Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de l'innovation et du numérique, à France Inter le 11 juin 2025, sur son déplacement en Haute-Marne suite à la mort d'une surveillante de collège tuée par un élève de 14 ans, les contrôles des sacs par des gendarmes à l'entrée des écoles et la mise en place d'un protocole pour repérer les élèves en difficultés psychologiques.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Élisabeth Borne - Ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de l'innovation et du numérique ;
  • Sonia Devillers - Journaliste

Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Il est 7h51. Sonia DEVILLERS, votre invitée est la ministre de l'Éducation nationale.

SONIA DEVILLERS
Qui s'est rendue hier en Haute-Marne suite à la mort de Mélanie, 31 ans, surveillante au collège Françoise Dolto, tuée donc de plusieurs coups de couteau par un garçon de 14 ans. Bonjour Élisabeth BORNE.

ÉLISABETH BORNE
Bonjour.

SONIA DEVILLERS
La première question est évidemment sur la bouche de tout le monde. Madame la ministre, risque-t-on de mourir de son métier quand on travaille à l'Éducation nationale ?

ÉLISABETH BORNE
Écoutez, ce qui s'est passé hier c'est un drame épouvantable. Et moi, mes pensées vont d'abord à cette jeune assistante d'éducation qui a perdu la vie, à sa famille que j'ai rencontrée sur place, à son petit garçon.

SONIA DEVILLERS
4 ans.

ÉLISABETH BORNE
Et je veux aussi redire toute ma solidarité aux équipes éducatives du collège, aux élèves, à leurs parents que j'ai pu rencontrer. Mais je pense qu'au-delà, c'est vraiment toute la communauté éducative qui est sous le choc et la nation tout entière. C'est pour ça que j'ai demandé qu'une minute de silence soit observée demain à midi dans tous les établissements. Évidemment on doit protéger, et c'est une priorité absolue, on doit protéger l'école et protéger celles et ceux qui la font vivre. Et moi, je peux vous assurer que face à cette circulation des couteaux qui se répand chez les jeunes, dès mon arrivée j'ai souhaité qu'on organise des fouilles devant les établissements pour qu'aucune arme ne puisse rentrer dans ces établissements.

SONIA DEVILLERS
Précisément, ce crime a eu lieu lors d'un contrôle des sacs à l'entrée du collège. C'était une opération organisée par la gendarmerie qui était programmée en amont, dans le cadre de la circulaire qui porte votre nom, c'est la circulaire BORNE-RETAILLEAU, et qui prévoit des contrôles aléatoires à l'entrée des établissements. Est-ce que vous pouvez nous expliquer concrètement comment est censé se passer un contrôle de ce type, et comment on explique qu'il puisse dégénérer au point qu'une surveillante perde la vie ?

ÉLISABETH BORNE
Ces contrôles sont organisés sur réquisition du procureur, par des forces de l'ordre, donc des policiers ou des gendarmes. En l'occurrence hier c'étaient des gendarmes qui étaient présents et nombreux. Et c'est vrai que le fait que ce jeune de 14 ans tue de sang-froid cette jeune femme devant les gendarmes, c'est effrayant. Et je pense que ça renvoie à d'autres sujets de santé mentale. Et là aussi…

SONIA DEVILLERS
On va y venir, madame la ministre, évidemment, mais vous entendez de nombreux syndicats dire qu'une assistante d'éducation n'est pas un vigile. Elle n'avait pas à se retrouver en première ligne. Ce mot de "première ligne", tous les personnels administratifs et tous les enseignants l'ont à la bouche. Nous sommes en première ligne. Comment ça se trouve qu'elle se retrouvait en première ligne et pas protégée ?

ÉLISABETH BORNE
Vous savez, moi j'entends parfois dire qu'il faudrait que les personnels de l'Éducation nationale organisent des fouilles. Ce n'est précisément pas ce qui est prévu. Ce sont bien des policiers, des gendarmes qui organisent ces fouilles pour ne pas exposer les personnels de l'Éducation nationale. L'enquête permettra de préciser les circonstances qui font que cette jeune femme était là, mais elle n'était pas en train de participer à l'opération de fouille. Et les gendarmes étaient là. Un gendarme a essayé de s'interposer. Malheureusement, ça n'a pas pu lui sauver la vie.

SONIA DEVILLERS
Et est-ce que vous êtes pour une fouille systématique tous les jours, de tous les élèves, à l'entrée des établissements scolaires ? Je vous dis ça puisque la vice-présidente de l'Assemblée nationale, dans son rapport sur la circulation des armes blanches, précise bien qu'il n'y a pas de profil type d'élève qui dispose d'un couteau. Vous êtes pour la fouille systématique ?

ÉLISABETH BORNE
Il s'agit d'organiser des fouilles par les forces de l'ordre. Malheureusement, on ne peut pas organiser des fouilles tous les jours devant tous les établissements.

SONIA DEVILLERS
Et les portiques ? Les portiques de détection ?

ÉLISABETH BORNE
Je suis ouverte à tout ce qui peut permettre d'éviter l'introduction d'armes dans les établissements. C'est un travail qu'on mène avec les collectivités qui sont responsables de la sécurisation des enceintes scolaires. Ce sont les départements pour les collèges, les régions pour les lycées. On peut, avec ceux qui le souhaitent, tester tous les dispositifs, les portiques, les tourniquets.

SONIA DEVILLERS
Vous en pensez quoi des portiques ?

ÉLISABETH BORNE
Je pense que chacun sait que les portiques, ce n'est pas la réponse absolue, parce qu'on a aussi des couteaux en céramique qui ne seront pas détectés par les portiques. Mais je pense qu'on agisse ensemble avec les collectivités pour assurer au maximum la sécurité dans les enceintes scolaires, que ça reste des sanctuaires comme chacun l'attend, c'est vraiment…

SONIA DEVILLERS
Des sanctuaires ou des bunkers ? Je vous pose la question parce que c'est le porte-parole de l'APEP, qui est une fédération de parents d'élèves, qui dit qu'évidemment, on ne doit pas mourir de son métier quand on travaille à l'Éducation nationale, mais qu'un établissement scolaire ne doit pas devenir non plus un bunker. Donc je vous pose la question entre le sanctuaire et le bunker.

ÉLISABETH BORNE
Mais bien sûr qu'il ne s'agit pas de faire des bunkers, il s'agit d'assurer la sécurité au sein des établissements. Ça passe notamment par des opérations de fouilles inopinées. Ça passe aussi par une très grande vigilance sur les problèmes psychologiques que peuvent rencontrer des élèves. Et c'est pour ça qu'il y a tout un volet santé mentale que j'ai annoncé, avec la demande que j'ai faite à tous les établissements d'avoir, d'ici la fin de l'année, un protocole pour repérer et faire prendre en charge avec tous les partenaires de l'école, les jeunes qui ont des difficultés psychologiques, avec la mise en place de deux adultes repères qui sont formés pour détecter les signaux de malaise psychologique chez les jeunes, avec un conseiller par département pour accompagner ces jeunes. Et puis on continue le travail avec le ministre de la Santé Yannick NEUDER pour qu'on puisse au mieux repérer les jeunes qui ont des difficultés psychologiques.

SONIA DEVILLERS
Mais évidemment que ce protocole de santé mentale, je vous entends, doit être, comment dire, étendu à tous les établissements scolaires et que manifestement il y a urgence. Mais comment on fait avec des personnels de santé de l'Éducation nationale qui sont totalement débordés un infirmier pour 1 600 élèves, un psychologue pour 1 500 élèves, un médecin pour 13 000 élèves, qui renvoient vers des personnels de santé et des centres médicaux psychologiques, les CMP eux-mêmes, complètement débordés ?

ÉLISABETH BORNE
Je ne dis pas que c'est simple, je dis qu'on est tous mobilisés pour détecter les signes de détresse psychologique ou de fragilité psychologique chez les jeunes, qu'on doit travailler avec tous les partenaires, notamment, comme vous l'avez dit, les centres médicaux psychologiques pour lesquels, avec le ministre de la Santé…

SONIA DEVILLERS
Est-ce que vous, vous allez débloquer des moyens ? Vous, à l'éducation nationale, est-ce que vous allez débloquer… ?

ÉLISABETH BORNE
J'ai annoncé qu'on allait renforcer les effectifs d'infirmiers et d'infirmières, d'assistants de service social, de psychologues à l'éducation nationale, qu'on doit renforcer des moyens.

SONIA DEVILLERS
Combien de postes ?

ÉLISABETH BORNE
Les discussions sont en cours, mais je pense que chacun mesure la gravité de la situation et la nécessité d'avoir plus de moyens pour faire ce repérage et puis de s'appuyer aussi sur des adultes, qui ne sont pas forcément des infirmiers et des infirmières, qui vont être formés, et c'est le travail qu'on mène avec le ministre de la Santé.

SONIA DEVILLERS
Et cette interdiction des réseaux sociaux que prône Emmanuel MACRON, Président de la République, est-ce qu'elle vous semble souhaitable - j'imagine que oui, puisque vous-même, vous êtes aux avant-postes de cette réflexion - avant 15 ans, mais est-ce qu'elle vous semble réalisable ?

ÉLISABETH BORNE
Moi, je vais vous dire, je pense que quand on a des jeunes qui passent 5 heures par jour sur les écrans, qui consultent des sites, des séries, des jeux vidéo dont on n'a pas idée, et qui ensuite ont une forme de perte de repère entre le réel et le virtuel, avec une banalisation de la violence sur les réseaux sociaux, oui, je pense qu'il faut protéger nos jeunes de la surexposition aux écrans, de la banalisation de la violence. Alors on peut nous dire que c'est très compliqué…

SONIA DEVILLERS
C'est très compliqué.

ÉLISABETH BORNE
On a face à nous des plateformes qui ont tous les moyens technologiques. Il y a des identifiants qui peuvent leur permettre de connaître l'âge des élèves, c'est leur responsabilité aussi de nous aider à protéger nos jeunes de ces contenus violents.

SONIA DEVILLERS
Mais est-ce qu'aujourd'hui, les plateformes américaines et les plateformes chinoises vous paraissent, comment dire, enclines à la régulation ?

ÉLISABETH BORNE
Écoutez, c'est ma collègue Clara CHAPPAZ qui discute beaucoup avec eux. Je pense qu'ils sont quand même conscients que la société, que ce soit en France, en Europe ou ailleurs dans le monde, ne peut pas accepter que ces réseaux sociaux puissent banaliser la violence, puissent faire perdre leur repère à notre jeunesse.

SONIA DEVILLERS
Merci madame la Ministre. Une minute de silence donc demain à midi. Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 juin 2025