Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social (projet n° 600, texte de la commission n° 668, rapport n° 667).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui répond à un objectif simple tant sur le fond que sur la forme : il s'agit d'assurer la transposition législative fidèle et complète de trois accords intervenus entre les partenaires sociaux le 14 novembre 2024 sur des sujets importants et attendus par nos compatriotes.
Permettez-moi tout d'abord de faire quelques rappels afin que chacun puisse bien comprendre le contexte dans lequel ce texte est soumis au Parlement.
À l'automne dernier, le Premier ministre Michel Barnier, que je tiens à saluer chaleureusement, et moi-même étions convaincus qu'il y avait matière à accord et qu'il était nécessaire de relancer le dialogue social. Je suis sûre que le président Gérard Larcher, père de l'article L. 1 du code du travail, ne nous aurait pas contredits !
Nous avons donc demandé aux partenaires sociaux de reprendre plusieurs négociations qui, au cours de la dernière période, n'avaient pas abouti. Nous leur avions promis que s'ils parvenaient à des accords, ceux-ci seraient appliqués fidèlement par voie réglementaire, si cela était possible, ou qu'ils seraient retranscrits fidèlement dans la loi.
Après quelques semaines de négociations, le 14 novembre 2024, cette initiative a été validée par un triple accord.
Les partenaires sociaux ont ainsi conclu deux accords nationaux interprofessionnels, l'un sur l'emploi des travailleurs expérimentés – je préfère cette expression au terme "seniors" –, l'autre sur le dialogue social, ainsi qu'une nouvelle convention Unédic.
Ces trois textes ont été largement signés. Un peu plus de six mois après leur conclusion, une partie de ces accords est bien entrée en vigueur par voie réglementaire. Toutes les stipulations des trois accords du 14 novembre n'impliquaient pas en effet de mesures de transposition dans la loi. La convention Unédic, par exemple, a été agréée par décret. Quelques stipulations, notamment sur la possibilité de prendre une retraite progressive à 60 ans au lieu de 62 ans, nécessitaient quant à elles des mesures réglementaires uniquement, qui ont été prises depuis lors.
Il appartient donc au Parlement d'assurer la transposition législative du reste des mesures prévues.
Pour cela, nous avons veillé à ce que ce projet de loi retranscrive le plus fidèlement possible la volonté des partenaires sociaux. C'est ce qui a justifié de nombreux échanges avec eux au cours des derniers mois afin de les associer au mieux à l'élaboration de ce texte, qu'ils soient signataires ou non des différents accords.
Je sais que le Sénat partage avec ce gouvernement le souhait de faire vivre la démocratie sociale. Vous êtes rompus, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'exercice de transposition fidèle des accords négociés par les partenaires sociaux. Nous en avons ainsi fait ensemble l'expérience en finalisant la transposition de l'ANI sur les accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Abordons à présent le contenu de ce projet de loi.
Sept des dix articles du texte concernent l'emploi des travailleurs expérimentés. En effet, 61 % des plus de 55 ans sont en activité. Ce taux s'établit à moins de 40 % parmi les plus de 59 ans. Ces statistiques nous placent loin, très loin derrière les mieux-disants européens.
La fin de carrière effraie. C'est un gâchis humain et économique inacceptable, que nous ne pouvons plus nous permettre.
Sur cette question stratégique, j'ai donc lancé ce printemps une grande initiative nationale qui vise à changer le regard porté sur l'emploi des 50 ans et plus en luttant contre les stéréotypes.
Tout d'abord, une campagne de communication en ce sens a débuté samedi dernier et se poursuivra jusqu'au 6 juillet 2025.
Ensuite, nous devons changer les pratiques des employeurs, en embarquant France Travail, l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), les organisations professionnelles, l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) ou encore la communauté Les Entreprises s'engagent, pour mettre en avant les entreprises qui se sont saisies de cette question.
Enfin, nous devons modifier la loi : c'est ce que nous faisons aujourd'hui.
Concrètement, les deux premiers articles renforcent le dialogue social en obligeant les branches et les entreprises d'au moins 300 salariés à mener tous les quatre ans des négociations spécifiques sur ce thème.
En effet, il est essentiel que le dialogue social, à tous les niveaux, porte sur le maintien en emploi des 50 ans et plus, sur la gestion de la seconde partie de carrière, sur la transmission des compétences, mais aussi sur le recrutement des salariés expérimentés. Afin d'apporter les bonnes réponses en fin de carrière, employeurs et salariés doivent se préparer en amont.
L'un des enseignements majeurs tirés de l'expérience des pays d'Europe du Nord, qui sont engagés sur cette question depuis les années 2000, et dont le taux d'activité général et celui des seniors sont plus élevés que le nôtre, est clairement que, pour travailler plus longtemps, il faut anticiper au plus tôt.
L'article 3 crée donc un nouvel entretien professionnel organisé dans les deux mois suivant la visite médicale de mi-carrière. Ce dispositif intégré a vocation à faire de ce rendez-vous un moment clé pour mieux répondre aux enjeux de santé au travail, notamment en matière de prévention de l'usure professionnelle. Il sera également l'occasion d'aborder l'ensemble des questions liées aux compétences, aux qualifications, aux besoins de formation, aux mobilités ou aux reconversions.
L'article 4 apporte une réponse en matière de recrutement des travailleurs expérimentés en prévoyant l'expérimentation durant cinq ans du contrat de valorisation de l'expérience (CVE), destiné aux demandeurs d'emploi âgés de 60 ans et plus. On sait que les chômeurs de plus de 55 ans mettent deux fois plus de temps à retrouver un emploi que les actifs âgés de 20 à 49 ans.
La situation est aujourd'hui déséquilibrée : un employé peut faire valoir son droit à la retraite quand il peut prétendre à une retraite à taux plein, mais s'il ne le souhaite pas, son employeur ne peut lui imposer de quitter l'entreprise. Or ce manque de visibilité est un frein à l'embauche. Cela nous a été dit à de multiples reprises par de nombreux employeurs.
Grâce au contrat de valorisation de l'expérience, les salariés concernés pourront bénéficier d'un contrat à durée indéterminée – j'insiste sur ce point. Les entreprises bénéficieront, en contrepartie, d'une sécurité et d'un avantage.
La sécurité, c'est la certitude pour l'employeur, s'il le souhaite, de voir le salarié partir à la retraite lorsqu'il atteint l'âge légal de départ à taux plein. L'avantage pour l'entreprise, c'est l'exonération de cotisation sur les indemnités de mise à la retraite.
Puisque la question a été posée lors de l'examen du texte en commission des affaires sociales, je tiens à revenir sur le coût de cette exonération. Il n'est en rien comparable à l'exonération de cotisation d'allocations familiales évoquée il y a quelques années sur chaque salaire mensuel, qui se chiffrait en centaines de millions d'euros. Nous parlons ici d'une exonération sur la seule indemnité de mise à la retraite, qui n'est versée qu'une fois.
Il est complexe de donner un montant précis, car le coût total dépendra du nombre de nouvelles embauches dans le cadre d'un CVE et des profils de salaires qui en bénéficieront, puisque l'indemnité de mise à la retraite dépend de l'ancienneté du salarié.
Néanmoins, à titre de perspective, les cotisations sur les primes de mise à la retraite des 57-64 ans actifs, qui n'ont pas vocation à basculer sur ce type de contrat, représentent aujourd'hui 62 millions d'euros.
Les articles 5, 6 et 7 facilitent les aménagements de fin de carrière.
Dans les pays où le taux d'emploi des 61-64 ans est élevé, comme la Suède et le Danemark, le recours au temps partiel est beaucoup plus fréquent. Ce type de contrat a l'avantage de sortir d'une logique trop binaire avec laquelle il faut rompre concernant les travailleurs expérimentés de plus de 60 ans. En France, on se figure qu'on ne peut être qu'à 100 % en activité ou à 100 % en retraite. Imaginons plutôt un continuum d'activité, comme cela existe en Europe du Nord, qui corresponde aux aspirations personnelles des salariés et aux besoins des entreprises.
L'article 5 vise donc à faciliter les aménagements de fin de carrière en obligeant les entreprises à motiver précisément les refus qu'elles sont en droit d'opposer aux demandes de passage à temps partiel.
L'article 6 permet à l'employeur d'un salarié qui décide de réduire son temps de travail de lui verser, de manière anticipée, tout ou partie de l'indemnité de départ à la retraite afin de compenser en partie la rémunération perdue. Il instaure ainsi le mécanisme de retraite progressive, très développé dans certains pays et beaucoup moins dans le nôtre.
L'article 7 clarifie les règles relatives à la mise à la retraite d'office pour les rendre pleinement applicables aux salariés bénéficiant d'un cumul emploi-retraite qui ont été recrutés après avoir atteint l'âge de la retraite à taux plein.
Comme je l'indiquais en préambule, la retraite progressive à 60 ans fait évidemment partie de l'ANI en faveur de l'emploi des travailleurs expérimentés, mais sa mise en œuvre n'exige pas de modification de nature législative. La publication prochaine du décret permettra l'entrée en vigueur de cette disposition au 1er septembre 2025.
Aujourd'hui, le dispositif de retraite progressive n'est pas assez mobilisé : seules 30 000 personnes en bénéficient, en cumulé, sur les 700 000 retraités que compte une cohorte annuelle moyenne. Les chiffres sont donc très faibles. Le dispositif est bien plus populaire aux Pays-Bas et dans les pays d'Europe du Nord, où les taux d'activité des travailleurs expérimentés sont bien plus élevés que les nôtres.
L'ouverture de la retraite progressive à 60 ans a le même objectif que les dispositions en discussion : il s'agit de favoriser l'aménagement des fins de carrière en sortant d'une logique binaire, selon laquelle on est à 100 % en activité ou à 100 % en retraite.
Le développement de la retraite progressive doit permettre aux salariés qui le souhaitent de réduire leur temps de travail, en commençant à percevoir une partie de leur pension tout en continuant à cotiser à taux plein.
L'article 8 traite d'une question différente : la qualité et la continuité du dialogue social, qui est l'objet du second ANI en date du 14 novembre 2024.
Les partenaires sociaux ont trouvé un accord très large et supprimé la limitation à trois du nombre de mandats successifs que les membres élus des comités sociaux et économiques (CSE) peuvent effectuer.
L'article 9 traite de l'assurance chômage.
Pour l'essentiel, la nouvelle convention Unédic, qui a fait l'objet d'un accord en novembre dernier, a été agréée. Elle est entrée en vigueur par un décret du 20 décembre 2024.
Je rappelle que, au total, en régime de croisière, cette nouvelle convention permettra de réaliser 1,5 milliard d'euros d'économies par an. Au début des négociations, le gouvernement Barnier avait demandé aux partenaires sociaux de dégager 400 millions d'euros d'économies supplémentaires sur le régime.
L'une des propositions des partenaires sociaux n'avait alors pas pu être agréée, faute de base législative : il s'agit de la mesure qui améliore les droits des primo-entrants dans le dispositif, en abaissant de six mois à cinq mois la durée d'affiliation des personnes s'inscrivant pour la première fois à l'assurance chômage.
L'objectif est de mieux sécuriser la situation de ces demandeurs d'emploi particulièrement fragiles. Cela se justifie pleinement au regard de la remontée du chômage, en particulier chez les jeunes, que nous observons actuellement. L'article 9 du projet de loi donne une base législative à cette mesure et permettra son intégration à la nouvelle convention d'assurance chômage.
Enfin, le Gouvernement a souhaité saisir l'occasion de ce vecteur législatif pour permettre la transcription des futures conclusions de la négociation en cours sur les transitions et les reconversions professionnelles, en introduisant un article 10.
Lors de mon audition par la commission des affaires sociales, j'ai évoqué les raisons qui ont incité le Gouvernement à demander une habilitation à légiférer par ordonnances. J'ai parfaitement conscience des limites de cette procédure, qui peut être interprétée comme une forme de dessaisissement par le législateur de sa compétence.
Dans un marché du travail préoccupant à certains égards, les salariés et les employeurs ont besoin d'outils plus efficients, plus lisibles et plus facilement mobilisables. Aussi, plutôt que d'attendre un véhicule législatif inconnu, à une date incertaine, nous avons préféré prendre les devants en rédigeant cet article 10.
Je le répète : c'est uniquement par pragmatisme et par souci de trouver la meilleure articulation entre le temps du dialogue social et le calendrier parlementaire que nous avons rédigé cet article, l'idée étant de substituer à l'ordonnance les dispositions de l'accord dès que possible.
En effet, au moment où le Parlement commence ici même l'examen de ce projet de loi, les partenaires sociaux, sur l'invitation de Catherine Vautrin et de moi-même, ont entamé des négociations sur nos dispositifs de transition et de reconversion.
Les partenaires sociaux ne partaient pas d'une page blanche ; ils avaient déjà entamé des négociations sur le sujet, qui n'ont pas abouti. Conscients de l'urgence, ils se sont remis au travail et souhaitent trouver un accord d'ici à la mi-juin.
Ces dispositifs doivent jouer un rôle clé dans notre stratégie en faveur de l'emploi des plus de 50 ans. Ils doivent aussi profiter aux salariés, aux entreprises et aux territoires touchés par des restructurations pour une meilleure continuité professionnelle et salariale.
Cela nécessite de rendre nos dispositifs plus simples.
L'objectif est de mieux accompagner les salariés, de favoriser les mobilités internes et externes, mais aussi de développer l'alternance pour les adultes, sans limite d'âge, grâce au contrat de professionnalisation.
Aujourd'hui, nous avons bon espoir que ces négociations aboutissent très prochainement. Le cas échéant, il faudra en assurer une transposition législative rapide.
C'est d'ailleurs une demande formulée expressément par les partenaires sociaux, tant par les organisations patronales que par les organisations syndicales. Tous sont convaincus de l'urgence de disposer de dispositifs plus efficaces.
Je remercie donc très sincèrement les rapporteures et la commission des affaires sociales de la solution très pragmatique qui a été trouvée : en cas d'accord, le Gouvernement s'engage à déposer un amendement de réécriture reprenant le plus fidèlement possible les propositions des partenaires sociaux.
Sur toutes ces questions, le Gouvernement et les partenaires sociaux s'attachent à revitaliser le dialogue social.
Comme le montrent les travaux de la commission des affaires sociales, le Sénat est rodé à l'exercice particulier que constitue la transposition des accords nationaux interprofessionnels. Il s'agit d'être à la fois loyal et précis pour assurer une parfaite transposition, sans renoncer au pouvoir d'appréciation générale du législateur.
C'est la tâche qui vous incombe aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs.
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Je souhaite apporter deux éléments factuels en réponse aux propos de certains orateurs lors de la discussion générale.
Premièrement, si un consensus se fait pour constater que le taux d'emploi des seniors est effectivement plus bas en France que chez nos voisins européens mieux-disants, il ne faut pas y voir là une fatalité. Le taux d'emploi des seniors a en effet augmenté de trois points en deux ans en France, alors que, dans le même temps, il n'augmentait que de deux points en Allemagne et d'un peu plus de deux points en Europe en moyenne. (Mmes Émilienne Poumirol et Cathy Apourceau-Poly protestent.)
Pour la première fois depuis que l'on mesure le taux d'emploi, le taux d'emploi des plus de 55 ans dépasse enfin 60 %. Il s'établit à 61,5 % au premier trimestre de 2025, selon l'Insee.
Mme Émilienne Poumirol. Ce n'est pas ce qui est dit dans l'ANI !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Deuxièmement, certes l'ANI n'a pas été voté à l'unanimité. Toutefois, l'accord en faveur de l'emploi des salariés expérimentés a été signé par 74 % des organisations syndicales représentatives et 100 % des organisations patronales. L'accord relatif à l'évolution du dialogue social a été signé par 100 % des organisations syndicales et par 67 % des organisations patronales. Enfin, 59 % des organisations syndicales et toutes les organisations patronales ont signé l'accord sur l'assurance chômage.
Ces chiffres témoignent d'une représentativité suffisante qui nous permet d'affirmer que le dialogue social fonctionne dans notre pays.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Source https://www.senat.fr, le 12 juin 2025