Déclaration de Mme Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de l'innovation et du numérique, sur la place des femmes dans les études et carrières scientifiques, au Sénat le 5 juin 2025.

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  • Élisabeth Borne - Ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de l'innovation et du numérique

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Mme Dominique Vérien, présidente. - Dans le cadre de nos travaux sur la thématique "Femmes et sciences", entamés il y a près de trois mois, nous accueillons Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Notre mission vise à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques. Elles ne représentent dans notre pays qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs : cette sous-représentation féminine est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les études scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.

En 2023, la France ne comptait que 13 % d'étudiantes diplômées en sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (Stim), contre 40 % d'étudiants ; par ailleurs, près de la moitié des filles élèves de terminale n'avaient choisi aucun enseignement de spécialité en sciences, contre 28 % des garçons. En outre, parmi les filles qui se lancent dans des carrières scientifiques, près de la moitié quittent le monde scientifique au cours des dix années qui suivent - c'est le phénomène du "tuyau percé".

Pourtant, nous sommes convaincus que l'accroissement du nombre de femmes dans les sciences favoriserait tant la réduction des inégalités salariales que notre croissance économique.

Comme nos précédentes auditions l'ont montré, les défis sont nombreux, à tous les niveaux : famille, société, système éducatif, paliers d'orientation dans l'enseignement secondaire et supérieur, trajectoires professionnelles, politiques publiques.

Madame la ministre d'État, à la suite de la publication du rapport conjoint de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche et de l'inspection générale des finances intitulé "Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles", vous avez annoncé plusieurs mesures visant à féminiser les filières scientifiques et à redonner le goût des maths aux petites filles.

Ces mesures portent en particulier sur la sensibilisation et la formation de tous les professeurs aux biais et stéréotypes de genre en sciences, afin de favoriser une pédagogie égalitaire de l'école primaire jusqu'au lycée ; la sensibilisation des parents à l'intérêt des filières scientifiques pour les filles ; le renforcement de la place des filles dans les enseignements ouvrant vers les filières d'ingénieur et du numérique, avec un objectif, à l'horizon 2030, de 50 % de filles choisissant la spécialité maths en première et en terminale et de 30 % de filles dans chaque classe préparatoire scientifique ; la promotion de rôles modèles scientifiques féminins pour changer durablement les représentations.

Certains aspects d'une politique publique ambitieuse pour accroître la part des femmes dans les filières scientifiques méritent sans doute d'être développés ou précisés.

Ainsi, en ce qui concerne les quotas de filles, nous nous interrogeons sur leurs modalités de mise en œuvre : à quelles étapes de la scolarité seront-ils les plus efficaces et comment les faire respecter ? En classe préparatoire, faut-il considérer la première ou la deuxième année ?

Par ailleurs, la mise en place de bourses ou allocations spécifiques pour encourager les jeunes femmes à s'engager dans les parcours scientifiques a-t-elle été étudiée ? De même que l'augmentation du nombre de places réservées aux filles en internat ?

Enfin, l'importance d'une réelle politique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les études supérieures doit être soulignée.

J'ajoute que nous n'avons eu connaissance d'aucune mesure concernant le rôle des universités. Nos chercheurs scientifiques sont pourtant majoritairement formés au sein des universités : nous ne pouvons donc nous limiter aux classes préparatoires et grandes écoles.

Nos quatre rapporteurs dans le cadre de cette mission sont Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, dont les trois dernières sont présentes ce matin. Elles seront les premières à vous interroger après votre propos liminaire.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Je me réjouis que vous vous penchiez sur la place des femmes dans les secteurs professionnels scientifiques : je mène avec détermination ce combat qui me tient particulièrement à cœur. Encourager les jeunes filles à s'engager dans les parcours scientifiques et technologiques, c'est lutter pied à pied contre toutes les inégalités.

Aujourd'hui, les femmes représentent moins d'un tiers des ingénieurs et des chercheurs dans les sciences de l'ingénieur et du numérique, et cette proportion stagne depuis vingt ans alors que les besoins augmentent. Les femmes sont moins nombreuses à occuper des postes à responsabilités au sein des laboratoires et départements R&D.

Cette sous-représentation est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée et dans le supérieur, qui trouve elle-même son origine dans les différences de représentation entre filles et garçons dès l'école, qui conduisent les filles à se sentir moins légitimes.

Alors que les filles représentent 55 % des élèves en seconde générale et technologique, elles sont 48 % à choisir la spécialité maths en première, 42 % à la conserver en terminale et ne représentent que 25 % des étudiants inscrits dans les formations conduisant aux métiers d'ingénieur et du numérique. Le décrochage commence dès le CP, où l'écart d'appétence avec les garçons apparaît au bout d'un trimestre.

Dans le contexte actuel de transition énergétique, de réindustrialisation et de révolution de l'IA, notre pays a plus que jamais besoin d'ingénieures et d'ingénieurs, de techniciennes et de techniciens. Il y a donc urgence à former davantage, au moins 20 000 ingénieures et ingénieurs et 60 000 techniciennes et techniciens de plus chaque année. Nous devons former au moins autant de garçons, mais aussi beaucoup plus de filles.

Les filles seraient-elles moins douées en maths ? Évidemment non. La raison de leur sous-représentation, c'est l'assimilation dès le plus jeune âge de stéréotypes de genre, présents partout dans la société, dans les familles, dans les publicités, sur les réseaux sociaux, dans la culture, dans les médias - et donc, naturellement, à l'école.

Les conséquences sont lourdes : les filles s'orientent vers des métiers moins rémunérateurs et l'économie française se prive chaque année de milliers de talents féminins. De fait, nous sommes encore loin de l'égalité salariale, l'écart entre les femmes et les hommes à temps de travail égal étant de 14 %.

Pour toutes ces raisons, j'ai lancé le plan "filles et maths", destiné à mobiliser la communauté éducative pour que les choses changent dès la rentrée 2025. Pour atteindre la parité en spécialité maths, il manque 30 000 filles tous les ans. Nous avons fixé une cible claire : 5 000 filles de plus chaque année jusqu'en 2030. Cet objectif sera intégré aux feuilles de route des chefs d'établissement. Nous voulons éliminer toute autocensure pour libérer des vocations.

Dès la rentrée prochaine, ce plan entrera dans sa phase active, avec cinq leviers d'action : sensibilisation et formation des enseignants ; développement d'une offre de formation plus attractive ; mise en avant de modèles féminins ; promotion de la mixité dans les filières scientifiques de l'enseignement supérieur ; meilleure représentation des femmes dans les postes les plus visibles de mon ministère en maths et en sciences.

Une séance de sensibilisation destinée à tous les personnels sera organisée dans toutes les écoles et tous les collèges et lycées avant le 15 septembre ; elle sera animée par les chefs d'établissement ou les référents égalité filles-garçons, eux-mêmes préalablement formés.

Une attention particulière sera portée au premier degré. En quatre ans, nous formerons de façon plus approfondie tous les professeurs des écoles, notamment pour les sensibiliser aux gestes professionnels qui peuvent inconsciemment nuire à la confiance des filles. Le rapport des inspections donne de nombreux exemples, comme la façon d'interroger les filles ou les différences d'annotations sur les bulletins : "sérieuse" pour les filles, "brillant" pour les garçons.

Nous voulons aussi former tous les professeurs de mathématiques du second degré, comme cela a été fait dans l'académie d'Amiens, où l'on commence à observer des résultats probants.

Nous entendons aussi réformer la formation initiale des enseignants. Je pense en particulier aux professeurs des écoles, qui suivront dès la rentrée 2026 une licence pluridisciplinaire leur permettant d'acquérir des connaissances solides dans toutes les disciplines qu'ils auront à enseigner, notamment les mathématiques.

Par ailleurs, j'ai annoncé la création de nouvelles classes à horaires aménagés "maths et sciences" en quatrième et en troisième, sur le modèle de ce qui existe pour les enseignements artistiques. Ces classes verront le jour à titre expérimental dans au moins cinq académies dès septembre prochain. Leurs effectifs devront comprendre au moins 50 % de filles et une pédagogie de projets sera adoptée, qui favorise l'appétence pour les sciences.

L'enseignement des sciences numériques et technologiques (SNT), obligatoire en seconde générale et technologique, doit donner envie aux élèves de choisir les enseignements de Stim en première et terminale ; nous en rénoverons le contenu et les méthodes dès la rentrée 2026. La voie technologique, appelée sciences et technologies industrielles et du développement durable (STIDD), sera également rénovée à la même échéance : elle offre une poursuite d'études naturelle en bachelors universitaires de technologie (BUT) et forme les techniciennes et techniciens dont nous avons tant besoin.

Je crois aussi beaucoup aux rôles modèles, car chacun a besoin de s'identifier pour mieux se projeter. J'ai donc décidé de rendre obligatoire une rencontre annuelle avec des profils féminins inspirants pour toutes les filles de la troisième à la terminale. Je compte sur la mobilisation de tous, car nous aurons besoin de 15 000 étudiantes, ingénieures et chercheuses qui acceptent d'intervenir pendant quatre heures pour partager avec des groupes de filles leur passion des sciences. Nous travaillons avec des partenaires comme le Medef et l'Inria pour y parvenir - toutes les écoles d'ingénieurs pourront être sollicitées.

S'agissant de la promotion de la mixité dans les filières scientifiques du supérieur, je rencontrerai la semaine prochaine les représentants des proviseurs d'établissement accueillant des classes préparatoires scientifiques pour définir les leviers permettant d'attirer davantage de filles. Si les filles qui demandent à entrer dans les formations scientifiques les plus prestigieuses ont autant de chances que les garçons, à niveau égal, d'être retenues, c'est au moment de faire un choix définitif qu'elles renoncent à ces formations. Il faut absolument que la proportion de filles en classes préparatoires scientifiques atteigne 30 %, seuil à partir duquel l'effet ressenti est celui de la mixité.

Parce que nous devons réaliser la parité à tous les niveaux et que les jeunes filles ont besoin de s'identifier à des figures fortes, nous devons également travailler sur la représentation des femmes parmi les enseignants des classes préparatoires aux grandes écoles et les postes de direction des lycées. J'ai donc demandé à l'inspection générale de veiller à nommer au moins 30 % de femmes parmi les professeurs des disciplines Stim en classes préparatoires.

De même, Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, et moi-même avons demandé aux directeurs de laboratoire de recherche et à tout l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche d'encourager et de promouvoir les compétences féminines en sciences.

Ce combat n'est pas seulement celui de l'égalité ; il est aussi celui de l'émancipation. Ouvrons grand les portes des sciences et des mathématiques à toutes celles qui, jusqu'ici, ne s'y sentent pas à leur place !

Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous sommes en phase avec toutes ces propositions, vous n'en serez pas surprise.

En ce qui concerne les femmes modèles, la vice-présidente de l'université d'Aix-Marseille que nous avons auditionnée hier, qui forme à la lutte contre les stéréotypes qui nous imprègnent tous et toutes malgré nous, a insisté sur la nécessité de présenter aux filles des rôles accessibles. Nous ne pouvons pas toutes devenir double prix Nobel, comme Marie Curie… Mais se rendre compte, en première ou en terminale, que l'on peut devenir ingénieure, c'est une perspective beaucoup plus atteignable.

Des associations s'organisent pour promouvoir ces rôles féminins dans les collèges et les lycées. L'une d'entre elles - STEM4ALL - se lance au Sénat dans quelques jours ; les rapporteures et vous-même, madame la ministre d'État, êtes invitées à cet événement.

Les femmes ingénieures, les femmes dans les sciences de façon générale, se sentent seules. C'est l'une des causes du phénomène du "tuyau percé". De fait, les femmes ne sont pas toujours extrêmement bien accueillies - hier, nous avons bien senti que la filière "mathématiques" de l'université d'Aix Marseille n'était pas forcément des plus accueillantes pour les femmes.

La réforme du baccalauréat n'a pas forcément entraîné de déperdition de filles après le bac, mais nos auditions ont montré que les chercheuses en sciences sont aussi souvent de brillantes littéraires. C'est fréquemment la rencontre d'un professeur qui les a poussées à continuer à faire des sciences au lycée, ce qui leur a permis d'opter finalement pour une carrière scientifique.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Une expérience intéressante, que je voudrais signaler : la vice-présidente de l'Université d'Aix-Marseille a institué une formation pour ceux qui recrutent des chercheurs et des chercheuses, afin de bien comprendre comment les biais de genre se mettent en place ; c'est un simple test pour sensibiliser ceux qui recrutent, leur faire prendre conscience de la manière dont les biais se mettent en place chez eux et comment ils les exercent. Il serait intéressant de prévoir un temps pour que les professeurs analysent la situation et voient comment, à leur corps défendant, ils peuvent véhiculer des biais de genre, il est important de comprendre comment ces biais se forment et s'exercent.

Vous insistez à raison sur la formation continue des professeurs ; cependant, il serait préférable que ces temps de formation se fassent pendant le temps scolaire.

La réforme du baccalauréat a remis en valeur les mathématiques, qui avaient été malmenées par l'un de vos prédécesseurs. Les mathématiques sont rétablies en classe de première, seriez-vous favorable à ce que l'obligation soit étendue à l'ensemble des élèves jusqu'en terminale ?

La mesure 5 de votre plan d'action prévoit la création de classes à horaires aménagées en quatrième et en troisième, avec un minimum d'effectifs d'au moins 50 % de filles et une expérimentation dans cinq académies. Comment fonctionneront ces classes, où seront-elles déployées - les territoires ruraux en bénéficieront-ils aussi ?

Les représentants d'associations favorisant la mixité dans les sciences ont suggéré d'organiser des rencontres entre des élèves de quatrième et de troisième et des lycéens ayant choisi les spécialités scientifiques en première et terminale : cet échange entre pairs peut motiver les collégiennes, qu'en pensez-vous ?

Les réseaux sociaux sont un espace privilégié par les jeunes pour s'informer ; le ministère envisage-t-il d'y conduire des campagnes de communication dédiées et adaptées, pour encourager la mixité dans les sciences ?

Une des mesures de votre plan d'action prévoit la mise en place de rencontres systématiques avec des adultes qui puissent servir de "modèle" aux élèves, de la troisième à la terminale. Comment sera constitué ce vivier - et comment cette mesure sera-t-elle déployée sur le territoire ?

Enfin, il faudra veiller à ce que les lycées en ruralité ne soient pas pénalisés. Les déplacements et le fait de devoir être interne peuvent empêcher les filles mais aussi les garçons de faire des études supérieures, c'est un vrai sujet pour l'orientation.

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Nous sommes très heureuses de vous voir à ce poste, car je me rappelle, lorsque j'avais posé une question d'actualité à votre prédécesseur Pape Ndiaye sur la suppression des mathématiques en classe de première et terminale, avoir vu à votre regard que vous étiez pour le moins surprise de cette réforme - vous avez rétabli les mathématiques en classe de première, c'est une très bonne chose.

Merci pour cette formation pluridisciplinaire que vous proposez à nos professeurs des écoles. Je m'inquiète de ce que, parmi les professeurs des écoles recrutés depuis la réforme Blanquer, certains n'ont pas fait de maths en première ni en terminale et n'ont peut-être aucun goût pour les mathématiques ; il est important de les remettre à niveau pour qu'ils enseignent les mathématiques à leurs élèves de premier degré.

Vous n'avez pas parlé du tout de l'association La main à la pâte, qui est un succès : comment la conforter, encourager des enseignements qui soient pratiques, et pas seulement théoriques ?

Le rôle des modèles est très important pour l'orientation, vous l'avez dit. Mais il faut faire accepter à l'Éducation nationale que des personnes extérieures viennent à l'école, pas seulement des modèles, il faut que l'école s'ouvre au monde de l'entreprise, dans le cadre de foires aux carrières, bien sûr, mais pourquoi pas dans la gestion même des établissements, dans les conseils d'administration des établissements. L'association Une Voie pour tous expérimente de nouvelles approches, il est primordial de changer l'état d'esprit et d'ouvrir des ateliers scolaires à des personnes extérieures pour que les jeunes filles identifient des carrières qui les attirent. Lors d'une rencontre sur le plateau de Saclay avec de nombreux scientifiques, des scientifiques femmes - par exemple la présidente de l'ENS Paris-Saclay, Nathalie Carrasco - ont suggéré que les quotas de filles soient mis en place en deuxième année de classe préparatoire plutôt qu'en première année, ce serait plus efficace pour éviter les abandons : qu'en pensez-vous ?

Enfin, j'apprécie beaucoup ce que fait Coralie Chevalier à la tête du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) - et il faut vraiment soutenir ce Haut conseil, alors que nos collègues députés entendent le supprimer, mais je sais que je prêche ici une convaincue…

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - La proposition de supprimer le HCERES relève d'une incompréhension, me semble-t-il, car la recherche doit être évaluée en tout état de cause - et il vaut mieux qu'elle le soit par un Haut conseil, plutôt que par le ministre de la recherche, qui serait un peu embarrassé d'évaluer les laboratoires de recherche…

Mme Laure Darcos. - Effectivement, c'est un gage d'objectivité, et j'apprécie la façon dont Coralie Chevalier accomplit sa mission. J'indique au passage que les universités sont censées évaluer l'impact des stéréotypes de genre dans leur fonctionnement et l'efficience de leur politique d'égalité, mais qu'elles ne le font pas en pratique ; Coralie Chevalier s'est étonnée de cet état de fait, elle veut le faire évoluer, c'est aller dans la bonne direction.

Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Le rapport des inspections générales insiste sur la nécessité d'appliquer une politique de tolérance zéro à l'égard des propos sexistes, en particulier ceux visant les compétences ou la légitimité des filles. Quelles sont les sanctions possibles contre de tels comportements - que les auteurs soient des membres du personnel ou des élèves ?

La mesure de votre plan d'action qui a été la plus commentée est sans nul doute l'objectif de parvenir à un minimum de 30 % de filles en 2030 dans les classes préparatoires scientifiques. Quels retours pouvez-vous nous en faire à ce stade ?

Je m'associe à mes collègues pour exprimer ma satisfaction de votre engagement sur cette thématique des femmes et des sciences, elle nous tient beaucoup à cœur. Vous dites être sensible à la question du décrochage des filles dès la classe de CP. Les stéréotypes de genre ont des origines multifactorielles et se situent aussi au sein de l'environnement familial. De quelle manière envisagez-vous de sensibiliser les parents à ces questions de stéréotypes de genre, en particulier vis-à-vis des sciences ? Dans quelle mesure comptez-vous associer les collectivités territoriales dans le cadre de leurs compétences en matière d'accueil périscolaire et d'accompagnement de la petite enfance ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Les responsables de l'université d'Aix Marseille que nous avons auditionnés hier nous ont alerté sur le fait que les actions en faveur de l'égalité femmes-hommes à l'université étaient fondées sur le volontariat, elles ont souligné l'importance que ces actions deviennent obligatoires, pour que des changements se produisent véritablement. Votre plan ne porte pas sur l'université, mais que pensez-vous de cette idée d'obligation ?

Mme Dominique Vérien, présidente. - Il est certain qu'il est plus facile de lutter contre les biais une fois qu'on en a pris conscience. Quand on n'en est pas conscient, on dit facilement qu'on n'a pas de problème, et encore moins de temps, en conséquence, pour suivre une formation dont on ne voit pas l'objet - et c'est aussi de cette façon que l'on entretient les biais, c'est aussi pour cela que l'obligation est intéressante.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Je partage votre avis sur les modèles. Si l'on veut que des jeunes filles se projettent dans un modèle, il faut trouver des figures qui leur parlent, pas seulement leur montrer l'exemple de Marie Curie. C'est pourquoi il est intéressant que des jeunes filles en école d'ingénieurs, que des jeunes femmes ingénieurs, des jeunes chercheuses viennent leur parler. C'est ce que nous voulons faire, des associations travaillent dans ce sens, nous voulons fédérer les initiatives pour permettre à nos chefs d'établissement de répondre à l'obligation d'avoir systématiquement, devant chaque classe de la troisième à la terminale, des rencontres avec des femmes inspirantes et proches.

Je partage également votre avis sur la nécessité de sensibiliser tous les personnels - et d'explorer le champ de l'enseignement supérieur. La période de pré-rentrée scolaire et les deux premières semaines de la rentrée sont propices à des actions dirigées vers tous les personnels. Le rapport des deux inspections met en évidence les stéréotypes de genre à l'œuvre, des propos tenus, des annotations et des commentaires encore stéréotypés, il faut en être plus conscient dans la communauté éducative, donc sensibiliser dans ce sens.

Le plan maths va permettre à tous les professeurs du premier degré de se former de nouveau en mathématiques ; cela se fait dans ce qu'on appelle les constellations, en proximité, dans les établissements, une académie a montré l'utilité de ces formations. Je vous rejoins, Madame Darcos, nous recrutons des professeurs des écoles au niveau Master 2 qui n'ont pas fait de maths depuis des années, nous recrutons beaucoup de femmes qui ont fait des études littéraires et qui n'aiment pas forcément les mathématiques ; il peut y avoir une tendance à ce que les jeunes femmes professeures projettent ce peu d'appétence pour les mathématiques, c'est pourquoi cette formation pluridisciplinaire, que nos professeurs suivront désormais, est vraiment importante. L'enjeu est aussi de redonner goût aux mathématiques à nos futurs professeurs pour qu'ils puissent transmettre ce goût à tous les élèves.

Faut-il réintroduire les mathématiques en terminale ? Nous ne l'avons pas prévu, mais j'ai annoncé qu'on allait introduire, dès la prochaine session du baccalauréat, une épreuve anticipée de mathématiques en classe de première. Cela donne le signal qu'on a bien deux évaluations nationales sur les matières fondamentales que sont le français et les mathématiques. Cela permettra aussi d'avoir une évaluation objective, en particulier dans Parcoursup, puisque les évaluations de spécialité se tiennent après les choix consignés dans Parcoursup.

Les réseaux sociaux ont un rôle massif, c'est un sujet majeur. Je ne vois pas d'autre explication à la montée du sexisme et du masculinisme à laquelle nous assistons. Lorsque j'étais en classe préparatoire scientifique, nous n'étions déjà pas beaucoup de filles - la proportion n'a malheureusement pas beaucoup progressé depuis -, mais je ne vivais pas cela comme le signe de ce que je n'y étais pas à ma place. Je pense que les théories masculinistes qui circulent aujourd'hui sur les réseaux sociaux, font que les jeunes filles, y compris des jeunes filles qui sont excellentes en sciences et en mathématiques, disent qu'elles ne vont pas dans certaines formations parce qu'elles ne s'y sentent pas à leur place.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Le seuil de tolérance à l'égard des commentaires de ce genre n'est pas le même aujourd'hui non plus. Lorsque j'étais en maths sup, j'avais de très bonnes notes en maths et à chaque fois, mes camarades - nous étions, je crois, trois filles dans une classe de trente - disaient que c'était parce que j'avais fait un sourire au professeur. Cela me mettait en colère et je me souviens d'une fois où j'avais une "colle" avec un répétiteur aveugle, j'avais alors dit à mes camarades qu'ils verraient bien que même avec un correcteur non-voyant, j'aurais une bonne note - mais ce correcteur m'avait lui-même, en me donnant une très bonne note, félicité pour mon sourire… On considérerait aujourd'hui que de tels propos sont sexistes et insupportables, mais à ce moment-là, c'était le quotidien, on n'avait pas le même seuil de tolérance.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - J'ai discuté de ce sujet avec Catherine Sueur, elle a une expérience similaire. Je pense que toutes les filles ne sont pas préparées à affronter ces stéréotypes et que, si l'on veut dépasser ce plafond de verre à 25 %, il faut aller chercher des filles qui pourraient être affectées par ces remarques sexistes et qui ne le seront pas parce qu'on aura changé les choses - bien des jeunes filles ont traversé nos classes préparatoires sans prêter attention à ces remarques, il faut, maintenant, que toutes les filles qui ont des talents en maths puissent aller en classe préparatoire : ce n'est pas aux jeunes filles de s'adapter aux remarques sexistes, c'est l'état d'esprit global qui doit changer.

Les classes à horaires aménagés maths et sciences seront expérimentées dans cinq académies qui sont déjà candidates - celles de Normandie, d'Amiens, de Nancy-Metz, de Bordeaux et de Martinique -, d'autres vont se porter candidates, les rectrices et recteurs veulent les implanter dans tous les territoires, dans les quartiers politiques de la ville, dans des territoires ruraux, dans des centres-villes, et avoir une couverture équilibrée du territoire.

Pour faire venir des scientifiques à l'école, il faut trouver des partenariats avec des institutions, cela peut être le Conservatoire national des arts et métiers, le laboratoire d'une université, il y a beaucoup de possibilités. L'association La main à la pâte est très intéressante, elle donne une autre approche des sciences, plus expérimentale, elle donne une idée de la recherche scientifique, elle ouvre d'autres horizons et une autre façon d'aborder les disciplines scientifiques. Je suis convaincue - La main à la pâte le démontre -, que cela peut conforter des choix d'orientation pour tous les élèves et en particulier pour les filles. L'association La main à la pâte a développé un grand réseau, avec des relais sur tout le territoire, c'est très important pour l'action, nous avons besoin d'un maillage du territoire et de passer immédiatement à l'échelle pour sensibiliser les jeunes et diffuser la culture scientifique et technique.

Dans un échange que j'ai eu avec des proviseurs et des professeurs de classes préparatoires, j'ai malheureusement encore entendu cette crainte qu'en ciblant une proportion de filles, on risquerait de faire baisser le niveau…

Mme Laure Darcos. - On nous a dit la même chose en politique…

Mme Dominique Vérien, présidente. - … alors que, je le dis haut et fort, cela a fait monter le niveau des conseils départementaux !

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Le niveau va monter si l'on augmente la proportion de filles. Aujourd'hui, des filles qui ont de meilleures notes sont admises mais elles renoncent, parce qu'elle ne se sentent pas à leur place. Pour atteindre la parité en classes scientifiques, il y a un enjeu de conviction au sein des établissements, il faut que les proviseurs et les professeurs poussent à ce que les filles ne se découragent pas - et il faut commencer par dire que si l'on veut faire monter le niveau, il faudra qu'il y ait plus de filles.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Le professeur de classe préparatoire mathématiques, physique et sciences de l'ingénieur (MPSI) au lycée du Parc, à Lyon, que nous avons entendu, nous a donné ces chiffres : sur Parcoursup, 31 % des candidats sont des filles, le haut du classement est féminin à 43 %, mais finalement, à la rentrée, les filles ne sont plus que 22 % des élèves de classes préparatoires scientifiques, parce que les autres sont parties.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - J'ai été très surprise de constater qu'effectivement, des jeunes filles renoncent à des filières scientifiques parce qu'elles les jugent trop masculines, avec l'idée que, de ce fait, elles n'y seraient pas à leur place - je vous l'ai dit, je fais le lien avec la vague masculiniste sur les réseaux sociaux. Il y a là un enjeu d'éducation, ce que nous allons aborder dans le cadre du programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS). Il faut apprendre à ne pas tenir des propos sexistes, alors que les réseaux sociaux en sont pleins ; il faut réapprendre le respect de l'autre, la tolérance, le respect des relations entre les filles et les garçons. Lorsque j'étais jeune fille, je n'avais pas l'idée d'éviter une école parce qu'il y avait une majorité de garçons, c'est pourtant le cas aujourd'hui, des jeunes filles renoncent à aller dans telle classe préparatoire parce qu'elles pensent y subir des remarques sexistes. Il faut casser ces barrières pour que les filles n'abandonnent pas la spécialité maths entre la première et la terminale, pour qu'elles choisissent leur orientation en fonction des matières qu'elles aiment - et qu'elles restent dans les filières qu'elles choisissent.

Mme Laure Darcos. - Elles demandent aussi des places en internat qui soient non mixtes, elles recherchent une bulle protectrice, dans l'entre soi, où elles se sentent en sécurité et entre elles.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - L'objectif d'au moins 30 % de filles dans chaque classe préparatoire est important. J'ai lancé le plan Filles et Maths depuis un lycée des Hauts-de-Seine où un véritable travail avait été fait par la cheffe d'établissement et par les professeurs - et où des filles disent qu'elles sont bien à leur place dans la filière scientifique. Tout l'enjeu, c'est que les filles se sentent à leur place dans ces formations scientifiques et mathématiques, cela suppose qu'elles ne soient pas isolées, on a besoin de passer un cap de présence féminine dans ces classes pour que les filles se sentent chez elles dans la classe préparatoire spécialité maths.

Il y a aussi un enjeu sur la famille, son rôle est très important dans les choix d'orientation. Nous allons ouvrir une nouvelle plateforme pour l'orientation, avec des ressources très claires pour les professeurs, pour les élèves et pour les familles. Je vais demander aussi que se tiennent des réunions professeurs-parents-élèves avant les conseils de classe, au deuxième trimestre, pour avoir cette discussion avec les familles sur l'orientation. Il y a un combat culturel à mener pour que la famille encourage, ou à tout le moins ne dissuade pas les filles d'aller vers les filières scientifiques, d'ingénieurs et numériques. J'entends aussi ce que vous dites sur l'intérêt d'avoir un travail avec les collectivités : cette continuité entre les activités scolaires et périscolaires est importante, nous devons y porter le même message.

Il faut prendre en compte également une évolution générale, qui ne va pas dans le bon sens : quand j'étais petite, les jouets étaient de toutes les couleurs, ils n'étaient pas soit roses, soit bleus - il faudra bien en discuter avec les fabricants des jouets, il y a beaucoup de stéréotypes à combattre ; Nicole Belloubet, ma prédécesseuse au poste de ministre de l'éducation nationale, avait signé une charte avec les éditeurs de manuels scolaires, nous allons suivre son application avec attention.

Quelles sanctions contre les comportements et les propos sexistes ? Il faut affirmer clairement que ces comportements donnent lieu à des procédures disciplinaires et que nous ne pouvons pas tolérer des comportements sexistes, ni de la part des élèves, ni de la part des enseignants.

Mme Dominique Vérien, présidente. - L'une de nos collègues nous a fait part d'une expérience personnelle qui illustre bien les stéréotypes de genre auxquels nous sommes confrontés. Dans la classe maternelle d'un de ses enfants, les dessins des filles et des garçons étaient séparés : il y a une bannette rose pour les dessins des filles et une bannette bleue pour les dessins des garçons… Les dessins des garçons et des filles sont séparés, les bannettes sont roses ou bleues - quand de tels stéréotypes apparaissent dès la maternelle, on voit qu'il y a un travail à faire sur la formation des professeurs des écoles…

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - C'est pour cela que nous avons prévu d'afficher une charte dans les salles des professeurs, pour alerter sur de petits gestes, ce sont de petites choses qui peuvent casser une ambition, il faut être attentif à ce qui peut apparaître comme des détails mais qui va ensuite déterminer le choix des jeunes, réduire leur ambition.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Cela fonctionne d'ailleurs dans les deux sens, des garçons sont dissuadés d'aller dans des filières considérées comme "féminines"…

Que pensez-vous de l'expérience menée par l'École normale supérieure, consistant à dispenser des cours non mixtes - la classe est mixte, mais certaines parties du cours peuvent être réservées aux filles ou aux garçons : cette approche vous parait-elle une piste pour favoriser la participation des filles ? On sait que dans un groupe mixte, si un homme commence à prendre la parole, aucune femme ne prendra la parole tant que tous les hommes n'auront pas eu leur tour ; à l'inverse, si c'est une femme qui commence, la parole se répartira de façon plus équitable. J'ai vérifié ce phénomène avec des classes de seconde et j'ai constaté qu'il était très compliqué de faire prendre la parole aux filles dans un contexte de classe mixte.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Je m'interroge, car je pense qu'il est essentiel de recréer une culture où chacun est capable de laisser la parole à l'autre. Les garçons lèvent davantage la main que les filles et si l'on n'y prend pas garde, on ne va interroger que des garçons ; mais on peut faire différemment, en sensibilisant les professeurs des écoles et les enseignants du secondaire ; je préfère apprendre à nos enseignants à être attentifs et à donner la parole aux filles malgré le fait que les garçons lèvent davantage la main, apprendre aux enseignants à rechercher davantage la parole des filles - parce qu'au fond, je préfère vivre dans une société où les espaces sont mixtes.

Mme Marie-Pierre Monier. - On nous a expliqué hier que les stéréotypes sont définitivement intégrés entre l'âge de quatre ans et dix ans. L'école primaire est donc cruciale, c'est là que cela commence - puis les stéréotypes sont figés, il faut donc les déconstruire dès le plus jeune âge.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - C'est un enseignement du rapport des deux inspections : avant d'entrer au CP, l'appétence des filles et des garçons pour les mathématiques est la même ; après un trimestre, ce n'est plus le cas - le combat démarre là.

Mme Dominique Vérien, présidente. - On nous a signalé que les tests d'évaluation en mathématiques à l'école primaire étaient eux-mêmes biaisés, parce qu'ils portent davantage sur la rapidité d'exécution de la tâche que sur les mathématiques ; or, la vitesse n'est pas gage de compréhension ni d'aptitude, ce n'est pas parce qu'on lit plus vite, qu'on lit mieux. Il y a aussi un travail à faire sur les tests d'évaluation.

Mme Marie-Pierre Monier. - Et on sait également que la pression du temps compte beaucoup dans les examens et concours, les filles y sont plus stressées, cela a encore à voir avec la vitesse, qui exclut davantage les filles.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Vous allez auditionner la semaine prochaine Laura Chaubard, la directrice de l'École Polytechnique, vous savez que l'année 2024 a été marquée par une baisse du nombre de filles admises au concours, c'est peut-être lié à l'une des épreuves, qui était longue et qui nécessitait une certaine rapidité. Or, l'intérêt du pays n'est pas nécessairement d'avoir des ingénieurs et des chercheurs rapides, nous avons surtout besoin qu'ils soient créatifs et imaginatifs.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour votre présence, nous suivrons avec grand intérêt l'application des mesures que vous prenez. L'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle fait partie intégrante de l'éducation à l'égalité entre filles et garçons ; je trouve intéressant votre souhait que les professeurs et les enseignants des écoles soient engagés sur ces sujets, ils vont y apprendre beaucoup de choses et ils regarderont peut-être leur pratique sous un jour différent.

Je vous remercie donc pour votre action en général et en particulier pour votre engagement en faveur de l'égalité entre les filles et les garçons.


Source https://www.senat.fr, le 20 juin 2025