Interview de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France Info le 11 juin 2025, sur la mise en place de protocoles de sécurité à l'entrée des établissements scolaires et des universités, la santé mentale des étudiants et les menaces pesant sur les universitaires notamment spécialistes de l'islamisme.

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Média : France Info

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
L'invité politique de "La Matinale", bonjour Philippe BAPTISTE.

PHILIPPE BAPTISTE
Soyez le bienvenu. Vous êtes ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et vous répondez aux questions d'Alix BOUILHAGUET, c'est parti !

ALIX BOUILHAGUET
Philippe BAPTISTE, une surveillante de 31 ans poignardée par un élève de 14 ans, le drame se déroule à Nogent, Haute-Marne. Alors c'est un bourg tranquille, Nogent. Comment on explique ça ? François BAYROU parle de décomposition de la société.

PHILIPPE BAPTISTE
D'abord c'est un drame. Et permettez-moi juste d'avoir un mot évidemment pour la famille de cette dame et pour aussi toute la communauté éducative. Je pense qu'effectivement c'est quelque chose qui est multifactoriel et qu'aujourd'hui, il faut qu'on réagisse. Et c'est une réaction qui doit être forte parce qu'on a une épidémie de faits qui ressemble à cela. C'est probablement un mélange de choses. Je pense qu'effectivement le rôle des réseaux sociaux - ça a été souligné par le Président de la République hier - est sans doute important et il faut qu'on agisse.

ALIX BOUILHAGUET
Est-ce qu'il faut expérimenter les portiques de sécurité dans les collèges et les lycées ?

PHILIPPE BAPTISTE
Bien sûr, ça fait partie des choses qu'il faut mettre en place. Des outils, ce n'est pas les seuls, je pense que l'interdiction aussi de toutes les armes blanches aux mineurs, je pense que ça c'est aussi effectivement, on va dans la bonne direction. Il faut aussi travailler sur la prévention. Il faut aussi travailler sur l'identification. Je pense qu'il faut aussi être honnête et franc vis-à-vis des Français, c'est-à-dire qu'il n'y a pas une mesure qui va tout régler d'un coup, c'est bien un plan global sur lequel il faut qu'on travaille.

ALIX BOUILHAGUET
Dans votre secteur, ces fameux portiques de sécurité, est-ce qu'on peut imaginer des portiques de sécurité aux entrées des universités ?

PHILIPPE BAPTISTE
On peut l'imaginer… Dieu soit loué, on n'a pas ce genre de difficultés aujourd'hui dans les universités, mais après ça pose évidemment énormément de problèmes extrêmement pratiques, c'est-à-dire qu'installer des portiques de sécurité… Vous voyez, quand vous passez à l'aéroport, le temps que ça prend pour passer les contrôles, quand vous avez tous les étudiants ou tous les élèves qui arrivent au même moment, ça pose plein de difficultés. Je voudrais dire qu'on a déjà des contrôles, y compris dans les universités, c'est les présidents d'universités qui pilotent effectivement ça.

ALIX BOUILHAGUET
Quel type de contrôle ? Est-ce qu'on peut procéder à des fouilles ? Il y a eu 600 contrôles des sacs dans les établissements scolaires depuis mars. Est-ce qu'il faut les généraliser ? Est-ce qu'il faut les généraliser aussi à l'Université ? Est-ce que les chefs d'établissements d'universités peuvent avoir ces autorisations-là ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ce sont eux évidemment qui ont les pouvoirs de police, ce sont les présidents d'universités qui ont les pouvoirs de police sur leur campus. Mais après, s'agissant de manière générale des établissements de l'éducation, les généraliser, ça veut dire les faire de manière systématique. Vous voyez, vous comprenez bien les difficultés pratiques à quoi ça mène. Je veux dire qu'il n'y a aucun établissement dans le monde qui fait ça de manière systématique. Ce sont souvent des choses qui sont des contrôles aléatoires, des contrôles qui permettent effectivement de réguler. Mais encore une fois, ce n'est pas la seule mesure. Je pense qu'il faut aussi arriver justement à identifier les élèves qui sont en souffrance. Et ça, il y a un vrai travail à mener avec la communauté éducative.

ALIX BOUILHAGUET
Justement vous parlez d'élèves en souffrance, on parle beaucoup de santé mentale. Est-ce que c'est aussi un angle mort cette santé mentale au sein de l'enseignement supérieur ?

PHILIPPE BAPTISTE
C'est l'une des priorités. On a une très forte mobilisation aujourd'hui des universités, mais aussi des établissements de santé qui sont autour… Beaucoup d'établissements de santé ont été ouverts au sein des universités pour accueillir des premiers points de contact pour les étudiants qui sont en souffrance psychologique. C'est un phénomène, on l'a constaté.

ALIX BOUILHAGUET
Mais ce n'est pas une démarche proactive. C'est-à-dire quand on repère un étudiant, on peut l'amener à suivre un process ?

PHILIPPE BAPTISTE
En tout cas, on peut l'encourager, on peut l'amener. La plupart du temps, c'est une grande souffrance aussi de la part des étudiants qui souffrent de ça. Il y a tout un ensemble de programmes qui sont mis en place, en particulier d'autres étudiants qui sont là, des ambassadeurs, qui vont aller chercher, qui vont aller présenter des dispositifs à des étudiants qui sont potentiellement en souffrance et pour les amener jusqu'à l'infirmière ou au médecin qui vont pouvoir aider derrière. Cette étape de relais est vraiment importante. Les souffrances psychologiques aujourd'hui dans la jeunesse ont beaucoup augmenté, on l'a constaté post-Covid. Tout le monde s'est dit que c'était lié justement au Covid, mais on voit que ça n'est pas retombé. C'est un vrai phénomène de société, il faut qu'on se mobilise sur cette question-là.

ALIX BOUILHAGUET
Un mot sur ces universitaires, notamment des spécialistes de l'islamisme qui vivent sous la menace, qui sont harcelés, qui sont pour certains placés même sous protection policière. Ça se passe en France, mais ça se passe aussi ailleurs en Europe. En France, ce phénomène est de quelle nature et surtout de quelle ampleur ? On parle de combien d'enseignants ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ce qui s'est passé, il y a eu quelques faits qui sont totalement inacceptables. Il est intolérable que par exemple un enseignant-chercheur, comme ça s'est passé à Lyon, ne puisse pas faire cours et soit interrompu par des individus qui déboulent dans son amphithéâtre, masqués. C'est inacceptable. On sera extrêmement ferme. Des plaintes ont été déposées. Ça, c'est intolérable.

ALIX BOUILHAGUET
Ça concerne combien d'enseignants ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ça, c'est intolérable. L'antisémitisme, c'est intolérable. On sera absolument intraitable sur ces questions-là. Après maintenant, il faut aussi être clair. Est-ce que ce phénomène-là, c'est un phénomène qui est généralisé, comme ça peut être décrit de temps en temps ? La réponse est non. Aujourd'hui, oui, il y a quelques endroits où c'est parfois difficile, quelques départements dans quelques universités. Mais l'université aujourd'hui en France, c'est quoi ? C'est 3 millions d'étudiants qui sont dans le supérieur, c'est 75 établissements, 75 universités, 300 écoles d'ingénieurs, 200 écoles de commerce. Donc on est en train de parler de masse considérable. Donc oui, il y a quelques endroits où c'est compliqué, parce qu'il y a des gens qui sont extrêmement politisés, qui sont très actifs, avec un engagement militant qui est extrêmement fort…

ALIX BOUILHAGUET
Dans quel département ?

PHILIPPE BAPTISTE
Mais c'est ceux dont on entend parler régulièrement.

ALIX BOUILHAGUET
La Seine-Saint-Denis ?

PHILIPPE BAPTISTE
Non, quand je disais les départements, les départements au sein des universités ; je n'ai pas été clair. Au total, on est en train de parler de quelques centaines ou de quelques milliers de personnes dont on entend beaucoup parler. Ça peut être de temps en temps à Sciences Po, de temps en temps à Lyon 2, de temps en temps à Rennes, etc. Et on en entend beaucoup parler, et c'est normal. On est extrêmement attentifs. Mais est-ce qu'aujourd'hui, l'université est gangrenée par l'islamo-gauchisme, comme je peux l'entendre ? D'abord, le terme islamo-gauchisme ne correspond à rien. Et la réponse est non. L'université, c'est un endroit où on étudie, c'est un endroit où on confronte des opinions, c'est un endroit de liberté académique, c'est un endroit où on fait de la chimie, c'est un endroit où on fait de la physique, c'est un endroit où on fait des maths, où on apprend. Et on ne va pas réduire l'université et 3 millions d'étudiants à quelques cas.

ALIX BOUILHAGUET
Depuis son élection, Donald TRUMP a multiplié les actions ou les déclarations contre le monde de la recherche. Emmanuel MACRON a dit encore d'ailleurs hier soir aux chercheurs "Venez chez nous". De manière très concrète, combien de chercheurs ont été accueillis en France depuis qu'il a commencé à lancer cet appel ?

PHILIPPE BAPTISTE
En fait la question ne se pose pas comme ça, parce que des chercheurs étrangers qui viennent en France, c'est tous les ans depuis des décennies. Et c'est vrai qu'on a des chercheurs français qui partent à l'étranger et on a des chercheurs étrangers qui viennent en France. Ça, c'est la vie de la recherche.

ALIX BOUILHAGUET
Mais est-ce que ça s'est accéléré quand même ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ce qui est très clair… Vous voyez bien, c'est comme si je vous disais "Demain matin, est-ce que vous allez partir chez CNN ?" Vous voyez bien que ça ne va pas se faire d'un claquement de doigts. C'est quelque chose qui prend du temps. Donc on a aujourd'hui des milliers de candidatures. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, il y a des milliers de candidatures de chercheurs ou d'enseignants-chercheurs qui sont aujourd'hui dans des universités américaines, y compris des universités très prestigieuses, qui aujourd'hui veulent venir en France. Ça va se concrétiser…

ALIX BOUILHAGUET
Ils veulent venir en France malgré le manque de moyens ?

PHILIPPE BAPTISTE
Il n'y a pas de manque de moyens.

ALIX BOUILHAGUET
Parce que c'est ce qu'on entend souvent de la part de chercheurs qui disent "Nous, on n'a pas les moyens".

PHILIPPE BAPTISTE
Je vais vous dire, aujourd'hui, on investit énormément pour la recherche. Est-ce qu'on investit assez ? Moi, je vous dirai toujours, comme l'ensemble de mes camarades scientifiques, on peut toujours faire plus et on doit faire plus. Mais aujourd'hui, il y a une loi de programmation sur la recherche qui a amené aujourd'hui déjà 6 milliards d'euros sur la table. Il y a encore 19 milliards qui doivent arriver d'ici 2030 en plus des budgets qui sont des budgets récurrents. De l'argent, il y en a.

ALIX BOUILHAGUET
Donc pas de problème de budget à l'automne ?

PHILIPPE BAPTISTE
Il faut qu'on tienne le cap de cette loi de programmation. Ça, c'est fondamental. Il faut qu'on continue d'investir. Et moi, je vais vous dire pourquoi est-ce qu'on doit investir ? Parce qu'on construit l'avenir de la France, on construit l'avenir de l'Europe. Ce n'est pas simplement ma petite opinion sectorielle et pour défendre mon bout de périmètre. J'y crois profondément parce qu'en fait, quand on investit dans la recherche, on investit dans l'innovation, on investit dans les entreprises de demain. Et si demain, vous voulez des emplois en France, si demain, vous voulez des industries, des entreprises qui innovent et qui sont compétitives, vous avez besoin de recherche.

ALIX BOUILHAGUET
Deux questions encore rapides. Donald TRUMP, qui a entamé un bras de fer avec Harvard, suspecté, selon lui, d'être un incubateur du wokisme. Il veut restreindre l'entrée aux étudiants étrangers. Est-ce qu'aujourd'hui, des étudiants français qui souhaitent aller aux États-Unis, notamment à Harvard, doivent s'inquiéter pour obtenir leur visa ?

PHILIPPE BAPTISTE
Ce n'est pas qu'ils doivent s'inquiéter, c'est qu'ils sont inquiétés. C'est-à-dire qu'on a effectivement… Moi, je reçois régulièrement des messages de personnes qui, effectivement, sont aujourd'hui dans une situation de blocage parce que les procédures d'attribution de visa sont suspendues, etc.

ALIX BOUILHAGUET
Donc, c'est très concret.

PHILIPPE BAPTISTE
Donc, c'est très concret. On n'est pas en train de parler de dizaines de milliers de personnes, ce sont des petits nombres. Et donc, je l'ai déjà dit mais je le redis encore une fois, nous trouverons des solutions, évidemment, pour les étudiants européens qui seraient empêchés à un moment ou un autre ; on trouvera des solutions ad hoc. Et donc effectivement, on se saisira des dossiers pour leur trouver des solutions en France, en Europe.

ALIX BOUILHAGUET
Dernier mot, Salon VivaTech qui ouvre aujourd'hui, le rendez-vous des professionnels de la tech et de l'innovation. C'est placé, cette année, sous l'IA. Les Français sont inquiets. Beaucoup d'entre eux redoutent un peu cette intelligence artificielle.

PHILIPPE BAPTISTE
Je comprends parfaitement. C'est une source d'inconnus. C'est parfois vertigineux. Mais c'est aussi une source de croissance extraordinaire. Et donc, c'est aussi une source d'opportunités. N'ayons pas peur, il faut y aller. Derrière, c'est ce que je disais tout à l'heure, c'est la recherche, c'est l'innovation, c'est les emplois de demain. Et la question n'est pas tellement de se dire comment je me protège de l'IA. Parce que ça, ça n'existe pas. Je veux dire, personne ne s'en protégera. C'est comment est-ce que j'utilise cette opportunité extraordinaire pour créer de la richesse, pour créer de la valeur, pour transmettre du savoir, pour transmettre des connaissances et faire de notre société une société qui soit une société inclusive et dans laquelle on soit heureux de vivre.

ALIX BOUILHAGUET
Merci beaucoup Philippe BAPTISTE. Bonne journée à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 juin 2025