Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à l'Assemblée nationale le 2 juillet 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Au cours de cette audition, la troisième en trois mois, je vous propose un tour d'horizon de ce que nous avons fait depuis le 20 mai dernier, date de notre dernière rencontre. Je me concentrerai sur les dossiers géographiques qui ont mobilisé l'essentiel de notre énergie, les trois sommets internationaux qui se sont tenus depuis notre précédente audition et les chantiers de transformation qui se poursuivent.

Je commencerai par la guerre entre Israël et l'Iran. Depuis l'attaque lancée le 13 juin par Israël contre les installations nucléaires et balistiques de l'Iran, notre priorité a été d'assurer la sécurité de nos ressortissants sur place. Tous nos moyens ont été mobilisés à cette fin et l'ensemble des services du ministère, dans la région et à Paris, ont accompli un travail remarquable pour accompagner le retour d'Israël et d'Iran de ceux de nos compatriotes qui en avaient fait la demande. Il a été répondu à quelque 12 000 appels téléphoniques depuis le début de la crise. Près d'un millier de nos ressortissants ont bénéficié de l'assistance de nos services pour rentrer en France par des vols affrétés entre Amman et Paris ou grâce à la mobilisation de vols militaires entre Tel Aviv et Chypre, ainsi que d'une aide lors des passages à la frontière, du côté arménien, turc, égyptien ou jordanien. J'ai une pensée particulière pour nos agents en poste à Tel-Aviv, Jérusalem et Téhéran. Ils exercent, dans des conditions éprouvantes et souvent dangereuses, une mission fondamentale au service de nos concitoyens. Certains ont été l'objet, sur les bancs de cette Assemblée, de critiques très injustes que nous ne pouvons tolérer.

Face à cette escalade inquiétante, nous avons contribué à faciliter le cessez-le-feu obtenu le 23 juin en faisant passer des messages par l'entremise de nos homologues américains, israéliens et iraniens. Le 20 juin, je me suis rendu à Genève avec les ministres des affaires étrangères allemand et britannique et la haute représentante de l'Union européenne pour y rencontrer le ministre des affaires étrangères iranien Abbas Araghchi et ouvrir ainsi la voie à des négociations pouvant conduire à un ces0sez-le-feu puis à la paix. Seul un accord diplomatique assorti d'un mécanisme de vérification crédible permettra de contraindre dans la durée le programme nucléaire iranien. C'est pourquoi nous poursuivons nos efforts diplomatiques en élargissant la discussion aux autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies également signataires de l'accord de 2015. Dans ce contexte, le Président de la République s'est entretenu hier avec Vladimir Poutine.

Le programme nucléaire iranien est une menace pour Israël. C'est aussi un danger pour la région et pour l'Europe, comme le sont l'appui militaire qu'apporte l'Iran à la Russie en lui fournissant des drones et des missiles, son soutien aux activités terroristes dans la région et la prise en otage de ressortissants européens, dont nos compatriotes Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus arbitrairement depuis plus de trois ans dans des conditions assimilables à de la torture. Comme vous, monsieur le président, j'ai une pensée pour eux et pour leurs familles. Le 23 juin, une frappe a visé l'enceinte de la prison d'Evin à Téhéran, où se trouvent nos ressortissants. Cette frappe les a mis en danger : c'est inacceptable. J'ai instantanément demandé de leurs nouvelles à mon homologue iranien et exigé leur libération immédiate. Nous avons reçu l'assurance que Cécile Kohler et Jacques Paris n'ont pas été blessés. J'ai exigé un accès consulaire pour que notre ambassade puisse s'assurer directement de leur état de santé et en rendre compte à leurs familles. Grâce à de très fortes pressions sur les autorités iraniennes, notre chargé d'affaires a pu leur rendre visite hier.

Le deuxième dossier géographique est celui du conflit israélo-palestinien. Vous l'avez rappelé, une conférence sur la mise en oeuvre de la solution à deux Etats, la seule qui puisse garantir aux Israéliens et aux Palestiniens leurs droits et leur sécurité, devait être organisée par la France et l'Arabie saoudite du 17 au 20 juin aux Nations unies. Elle a été reportée en raison de l'escalade des hostilités entre Israël et l'Iran mais une nouvelle date sera bientôt fixée. Nos objectifs n'ont pas varié : lancer une dynamique de reconnaissance collective de la Palestine, travailler à la normalisation des relations entre les pays arabes et musulmans et Israël, au renouvellement de la gouvernance palestinienne et à la prise en compte des besoins de sécurité d'Israël, à commencer par le désarmement du Hamas et son exclusion de la gouvernance future de Gaza.

Nous avons déjà obtenu des avancées significatives. Nous avons réuni à Paris, le 13 juin, une conférence de la société civile pour la solution à deux Etats avec de nombreux acteurs israéliens et palestiniens. De plus, dans une lettre adressée à la France et à l'Arabie saoudite, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a pris des engagements majeurs en vue de la conférence de New York.

Nous travaillons, dans le cadre de l'Union européenne, pour proposer une contribution à la surveillance et au suivi de la distribution de l'aide humanitaire à Gaza alors que le nouveau système militarisé institué il y a un mois par le gouvernement israélien a tourné au carnage, des centaines de personnes ayant perdu la vie et des milliers d'autres ayant été blessées lors des distributions alimentaires. Tout cela doit cesser.

Nous travaillons aussi pour renforcer la pression sur le gouvernement israélien. L'examen de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël a conclu au non-respect des dispositions relatives aux droits de l'homme figurant dans l'accord. Nous avons confié mandat à la haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Kaja Kallas d'obtenir des améliorations tangibles sans lesquelles nous demanderons que des mesures soient prises au Conseil des affaires étrangères du mois de juillet.

Le troisième dossier géographique qui appelle notre attention est celui de la guerre en Ukraine. Etant donné l'absence de volonté de Vladimir Poutine de mettre fin à la guerre, nous restons mobilisés au niveau européen pour accroître la pression sur la Russie et ses partenaires qui participent indirectement à son effort de guerre. Notre diplomatie s'est attachée à ce que le dernier train de sanctions, présenté le 10 juin par la Commission européenne, prévoie des mesures fortes et inédites sur le financement de l'effort de guerre russe, notamment un embargo sur le pétrole raffiné. Ces sanctions sont les plus lourdes prises depuis 2022. Certains de nos partenaires européens sont encore réticents à leur adoption mais nous nous efforçons de surmonter cet obstacle pour clore les négociations rapidement.

Parallèlement, nous renforçons notre soutien à l'Ukraine. La rencontre entre le premier ministre François Bayrou et son homologue ukrainien, Denis Chmyhal, le 3 juin, a renforcé nos liens. Une lettre d'intention a été signée : elle porte sur la coopération bilatérale dans le domaine des minerais critiques et la reconduction du fonds bilatéral pour la reconstruction de l'Ukraine. Sur un autre plan, le tribunal spécial pour le crime d'agression de la Russie contre l'Ukraine, à la création duquel nous avons beaucoup oeuvré, a vu le jour le 26 juin. Volodymyr Zelensky s'est rendu à Strasbourg pour la signature formelle de l'accord instituant ce tribunal au Conseil de l'Europe.

Le quatrième dossier important est celui de l'Arménie. Je salue l'importante délégation parlementaire qui m'a accompagné à Erevan, le 26 mai, pour rencontrer les autorités arméniennes et les assurer de notre soutien. Lors de ce déplacement, nous avons rendu hommage à l'amiral Louis Dartige du Fournet : en 1915, alors que faisait rage le génocide perpétré par le régime des Jeunes-Turcs, il a secouru 4 000 femmes, hommes et enfants arméniens qui trouvèrent en France une terre d'accueil. Cette figure historique compte beaucoup dans les relations qu'entretiennent les peuples arménien et français.

Enfin, l'Asie du Sud-Est nous a beaucoup occupés. À la fin du mois de mai, le Président de la République a effectué une importante tournée dans la région auprès de nos partenaires stratégiques que sont le Vietnam, l'Indonésie et Singapour. Au cours de ce voyage ont été signés des accords et des contrats aux retombées substantielles pour l'économie française : 26 milliards d'euros en tout, qui concernent la recherche et l'innovation, l'énergie nucléaire, les satellites, la défense, la culture, la sécurité alimentaire. Premier dirigeant européen invité au dialogue de Shangri-La, principal forum géopolitique en Asie, le Président de la République a appelé les acteurs de la région à une coalition d'indépendance stratégique entre l'Union européenne et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, l'ASEAN. Le président de l'Indonésie, Prabowo Subianto, sera l'invité d'honneur du Président de la République le 14 juillet et un contingent de l'armée indonésienne participera au défilé.

J'en viens aux sommets internationaux, et pour commencer à la 3e Conférence des Nations unies sur l'océan (UNOC 3), que la France a accueillie à Nice du 9 au 13 juin derniers et à laquelle certains d'entre vous avez participé. Nous l'avons coprésidée avec le Costa Rica. Ce fut la plus grande manifestation jamais organisée sur la préservation de l'océan et un grand succès diplomatique et populaire avec plus de 100 000 participants ; la précédente Conférence avait réuni 7 000 personnes à Lisbonne. Des avancées tangibles ont été obtenues sur la lutte contre la pollution plastique, avec le lancement d'un appel - signé par plus de 90 pays - à l'élaboration d'un traité ambitieux et contraignant, sur la biodiversité, 10% de l'océan étant désormais protégé grâce notamment à la création de la plus grande aire marine protégée en Polynésie française, sur la protection des grands fonds, puisque la coalition contre l'exploitation minière des grands fonds s'est élargie à 37 pays, et avec enfin l'annonce de l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2026, de l'accord des Nations unies sur la haute mer, dit "BBNJ" - avoir réuni 55 des 60 ratifications nécessaires est un tour de force pour un traité signé il y a deux ans.

Du sommet de l'OTAN qui s'est tenu à La Haye les 24 et 25 juin derniers, l'histoire retiendra moins les SMS (Short Message Services) envoyés par le secrétaire général de l'Alliance à Donald Trump que le sursaut inédit des Européens face à la menace russe, puisque nous avons collectivement décidé de relever le niveau de notre défense avec l'objectif de consacrer 5 % de notre richesse nationale aux dépenses militaires directes ou indirectes d'ici 2035 pour ne pas apparaître comme des proies face à la menace qui s'est considérablement développée ces dernières années sur le flanc oriental de l'Europe.

Enfin, un troisième "sommet" - même si cette terminologie n'est pas la plus adéquate - a eu lieu à travers le Conseil européen qui s'est réuni il y a quelques jours à Bruxelles, auquel le Président de la République a participé. Y ont notamment été évoqués les droits de douane américains. Sur ce sujet, nous voulons un accord commercial rapide avec les Etats-Unis d'Amérique mais ce doit être un accord équitable, qui ne remette pas en cause notre autonomie décisionnelle et réglementaire. Si les Etats-Unis continuent de nous imposer des droits de douane de 10 %, nous devrons adopter le principe d'une taxation équilibrant le rapport de forces ; il en va de notre crédibilité. L'Europe ne doit ni ne peut accepter une asymétrie. Nous sommes des partenaires, non des vassaux. "Il n'y a pas de vassalisation heureuse" a déclaré le président de la République italienne, Sergio Mattarella, il y a quelques mois ; pour la France, il ne saurait y avoir de vassalisation tout court.

J'en viens à l'avancement des trois chantiers, déjà évoqués devant vous, de transformation du ministère.

Il s'agit d'abord de développer au Quai d'Orsay, qui porte la voix de la France, une force de frappe informationnelle, alors que l'environnement s'est considérablement durci. Le 16 juin, j'ai réuni tous les conseillers de presse et de communication pour leur dire ma forte ambition à ce sujet et leur présenter les outils que nous avons mis au point pour leur faire gagner en efficacité. Nous avons lancé la réorganisation des services pour développer une capacité de veille et d'alerte, créé dix postes dans les zones à la frontière de la guerre informationnelle, là où la pression de la propagande anti-française est la plus forte, et cinq postes dans des hubs régionaux pour la veille et la stratégie. Notre objectif est que la France soit perçue pour ce qu'elle est : un partenaire privilégié respectant la souveraineté de ses partenaires ainsi que le droit international et privilégiant la coopération pour la résolution des enjeux mondiaux. C'est cette image qui correspond à l'action de la France à l'étranger que nous avons le devoir collectif de projeter dans le monde. Je sais pouvoir compter sur la diplomatie parlementaire pour y parvenir et vous voyez que nous nous dotons d'outils puissants pour contrer les tentatives de ceux qui voudraient renvoyer une autre image de la France.

J'ai aussi lancé il y a quelques mois l'évaluation précise de notre impact pour les Français. Une équipe d'une trentaine de volontaires s'est constituée pour définir des indicateurs que j'ai présentés à la commission des finances de l'Assemblée nationale le 21 mai dernier dans le cadre du printemps de l'évaluation. Ils montrent les réalisations tangibles du ministère, dont je mentionnerai quelques exemples, au service de nos compatriotes. En 2024, 509 000 documents d'identité et actes d'état civil ont été délivrés par le réseau consulaire, ce qui fait du Quai d'Orsay la première mairie de France ; nos agents ont rédigé 30 000 notes diplomatiques, 21 000 entreprises ont été accompagnées à l'export, 122 000 élèves français accueillis dans les établissements de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et un millier de personnes environ ont été mises en sécurité lors d'opérations d'évacuation ou de rapatriement.

J'ai récemment décidé d'adapter les plans d'action de nos ambassades pour faire mieux ressortir les missions du ministère et l'impact de notre action au service des Français. Je lancerai demain la réserve diplomatique dont la création avait été annoncée par le Président de la République lors des états généraux de la diplomatie : elle dotera le ministère d'un vivier de talents qui concourront à nos missions.

Le lien est ainsi fait avec notre troisième chantier : tourner toujours plus le ministère vers les Françaises et les Français. À cette fin, outre que nous avons lancé la réserve diplomatique, nous avons créé il y a quelques jours le label Patrimoine de la diplomatie, visant à situer et mettre en valeur les lieux associés, partout en France, à l'histoire de notre diplomatie. Nous avons choisi une démarche participative en appelant nos compatriotes à se manifester pour proposer des sites remarquables à cette labellisation.

Je vous remercie pour l'alerte relative aux crédits de la francophonie. Vous savez l'exercice demandé par le premier ministre à l'ensemble des ministères cette année, comme ce fut le cas l'année dernière. Je sais être en compagnie de parlementaires convaincus de l'importance vitale des crédits du ministère en charge des affaires étrangères. Alors que s'annonce un effort budgétaire très marqué, j'invite chacun de vous à faire connaître, en fonction de ses priorités, la nécessité de préserver ce ministère, voire davantage : de continuer son réarmement à un moment où nous avons besoin de toujours plus de diplomatie.

(...)

R - Nous avons fait des démarches au sujet de ce texte qui risque en effet d'entraver la capacité des ONG d'agir au bénéfice de la population civile.

Nous avons soutenu l'initiative prise par les Pays-Bas demandant à l'Union européenne de déterminer si le gouvernement israélien respecte l'article 2 de l'accord d'association Union européenne-Israël. La Commission européenne s'est saisie de la question et nous avons eu des échanges avec la haute représentante sur le constat qu'elle a dressé et les suites à y donner. Il appartient au gouvernement israélien de démontrer sans délai vouloir se mettre en conformité avec l'article 2.

Des décisions immédiates peuvent être prises : le versement des sommes dues à l'Autorité palestinienne ; la réouverture de l'accès de l'aide humanitaire à Gaza pour faire parvenir à la population, qui en a tant besoin, les stocks accumulés aux frontières ; la cessation définitive de tout soutien à la colonisation en Cisjordanie et aux colons extrémistes et violents. Le représentant spécial de l'Union européenne pour le processus de paix au Proche-Orient est actuellement dans la région pour faire passer ces messages.

Les chefs d'État et de gouvernement ont pris acte du constat dressé par la Commission européenne de la violation par Israël de ses obligations. Ils ont appelé les ministres des affaires étrangères à en tirer les conclusions lors du Conseil du 15 juillet prochain et nous multiplions les échanges à ce sujet. Les débats à venir à l'Assemblée nationale nourriront ces réflexions. Je vous prie d'excuser l'absence de participation des services du ministère à vos travaux préparatoires ; à mon avis, elle est due à des questions logistiques plutôt qu'à une volonté politique. Ayant soutenu la démarche de la Commission européenne, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas répondre à vos questions sur ce point.

(...)

R - Je vous félicite d'avoir organisé ce colloque portant sur l'une des crises les plus graves de l'époque. Elle a fait des millions de victimes - morts, blessés, personnes déplacées - et continue de provoquer une crise humanitaire extrêmement préoccupante. L'accord de paix conclu le 27 juin à Washington, parce qu'il témoigne de l'implication directe des États-Unis d'Amérique, est une étape importante mais l'accord est fragile car l'offensive du M23 soutenue par le Rwanda semble pouvoir reprendre. L'accord trouvé n'est pas présenté comme l'aboutissement d'un processus de paix, dont nous considérons qu'il doit être aussi pris en charge par les organisations régionales, l'Union africaine, la Communauté d'Afrique de l'Est et la Communauté de développement d'Afrique australe.

L'Europe a joué un rôle important depuis le début de cette crise en multipliant les contacts avec les parties prenantes, en condamnant les violations du droit international et en apportant une aide humanitaire. Le Président de la République, qui a multiplié les échanges avec les présidents Tshisekedi et Kagamé et avec tous les chefs d'État et de gouvernement impliqués dans la résolution de cette crise, nous a demandé de définir comment nous pourrions ouvrir un chemin vers une paix durable dans cette région. Cela passerait par la résolution de la crise humanitaire puis par le traitement des causes lointaines de ce conflit, qui touchent aux questions de citoyenneté aussi bien qu'à la coopération économique.

(...)

R - Même s'il est difficile d'avoir le bilan exhaustif de ces opérations militaires, les frappes ont certainement endommagé les infrastructures et retardé le programme nucléaire iranien mais elles n'empêchent nullement l'Iran de reconstruire un programme nucléaire qui représente un danger pour Israël, pour la région et pour nous-mêmes. Seule une solution négociée peut écarter durablement le danger que représentent le programme nucléaire, la conception et le développement de missiles, les activités de déstabilisation régionale de l'Iran, et éviter que l'Iran se lance dans une fuite en avant comme pourraient le laisser penser les déclarations annonçant la fin de la coopération avec l'AIEA ou la menace d'une sortie du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Depuis longtemps, et singulièrement depuis deux semaines, nous sommes mobilisés pour faire valoir et crédibiliser le règlement diplomatique du problème. Nous avons commencé à le faire à Genève, le 20 juin dernier, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, États avec lesquels nous formons le triangle qui était il y a dix ans en première ligne des efforts de négociation du JCPoA. Au cours de l'escalade militaire, nous avons poursuivi les contacts avec l'AIEA, les États-Unis, Israël et l'Iran. Vous l'avez constaté hier, ces contacts s'élargissent désormais aux autres membres permanents du Conseil de sécurité. Ils sont, d'une certaine manière, les gardiens du TNP et aussi signataires du JCPoA, et nous devons nous accorder avec eux pour parvenir à un règlement ou à un encadrement strict et durable de ces activités iraniennes.

Les négociateurs de l'accord de Vienne ont prévu que chacun des signataires - dont la France fait partie - puisse, si les autorités iraniennes contrevenaient à leurs engagements, réimposer les sanctions levées en contrepartie de l'engagement pris par l'Iran de respecter les obligations relatives à son programme nucléaire. C'est dire que, dans la discussion qui s'ouvre, à laquelle de nombreux partenaires sont prêts à participer - dont bien sûr l'Iran, Israël et les États-Unis -, nous apportons notre expérience, notre compétence et notre constance mais aussi que nous avons un levier : la possibilité d'appliquer à nouveau les embargos levés en 2015.

(...)

R - Je l'ai dit hier, en regrettant vivement la condamnation en appel de Boualem Sansal qui confirme la peine prononcée en première instance ainsi que la condamnation en première instance de Christophe Gleizes et en rappelant la mobilisation des services diplomatiques et consulaires aux côtés de nos deux compatriotes : ce sont désormais les autorités algériennes qu'il faut interroger. Elles ont le choix, dont elles doivent se saisir sans délai, de respecter la dignité et l'humanité, notamment en permettant la libération de notre compatriote Boualem Sansal au regard de son état de santé et de son âge.

(...)

R - Lorsque j'ai indiqué la disponibilité de la France et de l'Union européenne à concourir à la sécurité de la distribution alimentaire à Gaza, c'était évidemment pour que d'autres manières de faire se substituent à la solution meurtrière actuelle, afin de mettre un terme au scandale qui se déroule sous nos yeux.

L'accord de Vienne était un excellent accord. Après qu'il a été signé, les quantités d'uranium enrichi, les capacités d'enrichissement d'uranium et tous les indicateurs mesurés par l'AIEA relatifs au programme nucléaire iranien ont baissé jusqu'à ce que, trois ans plus tard, les États-Unis retirent leur signature, limitant ce faisant le caractère incitatif de la levée des sanctions acceptée par les négociateurs. Si nous voulons un aussi bon accord, nous devrons parvenir à réunir autour d'une table les signataires de l'accord de Vienne, les membres permanents du Conseil de sécurité, États-Unis compris, puisqu'ils peuvent jouer un rôle très incitatif selon qu'ils appliquent à nouveau ou qu'ils lèvent les sanctions.

Je prends note de vos remarques sur les prisonniers politiques au Sahara occidental. Nous avons déjà évoqué cette question ensemble et vous savez que nous attendons maintenant du Maroc qu'il détaille son plan d'autonomie, qui a vocation à être discuté dans le cadre des Nations unies.

Nous sommes toujours déterminés à reconnaître l'État de Palestine mais le Président de la République veut préserver une solution politique : la solution à deux Etats, aujourd'hui fragilisée par la colonisation de la Cisjordanie qui menace la continuité territoriale du territoire qu'administrerait l'État de Palestine, par les destructions à Gaza et par une forme de résignation des parties prenantes. Pendant notre préparation déterminée de la conférence de New York, nous nous sommes attachés à convaincre certains partenaires européens ou occidentaux de l'intérêt de prendre cette décision, à convaincre le président de l'Autorité palestinienne - qui a répondu à nos demandes - de prendre des engagements démontrant sa volonté de contribuer à construire cette solution politique, à amener les pays arabes et musulmans, notamment ceux de la région, à prendre eux aussi des engagements concernant la sécurité d'Israël. Une dynamique a été lancée, elle est inarrêtable et je travaille avec mon équipe à trouver au plus vite une date pour que la conférence se tienne et que les décisions soient prises.

(...)

R - Si ces questions vous préoccupent, légitimement, je vous invite à soutenir l'action internationale de la France lorsque nous prenons contact avec les autorités intérimaires de la Syrie après la chute du régime de Bachar al-Assad, puisque, il y a dix ans, la Syrie a été le premier foyer de départ de demandeurs d'asile et de réfugiés après la répression de la révolution dans le sang. Je n'ai pas entendu beaucoup de soutien de vos rangs lorsque nous sommes allés engager les autorités syriennes à agir, bien au contraire.

De la même manière, pourquoi n'avez-vous pas soutenu le Pacte européen sur la migration et l'asile alors que, tirant justement les leçons de dix ans d'impuissance publique sur ces questions, l'Europe se dotait enfin d'un cadre permettant de traiter ces questions de manière pragmatique ? Parce que ce pacte que vous n'avez pas soutenu ne suffit pas, nous travaillons à réviser la directive relative aux retours des personnes en situation irrégulière et aussi à renforcer le levier européen "visa-réadmission" liant l'octroi de visas à la coopération d'un Etat tiers en matière de réadmission de ses ressortissants. En effet, chacun l'a constaté, ce levier activé au niveau national ne fonctionne pas parce qu'il existe toujours des voies de contournement.

(...)

R - Je le comprends mais que vous dire ? Le ministère des affaires étrangères, ministère régalien, mérite, dans la période que nous traversons, d'être réarmé. Or, lors des discussions budgétaires, beaucoup plus d'amendements visent des réductions de crédits pour ce ministère que pour d'autres ministères régaliens. Je vous invite instamment à soutenir le budget du Quai d'Orsay car, en en examinant chaque ligne, je constate à quel point, étant donné les efforts que nous avons faits l'année dernière déjà, tout nouvel effort qui nous est demandé nous conduit à des sacrifices.

S'agissant des crédits de la francophonie, nous avons mobilisé l'année dernière 12 millions d'euros en appui du sommet de Villers-Cotterêts. Cet argent est déjà engagé, pour une grande partie au bénéfice de projets mis en oeuvre par l'AUF. Nous travaillons en étroite concertation avec le recteur de l'agence pour définir ensemble des pistes de diversification des ressources qui rendront cette organisation plus solide à moyen et long termes. Plus généralement, nous essayons de trouver des solutions mais le contexte est extrêmement contraint. Je vous invite à nous aider à desserrer cette contrainte.

La rencontre des sociétés civiles à laquelle vous avez participé a été un temps majeur de dialogue entre deux peuples que tout oppose aujourd'hui dans la poursuite d'une guerre qui a fait tant de victimes de chaque côté. La capacité des sociétés civiles à montrer le chemin vers une solution politique et vers la paix est essentielle. Nous ne renonçons ni à notre objectif de reconnaissance de l'Etat de Palestine ni à la tenue de la conférence et nous allons veiller avec le pays coorganisateur à trouver la date la plus proche possible pour sa tenue.

S'agissant de "la marginalisation" ou de "l'affaiblissement" de la France, mieux vaudrait d'abord en finir avec l'autoflagellation. Tout le monde le sait, tout le monde le voit : la France a, la première, mobilisé la communauté internationale pour Gaza le 9 novembre 2023, pour le Liban l'année dernière avec une conférence internationale, pour la Syrie, pour le Soudan. On nous dit : "Tout cela c'est l'humanitaire et l'humanitaire, c'est moins important" ; non, l'action humanitaire est très importante ! Des dizaines de millions de personnes déplacées dans le monde souffrent de sous-alimentation et risquent la famine ; la responsabilité de la France est aussi d'apporter une réponse à cette détresse. Pour autant, notre action ne se limite pas à cela et, au Liban comme pour l'Iran aujourd'hui, la France a, la première, ouvert la voie à des négociations permettant d'entrevoir les conditions d'une paix durable.

Mais il faut aussi admettre qu'une évolution s'est produite depuis que la Charte des Nations unies a été signée il y a quatre-vingts ans : d'autres grandes puissances ont émergé avec lesquelles nous devons composer. Cela ne signifie pas qu'il faille se résigner à l'inaction mais que le poids de la France à l'étranger dépend de sa force intérieure, de notre force militaire pour dissuader les menaces, de notre force économique pour n'avoir pas à dépendre des autres, de notre force morale pour réaffirmer nos valeurs. C'est pourquoi les discussions sur les retraites et les discussions budgétaires participent de la force de notre action internationale ; en réalité, elles la conditionnent.

(...)

R - Je suis d'accord avec vous : nous ne sommes pas à la bonne échelle, même si nous avons des exemples réussis de ripostes dont la viralité a été supérieure à celle des fausses nouvelles que nos adversaires tentaient de propager. C'est pourquoi je m'emploie à doter le Quai d'Orsay d'une force de frappe informationnelle en mobilisant des outils nouveaux pour permettre à tous les agents du ministère impliqués dans le travail de presse et de communication de se concentrer sur l'affirmation et la riposte, de manière que nos messages soient entendus et que l'image de la France ne soit pas abîmée.

(...)

R - La France sera-t-elle forte et indépendante ? Peut-être, si vous votez le budget à l'automne. (...) Notre volonté de non-alignement est inchangée mais le monde n'est plus celui qui était né sur les ruines de la seconde guerre mondiale. Des puissances nouvelles ont émergé, le président des États-Unis d'Amérique a sa propre vision des équilibres de la planète et l'on peut avoir le sentiment que nous avons une prise moindre sur le cours des choses que ce n'était le cas par le passé. C'est sans doute vrai, puisque face à nous se dressent de nouvelles grandes puissances.

Devons-nous nous résigner, accepter de peser moins sur le destin du monde, ou pouvons-nous conserver ce qui a fait la force, l'indépendance de la France et sa capacité à peser sur les événements ? Le poids de la France à l'étranger dépend directement de sa force intérieure et de celle de l'Europe et le Président de la République a l'ambition, pour la France et pour l'Europe, de nous renforcer, de nous rendre moins dépendants des pays tiers pour pouvoir continuer d'être acteurs du destin du monde.

Par force intérieure, j'entends force militaire, c'est-à-dire la capacité à dissuader les menaces pour n'avoir pas à transiger sur l'essentiel, force économique, pour n'être plus dépendants d'autres régions du monde qui pourraient peser sur nos décisions, force politique aussi, parce que notre unité nous permet également de faire rayonner nos idées et de mieux défendre nos intérêts et nos valeurs à l'échelle internationale. Cette force intérieure ne se décrète pas ni ne tombe du ciel, elle se construit. C'est pourquoi j'ai lié tout à l'heure notre capacité d'action internationale aux débats difficiles sur notre modèle social et sur les finances publiques car nous devons retrouver des marges de manoeuvre. Tout cela concourt, directement ou indirectement, au poids que nous pouvons avoir dans cette période de reconfiguration mondiale.

(...)

R - Cultiver le dialogue avec les sociétés civiles est un effort collectif. Certains de vous le font en étant en contact avec les diasporas ou avec des représentants des sociétés civiles de ces pays et j'ai souhaité que nous accentuions nos efforts en ce sens.

Nous avons ainsi organisé à Marseille le Forum Ancrages, consacré aux talents des diasporas africaines dont les diasporas sahéliennes. À l'occasion du salon VivaTech, nous avons pour la première fois reçu une délégation d'entrepreneurs africains au ministère des affaires étrangères. Lors de la Fête de la musique, nous avons ouvert les portes du Quai d'Orsay aux talents des diasporas africaines. J'ai moi-même pris contact, ces dernières semaines, avec les principaux représentants des grandes diasporas africaines, dont les diasporas sahéliennes.

Nous souhaitons nourrir ces liens pour que la relation, aujourd'hui plus difficile, avec les autorités de ces pays soit refondée quand les circonstances le permettront.

(...)

R - Je vous suggère de demander à des représentants des autorités israéliennes leur avis sur le rôle de la France, en première ligne pour défendre Israël contre la menace existentielle qu'est le programme nucléaire iranien. Aucun interlocuteur autre que la France n'est aussi respecté par le gouvernement israélien pour ses positions à ce sujet.

Nous ne nous sommes pas levés pour applaudir les frappes, parce qu'elles n'étaient pas conformes au droit international et aussi parce que, si elles ont sans doute endommagé et retardé le programme nucléaire iranien, nous n'avons pas connaissance d'autre moyen dans l'histoire récente que l'accord trouvé il y a dix ans pour obtenir un vrai retour en arrière, une contrainte réelle de la capacité d'enrichissement et des stocks d'uranium enrichi du régime iranien. Notre crédibilité est entière : parce que nous sommes respectés par Israël en raison de notre constance et de notre fermeté à ce sujet et parce que notre position sur le respect du droit international est très nette, nous occupons en quelque sorte une place centrale.

Si, ces derniers jours, les États-Unis ont fait passer des messages à l'Iran et l'Iran aux États-Unis par l'intermédiaire du Président de la République et par le mien, c'est sans doute précisément parce que notre position est celle-là et qu'elle n'a jamais varié : respect des engagements pris et du droit international, respect nécessaire et indispensable par l'Iran de ses obligations aux termes du TNP, respect du droit international par les États-Unis et d'autres.

(...)

R - Madame Engrand, je partage vos préoccupations sur la sécurité énergétique et la résilience de nos infrastructures numériques. Je l'ai dit : notre force intérieure nous permet aussi d'avoir du poids à l'extérieur. Ces nouvelles menaces, qui sont un peu sous le seuil de la militarisation - et donc de la guerre -, seront prises en compte dans la revue nationale stratégique très bientôt présentée, qui dressera la liste des mesures à prendre pour que la France puisse s'en prémunir. Pour ce qui concerne mon ministère, on en revient à mes remarques précédentes sur la lutte contre les attaques informationnelles dont notre pays fait l'objet, notamment en Afrique.

Madame Got, j'ai indiqué que nous avons obtenu lors de l'UNOC 3 le lancement d'un appel signé par plus de 90 pays en faveur d'un traité ambitieux et contraignant sur la lutte contre la pollution plastique, à quelques jours des négociations qui auront lieu à Genève sur le traité contre la pollution au plastique. Ces questions ont été évoquées, même si elles n'étaient pas le point central des discussions, lors de la réunion des chefs d'État et de gouvernement sur la Méditerranée connectée. S'agissant spécifiquement du Plan bleu, je ne peux vous apporter de réponse précise ce matin mais j'y reviendrai très rapidement.

Madame Robert-Dehault, je ne méprise en rien le Parlement. Consultez les archives du Quai d'Orsay : je ne crois pas qu'autant de parlementaires qu'aujourd'hui y aient jamais été reçus dans l'histoire récente. Parlementaire moi-même, je suis très attaché au contrôle de l'action du gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques que le Parlement conduit aux termes de l'article 24 de la Constitution. Je souhaite donc que ce contrat d'objectifs et de moyens puisse être publié au plus vite et que la commission d'évaluation de l'aide publique au développement soit enfin installée. Pour cette dernière, cela sera vraisemblablement le cas dès le mois de septembre. J'ai fait appel à des volontaires pour que des hommes et des femmes de bonne volonté de toutes les directions du ministère nous aident à définir les indicateurs nous permettant de vous rendre compte concrètement de notre action.

M'étant posé la même question que vous au sujet de l'aide au développement au bénéfice de l'Algérie, j'ai vérifié ce qu'il en était pour le Quai d'Orsay. J'ai constaté que la part des crédits du programme n° 209 Solidarité avec les pays en développement allant à l'Algérie est résiduelle : de l'ordre d'une demi-poignée de millions pour les années récentes. L'essentiel de cette aide, entendue au sens de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), couvre le montant de bourses qui sont du ressort du ministère de l'éducation nationale.

(...)

Monsieur Taché, nous suivons bien entendu la situation au Togo en lien avec notre ambassade. Nous avons pris acte de la transition constitutionnelle vers la Ve République togolaise, qui s'est achevée le 3 mai 2025. Nous appelons l'ensemble des acteurs politiques à un dialogue transparent, inclusif et apaisé. Nous rappelons notre attachement indéfectible à la liberté de manifestation et à la liberté de la presse que nous défendons partout dans le monde et nous appelons les autorités togolaises à faire toute la lumière sur les allégations de torture.

Monsieur Rambaud, je l'ai dit tout à l'heure, après les décisions injustifiées et incompréhensibles prises par l'autorité judiciaire algérienne de confirmer en appel la peine de cinq ans d'emprisonnement de notre compatriote Boualem Sansal et de condamner notre compatriote Christophe Gleizes à la très lourde peine de sept ans de prison, les autorités algériennes doivent au plus vite faire le choix de la responsabilité, du respect et de l'humanité, s'agissant notamment de notre compatriote Boualem Sansal, au regard du temps qu'il a déjà passé en détention, de son état de santé et de son âge.

Madame Cathala, nous n'avons aucune obligation d'interdire notre espace aérien ni évidemment de procéder à l'interpellation d'un individu sous mandat de la CPI. Cette question est distincte de celle des éventuelles immunités dont nous avons débattu et qui sera tranchée par l'autorité judiciaire le cas échéant. Par ailleurs, nous suivrons les procédures que l'autorité judiciaire française, saisie par des associations, engagera éventuellement au sujet de soldats franco-israéliens, en respectant évidemment son indépendance.

(Mme Gabrielle Cathala - Vous autoriserez donc M. Netanyahou à pénétrer dans notre espace aérien la semaine prochaine, si nécessaire ?)

R - Nous n'avons reçu de demande à ce sujet ni de la Cour pénale internationale ni des autorités israéliennes.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juillet 2025