Texte intégral
ORIANE MANCINI
Bonjour Benjamin HADDAD,
BENJAMIN HADDAD
Bonjour,
ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes ministre déléguée chargée de l'Europe. On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale, représentée par Christelle BERTRAND du Groupe La Dépêche. Bonjour Christelle,
CHRISTELLE BERTRAND, JOURNALISTE POLITIQUE DU GROUPE LA DEPECHE
Bonjour Orianne, bonjour Benjamin HADDAD,
BENJAMIN HADDAD
Bonjour,
ORIANE MANCINI
On va parler des dossiers européens. Évidemment, ils sont nombreux, Benjamin HADDAD. Mais pour commencer, évidemment, on revient sur ce qui s'est passé hier. Ce drame à Nogent, en Haute-Marne, cette surveillante de 31 ans tuée, poignardée par un jeune collégien de 14 ans. Est-ce que, comme le dit Bruno RETAILLEAU, on peut parler d'une société du laxisme qui engendre parfois une fabrique de barbares ?
BENJAMIN HADDAD
On voit un déferlement de violence, aujourd'hui, chez une partie de la jeunesse. Moi, comme beaucoup, j'ai été profondément choqué par ce drame, par cet assassinat, cette surveillante de 31 ans, Mélanie. Et il faut y apporter des réponses extrêmement fermes. On ne peut pas tolérer une forme d'américanisation de la société où on accepte cette violence quotidienne qui pourrait avoir lieu dans nos écoles. Ça passe, comme l'a dit le Premier ministre, par plus de contrôles, par l'interdiction de la vente d'armes, des armes blanches aux mineurs.
ORIANE MANCINI
Mais ça, c'est efficace, parce que pardon, des couteaux, il y en a dans toutes les cuisines. En quoi c'est efficace d'interdire la vente d'armes blanches aux mineurs ?
BENJAMIN HADDAD
C'est un arsenal de réponses. Aussi bien l'interdiction de la vente d'armes aux mineurs et le fait, par exemple, de s'assurer, quand il y a des commandes sur Internet, parce qu'on voit, aujourd'hui, des façons de détourner la vente directe, de faire en sorte que ce soit vraiment u adulte qui signe. Mais je crois que le président de la République a eu raison d'évoquer aussi la question des réseaux sociaux. On voit le rôle que jouent les réseaux sociaux dans la violence, dans une forme de radicalisation, dans la santé mentale aussi, qui est un sujet. Vous savez, quand on parle des réseaux sociaux depuis quelques années, on parle beaucoup de la polarisation de nos sociétés, de la montée des extrémismes, ou de la désinformation, des ingérences. Mais la santé mentale, en particulier pour les plus jeunes, les phénomènes dépressifs, les phénomènes d'isolement, ça, c'est une question qu'il faut adresser. Et l'interdiction des réseaux sociaux aux plus jeunes, aux moins de 15 ans, c'est un combat qu'on doit porter au niveau européen. C'est une priorité de certaines de mes collègues, je pense notamment à Clara CHAPPAZ ou à Aurore BERGE, qui se sont positionnées sur ce sujet. On a des outils en Europe pour réguler les réseaux sociaux. Vous le savez, par exemple, le Digital Services Act, qui permet notamment de mettre plus de pression aux plateformes pour qu'elles modèrent leur contenu, pour qu'elles luttent contre la haine en ligne, pour qu'elles luttent contre la désinformation, la manipulation des algorithmes, comme on a pu le voir. Je me suis rendu ces derniers mois en Roumanie, en Moldavie. On a pu voir les ingérences. Là, il faudra aller plus loin et vraiment préserver nos enfants de ce fléau. Et je crois que le contrôle des réseaux sociaux en fait partie.
CHRISTELLE BERTRAND
Ça fait longtemps que le chef de l'État pointe du doigt l'influence des réseaux sociaux sur la santé mentale des enfants. Il l'avait fait, dans sa conférence de presse il y a un an et demi déjà. Pour l'instant, rien n'a bougé. Visiblement, tout est bloqué au niveau européen. Est-ce qu'il est possible de légiférer en France sans l'Europe ?
BENJAMIN HADDAD
Alors oui, maintenant, c'est vrai qu'on aurait une réponse plus efficace si on pouvait le porter au niveau européen. Je vous citais, à l'instant, l'exemple du Digital Service Act. Quand on est 27, quand on se met d'accord, c'est aussi une façon de mettre plus de pression aux plateformes pour qu'elles respectent nos règles. Donc on portera ce sujet au niveau européen.
ORIANE MANCINI
Mais vous pensez que ça va aboutir ?
BENJAMIN HADDAD
Mais en effet. Je crois qu'il y a une prise de conscience de plus en plus importante au niveau des pays européens. Encore une fois, c'est ce qu'on a vu avec des règles comme le DSA ou comme le DMA contre les pratiques monopolistiques. Il y a encore quelques années, c'était impossible. Et on le voit progressivement parce que c'est des sujets nouveaux. Et c'est des sujets, au fond, auxquels toutes les sociétés européennes sont confrontées. Et donc, des thématiques qui n'étaient peut-être pas prégnantes dans le débat chez nos voisins, il y a quelques années, le sont aujourd'hui chez nous parce qu'ils sont confrontés aux mêmes problématiques. Maintenant, encore une fois, on le portera au niveau européen. Mais la France, sinon, si on n'arrive pas à dégager un consensus, la France montrera la voie et le mettra en oeuvre au niveau français.
CHRISTELLE BERTRAND
Mais ça veut dire que ça va prendre encore énormément de temps. Il faut attendre de savoir si ça fonctionne au niveau européen.
BENJAMIN HADDAD
Le président de la République a dit dans les prochains mois. Il a dit qu'on avancera.
ORIANE MANCINI
Il nous donne quelques mois pour arriver à une mobilisation européenne.
BENJAMIN HADDAD
Donc, on est face à une épidémie à laquelle il faut apporter des réponses fortes et structurelles. La question des réseaux sociaux en fait partie. Il y a encore une fois, on peut le faire soit au niveau européen, soit au niveau national.
ORIANE MANCINI
Sur la réponse judiciaire, il y a eu ce texte qui a été voté par le Parlement il y a quelques semaines de Gabriel ATTAL sur la justice des mineurs. Gérald DARMANIN, lui, il envisage d'aller plus loin, de supprimer le sursis, de réinstaurer des peines minimales ou des peines planchers. Est-ce que ça, ça va dans le bon sens pour vous ?
BENJAMIN HADDAD
Moi, je suis favorable à tout ce qui peut renforcer, effectivement, la fermeté de la réponse pénale. J'ai eu déjà l'occasion de le dire. Je soutiens, par exemple, les propositions de Gérald DARMANIN en ce sens.
ORIANE MANCINI
Ce qui n'est pas le cas chez tout le monde. Yaël BRAUN-PIVET, elle a l'air beaucoup plus sceptique.
BENJAMIN HADDAD
Je vous ai donné ma réponse.
ORIANE MANCINI
Vous comprenez que ça va créer des divisions dans votre camp ?
BENJAMIN HADDAD
Je comprends que tous ces sujets soient l'objet de débats. C'est sain qu'on ait des débats face à la meilleure réponse à apporter.
ORIANE MANCINI
Ça veut dire que Gérald DARMANIN ne sera pas forcément soutenu par tout Renaissance.
BENJAMIN HADDAD
Là, vous êtes en train de faire de la politique politicienne. Ça ne m'intéresse pas.
ORIANE MANCINI
C'est quand même intéressant de savoir si ça va être soutenu ou pas, si ces mesures vont aboutir.
BENJAMIN HADDAD
On parle de sujets de société qui sont, encore une fois, liés à une augmentation de la violence dans toutes nos sociétés. Il y a une réponse pénale à apporter. Il y a une réponse sur les réseaux sociaux. Il y a une réponse sur la régulation de l'accès aux armes. Je suis favorable, encore une fois, pour protéger nos enfants et pour protéger ceux qui surveillent, ceux qui protègent, ceux qui enseignent. Puisque là, on parle d'une surveillante. Je suis favorable à ce qu'on ait une réponse coordonnée et ferme.
ORIANE MANCINI
On va parler des dossiers européens. On commence par l'Ukraine, Christelle.
CHRISTELLE BERTRAND
Avant-hier, l'armée de Vladimir POUTINE a lancé un assaut sans précédent contre l'Ukraine avec le lancement de 479 drones. Est-ce que le drone est devenu la nouvelle arme de guerre ?
BENJAMIN HADDAD
On voit la façon dont la guerre en Ukraine montre, à la fois, des caractéristiques d'une guerre du 19e ou du 20e siècle, c'est-à-dire des guerres de tranchées, des guerres qui mobilisent des sociétés qui sont extrêmement violentes, qui ont été profondément coûteuses en hommes, mais aussi des guerres du XXIe siècle, c'est-à-dire avec l'utilisation de drones, avec l'utilisation du cyber, des attaques informatiques et tous les instruments hybrides aussi de la guerre. Les Ukrainiens, ces trois dernières années, ont montré une capacité d'innovation, une habileté aussi sur le champ de bataille face à un adversaire qui paraissait bien sûr déséquilibré, mais les Russes, aujourd'hui, l'utilisent. Moi, je pense que ce que ça montre fondamentalement ces derniers jours, c'est que l'Ukraine, depuis des mois, par la voix de son président, par la voix de ses diplomates, n'a cessé de répéter qu'elle était prête à des négociations, elle était prête à la diplomatie, à accepter un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours. C'est une proposition qui a été acceptée à de nombreuses reprises par le président ZELENSKY. C'était la proposition initiale de la France, c'est une initiative qui est soutenue, à la fois, par les Européens et par les Américains. Qui continue de tourner le dos à la diplomatie, à la négociation, à la paix ? C'est la Russie de Vladimir POUTINE. La seule réponse, c'est de continuer à faire monter la pression économique et militaire sur la Russie pour qu'elle comprenne que cette guerre n'a pas d'issue, que la seule issue possible est la négociation qui permettra après les conditions d'une paix juste et durable où les Européens devront jouer tout leur rôle.
ORIANE MANCINI
Comment on fait monter la réponse militaire ? On va parler de la réponse économique, mais comment on fait monter la réponse militaire ?
BENJAMIN HADDAD
Continuer les livres en armes. Continuer les livres en armes à la fois de la part des États-Unis et de l'Europe. Vous savez, lorsque le président ZELENSKY s'est rendu il y a quelques semaines à Paris, nous avons annoncé 2 nouveaux milliards d'euros d'aides militaires supplémentaires. Nous sommes en train d'accélérer le décaissement du prêt qui est financé sur les intérêts des avoirs gelés de la Russie. Ce qu'on appelle le prêt ERA, c'est un prêt des pays du G-7 que les Ukrainiens utilisent, entre autres, un peu pour leurs besoins économiques, mais aussi pour leurs besoins militaires. Il faut aller plus vite pour donner les moyens aux Ukrainiens de se défendre. Et d'ailleurs, il faudra même continuer après parce que, même si demain, on a un cessez-le-feu et un arrêt des hostilités, l'enjeu, ce sera bien sûr de dissuader une future agression parce qu'on sait très bien que la Russie pourrait utiliser cette période de quelques années pour réarmer et pour se préparer à une nouvelle attaque. Donc, avoir, là aussi, une armée ukrainienne forte, indépendante, robuste, ce sera la meilleure garantie de sécurité.
ORIANE MANCINI
Il y a le coût de la défense et le coût de la reconstruction. On parle de plus de 500 milliards. Est-ce que, dans ce contexte-là, on peut se passer de saisir les avoirs russes gelés ?
BENJAMIN HADDAD
Les avoirs gelés, déjà, vous le savez, sont gelés depuis le début de la guerre et on les utilise aujourd'hui. On utilise les intérêts qui sont générés par ces avoirs gelés. Donc, ça fait quelques milliards par an…
ORIANE MANCINI
Certains veulent aller plus loin, dont Gabriel ATTAL.
BENJAMIN HADDAD
… Mais on les utilise comme une garantie d'un emprunt de 50 milliards. Et après, on l'a déjà dit, toutes les options sont sur la table. Ça pose des questions juridiques, ça pose des questions en termes de précédents économiques aussi pour les investisseurs étrangers, mais ça fait partie des leviers dont on dispose dans un rapport de France avec la Russie. Mais c'est un sujet, je voudrais quand même dire, c'est un sujet sur lequel il faut aussi créer un consensus. En Europe, vous le savez, aujourd'hui, il n'y a pas de consensus. Il y a des pays qui sont plus exposés que d'autres. Je pense, par exemple, à la Belgique. Aujourd'hui, les avoirs dont on parle, ils sont dans une clearance house, comme on dit, Euroclear, qui est en Belgique. Donc, certains pays sont plus exposés que d'autres, mais de fait, on les utilise aujourd'hui pour financer cet emprunt.
CHRISTELLE BERTRAND
Alors, de nouvelles sanctions ont été décidées contre la Russie. Question naïve, ça veut dire qu'on n'était pas allé au bout de ce qu'on pouvait faire en termes de sanctions et pourquoi ?
BENJAMIN HADDAD
Ça veut dire aussi que les Russes s'adaptent et que tout le monde s'adapte, que fondamentalement, c'est un rapport de force qui est évolutif, les sanctions. Je vous donne l'exemple de la flotte fantôme. On a mis des contrôles sur les exportations de pétrole, notamment une limite sur le prix auquel la Russie peut exporter son pétrole à des États tiers. Les Européens, eux, n'achètent plus de pétrole à la Russie, ça fait partie des sanctions, mais la Russie continue à exporter. Mais on a, au niveau international, mis une limite. Mais la Russie utilise des navires fantômes sans pavillon qui passent notamment, par exemple, en mer Baltique pour les exporter. Ça, c'est un phénomène qui a été plus récent. Et donc, on a renforcé largement nos outils pour pouvoir lutter contre cette flotte fantôme. Le 17e paquet de sanctions qui a été voté par l'Union européenne vise précisément à renforcer nos instruments contre la flotte fantôme. Il faudra aller plus loin. Il faudra aller plus loin avec un 18e paquet, notamment pour cibler le secteur énergétique qui continue d'être une ressource pour financer l'effort de guerre de la part de la Russie. Ça, c'est côté européen. Vous savez que côté américain, et nous en parlons beaucoup avec nos collègues américains, le Sénat américain aussi prépare un paquet de sanctions massif qui touchera notamment, d'ailleurs, les pays qui aident la Russie à contourner les sanctions, ce qu'on appelle les sanctions secondaires. Ça, c'est un paquet de sanctions qui a été proposé par le sénateur Lindsey GRAHAM. C'est un républicain proche de Donald TRUMP. Il y a, aujourd'hui, près de 80 sénateurs républicains comme démocrate sur 100 qui le soutiennent. Nous sommes en coordination aussi avec les sénateurs, donc, côté américain comme européen, aujourd'hui, on est alignés, je le dis, parce qu'on nous avait dit il y a quelques mois : « Les Européens seront isolés, les États-Unis vont faire la paix en 24 heures ». On voit aujourd'hui, notamment grâce aux efforts diplomatiques du président de la République et de la France, qu'on a mis les Européens et les Américains autour de la table et que nous sommes capables d'avancer, aujourd'hui, de façon coordonnée, avec le même objectif qui est de retrouver la paix en Europe. Mais aujourd'hui, celui, encore une fois, qui s'y refuse et qui choisit l'agression, c'est Vladimir POUTINE, donc, il faut faire augmenter la pression.
ORIANE MANCINI
Ce matin, dans L'Express, le Premier ministre ukrainien estime qu'il est possible pour son pays de rejoindre l'Union européenne dès 2026. Ça vous paraît possible à vous aussi ?
BENJAMIN HADDAD
Je pense que c'est optimiste. Vous savez, déjà, je suis très admiratif du travail qu'ont fait les Ukrainiens pour continuer à réformer leur pays, à le préparer sur le chemin de l'Union européenne alors qu'ils sont sous les bombes. Et on l'a vu, on a des rapports réguliers de la Commission européenne qui montrent le travail qui a été fait. Et au-delà de la défense de leur liberté, de leur souveraineté, les Ukrainiens se battent, bien sûr, pour la sécurité de l'Europe et ils se battent pour un idéal européen. Il ne faut jamais oublier que cette guerre, elle commence quand ? Elle commence sur la place du Maïdan à Kiev en 2014 lorsque les Ukrainiens brandissent, les jeunes Ukrainiens, par dizaines de milliers, brandissent le drapeau européen qui, pour eux, est la promesse d'un meilleur avenir démocratique, de l'état de droit, de la liberté, de la lutte contre la corruption. C'est ça que Vladimir POUTINE voulait viser.
ORIANE MANCINI
C'est ça qu'il voulait assassiner.
BENJAMIN HADDAD
C'est ce rêve et cette aspiration européenne.
ORIANE MANCINI
Si vous dites 2026, c'est l'optimisme pour vous ? C'est à quelle échéance ?
BENJAMIN HADDAD
Après, vous savez, c'est aux Ukrainiens précisément de continuer à se réformer, d'intégrer cet acquis communautaire. C'est un processus qui est exigeant quand ils seront prêts. Je passe beaucoup de temps dans les pays candidats, dans les Balkans. Je serai encore en Bosnie-Herzégovine dans les prochaines semaines. J'étais en Albanie avec le président de la République il y a deux semaines. Je travaille beaucoup avec les Moldaves. Vous avez là des pays qui font ces efforts. Cet élargissement, pour nous, c'est une nécessité en termes de stabilité géopolitique.
ORIANE MANCINI
Mais à quelle échéance ? Deux ans ?
BENJAMIN HADDAD
Ce n'est pas à moi de le dire. Vous savez, ce n'est pas une décision politique.
ORIANE MANCINI
Et vous, quel est votre souhait ?
BENJAMIN HADDAD
Mais ce n'est pas une question de souhait. Moi, je souhaite que les Ukrainiens, que les pays des Balkans ou les Moldaves rentrent quand ils seront prêts, quand ils auront réformé et quand ils auront intégré cet acquis communautaire. Ce que je dis, en revanche, c'est que cet élargissement, il est dans l'intérêt de l'Europe et de la France. Il apporte de la stabilité géopolitique à nos frontières dans des zones qu'on aurait pu délaisser qui sont des zones aussi d'ingérence pour les Russes ou pour d'autres. Il apportera aussi de la prospérité, l'approfondissement du marché unique, l'élargissement des débouchés pour nos entreprises. Après, charge à ces pays de faire ce chemin en termes de réforme. Ce que je dis, en revanche, c'est que des pays comme l'Ukraine l'ont fait et l'ont fait dans un contexte qui était dramatique, difficile. Et il faut saluer là-dessus le travail des autorités ukrainiennes. Mais il reste bien sûr du travail à faire.
ORIANE MANCINI
Et justement, on va parler de la sécurité.
CHRISTELLE BERTRAND
Oui, c'est ça. La semaine dernière, les pays européens ont annoncé un gros effort financier en matière de défense européenne. Pas la France. Pour quelles raisons ?
BENJAMIN HADDAD
Pardon, excusez-moi.
CHRISTELLE BERTRAND
Je disais que les pays européens ont annoncé un effort financier assez important en matière de défense européenne. La France semble en retrait. Je vous demandais, pour quelles raisons ?
BENJAMIN HADDAD
Mais je ne suis pas d'accord avec le présupposé de votre question. Sur les deux mandats d'Emmanuel MACRON, ils ont doublé le budget de défense de la France. Et nous avons voté, l'an dernier, une loi de programmation militaire qui permet justement d'aller plus loin. Et c'est la France qui a porté cet effort de réarmement, bien sûr au niveau national, mais aussi au niveau européen. Nous avons finalisé, il y a deux semaines, la négociation du plan SAFE. C'est un grand emprunt de 150 milliards d'euros que la Commission européenne va contracter pour aller financer des projets de coopération au niveau européen pour réduire nos dépendances, notamment vis-à-vis des États-Unis, là où on a besoin de réarmer. Dans le cyber, dans le drone, dans les capacités de frappe en profondeur, dans le satellite, quand on voit le rôle que joue STARLINK en Ukraine. Ça, c'est tout le discours qui est porté par le président de la République depuis le discours de la Sorbonne en 2017. Cet effort de réarmement qui permet aux Européens d'être plus souverains, de prendre leur destin en main. Et c'est nous qui poussons justement sur ces initiatives. Il faudra d'ailleurs, et je voudrais le dire, parce qu'il y a eu des avancées majeures ces dernières semaines au niveau européen comme ce plan de 150 milliards, comme la possibilité, maintenant pour les États membres, d'exclure un certain nombre de dépenses de défense, des calculs de déficit de la Commission européenne. Mais il faudra aller plus loin. Il faudra aller plus loin dans le cadre du débat budgétaire qu'on va avoir au niveau européen, ce qu'on appelle le cadre financier pluriannuel où il faudra rehausser l'ambition en matière de défense et de spatial. Et pourquoi pas…
ORIANE MANCINI
Rehausser à combien ? Il va y avoir un sommet à la Haye dans trois semaines où les pays membres de l'OTAN pourraient acter des efforts de dépense à hauteur de 5% du PIB. Pour la France, ça voudrait dire redoubler à nouveau son effort budgétaire sur le militaire. Dans le contexte actuel, est-ce que c'est possible ? Est-ce que vous allez adhérer à cet objectif de 5% ?
BENJAMIN HADDAD
Il y a plusieurs éléments pour répondre à cette question. Déjà, la France fait partie des pays de l'OTAN, aujourd'hui, qui remplissent leurs obligations et qui ont augmenté, encore une fois le budget de défense. Pas parce que d'autres nous le demandent, mais parce que nous voulons être souverains et autonomes et parce que nous faisons face à des menaces. Quand on voit la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, la Russie fait poser aussi une menace sur la France par ses ingérences, par ses sabotages, par les attaques cyber, par l'architecture des sécurités européennes. Deuxièmement, c'est aussi pour cela que précisément, nous poussons cet effort de coopération européenne. Pourquoi ? Parce qu'avant de parler des points de PIB, la question, c'est de savoir qu'est-ce qu'on veut faire, quel est notre objectif, qu'est-ce qu'on veut faire en commun et assurons-nous aussi, justement, d'investir dans la coopération industrielle européenne, dans une industrie de défense européenne autonome, donc, pas pour aller subventionner les industries de défense des uns et des autres et faisons-en commun. Aujourd'hui…
ORIANE MANCINI
Mais on va adhérer ou pas à cet objectif ? On est à peu près à deux aujourd'hui.
BENJAMIN HADDAD
On verra les négociations sur les chiffres. Mais au-delà de ça, encore une fois, moi ce que je vous dis, c'est que parler juste en termes de points de PIB n'a pas beaucoup de sens quand on ne se pose pas la question de ce, dans quoi, on veut investir et de la façon dont on le fait. Prenez l'Europe aujourd'hui, vous avez 27 Etats et la vérité, c'est que vous avez énormément de systèmes différents, de missiles, de tanks, de cyber et donc, on a intérêt aussi à mettre cela en commun et pouvoir avancer ensemble parce que sinon, on a un marché qui est fragmenté, qui est éclaté et qui est extrêmement redondant par rapport aux besoins.
CHRISTELLE BERTRAND
Mais la question qui se pose, c'est dans un budget extrêmement contraint tel que sera le budget 2026, est-ce qu'on peut augmenter encore les dépenses de défense ?
BENJAMIN HADDAD
On doit continuer à augmenter les dépenses de défense mais on doit continuer sur les prochaines années.
ORIANE MANCINI
Mais au-delà de la loi de programmation militaire ?
BENJAMIN HADDAD
Mais c'est un effort générationnel
ORIANE MANCINI
Au-delà de la loi de programmation militaire ou en suivant la trajectoire ?
BENJAMIN HADDAD
C'est pour ça que je vous dis qu'il y a des instruments européens aussi qui existent et qu'il faut précisément mettre des moyens au niveau européen. Je donne un exemple. Il y a un débat qui commence à émerger au niveau européen qui a été porté par des gens comme l'ancienne première ministre estonienne Kaya KALLAS. Pendant la crise du Covid, on a fait face à une menace existentielle et on nous avait dit que les Européens allaient se diviser et apporter des réponses nationales. On a su se mettre en commun et faire le grand emprunt de Next Generation New, le plan de relance 750 milliards d'euros sous l'impulsion de la France et de l'Allemagne pour relancer les économies. Pour la première fois, on a fait de la dette européenne. Là, on est face à un autre moment existentiel. Pourquoi ne pas poser la question aussi de Eurobonds, de dette européenne pour la défense où on a besoin d'investissements urgents ? C'est la proposition qui est faite par un certain nombre de dirigeants, d'experts européens. Ça, c'est d'ailleurs une proposition qui avait été portée déjà par le président de la République. C'est le moment de penser aussi de façon créative et innovante. Mais bien sûr que ce réarmement, il devra être durable et pérenne d'ailleurs au-delà des prochaines années. C'est un effort générationnel. Pourquoi ? Parce que depuis la Seconde Guerre mondiale, on a fait reposer notre sécurité. Alors nous, moins que d'autres en Europe, on a fait reposer notre sécurité sur les Etats-Unis. Or, qu'est-ce qu'on voit ? C'est que les Etats-Unis, au-delà de Donald TRUMP, sont en train de tourner le doigt à l'Europe, sont en train de se concentrer sur la Chine. C'est ce que déjà nous disait Barack OBAMA. Ils sont en train aussi de se replier vers eux-mêmes alors que nous vivons dans un monde de conflictualité, de tension, de crise à nos frontières. Nous devons être capables de prendre notre destin en main. Ça passe par le militaire, pas uniquement, ça passe par l'effort dans l'innovation, dans l'intelligence artificielle, dans le spatial, dans l'investissement dans notre autonomie stratégique.
CHRISTELLE BERTRAND
Emmanuel MACRON avait fait une autre proposition. Il avait ouvert la porte à un partage de la dissuasion nucléaire française. Où est-ce qu'on en est de cette proposition ?
BENJAMIN HADDAD
Le président de la République l'avait évoqué. C'est un dialogue qu'il a proposé d'avoir, ce n'était pas nouveau d'ailleurs, avec des voisins, notamment avec l'Allemagne. Bien sûr, il ne s'agit pas comme le font croire certains, par exemple, au Rassemblement National avec beaucoup de mensonges et de démagogie. Il ne s'agit pas de partager la décision d'utiliser l'arme nucléaire, le bouton nucléaire. Ça, ça relèvera toujours, bien sûr, de la souveraineté de la France et de la décision du chef de l'État, mais de réfléchir à la façon dont la dissuasion nucléaire française peut contribuer à la sécurité des Européens, dont la dimension européenne peut intégrer les intérêts vitaux. Ça, ce seront des discussions que l'on pourra avoir avec nos partenaires.
ORIANE MANCINI
Avec vos chanceliers, par exemple.
BENJAMIN HADDAD
Comme vous vous en doutez, ils sont extrêmement sensibles et relèvent, bien sûr, des dirigeants.
ORIANE MANCINI
Un mot, puisque le président brésilien, LULA, était à Paris il y a quelques jours et l'a exhorté Emmanuel MACRON à signer le Mercosur. Est-ce que vous allez céder ?
BENJAMIN HADDAD
Alors, vous savez, nous, la position sur le Mercosur a toujours été très claire. On n'est pas contre les accords de libre-échange. Et la France a soutenu les accords de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ou encore avec le Canada. Mais pour que ces accords soient effectifs, il faut qu'ils soient équitables. Il faut qu'il y ait de la réciprocité On ne peut pas dire à nos agriculteurs : " On va vous imposer des normes, des contraintes, des standards, par exemple, dans le domaine environnemental et en revanche, on va aller importer des produits de pays qu'ils ne respectent pas ". Donc, ce qu'on a dit, c'est qu'on était opposés à l'accord avec le Mercosur en l'état parce qu'il ne protège pas, aujourd'hui, les intérêts, notamment, de nos agriculteurs. Pourquoi d'autres accords ont fonctionné ? Parce qu'on y avait mis, par exemple, des clauses miroirs, donc, de la réciprocité sur les normes ou des clauses de sauvegarde. C'est la possibilité d'avoir un frein sur les importations de certains produits quand ça vient déstabiliser nos marchés. C'est tout l'objectif qu'on poursuit dans tous les accords de libre-échange dont l'accord avec le Mercosur. Et je voudrais rajouter, d'ailleurs, sur ce sujet, parce qu'on parle souvent de la position française, mais moi, j'ai beaucoup travaillé avec mes partenaires européens sur ce sujet et ce que je constate, c'est qu'il y a beaucoup de pays qui partagent nos préoccupations. La Pologne, l'Italie, l'Irlande, l'Autriche.
ORIANE MANCINI
Mais est-ce que vous aurez de quoi bloquer ?
BENJAMIN HADDAD
Je viens de vous citer plusieurs pays importants de l'Union européenne qui partagent…
ORIANE MANCINI
Pour le moment, ça ne fait pas un blocage.
BENJAMIN HADDAD
Là, avec ceux que je vous ai cités, en l'occurrence…
ORIANE MANCINI
Vous aurez de quoi bloquer ?
ORIANE MANCINI
Je ne sais même pas quand un vote potentiel pourrait avoir lieu, donc, on ne va pas commencer à spéculer là-dessus. Ce que je vous dis, en revanche, c'est qu'on a beaucoup de pays, des pays importants de premier plan européen qui partagent nos préoccupations. Il y a eu des débats aussi au Parlement européen qui montrent que beaucoup de parlementaires européens, peut-être une majorité si on regarde les votes sur certains amendements sur le sujet, partagent les préoccupations et donc à un moment, nous, on continuera à maintenir cette ligne très claire qui est qu'on protège nos agriculteurs, on est ouvert au libre-échange, on est ouvert à la diversification des partenariats, naturellement, mais il faut le faire en protégeant nos intérêts. Au fond, sur ce sujet comme sur tant d'autres, comme sur le militaire d'ailleurs, la ligne de la France a toujours été la même, c'est d'avoir une Europe qui sort de sa naïveté et qui est capable de défendre ses intérêts, sa souveraineté.
ORIANE MANCINI
Un mot avant de revenir à la politique nationale sur le déplacement, le voyage, la flottille de la liberté de la députée européenne, Rima HASSAN, juste, est-ce que vous savez quand elle sera rapatriée en France ?
BENJAMIN HADDAD
Non, je ne le sais pas. Ce que je sais, c'est que vous avez vu que la France a demandé effectivement à ce que les ressortissants français puissent rentrer. Manifestement, certains des Français ont refusé de signer un document d'extradition. Vous savez, la France, moi, je voudrais dire que sur un sujet qui est si grave et on est mobilisé, on est mobilisé pour l'aide humanitaire, la France d'ailleurs, avec ses partenaires, a vraiment pris un leadership sur l'aide humanitaire aux Palestiniens pour retrouver aussi le chemin d'une solution politique. On aura, la semaine prochaine à New-York, une conférence précisément qui vise à créer une dynamique de reconnaissance mutuelle entre Israël et les Palestiniens et à tracer la voie vers la construction d'un État palestinien souverain aux côtés d'Israël et à relancer le dialogue régional. On ne peut pas faire des coups de com'. On ne peut pas faire, au fond, du tourisme sur la misère. C'est un sujet grave. Ce n'est pas un sujet électoral. Ce n'est pas un sujet politicien. Les diplomates français, quand ils se réveillent le matin, ils ne pensent pas à la façon dont ils peuvent faire de la politique sur le dos des Palestiniens mais à la façon dont on peut retrouver le chemin de la paix, retrouver le chemin de la sécurité du dialogue. C'est un sujet extrêmement grave et l'instrumentalisation politique qu'on est faite par la France Insoumise pour cliver, pour diviser sans aucune considération sur les résultats réels sur le terrain, c'est déplorable. Je voudrais vraiment saluer l'effort de notre diplomatie, de nos diplomates. On aura, encore une fois, je le disais, cette conférence la semaine prochaine précisément pour retrouver la voie de la paix et la voie du soutien humanitaire.
ORIANE MANCINI
Une dernière question sur la Mairie de Paris puisque vous êtes également élu de Paris.
CHRISTELLE BERTRAND
Vous êtes ministre de l'Europe mais vous êtes aussi élu parisien. Rachida DATI est pressentie pour être candidate à la Mairie de Paris. Est-ce qu'elle sera soutenue par Renaissance comme ça a été dit ?
BENJAMIN HADDAD
Je le souhaite, je la soutiens. Je pense qu'on a besoin d'unité. Les expériences récentes, la dernière élection municipale à Paris a montré que la division, c'est la voie de la défaite. Aujourd'hui, après 25 ans de la même majorité socialiste, les parisiens veulent de l'alternance, les parisiens veulent du changement. On a une majorité qui a opposé les parisiens entre eux, qui a opposé les parisiens aux habitants des banlieues. On a, aujourd'hui, des familles entières qui touchent Paris. La capitale se dépeuple. Moi, je pense, aujourd'hui, qu'elle est la mieux placée…
CHRISTELLE BERTRAND
Mais elle est un gage d'unité parce qu'on le voit chez vous, tout le monde n'est pas... C'est mon enthousiasme.
ORIANE MANCINI
Benjamin HADDAD
Et vous, vous dites qu'elle est la mieux placée ?
BENJAMIN HADDAD
Elle est la mieux placée pour l'emporter. Elle est membre du Gouvernement et loyale au chef de l'État. Elle est membre des Républicains. Elle travaillait avec nous, naturellement. Après, il faut qu'on ait des discussions sur la façon dont on va structurer la campagne, sur le projet que l'on va porter, sur la vision qu'on a pour Paris et pour les Parisiens. Mais, encore une fois, mettons-nous au travail. On a, là, je crois, une opportunité de l'emporter et de donner, encore une fois, une autre voie. La voie de réconciliation, de l'apaisement, de la sécurité pour les Parisiens. Et ça doit être, avant tout, c'est ça, notre objectif.
ORIANE MANCINI
Merci beaucoup, Benjamin HADDAD,
BENJAMIN HADDAD
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 juin 2025