Texte intégral
Q - Bonjour, Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Bien comprendre ce qui se passe, c'est l'ambition de ce "Grand Jury". Bien comprendre la situation, les enjeux et les menaces de cette guerre entre Israël et l'Iran. Comment stopper l'escalade ? Et puis Iran, Israël, Russie, Ukraine, Chine, États-Unis... Nous vous demanderons si tous les ingrédients d'une guerre mondiale sont réunis.
(...)
Jean-Noël Barrot, malgré les appels à la retenue, les frappes s'intensifient entre Israël et l'Iran. Comment qualifiez-vous cette dangereuse escalade militaire ? Israël a-t-il déclaré la guerre à l'Iran ?
R - Nous avons appelé avec beaucoup de fermeté les deux parties à la retenue. Et ma priorité dans ce moment c'est évidemment d'assurer la sécurité de nos agents - dont je veux reconnaître le courage et le dévouement dans cette période si difficile, à Tel Aviv comme à Téhéran -, de nos compatriotes dans ces deux pays, et puis de nos partenaires de la région, qui sont évidemment très inquiets.
Q - Mais ce midi, votre appel à la retenue n'est pas entendu.
R - Mais cela n'empêche qu'il faut le porter, cet appel. C'est la responsabilité de la France.
Q - Est-ce qu'on est déjà dans l'escalade que vous redoutiez, quand on voit les tirs qui s'intensifient d'un côté comme de l'autre ?
R - Je crois que personne n'a intérêt à un embrasement régional, et c'est pourquoi nous avons dit très clairement quelle était la position de la France. Le programme nucléaire iranien est une menace existentielle pour la sécurité d'Israël, mais au-delà, pour la sécurité européenne. Nous avons toujours dit que la meilleure façon de le prévenir, de le contenir, ce programme nucléaire, c'était la voie diplomatique. Nous avons pris acte de la décision du gouvernement israélien de mener ces opérations militaires que nous n'avons pas soutenues, auxquelles nous n'avons pas participé. Nous appelons maintenant l'ensemble des parties à la retenue et à l'ouverture de ces négociations, conduisant à un véritable retour en arrière crédible de ce programme nucléaire.
Q - Est-ce que vous connaissez très exactement les objectifs recherchés aujourd'hui par Israël ? Est-ce que c'est viser effectivement les sites nucléaires iraniens ou est-ce que c'est plus globalement renverser le régime des mollahs ?
R - Le gouvernement israélien a justifié ses opérations militaires par sa volonté de faire échec au programme nucléaire iranien. Et dans mes entretiens ce matin avec le ministre israélien des affaires étrangères, il l'a réaffirmé une nouvelle fois.
Q - Et la question c'est, est-ce qu'il y avait une menace imminente de la part de l'Iran pour se doter effectivement de l'arme nucléaire qui justifiait cette réplique israélienne ?
R - Non seulement elle est imminente, mais elle est existentielle. Et cela fait des mois maintenant que la France, avec ses partenaires britannique et allemand, a engagé un dialogue exigeant avec l'Iran, au moment où nous atteignons le dixième anniversaire de l'accord sur le nucléaire iranien que nous avons signé il y a dix ans, pour amener l'Iran à revenir en arrière de manière très nette, pour préserver les intérêts de sécurité de la France et de l'Europe.
Q - Si je suis votre raisonnement, Israël a raison de frapper l'Iran, pour stopper son programme nucléaire ?
R - Je vous l'ai dit, nous n'avons ni soutenu, ni participé à cette attaque parce que nous considérons que la meilleure manière de garantir nos intérêts de sécurité, ceux de nos partenaires dans la région, c'est par la négociation et la diplomatie.
Q - Mais si on vous entend bien, est-ce qu'à vos yeux, aux yeux de la France, ces frappes sont utiles contre, justement, les installations nucléaires iraniennes ?
R - J'entends des voix s'élever dans le débat politique français qui quasiment semblent prendre le parti de l'Iran. Faut-il rappeler que l'Iran dispose de capacités nucléaires, de missiles qui peuvent aujourd'hui toucher le territoire français ? Faut-il rappeler que l'Iran a soutenu le Hamas, le Hezbollah ? Faut-il rappeler que l'Iran a salué l'attentat antisémite du 7 octobre suite auquel 50 de nos compatriotes ont perdu la vie ? Faut-il rappeler que l'Iran a livré des centaines de missiles et des milliers de drones à la Russie ? Faut-il rappeler que l'Iran retient en otage deux de nos compatriotes, Cécile Kohler et Jacques Paris, qui sont détenus dans des conditions indignes, assimilables à de la torture, depuis plus de trois ans maintenant ?
Q - Est-ce que - je vous ai bien entendu - vous dites que l'Iran a des capacités nucléaires pour frapper l'Europe ? C'est ce que vous venez de dire. Est-ce qu'aujourd'hui l'Iran a des capacités nucléaires ?
R - L'Iran a violé tous les engagements auxquels il s'était astreint lorsque, il y a dix ans, nous avions trouvé un accord consistant à restreindre sa capacité à accéder à une arme nucléaire. Aujourd'hui, l'Iran est au seuil. Elle est en capacité, du fait du développement considérable de son programme nucléaire, du fait du développement considérable de ce qu'on appelle son "programme balistique", c'est-à-dire sa capacité d'envoyer des missiles à plus de 2.000 km... Elle est au seuil de pouvoir frapper Israël, des pays dans la région, et possiblement le territoire national.
Q - Ça veut dire quoi "au seuil" ?
R - Je crois que l'image est assez parlante.
Q - Ça veut dire que dans quelques mois, l'Iran a la bombe nucléaire ?
R - C'est-à-dire qu'elle est quasiment en capacité de déclencher certaines attaques.
Q - Comment on explique que l'Iran soit arrivé à cette situation ? C'est l'échec de la communauté internationale ? Comment c'est possible, en fait, que l'Iran soit aussi près d'avoir l'arme nucléaire ?
R - Parce que l'Iran a refusé de respecter les engagements auxquels il s'était astreint, que l'Iran n'a pas voulu rentrer dans des négociations auxquelles nous l'invitions il y a quelques mois, consistant à revenir en arrière sur le volet nucléaire, sur la partie de l'enrichissement, comme sur le volet balistique, c'est-à-dire la fabrication des missiles qui peuvent emporter des charges nucléaires, comme sur ses activités de déstabilisation, c'est-à-dire le soutien à des groupes terroristes, le soutien au Hamas, au Hezbollah ou aux Houthis.
Q - Et quand le Premier ministre israélien Netanyahou dit que l'Iran a produit aujourd'hui assez d'uranium enrichi pour produire neuf bombes nucléaires, il dit vrai ? C'est l'état également de vos renseignements ?
R - L'Iran dispose aujourd'hui d'uranium enrichi à un niveau 40 fois supérieur à celui que nous avions fixé il y a dix ans lorsque nous avons trouvé cet accord. Donc oui, le programme nucléaire iranien, tout le monde le sait, n'a pas de vocation civile uniquement, il a une vocation très clairement militaire.
Q - Vous nous avez dit tout à l'heure que vous vous êtes entretenu ce matin avec le ministre des affaires étrangères israélien. Que vous a-t-il dit ? Combien de temps va durer leur opération en Iran ?
R - Il m'a rappelé que les objectifs consistent à frapper les actifs du programme nucléaire iranien. Je l'ai appelé à la retenue. Je l'ai appelé à ce qu'Israël s'abstienne de cibler, évidemment, des civils. Je l'ai aussi appelé à ne pas oublier la situation à Gaza, où nous appelons à un cessez-le-feu immédiat, à la libération de tous les otages du Hamas, à l'accès sans entrave et immédiat de l'aide humanitaire.
Q - Quand on écoute Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, il vise effectivement ces installations nucléaires, mais également le régime. Le Premier ministre israélien veut faire tomber le régime iranien. Vous le condamnez ou c'est quelque chose que vous approuvez ?
R - Je vous le redis : le programme nucléaire iranien est une menace existentielle pour Israël, pour les pays de la région et pour nous aussi. Et la seule manière de nous en débarrasser, de nous en délivrer, c'est la négociation. Nous nous tenons prêts à ouvrir ces négociations que nous préparons depuis de longs mois.
Q - Donc j'en conclus que vouloir renverser le régime iranien n'est pas une bonne idée ?
R - La menace qui pèse sur nous, c'est celle du programme nucléaire iranien, complété par un programme balistique - un programme de missiles intercontinentaux qui permettent de toucher, bien au-delà du Moyen-Orient, le territoire national et des territoires européens - et ce sont les activités de déstabilisation de tout le Proche-Orient qui se poursuivent, avec le soutien de groupes terroristes par l'Iran.
Q - Des négociations étaient prévues entre les Etats-Unis et l'Iran, justement, sur ce programme nucléaire. Est-ce qu'aujourd'hui la communauté internationale a perdu, finalement, quelque part, un peu le contrôle de cet armement iranien ? Ou est-ce que tant que l'AIEA [l'Agence internationale à l'énergie atomique] continue d'avoir accès à un certain nombre de sites, les choses sont encore maîtrisables ?
R - Il faut le dire clairement : l'Iran a dissimulé ses capacités nucléaires à l'Agence. L'Agence a publié un rapport il y a une semaine qui le démontre, et nous avons, avec nos partenaires allemand, britannique et américain, fait adopter une résolution au conseil d'administration de l'Agence, qui marque le fait que l'Iran a dissimulé ses capacités nucléaires. Est-ce qu'il reste une place pour le dialogue et pour la négociation ? Evidemment que oui. Il en reste toujours une, et c'est celle que nous prescrivons, c'est celle que nous voulons saisir.
Q - Est-ce qu'aujourd'hui la France appuie militairement, ou surtout par le renseignement, ces frappes d'Israël en Iran ?
R - Le Président de la République l'a rappelé : en fonction de la présence de nos emprises militaires sur le terrain, nous nous tenons prêts à contribuer à la protection d'Israël.
Q - Ce n'est pas le cas encore ?
R - Nos emprises, nos moyens militaires dans la région ont vocation d'abord à défendre nos intérêts, mais aussi à participer à la défense de nos partenaires.
Q - Est-ce que ça a été le cas dans les dernières heures
R - À ce stade et étant donné la nature et la trajectoire des attaques iraniennes contre Israël, les moyens militaires français n'ont pas été mobilisés, mais ils sont en alerte, et les armées communiqueront en temps voulu.
Q - Alors, vous voyez une accusation qui monte contre les Etats-Unis de participer activement, ou en tout cas de donner une aide active à Israël pour ses attaques. Est-ce que, par exemple, ravitailler un avion de chasse israélien, de la part des Américains, c'est une aide active, ou pas ?
R - Je ne veux pas rentrer dans des débats qui appartiennent aux officiers des armées. Ce que je puis dire, c'est que la France est indéfectiblement attachée à la sécurité d'Israël. Elle l'a démontré lorsqu'en avril et en octobre, Israël a été attaqué par l'Iran. Nous avons mobilisé les moyens militaires français pour contribuer à sa défense.
Q - Est-ce que d'un point de vue diplomatique, c'est une question importante, de savoir l'implication des Etats-Unis dans l'offensive ?
R - En tout cas, pour ce qui concerne les positions françaises, ce n'est pas une question, c'est une évidence. Nous l'avons démontré l'année dernière en avril et en octobre, en mobilisant nos moyens militaires pour contribuer à la défense du territoire israélien.
Q - Mais est-ce que Donald Trump n'a pas joué une sorte de double jeu en essayant de négocier, en ralentissant un peu ces négociations avec l'Iran sur son programme nucléaire, pour peut-être préparer le terrain à cette attaque israélienne ?
R - Il y a quelques mois, les États-Unis ont souhaité engager un dialogue direct avec l'Iran. Nous avons salué cette initiative, puisque je le redis, le programme nucléaire iranien est une menace existentielle pour nous et nous considérons que seul le dialogue permet de contrer cette menace. Nous avons d'ailleurs fait connaître, aux Iraniens comme aux Américains, nos exigences. Ils les connaissent parfaitement, et nous nous tenons prêts à réamorcer ce dialogue, au regard de la situation telle qu'elle a évolué ces dernières heures.
Q - Pour bien comprendre tous les enjeux de cette guerre, est-ce que Benyamin Netanyahou ne mène pas aussi une guerre intérieure ? C'est-à-dire que lui, d'un point de vue politique, le Premier ministre israélien, a besoin de mener ces guerres pour rester au pouvoir ?
R - Ce qui est clair, c'est que nous tenons un langage de vérité au gouvernement israélien. Nous réaffirmons notre attachement à la sécurité d'Israël, tout en appelant le gouvernement israélien au cessez-le-feu, à l'accès sans entrave et immédiat de l'aide humanitaire à Gaza. Et rien de tout ce qui est en train de se passer dans la région ne peut nous faire oublier Gaza.
Q - Vous y voyez une stratégie de Benjamin Netanyahou, qui essaye de détourner le regard de ce qui se passe à Gaza ?
R - Je n'essaye pas d'interpréter les propos ou les gestes des uns et des autres. Nous sommes très concentrés sur notre seul objectif, qui est la paix et la stabilité dans la région. Cela passe par le refus du programme nucléaire iranien et cela passe par le refus de la colonisation, de l'occupation, de la guerre à Gaza et en Cisjordanie. Ce sont les deux objectifs de la France, auxquels nous sommes tout entiers attachés et auxquels nous oeuvrons très activement...
Q - Mais sur ces objectifs-là, il faut quand même parler d'un échec de la diplomatie française et européenne.
R - Vous parlez d'un échec ? Je suis désolé de vous contredire, mais ce qui s'est passé la semaine dernière, grâce au mouvement qui a été enclenché par la France, qui préparait une conférence au sujet de la solution à deux États, et qui clairement a initié une dynamique qui est désormais inarrêtable... Regardez ce que Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, a dit dans une lettre qu'il a adressée au Président de la République et au prince héritier de l'Arabie saoudite. Pour la première fois, il a condamné le 7 octobre comme un attentat terroriste. Il a affirmé que l'État de Palestine serait démilitarisé. Il a également appelé à ce que des élections puissent se tenir en Palestine d'ici un an. Bref, des déclarations qui étaient inédites. Par ailleurs, vendredi à Paris, et pour la première fois, les sociétés civiles israéliennes et palestiniennes ont dialogué et ont pris ensemble des résolutions, en lançant l'Appel de Paris à une solution politique.
Q - Sauf qu'il n'y avait pas de majorité à l'ONU, pour reconnaître... Sauf que, Jean-Noël Barrot, il devait y avoir un rendez-vous la semaine prochaine, qui n'aura pas lieu.
R - Pour des raisons logistiques et sécuritaires, mais qui aura lieu dans les prochaines semaines. C'est notre volonté, nous sommes déterminés.
Q - Ça ne coupe pas cette initiative ?
R - Non, pas du tout. L'élan est inarrêtable, je vous l'ai dit. Écoutez les déclarations de Mahmoud Abbas, écoutez les déclarations de la société civile, et vous verrez que nous avons réussi à réamorcer un mouvement vers une solution politique, qui passe par la reconnaissance de l'État de Palestine, le désarmement du Hamas, son exclusion de l'avenir palestinien, et par l'insertion d'Israël dans une architecture régionale de sécurité.
Q - Emmanuel Macron parlait de la semaine prochaine comme d'un moment décisif. Ce moment n'aura pas lieu la semaine prochaine.
R - Ce moment aura lieu dès que les circonstances le permettront, c'est-à-dire dès que les conditions sécuritaires et logistiques seront réunies.
Q - On a vu quand même que beaucoup de pays qui étaient partenaires au départ de cet accord se sont désistés, sous la pression notamment d'Israël. Est-ce que vous êtes quand même toujours prêt à pousser cette solution à l'ONU et à aller au rapport de force avec l'État hébreu ?
R - Je n'ai pas du tout la même analyse que vous. J'ai vu au contraire, jour après jour, un nombre toujours plus important de parties prenantes de la résolution de cette crise - en Europe, en Amérique du Nord, mais aussi dans le monde arabe - commencer à se saisir de cette dynamique que nous avons amorcée pour faire mouvement vers cette solution politique, qui est la seule alternative à l'état de guerre permanent dans la région. Il n'y a pas d'autre alternative.
Q - Est-ce qu'aujourd'hui vous allez demander au Parlement français un débat pour échanger avec les députés et les sénateurs sur ce conflit ?
R - La demande a été formulée par les parlementaires. À titre personnel, j'y suis favorable. C'est une décision qui appartient au Premier ministre.
Q - Alors ça, c'est sur le conflit Iran/Israël. Mais pour revenir un instant sur la question de l'État palestinien, est-ce que vous avez été soulagé, d'abord, par le retour de Rima Hassan en France ou agacé plutôt par cette flottille pour Gaza ?
R - Je constate que le débat politique en France se cristallise autour de positions qui sont tout à fait éloignées de ce qu'est la position constante de la France. D'un côté, vous avez les opposants inconditionnels à Israël. De l'autre, vous avez les soutiens inconditionnels à Israël. Mais la France, ce n'est pas ça. Et ces positions-là trahissent en réalité ce qu'est la France. La position de la France, c'est la paix, la sécurité et la stabilité dans la région. Et je le redis, cela passe par un refus très ferme du programme nucléaire iranien, et cela passe par un refus très ferme du terrorisme, mais aussi de l'occupation, de la colonisation et de la guerre à Gaza, comme en Cisjordanie.
Q - Comment vous qualifiez ce qu'a fait Rima Hassan, tenter d'aller à Gaza ?
R - Je l'ai déjà qualifié : c'est une opération de communication. Le Premier ministre a parlé d'instrumentalisation des souffrances des populations de la région. Nous avons fait notre devoir, ni plus ni moins, en alertant nos ressortissants des risques auxquels ils s'exposaient, en alertant les autorités israéliennes pour prévenir tout incident et en assurant une protection consulaire tout au long du processus qui a permis à un certain nombre d'entre eux de rentrer. Et nous continuons, malgré la difficulté de la situation dans laquelle nous nous trouvons, à assurer cette protection consulaire auprès des deux ressortissants français participant à cette expédition qui n'ont pas encore pu être expulsés du fait de la fermeture de l'espace aérien israélien.
Q - Pardonnez-moi, mais avec le conflit qui s'ouvre ou se rouvre entre Israël et l'Iran, vous ne craignez pas que Gaza repasse finalement au second plan ?
R - Je l'ai dit ce matin au ministre israélien des affaires étrangères, c'est tout le contraire. Ces opérations qui sont menées par le gouvernement israélien doivent le conduire à accélérer dans la résolution de la crise à Gaza, doivent le conduire à prendre la décision immédiate de cessez-le-feu et d'ouvrir l'accès massif de l'aide humanitaire aux populations qui en ont tant besoin.
Q - Pour revenir sur les risques d'escalade dans la région que vous évoquiez, par cette guerre entre l'Iran et Israël, Emmanuel Macron a dit vendredi : "La situation est à haut risque, nous nous préparons à tout." Ça veut dire quoi ? On se prépare à quoi, quand on dit qu'on "se prépare à tout" ?
R - On se prépare, parce que c'est la responsabilité du chef de l'État et du Gouvernement de parer à toute éventualité. Pour ce qui me concerne et ce qui concerne mon ministère, nous nous tenons à la disposition de nos compatriotes - à peu près 100.000 en Israël, à peu près 1.000 en Iran -, qui sont très inquiets. Nous avons pris contact avec eux. Nous avons ouvert une ligne téléphonique qui est accessible 7j/7, 24h/24. Et j'ai demandé au centre de crise et de soutien de mon ministère de se tenir prêt à toute éventualité. Ensuite, sur le plan intérieur, nous avons renforcé le dispositif Sentinelle, pour éviter d'être pris au dépourvu ou que des conséquences puissent avoir lieu sur le territoire national. Et puis nous allons veiller très attentivement aux conséquences sur l'économie française, européenne et mondiale que pourraient avoir les opérations militaires en cours dans la région.
Q - Quel est l'état de la menace sur le territoire français ?
R - La menace est élevée, mais nous n'avons pas attendu les opérations militaires actuelles pour nous en apercevoir. Ceci étant dit, l'Iran a montré par le passé sa capacité à frapper directement ou indirectement le territoire de certains pays européens. Et donc nous veillons, tout en ayant réaffirmé que nous n'avons ni soutenu ni contribué aux opérations militaires israéliennes, à protéger le territoire national. C'est aussi simple que ça.
Q - Est-ce que vous réussissez à avoir des nouvelles de Cécile Kohler et Jacques Paris, les deux Français qui sont retenus en otage en Iran depuis trois ans ?
R - Le Président de la République et moi-même à mon niveau avons appelé nos interlocuteurs israéliens et iraniens à prendre en considération le sort de nos deux compatriotes qui sont retenus en otage et qui aujourd'hui sont dans une prison.
Q - À quand remonte ce dernier contact que vous avez eu avec eux ?
R - Nous avons eu un contact hier, par l'intermédiaire du centre de crise et de soutien de mon ministère, avec leurs familles. Je m'entretiendrai avec elles un peu plus tard aujourd'hui. Et quant au dernier contact que nous avons eu en direct avec eux, il remonte à deux semaines environ, puisque grâce à la pression que j'ai souhaité appliquer sur le régime iranien en déposant une plainte devant la Cour internationale de justice pour violation par l'Iran de son obligation d'offrir à nos compatriotes le droit à la protection consulaire ; ils ont eu le droit à des courtes visites de la part de nos équipes sur place, dont je veux à nouveau saluer le dévouement et le professionnalisme.
Q - L'une des conséquences immédiates et très concrètes de ces frappes sur l'Iran, c'est la flambée du prix du pétrole, si notamment le détroit d'Ormuz est fermé, par où transite, on le rappelle, 20% du marché mondial. Ce sont les consommateurs du monde entier qui vont être impactés et les entreprises. Il faut s'attendre, en France, à des conséquences économiques de cette guerre ?
R - Je crois qu'il faut tout faire pour éviter de nous retrouver dans cette situation-là. C'est pourquoi nous appelons à la retenue, c'est pourquoi nous appelons chacune des deux parties à ne pas s'engager dans une escalade. Et si toutefois, nous devions y faire face, nous y ferions face avec beaucoup de calme, avec beaucoup de lucidité, comme nous avons su le faire par le passé.
Q - Mais plus de pétrole russe, plus de pétrole iranien, ça va faire forcément une flambée des prix et des conséquences quand même très concrètes pour tous les Français.
R - Pour tous les Français et pour le monde entier, en réalité. Donc personne n'y a intérêt. Ni l'Iran, ni Israël, n'y ont intérêt.
Q - Si on dézoome, on a donc la Russie, l'Iran, la Corée du Nord, des alliances, et en toile de fond, bien évidemment, la Chine. De l'autre côté, on a les États-Unis, on a Israël, on a l'Europe - quelque part, on pourrait dire l'Occident. On a au moins deux lignes de front, entre l'Iran et Israël, et puis au Poche et au Moyen-Orient. Et puis on a bien évidemment l'Ukraine, toujours. Est-ce qu'il n'y a pas tous les ingrédients d'une guerre mondiale ? C'est ce que dit, par exemple, Le Premier ministre polonais, Donald Tusk.
R - Je crois que la responsabilité de la France dans ce contexte, c'est de rappeler les principes auxquels nous sommes très attachés. Depuis huit décennies, depuis 80 ans - c'est-à-dire depuis la création des Nations unies - un principe très simple, auquel nous restons très profondément attachés, a évité bien des conflits à l'échelle planétaire. Ce principe, c'est : "Je ne touche pas à tes frontières, tu ne touches pas aux miennes." Ce principe-là, c'est le fondement du droit international, celui que nous défendons contre tous les vents contraires, contre les réveils des empires, des fantasmes de colonisation qu'on voit émerger notamment en Russie mais également ailleurs. Mais pour le défendre, il faut le dire clairement : si nous voulons rester fidèles à ce principe, alors il nous faudra devenir beaucoup plus forts et beaucoup plus indépendants dans les temps qui viennent. C'est vrai pour la France et c'est vrai pour l'Europe. Si nous n'y prenons garde, alors nous perdrons notre capacité à maîtriser notre propre destin et à peser sur les destins du monde. Donc le moment - et ça nous amènera progressivement vers, sans doute, un autre sujet de notre conversation aujourd'hui - est celui des choix que nous avons à faire pour nous-mêmes. Le choix que nous devons faire pour nous-mêmes, c'est celui d'être plus forts et plus indépendants.
Q - Est-ce que Donald Tusk exagère quand il parle de troisième guerre mondiale ?
R - Nous pouvons l'éviter en défendant le droit, en faisant primer le dialogue sur la force, et la justice sur la violence. C'est la ligne de la diplomatie française et j'y veille activement.
Q - Est-ce que c'est l'échec du grand gendarme mondial, les États-Unis ? Est-ce que c'est l'échec de Donald Trump, évidemment, surtout, qui devait régler, on le rappelle, la guerre en Ukraine en 24h, mettre fin au conflit à Gaza et trouver un accord avec l'Iran sur le nucléaire. Finalement, il a tout faux sur le plan diplomatique, Donald Trump ?
R - Donald Trump a souhaité faciliter des discussions entre les Ukrainiens et les Russes. Il a souhaité faciliter des discussions.
Q - Mais rien de marche.
R - Cette approche par le dialogue et la négociation, nous ne pouvons que la saluer. Parce qu'on ne résout pas les problèmes par la force brutale et par la violence.
Q - Toujours est-il qu'on peut constater un échec aujourd'hui.
R - Vous savez, nous avons une tâche qui est ardue lorsque nous sommes en responsabilité pour porter la voix de la France et conduire la diplomatie française. Nous avons eu des succès ces derniers mois. Nous avons réussi, par le dialogue, à faire cesser une guerre qui menaçait de plonger le Liban dans le chaos. Nous allons continuer d'oeuvrer pour une négociation qui permette à l'Ukraine de garantir sa souveraineté et son intégrité territoriale. Nous allons oeuvrer pour que la négociation permette, avec l'Iran, de préserver la sécurité de notre territoire et de l'Europe. Nous continuons inlassablement. Il arrive que ce soit plus difficile que prévu. Il arrive aussi que nous ayons des succès.
Q - Est-ce que ces faiblesses des États-Unis, ces échecs, vous inquiètent ? On a l'impression que Donald Trump subit les décisions de Benjamin Netanyahou, par exemple, qu'il se fait balader par Vladimir Poutine. Est-ce que c'est inquiétant ?
R - Vous savez, il y a six mois, On nous annonçait une capitulation de l'Ukraine, une vente par appartement de l'Europe, avec l'arrivée de la nouvelle administration aux États-Unis... Rien de tout cela ne s'est produit. Et cela, c'est grâce notamment à l'action de la France, du Président de la République, qui a permis d'éviter que les États-Unis choisissent le mauvais chemin. Six mois plus tard, s'agissant de la guerre en Ukraine, nous n'avons pas écarté tous les risques. Nous n'avons pas encore trouvé de résolution à cette crise, mais nous avons évité une division profonde de l'Union européenne et nous avons évité cette capitulation de l'Ukraine qui, pour nous, aurait représenté un immense danger.
(...)
Q - Jean-Noël Barrot, Emmanuel Macron se rend aujourd'hui au Groenland. Il a dit que c'était pour se réinvestir, pour ne pas qu'il y ait de la prédation. Alors le prédateur, c'est évidemment Donald Trump. Mais "se réinvestir", ça veut dire quoi ?
R - Donald Trump, je ne suis pas tout à fait sûr. Parce que vous savez, l'Arctique fait l'objet de toutes les convoitises de la part de la Russie, de la part de la Chine... Oui, le Groenland est un territoire européen, et donc il est tout à fait naturel que l'Europe - et en particulier la France - l'investisse. Lorsque la question de l'intégrité territoriale du Groenland a été posée, j'ai moi-même exprimé que les frontières européennes n'étaient pas négociables. Mais au-delà de cette position de principe, il y a aussi un certain nombre de coopérations que nous avons déjà avec le Groenland et que nous voulons renforcer, sur le plan scientifique comme sur le plan économique. C'est tout cela qui justifie la présence, dans quelques heures, du Président de la République sur place.
Q - Pour se dire les choses, c'est un message clair à Donald Trump ? C'est un peu de provocation de la part d'Emmanuel Macron, non ? C'est quand même lui qui dit : "Je veux envahir le Groenland ou l'acheter.", donc que ce soit de force ou de manière commerciale...
R - Le Groenland est un territoire stratégique. C'est un territoire européen. Et, de toute évidence, c'est un territoire convoité. On peut s'agiter sur des plateaux de télévision en donnant des leçons aux uns ou aux autres, ou alors on peut agir, se rendre sur place, renforcer les coopérations, répondre aux enjeux de sécurité, de développement économique. C'est dans cette ligne-là que s'inscrit la France.
Q - Il y a une règle sur un territoire européen, c'est que s'il est attaqué, il y a une solidarité de fait de la part de tous les Européens. Est-ce que ça veut dire que si demain il y a une opération militaire sur le Groenland, la France, par exemple, interviendrait pour défendre le Groenland ?
R - Mais la question ne se pose pas, puisque la solidarité entre les pays européens au sein de l'Union européenne, comme la solidarité entre les pays membres de l'OTAN, est suffisamment dissuasive pour que personne ne vienne la tester. Personne n'est jamais venu la tester jusqu'à présent. Alors, attention, cela n'est pas éternel, et cela n'est pas parce que nous sommes nombreux que nous sommes abrités de toutes les menaces. C'est pourquoi les discussions qui vont se tenir juste après ce voyage du Président de la République au Groenland, à l'OTAN, s'agissant du relèvement de nos dépenses militaires, du relèvement de nos capacités dissuasives est si importante. Parce que lorsqu'on n'est pas dissuasif, alors on devient une proie pour tous ceux qui veulent tester la résistance et la robustesse de ces alliances de sécurité. Mais jusqu'à présent, elles sont si solides que personne n'est venu les tester.
Q - Nous parlions dans la première partie de toutes ces guerres irrésolues pour l'instant par Donald Trump. Il y a bien sûr la Russie et l'Ukraine, ce conflit. Vladimir Poutine a-t-il une seule raison d'arrêter cette guerre ?
R - Je crois qu'il en a assez peu, à moins que nous ne décidions de lui en donner quelques-unes. C'est ce que nous avons décidé de faire, en incitant la Commission européenne à prendre l'un des paquets de sanctions les plus puissants depuis le début de cette guerre. Et je suis très heureux qu'elle ait retenu nos propositions. Propositions qui vont viser certains des acteurs majeurs de l'industrie pétrolière russe. Certaines mesures qui vont aussi viser des pays tiers qui permettent à la Russie, en facilitant le contournement de nos sanctions, de continuer à financer son effort de guerre. Ce paquet, qui n'a pas encore été adopté, nous allons continuer à le renforcer, en allant au-delà, en contraignant la circulation des diplomates russes sur le sol européen... Mais peut-être de manière un peu différente de ce que nous avons fait jusqu'à présent. Ce que je recommande, et ce que j'ai recommandé à la Commission européenne, c'est que ce paquet de sanctions, contrairement au précédent, soit utilisé pour contraindre Vladimir Poutine à l'atteinte d'un objectif simple : le cessez-le-feu. Un cessez-le-feu d'au moins 30 jours, peut-être au-delà, qui permette la tenue de discussions, de négociations en bonne et due forme. Parce que vous voyez bien à quel jeu joue Vladimir Poutine : "Je ne fais pas de cessez-le-feu, et j'esquive les négociations de paix."
Q - Entre les sanctions européennes et la voie diplomatique que vous privilégiez naturellement, est-ce que tout cela c'est assez fort, quand on écoute le négociateur de Vladimir Poutine qui a déclaré en mai dernier que la Russie est prête à une "guerre sans fin" ?
R - Mais ça, pardon, qui en doutait ? Vladimir Poutine n'a fait aucun mystère de ses intentions. Ses intentions sont des intentions coloniales, ce sont des intentions impérialistes. Ce que veut faire Vladimir Poutine, c'est reconstituer, en réalité, l'Union soviétique de jadis. Et donc il ira jusqu'au bout, à moins qu'il ne soit arrêté. Et comment l'arrêter ? En asphyxiant son effort de guerre par des sanctions extrêmement lourdes. Des sanctions européennes...
Q - Les Européens doivent s'engager aujourd'hui à ne plus du tout acheter de gaz et de pétrole russe ?
R - Bien sûr, c'est l'objectif, nous délivrer intégralement de notre dépendance aux énergies fossiles russes. Nous allons le faire pour le gaz d'ici l'année prochaine, et nous devons le faire dès aujourd'hui pour le pétrole. Mais j'ajoute un point à cela, c'est que les sanctions européennes, c'est bien ; si à ces sanctions s'ajoutent des sanctions américaines, c'est encore mieux. Mais ça tombe bien, parce que vous avez vu que dans leur immense majorité, les sénateurs et les députés américains ont décidé, eux aussi, de prendre des sanctions massives contre Vladimir Poutine, parce qu'ils voient bien que si nous ne l'arrêtons pas il ira jusqu'au bout de son fantasme colonial.
Q - Mais c'est quoi, ces "sanctions massives" ? Parce qu'on a eu 17 paquets de sanctions jusque-là. C'est quoi les "sanctions massives" qui vont faire plier Vladimir Poutine ? Parce que jusque-là, ça n'a pas fonctionné.
R - Justement - c'est l'intuition des sénateurs et des députés américains, et c'est l'intuition que nous allons retenir, nous aussi, Européens, lorsque dans quelques jours nous adopterons ce paquet -, c'est d'appeler les pays tiers, ceux qui sont parfois nos amis et nos partenaires, à tenir compte du fait que la Russie présente aujourd'hui, pour l'Union européenne, un danger de vie ou de mort, et que s'ils ne viennent pas nous aider à freiner et même à mettre à l'arrêt la machine de guerre de Vladimir Poutine, tout cela aura des conséquences. Parce que lorsque nous disons que c'est une question de vie ou de mort, nous sommes sérieux et nous entendons...
Q - Ça veut dire quoi, les "conséquences" ? Parce que vous n'êtes pas très concret là.
R - Je vous invite à regarder les propositions qui ont été faites par la Commission. Il s'agit d'embargo sur certains produits, notamment des produits énergétiques en provenance de pays qui continuent d'importer du pétrole russe.
Q - Vous voulez par exemple demander à l'Inde de ne plus acheter de pétrole russe ?
R - Si, comme nous le pensons, la Russie présente pour l'avenir de l'Union européenne et pour la France un danger de vie ou de mort, alors il faut joindre les actes à la parole. C'est une question de crédibilité et d'efficacité.
Q - Est-ce que, paradoxalement, les échecs diplomatiques de Donald Trump au Proche-Orient, sur le dossier ukrainien également, pourraient finalement l'amener à se tourner vers la Chine, d'un point de vue commercial ? Est-ce que vous voyez possiblement, finalement, une alliance commerciale qui pourrait se nouer entre les deux géants, Chinois et Américains ?
R - Je vois surtout une grande confrontation en préparation, à laquelle nous ne voulons pas prendre part. Le moment que nous vivons, c'est celui où l'Union européenne, l'Europe peut montrer la voie en refusant les logiques de blocs, en refusant le réveil des empires, de ce qu'on appelle les "sphères d'influence", qui consistent pour des grandes puissances à décider du sort des pays de leur voisinage. Tout ça, nous le refusons. Nous voulons préserver cet héritage que nous avons reçu des générations qui nous ont précédés, celui d'un monde ouvert, d'un monde qui fonctionne grâce à des règles universellement reconnues, qui repose sur ce qu'on appelle le "multilatéralisme", qui n'est ni plus ni moins qu'un autre mot pour parler de dialogue et de négociation. C'est dans cet esprit que nous voulons relever le gant. Et beaucoup de pays dans le monde - en Afrique, en Asie du Sud-Est, en Amérique latine - regardent avec beaucoup d'intérêt les initiatives que nous pourrions prendre pour ne pas se laisser entraîner dans cette confrontation entre les États-Unis et la Chine.
Q - Jean-Noël Barrot, vous êtes également le ministre de l'Europe. Est-ce que l'Europe a saisi l'ampleur de ce "retour des empires", comme vous dites ?
R - Je le crois. La guerre est à nos portes. La planète est en ébullition. Notre économie décroche. Nos démocraties sont prises d'assaut. Si nous n'y prenons garde, nous perdrons tout ce que nous avons patiemment construit, mais nous avons tous les atouts pour réussir. Nous avons la force pour réussir. Nous sommes un continent extrêmement riche, extrêmement puissant, extrêmement ingénieux. Si nous nous donnons les moyens, nous pouvons garder la maîtrise de notre propre destin et continuer à peser sur le cours des choses.
Q - Le sommet des océans s'est achevé à Nice, un peu dans l'indifférence parce qu'il y a eu les événements qu'on a évoqués. Le bilan de ce sommet est-il positif ? Pas d'accord contraignant pour réduire la pollution plastique, pas d'accord pour empêcher l'exploitation minière des grands fonds, et puis des zones protégées, notamment françaises, qui finalement en fait sont encore très peu protégées, notamment contre la pêche dans les grands fonds. Est-ce qu'il reste quelque chose de Nice ?
R - Cette conférence de Nice est un immense succès - un immense succès diplomatique, mais aussi un immense succès populaire, puisque c'est la plus grande manifestation jamais organisée sur l'Océan. L'Océan qui est notre meilleur allié dans la lutte contre le dérèglement climatique, qui produit la moitié de l'oxygène que nous respirons dans ce studio, qui héberge un quart des espèces sur la planète.
Q - Très bien, ça a fait parler des océans, mais est-ce que ça va changer quelque chose ?
R - Nous avons réuni 100.000 personnes autour de cette conférence des Nations unies. La dernière édition, il y a 4 ans, c'était 7.000 personnes. Et nous avons pris des engagements contraignants qui vont changer la donne, en particulier le Traité sur la haute mer, qui couvre 50% de la planète et qui aujourd'hui n'est soumise à aucune règle et aucune loi. Ce traité, grâce à la mobilisation de la diplomatie française, va entrer en vigueur d'ici la fin de l'année, puisque nous avons rassemblé 55 ratifications à ce traité. Il en faut 60, c'est-à-dire cinq de plus. Et nous savons, parce que des processus sont en cours dans un certain nombre de pays, que nous y parviendrons. En deux ans, nous aurons fait entrer en vigueur un traité pour protéger la haute mer. La dernière fois que la communauté internationale s'est mobilisée pour protéger l'Océan, ça a pris 12 ans pour la faire entrer en vigueur.
Q - Avant d'aborder les dossiers politiques français, notamment budgétaires, un petit mot quand même sur l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui est détenu depuis sept mois maintenant à Alger. Est-ce que vous avez des nouvelles quant à une libération prochaine ? On sait qu'il attend un jugement en appel le 1er juillet prochain.
R - Nous avons des nouvelles d'abord de sa santé, par sa famille qui lui rend visite. Elles sont préoccupantes. Nous attendons le jugement en appel qui interviendra le 1er juillet et nous continuons d'appeler les autorités algériennes à un geste d'humanité.
(...)
Q - Est-ce que dans votre propre ministère, le ministère des affaires étrangères, vous avez déjà contribué aux efforts budgétaires, mais est-ce que vous êtes prêt encore à faire des efforts ? Est-ce qu'il y a encore de la marge, dans le contexte international qu'on a décrit ?
R - Nous avons l'année dernière très largement contribué à l'effort, s'agissant de l'État, puisque mon ministère a porté 10% de l'effort, alors qu'il ne représente qu'1% du budget de l'État. Il y a sans doute des efforts qui peuvent être faits par l'Etat cette année encore. Mais je crois que la question fondamentale qui est posée pour l'État, c'est celle de l'efficacité, de son organisation, de sa capacité à se tourner vers ses missions. C'est d'ailleurs ce à quoi François Bayrou nous a demandé de réfléchir. Je l'ai fait. J'ai suivi la consigne, et j'en ai tiré des leçons. Je m'apprête à continuer à transformer mon ministère, pour qu'il soit toujours plus efficace dans la manière dont il offre un service public de qualité aux Français de l'étranger, dans la manière dont il défend les intérêts de la France à l'étranger et dont il porte la voix de notre pays.
Q - Concrètement, vous allez proposer des économies ? Est-ce que votre budget va encore baisser ?
R - Ces 40 milliards, ce sont des efforts considérables que nous devons faire, parce que nous refusons de surendetter les générations à venir. Ils doivent équitablement répartis.
Q - Donc votre ministère y participera ?
R - Il ne faut pas constamment se tourner vers l'État et ses dépenses, qui ont déjà été largement contenues. Chacun doit contribuer à cet effort.
Q - Si je vous écoute bien, l'État a fait sa part d'effort - importante - l'année dernière et là, cette année, pour l'année prochaine plus exactement, pour faire les 40 milliards d'euros d'économie...
R - Il y a avait un peu plus de nuance dans ce que je vous ai dit. Mon ministère a fait un effort considérable l'année dernière.
(...)
Q - Jean-Noël Barrot, merci pour ce "Grand Jury".
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juin 2025