Texte intégral
SONIA DEVILLERS
Bonjour Yannick NEUDER.
YANNICK NEUDER
Bonjour.
SONIA DEVILLERS
Un plan psychiatrie enfin. Vous êtes - je le précise - le septième ministre de la Santé en trois ans. Michel BARNIER, Premier ministre, avait fait de la santé mentale une cause nationale. François BAYROU, son successeur, est censé avoir repris le flambeau. Pourtant vous écrivez, je vous cite monsieur le Ministre : "ce plan psychiatrie est un plan de sursaut et de refondation. Le sursaut, c'est maintenant." Ça veut dire qu'il n'y a rien eu avant ?
YANNICK NEUDER
Je crois qu'il y a eu urgence à renforcer toute la prise en charge de la santé mentale de la population et particulièrement des plus jeunes. Et je crois que ne rien faire, rester dans la contemplation serait extrêmement préjudiciable.
SONIA DEVILLERS
Mais vos prédécesseurs sont restés dans la contemplation ?
YANNICK NEUDER
Moi, je ne suis pas là pour commenter. Moi, j'ai été le quatrième ministre en 2024, donc je le dis sur toutes les actions, la santé mentale… Vous aussi, quand vous restez trois mois à la tête d'un ministère, celui de la Santé, quand on voit la totalité de l'ampleur, c'est au quotidien la vie des Français, le ministère de la Santé ; je crois qu'on ne peut pas mettre de plans. Donc moi, je ne jette la pierre à personne. L'idée, c'était d'avoir une certaine stabilité. Ça fait maintenant près de six mois que je suis à la tête de ce ministère.
SONIA DEVILLERS
Miracle !
YANNICK NEUDER
J'ai présenté le plan santé mentale au mois d'avril. Nous avons eu le budget au mois de février. J'ai présenté le plan au mois d'avril en conseil des ministres. Et au gré, effectivement, des sujets, nous le déclinons. Je l'ai décliné avec la ministre des Sports. Je l'ai décliné avec Élisabeth BORNE, la ministre de l'Éducation, lors des journées de santé scolaire.
SONIA DEVILLERS
On va y venir. Vous annoncez une longue liste de mesures. Mais quand même, il y a une question que tout le monde se pose : où est l'argent, Yannick NEUDER ? Aucun budget pour sauver la psychiatrie française. Système unanimement qualifié de "à bout de souffle". Est-ce que la santé n'a pas besoin de moyens ? La santé mentale n'a pas besoin de moyens en France ou est-ce que vous n'en avez pas ?
YANNICK NEUDER
Non, c'est plus compliqué que ça. En fait, on a surtout besoin de soignants pour prendre soin des Françaises, des Français et particulièrement des plus jeunes. Donc, il y a des budgets pour la santé mentale, mais notamment…
SONIA DEVILLERS
Suffisant ?
YANNICK NEUDER
Alors suffisant, ce n'est jamais suffisant. Mais il y a, par exemple, dans l'éducation nationale, des postes de médecins scolaires, d'infirmières scolaires, qui sont budgétés, qui existent, mais qui sont non pourvus parce que nous manquons de soignants. Nous avons nombre de lits à l'hôpital qui sont fermés, faute de soignants. Donc, c'est pour ça que je veux former plus, former mieux, former partout pour prendre en charge la santé des Français et notamment leur santé mentale.
SONIA DEVILLERS
Oui, alors 900 médecins scolaires, en effet, c'est très, très peu. Un infirmier pour 1 600 élèves dans l'éducation nationale, un psychologue pour 1 500 élèves dans l'éducation nationale, un médecin pour 13 000 élèves. Vous allez aller les chercher où ?
YANNICK NEUDER
Alors, je crois qu'il faut, pour l'instant, dépister au mieux, et on voit bien les différents malheureusement faits divers dramatiques.
SONIA DEVILLERS
Oui, comme celui de Nogent il y a deux jours.
YANNICK NEUDER
Je crois qu'il y a une nécessité de dépistage. Et je suis favorable aux mesures qu'ont proposées Élisabeth BORNE, de pouvoir avoir des référents, des repères dans les établissements de premier degré, de pouvoir faire 100% du personnel formé de l'éducation nationale.
SONIA DEVILLERS
Mais avoir un référent ou deux référents, parce qu'elle propose deux référents par lycée, c'est absolument formidable. Sauf que, depuis hier, les associations de parents d'élèves alertent sur le fait qu'il y a des lycées où il y a un surveillant pour 250 élèves. C'est ces gens-là que, en plus, on va former pour repérer et détecter la maladie mentale ?
YANNICK NEUDER
Tout le monde est concerné par la formation, tout le monde. Ça peut être le monde de l'éducation nationale, c'est le monde associatif, c'est le monde économique dans les entreprises. Il faut former pour pouvoir repérer. Il y a du secourisme en santé mentale. 165 000 personnes ont été formées jusque-là. Moi, je souhaite que nous ayons 300 000 personnes formées aux gestes de secourisme mental pour, justement, dépister, pour pouvoir repérer. Nous avons la réserve sanitaire, nous avons 50 000 étudiants en santé qui sont tout à fait favorables et mobilisables, mobilisés pour pouvoir faire des actions, notamment dans les établissements scolaires, les écoles primaires, les collèges.
SONIA DEVILLERS
Ça ne remplace pas ni les infirmiers, ni les psychologues, ni les médecins. Je n'ai pas compris où vous allez aller les chercher. Mais qu'est-ce que vous allez faire, par exemple, pour aider - Parce que ça, c'est vraiment très, très critique - les centres médico-psychologiques, qu'on appelle les CMP ? Ce sont vraiment des structures publiques, gratuites. Vous le savez, il y a parfois un an d'attente. Vous le savez, il y a même des CMP où il y a deux ans d'attente. Dans quel type de maladie, dans quel type de psychologie… de pathologie, on attend deux ans pour avoir un rendez-vous ?
YANNICK NEUDER
Bien sûr que, malheureusement, je sais tout ça et c'est bien l'objet de ce plan. Donc, un grand premier plan, vous l'avez compris, de repérage et ensuite de pouvoir traiter, de pouvoir mettre dans des parcours de soins. Ces parcours de soins doivent être sur les territoires, dans les maisons de santé pluridisciplinaire, dans les CMP. Il y a des financements qui sont présents au niveau des agences régionales de santé pour pouvoir mobiliser. Nous avons "Mon soutien psy" avec 6 000 psychologues qui sont pour l'instant présents dans le dispositif. L'objectif est de passer à 12 000. Il y a 75 000 psychologues.
SONIA DEVILLERS
Vous savez très bien que les psychologues, que les professionnels du secteur sont très critiques vis-à-vis de ce dispositif.
YANNICK NEUDER
C'est l'ensemble des mesures. Ça peut être la prise en charge en urgence, puisque dans 40 % des cas, la pathologie psychiatrique, malheureusement, se décompense sur un mode urgence. C'est de doter chacune de nos urgences en France d'un professionnel formé, infirmier, médecin, infirmier en pratiques avancées, pour prendre en charge…
SONIA DEVILLERS
Mais je n'ai pas compris, pour les CMP où il y a deux ans d'attente, qu'est-ce qu'on fait concrètement ?
YANNICK NEUDER
Eh bien, il va y avoir des phases de délai de consultation sans rendez-vous, pour justement, quand il y a eu un repérage, notamment dans un établissement scolaire…
SONIA DEVILLERS
Mais quand il y a deux ans d'attente, c'est que les psys qui y travaillent sont totalement débordés ?
YANNICK NEUDER
Non mais attendez, je vous parle de coupe-fil. C'est-à-dire que quand vous dépistez un jeune qui peut éventuellement, potentiellement passer à l'acte, eh bien, l'idée, c'est qu'une fois qu'il a été repéré par des troubles de son comportement, eh bien, c'est de pouvoir le mettre dans un parcours de soins, de pouvoir le prendre en charge. Et dans chacun des CMP qui existent de partout en France, avec des moyens supplémentaires des agences régionales de santé, nous allons pouvoir prendre en charge ces jeunes, pourquoi pas les hospitaliser quand il y a besoin, avec des parcours qui seront construits. Mais je ne peux pas attendre…
SONIA DEVILLERS
Donc des dispositifs d'alerte ?
YANNICK NEUDER
Je ne peux pas attendre 5 ans qu'une infirmière en pratique avancée soit formée, 10 ans qu'un médecin soit formé. Il faut agir maintenant. Il y aura des mesures très fortes sur la formation, puisque d'ici quelques semaines, je vais supprimer le numerus clausus, le numerus apertus, pour former plus de médecins.
SONIA DEVILLERS
Vraiment ?
YANNICK NEUDER
Vraiment, le 17 juin, c'est prévu, c'est inscrit à l'ordre du jour du Sénat. C'est une proposition de loi que j'avais portée en décembre 2023.
SONIA DEVILLERS
Parce que là, à ce jour, il faut combien de psychiatres ? Que tout le monde comprenne, il y a un vrai problème d'attractivité. C'est-à-dire que chaque année, il y a des postes qui sont proposés à l'internat, et les étudiants en médecine ne veulent pas faire de psychiatrie.
YANNICK NEUDER
Pour l'instant, nous avons 500 internes de psychiatrie par an. L'objectif c'est de passer à 600 et de pouvoir aller bien plus loin. Donc il faut aussi que les 15 000 psychiatres puissent s'investir, s'ils le souhaitent, dans la formation. Donc il y a des valences universitaires qui leur seront proposées. On fera en sorte que chaque étudiant en médecine et en paramédical puisse effectuer un stage durant son parcours de formation en psychiatrie.
SONIA DEVILLERS
Et donc le numerus clausus, vous allez le doubler ?
YANNICK NEUDER
On va le supprimer et on fera en fonction des besoins du territoire. Oui, c'est mon projet de loi. Et on pourra aussi rapatrier tous les étudiants français qui sont partis en Roumanie, en Belgique, étudier pour qu'ils reviennent en France. Il y a trop de besoins en France.
SONIA DEVILLERS
Et ça, c'est spécifique à la psychiatrie ?
YANNICK NEUDER
C'est spécifique à tout le monde. Le numerus clausus, si on le supprime, c'est de pouvoir former plus de médecins. Et après, parmi ce volume de médecins formés, l'idée c'est de construire l'attractivité de la filière psychiatrie. Je travaille notamment avec les jeunes psychiatres pour faire en sorte de pouvoir avoir davantage d'étudiants en psychiatrie. 60 % des internes pensent que la psychiatrie est une sous-spécialité et 30 % en ont peur. Je pense que nous avons des mesures à travailler sur l'attractivité de la filière, les conditions d'exercice en psychiatrie. Il faut que la psychiatrie ne soit pas…
SONIA DEVILLERS
Vous avez des mesures à travailler mais en attendant, elles ne sont pas dans le plan.
YANNICK NEUDER
Si, elles sont dans le plan, la psychiatrie ne doit plus être le parent pauvre de l'hôpital. Donc il y a des sujets importants à traiter.
SONIA DEVILLERS
Et la disparité territoriale ?
YANNICK NEUDER
Après il y a un autre sujet que vous n'avez pas évoqué, qui est au-delà de la disparité territoriale, ce sont les réseaux sociaux. Tout n'est pas la cause des réseaux sociaux. Mais moi, je soutiens cette mesure de supprimer l'accès aux réseaux sociaux pour les moins de 15 ans. On l'a vu pour la pornographie, c'est inadmissible. Et tant mieux si les plateformes ferment.
SONIA DEVILLERS
Mais ça, ça ne dépend pas de votre ministère.
YANNICK NEUDER
Ça ne dépend pas de mon ministère, mais c'est transversal, et je soutiens l'action de la ministre au Numérique, Clara CHAPPAZ. Ce sont des addictions qui sont encouragées, ce sont des tutos pour se suicider, c'est ça qui est proposé à nos étudiants et à nos jeunes.
SONIA DEVILLERS
Yannick NEUDER, qui dépend spécifiquement de votre ministère, par exemple… Il y a des familles qui attendent…
YANNICK NEUDER
Non mais je ne peux pas vous laisser dire ça. Mon ministère, c'est de prendre soin de la santé de nos jeunes. Et un des principaux facteurs qui nuit à la santé de nos jeunes, je vous ai évoqué les tutos pour apprendre à se suicider, je vous ai évoqué les tutos qui font la promotion de la maigreur extrême, je pense qu'on doit protéger notre jeunesse.
SONIA DEVILLERS
Un dernier mot sur les pénuries de médicaments. Il y a des familles qui alertent, il y a des vies qui sont brisées, il y a des professionnels qui vous interpellent en signant une tribune dans Le Monde, par exemple. Il y a depuis plusieurs mois, 5 mois maintenant, des pénuries de psychotropes qui sont extrêmement graves. Est-ce que ça…
YANNICK NEUDER
Ça fait partie du plan. Donc si vous avez lu le plan et ses 26 mesures, vous avez trouvé la mesure en lien avec l'ANSM sur une mission particulière sur la pénurie de médicaments qui est d'une façon générale très grave, qui dépend des conditions de souveraineté sanitaire de la France puisqu'il faut pouvoir être autonome dans la production de médicaments. Et il y a un certain nombre de mesures avec les dispensations à l'unité, avec les grossistes-répartiteurs qui ne doivent plus vendre à l'étranger et de pouvoir avoir aussi une substitution de traitement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 juin 2025