéder à l'emploi, encore moins à l'entrepreneuriat. Résultat : elles sont isolées et ne peuvent établir des liens avec l'école de leurs enfants. Que comptez-vous faire à ce sujet ?
Le QPV d'Albertville regroupe toujours la population la plus pauvre de Savoie. Pourtant, nous n'avons aucune visibilité sur un nouvel engagement de l'État ou sur la cité éducative qui nous avait été promise.
Mme Marie-Lise Housseau. - Madame la ministre, je me réjouis de votre volontarisme pour développer l'économie des quartiers, notamment le soutien que vous comptez apporter aux femmes souhaitant créer leur entreprise. Ce soutien prendra-t-il la forme d'un accès facilité au crédit, voire au microcrédit ? Sur quels acteurs comptez-vous vous appuyer ? Dans des quartiers souvent gangrénés par la drogue, pensez-vous que les femmes auront la possibilité de mener leur projet à bien ?
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Monsieur Fargeot, vos interrogations sont légitimes. Nous mobiliserons les réseaux d'associations de jeunes entrepreneurs pour répartir les crédits de 350 millions d'euros que j'évoquais tout à l'heure. J'ai moi-même constitué le collectif Quartiers 4.0 pour développer l'intelligence artificielle dans les quartiers populaires. Ses membres mènent des actions formidables : ils ont créé des entreprises qui réussissent très bien et ils ont obtenu de nombreuses récompenses.
Les réseaux de jeunes entrepreneurs sont très efficaces pour repérer les jeunes des quartiers qui innovent. La Caisse des dépôts et le ministère leur apporteront plus qu'un simple accompagnement financier : nous leur fournirons des prestations de conseil - nous apprendrons ainsi aux femmes à s'affirmer et à lutter contre l'autocensure. Nous les suivrons durant les cinq premières années de vie de leur entreprise, une période de fragilité.
Bpifrance et le ministère ont lancé il y a quelque temps les Bus de l'entrepreneuriat. C'est un dispositif extraordinaire, qui fonctionne très bien. Quelques bus sont déjà en service ; Bpifrance compte en lancer 25, à terme. Dans une démarche d'« aller vers », ces bus jaunes se rendent dans les quartiers pour aider les personnes qui veulent créer leur activité économique.
Vous m'interrogez sur le contrôle de la bonne utilisation des deniers publics. La convention signée avec la Caisse des dépôts ciblera les profils des personnes concernées grâce à l'aide des réseaux existants, Bpifrance et la Banque des territoires, notamment. Leurs représentants travaillent en synergie avec les maires et les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Olivier Sichel et moi-même installerons un comité de pilotage au mois de septembre. Nous disposerons des informations nécessaires pour assurer le suivi des entreprises créées.
Je ne souhaite absolument pas retirer aux parents l'autorité qu'ils exercent sur leurs enfants. Je constate cependant que les QPV comptent 45% de familles monoparentales ; bien souvent, la mère est chef de famille et elle rencontre des difficultés pour élever seule ses enfants. Je me demande bien où sont partis les pères... Mais il faut quand même s'occuper de l'éducation des enfants, ne pas culpabiliser les mères et trouver des solutions. Il est impossible de laisser ces enfants seuls et oisifs, sinon ils seront la proie des trafiquants qui leur donneront de l'argent en échange de missions illégales. De deux choses l'une : soit on s'occupe des enfants, soit on les laisse à la main des réseaux.
Madame Berthet, l'apprentissage du français ne relève malheureusement pas des compétences du ministère de la ville. En 2012, lorsque je participais à la campagne d'un ancien Président de la République, j'avais proposé des petits-déjeuners gratuits pour repérer les parents qui ne parlent pas notre langue et les inciter à s'inscrire à des cours gratuits. Cette action relève du programme 104 " Intégration et accès à la nationalité française ". En outre, certaines communes et associations offrent également des cours de langue gratuits dans les quartiers ; je ne peux qu'encourager les acteurs à poursuivre dans cette voie.
Madame Margaté, les politiques de droit commun sont en effet essentielles. Je n'ai pas besoin du CIV pour savoir comment dépenser les 609 millions d'euros de budget de mon ministère. L'objectif du comité est bien de mobiliser les autres ministères. Certains d'entre eux apporteront des moyens supplémentaires, notamment les ministères de l'éducation nationale, de l'intérieur, de l'aménagement du territoire, de l'économie ou encore des affaires sociales. Ces moyens supplémentaires bénéficieront aux services publics sur l'ensemble du territoire : je veille à ne pas alimenter l'idée que l'on ferait davantage pour certains au détriment d'autres. Le service public doit être accessible partout. La responsabilité de la République, c'est d'octroyer plus de moyens aux territoires moins bien dotés.
Le dispositif Quartiers d'été subit une baisse de financement cette année, car il avait bénéficié de crédits exceptionnels en 2024, en raison des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Nous ne pourrons pas retrouver le niveau de l'an dernier - je le regrette. Je vais essayer de faire le maximum pour maintenir ces programmes, car je préfère envoyer les enfants en colonie de vacances plutôt que les laisser inactifs. Tous les crédits ont été délégués aux préfets de région, qui peuvent ainsi s'engager à pérenniser certaines activités.
Madame Housseau, nous avons maintenu les postes effectifs d'adultes-relais, c'est-à-dire les postes occupés. Je laisse Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, vous apporter quelques précisions à ce sujet.
Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales. - Les adultes-relais étaient gérés en deux enveloppes : une enveloppe théorique de postes et une enveloppe de masse salariale. Nous avons pris en compte la masse salariale pour répartir les crédits, car l'enveloppe théorique n'était jamais totalement consommée les années précédentes.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - J'ai oublié de vous préciser que la cartographie des QPV est un outil très utile pour identifier les poches de pauvreté. En outre, les quartiers ayant perdu cette qualification ont bénéficié des programmes de réussite éducative, qui permettent, entre autres, de financer des actions en direction des femmes. Ces dernières auront aussi accès au microcrédit pour développer leur entreprise : je souhaite qu'elles puissent être indépendantes sur le plan financier, ce qui leur permettra de s'émanciper.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour l'ensemble de ces précisions, madame la ministre.
Nous souhaitons que le CIV qui se tiendra vendredi à Montpellier soit un succès ; les réunions du comité devraient être plus fréquentes.
Nous aurons le plaisir de vous accueillir de nouveau lors de l'examen du prochain projet de loi de finances.
Source https://www.senat.fr, le 11 juin 2025