Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, sur le thème "Remise en cause du droit de l'environnement et de la parole scientifique : quelles conséquences face à l'urgence écologique ? ", à l' Assemblée nationale le 30 juin 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Agnès Pannier-Runacher - Ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Circonstance : Débat sur le thème : " Remise en cause du droit de l'environnement et de la parole scientifique : quelles conséquences face à l'urgence écologique ? "

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " Remise en cause du droit de l'environnement et de la parole scientifique : quelles conséquences face à l'urgence écologique ? "
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat, proposé par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire, en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence des personnalités invitées, d'une durée d'une heure, qui donnera lieu à une séquence de questions-réponses ; puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

(…)

La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Je vous remercie de m'accueillir afin de débattre de la remise en cause du droit de l'environnement et de la parole scientifique. Cela me donne l'occasion de revenir sur un certain nombre de choses inacceptables qui se déroulent depuis quelques mois, si ce n'est années, dans le monde entier –? y compris en France.

Il y a des vents contraires. Oui, les dernières semaines ont été difficiles pour l'écologie. Les guerres qui se déclarent partout dans le monde éclipsent, dans les médias et dans l'opinion publique, les chantiers de fond que nous menons. Les leaders de certains pays préfèrent s'illustrer sur le théâtre des opérations militaires plutôt que sur celui du progrès des nations, notamment écologique.

Certains opposent économie et écologie, alors que 80% des emplois en France dépendent d'une nature préservée –? statistique calculée non pas par une ONG militante, mais par la direction générale du Trésor.

Quand bien même les États-Unis se sont retirés de l'accord de Paris, ils continuent d'investir massivement dans les filières vertes, car elles font partie des secteurs les plus porteurs en matière de croissance économique et de compétitivité. Il en va de même pour la Chine, qui l'a bien compris. En France, les industries vertes croissent deux fois plus vite et créent deux fois plus d'emplois que les autres filières.

Parallèlement, les risques liés au changement climatique atteignent une intensité sans précédent –? il n'est pas besoin de subir une canicule pour s'en rendre compte. Dans un rapport publié en 2021, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) nous alertait sur le fait que le changement climatique constitue la plus grande menace sanitaire à laquelle l'humanité fait face. Par conséquent, une inquiétude forte s'installe dans la population : 74% des Français se sentent exposés et vulnérables à une dégradation de leur qualité de vie en raison du changement climatique, et ils ne sont que 30% à penser que l'avenir est encore entre nos mains, que nous avons toujours la possibilité de limiter le dérèglement climatique et de réduire les pollutions.

Pourtant, les solutions existent, que ce soit pour amortir le choc du dérèglement climatique, limiter l'impact de la pollution ou éviter l'effondrement de la biodiversité. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, le Conseil d'État a rappelé qu'avec une baisse de 20% en sept ans, les gouvernements successifs du président de la République ont fait bien mieux que leurs prédécesseurs en vingt-sept ans. Nous avons ainsi rattrapé le retard qu'ils avaient pris.
Les solutions existent, mais elles dérangent. Sortir des énergies fossiles, c'est sortir du gaz et du pétrole pour utiliser plus d'électricité. Cela dérange des pays, des entreprises et manifestement des partis politiques.

On me répondra que la transition coûte cher et que ce sont les plus vulnérables qui payent. Pourtant, quand on rénove thermiquement un logement, la facture baisse massivement. Dans le bassin minier où j'habite, le programme que nous avons engagé a permis une baisse de 40% des factures. Pourtant, une voiture électrique coûte bien moins cher à l'entretien qu'une voiture thermique. Pourtant, le coût de production des éoliennes marines installées en France est inférieur à 50 euros du mégawattheure –? c'est moins que le nucléaire historique et le nouveau nucléaire. Mais qui le dit ?

Dès lors que des solutions existent, il est essentiel de bâtir une écologie populaire qui protège les Françaises et les Français, que ce soit contre la canicule, comme aujourd'hui, ou contre les inondations, les incendies ou les pluies torrentielles demain. Cela exige de prendre des décisions fondées sur la science et de ne jamais céder à la posture et à l'émotion.

C'est ce que je fais en doublant les aires marines protégées (AMP) françaises à la faveur de la conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc), en faisant voter une proposition de loi équilibrée sur les substances per- ou polyfluoroalkylées (PFAS), en agissant au niveau européen et international pour faire reconnaître le nucléaire.

Dans ces combats, il est essentiel de s'appuyer sur la science : celle qui est attaquée aux États-Unis et qui vient trouver refuge en France à la faveur de l'appel du président de la République ; celle qui est menacée sur les réseaux sociaux et qui reçoit des menaces de mort quand elle nomme les problèmes ; surtout, celle qui cherche à réellement protéger notre avenir, pas à s'indigner en invoquant des données incomplètes ou fausses, comme malheureusement je le vois parfois. Je rends hommage à la détermination et au volontarisme des universités, dont l'action profite de l'élan donné par le président de la République. Je serai toujours à leurs côtés.

Le masque du déni ou celui de l'indignation de posture sont les deux faces de l'extrémisme. Face au backlash écologique, qui ajoute de l'inquiétude à l'inquiétude, le gouvernement agit pour la science. Beaucoup me diront que ce n'est pas suffisant, d'autres, que c'est trop.

Ces visions radicalement opposées de notre avenir, vous en êtes chaque jour les premiers témoins. Vous en êtes même plus que les témoins, puisqu'au Sénat comme à l'Assemblée nationale, les initiatives parlementaires visant à détricoter le code de l'environnement sont nombreuses, trop nombreuses. Il en a été ainsi de l'objectif zéro artificialisation nette, alors même que l'artificialisation est un facteur d'aggravation des catastrophes naturelles et qu'elle est à l'origine des îlots de chaleur dont nous subissons en ce moment les effets. Citons aussi le retour des néonicotinoïdes, la suppression des zones à faibles émissions, celle des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser) ou le moratoire sur les énergies renouvelables. Toutes ces décisions n'ont pas encore été définitivement confirmées, mais les débats qui ont conduit à les prendre témoignent de notre difficulté à combiner écologie et science ainsi qu'à agir.

Ce sont autant de mesures qui exposent davantage les Français aux risques. Que dire à ceux qui subissent la canicule ? Qu'elle est le fruit de leur imagination ? Que l'affirmation selon laquelle notre pays se réchauffe plus vite que la planète n'est qu'une vue de l'esprit ? C'est au contraire en me fondant sur la science que je défends un plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) fondé sur un scénario de réchauffement à + 4 oC en 2100. Voilà la science, elle ne peut guère être contestée.

Nous devons cependant rassurer les Français et leur montrer que nous avançons. Nous avons un bilan : une baisse de 20% des émissions de gaz à effet de serre en sept ans, une baisse de 31% de la pollution de l'air dans les plus grandes agglomérations, le doublement des moyens de l'écologie –? avec la création du fonds Vert et l'augmentation du fonds Barnier, avec le bonus écologique ou le leasing social pour l'achat d'un véhicule électrique, avec les certificats d'économie d'énergie (C2E) et le soutien de la Caisse des dépôts –, une planification écologique solide –? avec la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui est prête, le Pnacc, la stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat qui vient d'être adoptée à la quasi-unanimité par le Conseil national de la transition écologique (CNTE) ou encore la stratégie nationale bas-carbone qui sera présentée en septembre.

Si nous n'agissons pas maintenant, l'écart de compétitivité avec la Chine et les États-Unis ne fera que se creuser. La Chine a compris que la transition écologique était une opportunité économique. Elle ne subventionne pas massivement les véhicules électriques ou les panneaux solaires par philanthropie, mais par stratégie. L'Europe ne peut pas rester spectatrice.

Soyons stratèges, refusons la voie du fatalisme, écoutons la science. Ce serait une erreur historique que de reléguer au second plan la transition écologique. Il ne s'agit pas seulement de l'urgence climatique, mais aussi, selon vos valeurs, d'une question de souveraineté, d'indépendance, de pouvoir d'achat, et surtout de protection de nos concitoyens.

M. le président
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir.

Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP)
La France subit un épisode caniculaire intense : plus de 40o C par endroits, près de 200 écoles fermées cette semaine. Mercredi dernier, de violents orages ont fait deux morts, privé 100 000 foyers d'électricité et provoqué des inondations, comme à Paris où l'on a vu le niveau de l'eau monter en quelques minutes. Nous savons que ces événements vont se multiplier et que nous vivons la sixième extinction de masse, mille fois plus rapide que les précédentes. Or le constat est sans appel : nous ne sommes pas prêts.

Le Pnacc pour une France à + 4 oC, que vous avez présenté et qui ne s'appuie même pas sur le pire scénario envisagé par les scientifiques, n'est qu'une liste de mesurettes sans aucun moyen supplémentaire. Vous annonciez 600 millions d'euros, mais ce montant n'existe qu'au prix d'un fléchage dangereux de fonds déjà existants. Il est dangereux, parce que quand vous décidez de retirer 260 millions au fonds Vert, vous acceptez de financer l'adaptation au détriment de l'atténuation du changement climatique, laquelle devrait pourtant être la priorité.

Non seulement nous ne sommes pas prêts, mais en plus, le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 a validé le sacrifice des budgets dédiés à l'écologie. Comme si ça ne suffisait pas, se sont succédé ces dernières semaines dans l'hémicycle des textes d'inspiration trumpiste, proposés ou soutenus par le gouvernement avec la complicité de la droite et de l'extrême droite : projet de loi de simplification de la vie économique, loi Duplomb, loi destinée à valider l'A69, loi Gremillet… Toutes ont en commun de faire sauter les dernières digues en matière de droit de l'environnement. Elles poussent à toujours plus d'artificialisation et de pollution, au mépris de la nécessaire préservation de la biodiversité, de nos terres agricoles ou de la ressource en eau. Pour les citoyens, qui subissent une attaque en règle de leurs conditions de survie, elles réduisent les possibilités de débat démocratique et de recours juridique.

Ce matin, Le Monde titrait : " Une part grandissante du personnel politique semble entretenir un rapport toujours plus distendu à la réalité environnementale. " Le 19 juin, vous fustigiez " tous ceux qui veulent mettre le pied sur le frein de l'écologie " car ils " sont en train de nous envoyer dans le mur ". Vous disiez aussi que " chaque action compte, que chaque tonne de carbone économisée compte, qu'il faut essentiellement agir sur les transports et le bâtiment " au moment même où vous souteniez le projet de l'A69 et reculiez sur la rénovation thermique.

Exception faite d'une forme de dissonance cognitive, comment justifiez-vous un tel décalage entre vos propos et l'action politique de votre gouvernement, lequel nous envoie effectivement dans le mur ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je m'inscris en faux contre ce que vous avancez. La France insoumise n'est elle-même pas avare de votes contre des mesures écologiques : sur les ZFE, une question majeure d'écologie et de santé publique, vous n'étiez pas au rendez-vous il y a un mois.

S'agissant des budgets, les faits sont têtus : le fonds Vert, c'est nous qui l'avons créé en 2023, et ses crédits sont en augmentation. Nous avons doublé le budget global consacré à l'écologie : dans ce domaine, le PLF pour 2025 prévoit une augmentation de 600 millions par rapport à l'année précédente. Il serait donc utile à ceux qui nous écoutent que vous citiez les bons chiffres et que vous ne masquiez pas la vérité.

Vous critiquez l'action du gouvernement. Pourtant, il s'est exprimé contre la suppression des ZFE, contre la réintroduction de l'acétamipride ou encore contre le moratoire sur les énergies renouvelables, pour ne citer que ces trois exemples. Par ailleurs, le gouvernement ne tient pas des propos contraires à la science en prétendant par exemple que l'énergie nucléaire serait contre le climat ; au contraire, le nucléaire est un levier indispensable pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre –? les scientifiques le disent, notamment le Giec.

M. le président
La parole est à M. Nicolas Bonnet.

M. Nicolas Bonnet (EcoS)
Le changement climatique est indéniable : l'épisode caniculaire que nous subissons depuis plusieurs semaines, à cause duquel les habitants de plusieurs villes suffoquent sous des températures allant de 35 à 40 oC, ne fait que le confirmer, de même qu'on ne peut nier l'augmentation des problèmes de santé liés à la pollution, comme les cancers, ou la chute vertigineuse de la biodiversité. Nous ne pouvons plus refuser de voir ces problèmes sur lesquels les scientifiques tentent de nous alerter depuis plusieurs années.

Alors que la science nous invite à aller plus loin pour résoudre ces problèmes, nous sommes confrontés, depuis plusieurs mois, à un backlash écologique, à « un grand renoncement », comme dirait Valérie Masson-Delmotte. Je ne suis pas le seul à le dire. Au lieu d'avancer, nous allons de recul en recul, dont certains ont déjà été évoqués.

Il y a d'abord les attaques contre des agences de l'État, notamment l'Ademe ou l'OFB. Je ne dis pas qu'elles sont le fait du gouvernement, mais le socle commun –? alliance du bloc central et de la Droite républicaine – qui le soutient est à l'origine de certaines de ces attaques.

Il en va de même pour le détricotage du ZAN, qui a été réalisé grâce au projet de loi de simplification de la vie économique présenté par le gouvernement. Quant à la réintroduction des néonicotinoïdes grâce à la loi Duplomb, elle n'a peut-être pas été soutenue par le gouvernement, mais elle est en bonne voie d'être adoptée, y compris par le socle commun. Il y a aussi la suppression des ZFE ou le moratoire sur les énergies renouvelables qui, malgré le rejet final par l'Assemblée de la proposition de loi de programmation pour l'énergie et le climat, avait été adopté par une partie du socle commun.

Quant à la loi sur l'A69, sur laquelle je ne reviendrai pas en détail, on ne peut pas prétendre qu'elle aille dans le sens de la transition écologique, tout du moins si l'on en croit le Haut Conseil pour le climat (HCC). Enfin, il y a la suspension de MaPrimeRénov' qui, je l'espère, sera rapidement rétablie.

Compte tenu de tous ces reculs, alors même que la science nous incite à aller plus loin, comment comptez-vous mettre de la cohérence et de l'ambition dans vos actions ? Il faut accepter les constats, proposer des solutions techniquement réalisables, mais aussi aller beaucoup plus loin. Comment comptez-vous dépasser le préjugé selon lequel l'écologie serait punitive, alors que c'est bien l'inaction qui l'est ? Si nous n'agissons pas dès à présent, nous léguerons une planète en bien mauvais état aux générations futures et même à ceux qui sont déjà nés.

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je veux d'abord vous rassurer, il n'est pas question de faire disparaître MaPrimeRénov'. La ministre du logement a d'ailleurs été très claire à ce sujet : les primes monogestes seront maintenues, tandis que les primes pour rénovation globale seront suspendues deux mois, seulement pendant les vacances d'été, le temps mettre les textes en conformité vis-à-vis de nos ambitions en matière de lutte contre la fraude. J'espère que vous ne nous encouragez pas à la nourrir !

Vous savez comme moi que les procédures de concertation visant à faire évoluer un dispositif tel que MaPrimeRénov' sont menées dans une durée incompressible. Nous suspendons le dispositif d'aide aux rénovations globales pendant l'été, c'est-à-dire pendant une période où les Français engagent rarement des travaux, mais nous le réactiverons dès le 15 septembre : les choses sont claires et il ne faut pas faire croire le contraire.

J'ai clairement indiqué que je ne partageais pas certaines des positions défendues par des groupes politiques de l'Assemblée nationale. En responsabilité, certains d'entre eux ont fait le choix de participer au gouvernement, qui repose sur une coalition plus que sur une alliance : aussi ne faut-il pas supposer l'alignement des positions de toutes ses composantes.

D'autres groupes politiques n'ont pas fait le choix de se remonter les manches et de participer au gouvernement : je trouve difficile d'entendre leurs représentants clamer qu'ils ont les mains propres, alors qu'en réalité, ils n'ont pas de mains ! Je préfère agir sur le terrain et obtenir des résultats. C'est ce que nous faisons.

Quand nous doublons les aires marines protégées pour atteindre les objectifs fixés à l'initiative de la France par la conférence des Nations unies sur les océans, nous faisons bien plus que tous nos prédécesseurs réunis. Il appartient à chacun de défendre une planification écologique ambitieuse et d'aller chercher l'argent où il est, pour consacrer plus de moyens à la transition énergétique. J'ai ainsi obtenu de la Caisse des dépôts 2 milliards d'euros de prêts pour financer la rénovation thermique des écoles, le financement d'améliorations de la gestion des eaux et l'augmentation du budget des certificats d'énergie.

J'espère être plus soutenue que l'an passé lors de la prochaine négociation du budget de la transition énergétique.

M. le président
La parole est à M. Julien Brugerolles.

M. Julien Brugerolles (GDR)
Nous assistons depuis plusieurs mois à des reculs préoccupants du droit de l'environnement, à l'échelle européenne comme dans notre pays. Ces reculs sont souvent faits au nom de la simplification. Que cache ce masque sémantique ? La dérégulation de pans entiers du droit de l'environnement, en faisant de la dérogation la règle et des droits de recours des citoyens l'exception.

La parole scientifique fait les frais d'une offensive idéologique frontale, destinée à faire primer de grands intérêts économiques et financiers sur l'intérêt général. Cette remise en cause est aussi insidieuse : affaiblissement de la portée des avis scientifiques dans les processus de décision –? on l'a vu lors des débats des lois Duplomb et Gremillet –, minoration de certains enjeux, notamment en matière de biodiversité, ou encore survalorisation des maigres progrès réalisés sur le terrain des émissions de gaz à effet de serre.

La parole scientifique, quand elle n'est pas réfutée, est neutralisée, contournée, relativisée, décrédibilisée, ce qui sape notre capacité à agir en connaissance de cause dans l'espace démocratique.

Alors que notre société n'a jamais autant produit et diffusé de savoirs, ceux-ci sont relégués au second plan dès lors qu'ils contestent les logiques économiques dominantes de rentabilité et de compétitivité.

Si procéder à des arbitrages est légitime, contourner les données de la science ne l'est pas. Ce dévoiement alimente la défiance, le soupçon et, au bout du compte, le ressentiment populiste dont se nourrissent tout particulièrement les mouvements d'extrême droite.

Ne pensez-vous pas qu'il revient aujourd'hui au gouvernement, et d'abord à lui, de veiller scrupuleusement à la transparence d'arbitrages rendus en fonction des faits scientifiques. Il ne faut plus maquiller les faits, à moins d'accepter de faire le lit des forces politiques qui prospèrent sur ces manipulations.

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Que le gouvernement fonde ses arbitrages sur des faits scientifiques, un certain nombre d'éléments en attestent : il prend en compte les études de Santé publique France (ANSP) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et a exprimé une position très claire au moment où certains entendaient affaiblir ou mettre sous tutelle cette dernière instance scientifique. Je peux comprendre que des décisions politiques soient prises, mais la science ne peut pas se faire dicter la direction de ses avis –? si c'était le cas, la science deviendrait un asservissement.

Je m'inscris en faux vis-à-vis de vos propos sur la logique de rentabilité. Un grand nombre de solutions écologiques sont rentables et profitables. Imaginer que l'écologie, ce n'est que du sang, de la sueur et des larmes, c'est nourrir un discours qui, au contraire, affole et inquiète ceux qui nous écoutent.

On devrait plutôt s'assurer que les décisions budgétaires soutiennent la transition des plus précaires et des plus vulnérables des solutions fossiles vers les solutions bas carbone. Les aides au changement de véhicule et l'accompagnement à la rénovation des logements y contribuent.

En outre, nous devrions susciter des discussions plus construites. Ce n'est pas le cas à l'Assemblée, mais c'est le cas au Sénat, où le groupe Les Républicains a relevé que l'on taxait plus l'électricité bas-carbone produite en France que le gaz naturel importé, qui plus est depuis des pays qu'on ne peut pas qualifier d'alliés –? la Russie, les pays du Moyen-Orient, voire les États-Unis.

Il y va donc de la cohérence des positions défendues par certains groupes politiques, notamment le vôtre.

M. le président
La parole est à Mme Sophie Panonacle.

Mme Sophie Panonacle (EPR)
La parole scientifique et la question environnementale sont aujourd'hui à la croisée des chemins, confrontées à des remises en cause inquiétantes alors que l'urgence écologique n'a jamais été aussi pressante.

En France, nous avons la responsabilité de soutenir de nos voix la parole scientifique. C'est un impératif écologique, mais également démocratique.

Le respect des faits, la reconnaissance de la méthode scientifique et l'écoute des chercheurs constituent le socle d'un débat public éclairé. Sans lui, la dette écologique s'aggrave et notre démocratie se fragilise. Nous voyons, hélas, ce que devient une démocratie quand elle tourne le dos à la science : aux États-Unis, Donald Trump a engagé le démantèlement de la recherche publique. Nous assistons à une dégradation délibérée de la capacité d'un État à assumer ses responsabilités vis-à-vis de ses citoyens et de la planète.

Dans ce contexte, j'affirme ici mon soutien à la proposition de loi de François Hollande visant à créer un statut de réfugié scientifique. Au moment où, de leur chant, les sirènes invitent au renoncement outre-Atlantique, je suis heureuse qu'à l'initiative du président de la République et avec le soutien de la présidente de la Commission européenne, nous ayons su répondre d'une seule voix « Choose Europe for science ».

Je veux également saluer l'engagement des plus de cent parlementaires –? députés, sénateurs et eurodéputés – qui ont, comme moi, signé l'appel de Nice pour une science au secours de l'océan. À Nice, la mobilisation exceptionnelle de plus de 2 000 chercheurs et chercheuses du monde entier pour produire une synthèse sur l'état de l'océan a trouvé une résonance particulière. Leur message est sans ambiguïté : agir vite, s'appuyer sur la science et faire de l'océan une priorité absolue des politiques publiques.

Désormais, c'est à nous, parlementaires, qu'il revient de jouer. Aussi, dans le cadre de la préparation du budget pour 2026, j'appelle l'Assemblée à se mobiliser pour soutenir les crédits alloués à la recherche scientifique. Il ne peut y avoir de transition écologique crédible sans investissement massif, pérenne et ambitieux dans la connaissance.

Comment le gouvernement entend-il garantir, dans le projet de loi de finances pour 2026, un financement solide, stable et à la hauteur des enjeux pour la recherche scientifique, et plus particulièrement pour celle s'intéressant à l'environnement et au climat ? Quels engagements est-il prêt à prendre pour faire de la science un pilier de notre politique écologique et démocratique ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Merci d'avoir rappelé l'action du président de la République avec l'action Choose Europe for science, lancée au niveau européen et menée par la France, et tout le travail de collecte de données scientifiques qui y est associé : il y va de la capacité des scientifiques à travailler sur certains sujets, comme le climat ou la protection de la biodiversité, mais également de la maintenance des bases de données scientifiques, absolument essentielles pour que des chercheurs, y compris étrangers, puissent mener à bien leurs travaux. Comme vous le savez, les premiers chercheurs sont arrivés à l'université d'Aix-Marseille la semaine dernière.

Merci aussi d'avoir mentionné l'appel de Nice et les progrès de l'Unoc. Le succès de cette conférence n'est pas seulement diplomatique, mais est aussi celui de l'écologie et du multilatéralisme, à un moment géopolitique où tout le monde le jugeait impossible. Il faut donc reconnaître les avancées obtenues, notamment l'accord des Nations unies sur la haute mer, dit BBNJ, la reprise des négociations du traité international contre la pollution plastique dit traité plastique et les avancées de la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, dite pêche INN.

S'agissant du financement de la science, il appartiendra à mes collègues Philippe Baptiste et Élisabeth Borne de vous éclairer plus en détail.

Tous les ministères devront, dans le contexte que vous connaissez, fournir des efforts budgétaires : nous devons éviter que le service de notre dette atteigne 100 milliards d'euros dans deux ou trois ans, ne serait-ce que pour privilégier une meilleure utilisation de l'argent public –? les ministres pourraient consacrer cette somme à la réalisation de leurs politiques.

Il faut aussi s'assurer que la transition écologique soit bien présente dans le choix des actions soutenues par le budget, mais également que tous les savoirs soient bien mis en lien. Par exemple, alors que le continuum terre-mer est bien connu, les scientifiques qui travaillent sur la qualité de l'eau et l'effondrement de la biodiversité à l'intérieur des terres n'agissent pas en lien avec ceux qui travaillent sur la qualité des eaux littorales.

Je vous renvoie donc vers mes collègues pour compléter ma réponse. Quoi qu'il en soit, je défendrai le budget de l'écologie.

Mme Sophie Panonacle
Bien sûr !

M. le président
La parole est à Mme Sylvie Ferrer.

Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP)
Ce 30 juin, la proposition de loi Duplomb est discutée en commission mixte paritaire : sept députés et sept sénateurs sont chargés de s'accorder sur la version définitive du texte. En cas d'accord, le texte sera soumis au vote du Sénat le 2 juillet et à celui de l'Assemblée nationale le 7 juillet.

Parmi ses mesures de régression environnementale, nous retrouvons la réautorisation de l'acétamipride, insecticide de la famille des néonicotinoïdes interdit depuis 2018 en raison d'un consensus scientifique sur sa toxicité extrême pour les abeilles, les pollinisateurs et les humains.

Je viens d'interroger Dorian Guinard, juriste spécialiste du droit environnemental, à ce sujet. Invité à présenter son point de vue sur les néonicotinoïdes, il est revenu sur leurs effets destructeurs à long terme sur la faune du sol, les enjeux toxicologiques et la violation de l'article 5 de la Charte de l'environnement qu'il jugerait avérée en cas de réintroduction de ces produits phytosanitaires.

Alors que vous étiez ministre déléguée à l'agriculture, vous avez soutenu au printemps 2024 la réintroduction partielle de l'acétamipride, ce qui contraste vivement avec vos déclarations plus récentes au sujet de cet insecticide. Pourquoi une telle variation de vos positions, alors que les scientifiques sont formels au sujet des conséquences de ce produit sur la biodiversité tout entière et sur la santé humaine ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je vous remercie de me donner ainsi l'occasion de le préciser : au cours de mon parcours ministériel, je n'ai jamais défendu la réintroduction des néonicotinoïdes. Du reste, j'ai adressé un démenti au journaliste qui avait relayé l'information contraire –? son article rappelle que je dis ne pas soutenir les néonicotinoïdes – et les déclarations faites devant l'Assemblée nationale ou le Sénat dans le cadre de mes auditions régulières en tant que ministre déléguée à l'agriculture ou des deux autres portefeuilles auxquels j'ai eu l'honneur d'être nommée le confirment.

En 2016, l'Assemblée nationale et le Sénat ont voté l'interdiction de cinq produits néonicotinoïdes ou assimilés. Depuis, trois de ces produits ont été interdits par la Commission européenne –? nous étions donc plutôt en avance. Un quatrième est désormais interdit lorsqu'il est utilisé en dehors des serres –? ce qui montre bien qu'il n'est pas anodin. Le cinquième est l'acétamipride.

L'Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) a rendu l'année dernière un avis enjoignant de poursuivre les études afin de lever certaines interrogations relatives aux effets de cette substance sur les insectes pollinisateurs, et plus généralement sur les milieux, ainsi que sur la santé humaine, puisqu'il s'agit d'un neurotoxique emportant des conséquences sur le développement. Bien que l'acétamipride soit pulvérisée dans la terre et qu'il ne s'agisse pas de la boire, vous savez comme moi qu'une fois infiltrée dans les milieux, elle risque de se retrouver dans les eaux ; nous risquons donc de retrouver ses métabolites dans l'eau potable, bien que cette dernière soit traitée –? nous y retrouvons bien aujourd'hui les métabolites de produits interdits il y a trente ans ! Ce type de pollutions peuvent durer dans le temps et compliquer l'accès à l'eau potable. Cette situation doit nous alerter, sans ignorer pour autant les efforts d'investissement consentis par le gouvernement pour trouver les solutions alternatives dont nos agriculteurs ont besoin.

Il est vrai que la filière noisette n'a pas de solution à l'heure actuelle, mais c'est bien la voie que je préconise, même si elle ne se traduit pas, à ce stade, dans le texte issu du Sénat examiné en CMP. Je précise néanmoins, sans que je sache s'il s'agit d'une victoire ou d'une défaite, que ce texte a fermé de nombreuses portes en limitant la réautorisation de l'acétamipride à des cas très particuliers.

M. le président
La parole est à M. Sébastien Martin.

M. Sébastien Martin (DR)
Comme je suis arrivé en retard, je n'avais pas prévu de parler. Je poserai néanmoins une question à Mme la ministre, dont chacun connaît l'engagement, le pragmatisme et le sérieux dans les matières qui la concernent, comme ce fut le cas lorsqu'elle était chargée de l'industrie.

Il a été fait état du contexte politique dans lequel délibère notre assemblée. Des débats et des nuances peuvent exister dans chacun des groupes politiques en ce qui concerne les questions environnementales. Aussi devons-nous tenter d'éviter les approches caricaturales en la matière. Souvenons-nous que le Giec a été fondé par les dangereux gauchistes qu'étaient Margaret Thatcher et Ronald Reagan : preuve que l'écologie n'appartient à aucun camp.

Nous avons cependant besoin de trouver des équilibres pour avancer, en évitant autant que faire se peut l'incertitude –? je vous parle aussi en tant qu'élu local, en ayant en tête les récents votes visant à supprimer le ZAN et les ZFE. Nous pourrions aussi parler de l'eau et de l'assainissement, dont les compétences auraient pu être utilement transférées aux intercommunalités –? les crises que nous connaîtrons encore cet été le démontreront de nouveau. Nous croyons tous à la science ainsi qu'aux vertus du dialogue local. Puisque les collectivités locales exercent déjà l'essentiel des compétences de la transition écologique, qu'il s'agisse des transports, des déchets ou de l'eau, ne pensez-vous pas qu'elles pourraient aussi récupérer la rénovation thermique de l'habitat, entre autres questions liées au logement qui, bien que ne relevant pas entièrement de votre portefeuille, pourraient être décentralisées à bon escient ? Le gouvernement envisage-t-il de suivre cette piste ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je ne sais pas s'il faut décentraliser la rénovation thermique au moyen de la loi, en transférant l'intégralité de la compétence logement, mais je suis à peu près certaine que nous pouvons trouver les moyens de contractualiser le transfert des enveloppes allouées par l'État vers les collectivités locales qui seraient volontaires pour le faire. Ces dernières pourraient ensuite les abonder avec leurs propres fonds afin d'organiser le parcours de rénovation des habitants.

Cette contractualisation aurait trois avantages. Tout d'abord, le lien de confiance plus grand qui unit les habitants à leur mairie ou à leur agglomération permettrait à ceux qui désireraient rénover leur logement de passer plus rapidement à l'acte après avoir demandé conseil. Ensuite, cela faciliterait leurs démarches, avec un accueil dédié permettant de disposer d'une vue d'ensemble sur les aides locales, les aides nationales et le reste à charge –? c'est d'ailleurs tout l'objet des maisons France Rénov', qui pourraient s'appuyer sur de tels partenariats avec les collectivités locales. Enfin, il serait plus facile d'identifier les prestataires des travaux sérieux, reconnus, ayant pignon sur rue : les habitants pourraient partager leurs avis, dans un sens ou dans l'autre, là où la plupart choisissent actuellement leurs prestataires après un démarchage téléphonique, lequel s'effectue dans les conditions que vous connaissez –? vous avez d'ailleurs essayé de voter des textes pour empêcher cela, mais, malheureusement, les lois ne sont pas écrites pour ceux qui ne les respectent pas. Bref, il s'agirait de procurer davantage de garanties aux habitants désireux de franchir le pas, en les mettant en lien avec les artisans ou les PME du territoire les plus à mêmes de réaliser des travaux de bonne facture.

M. le président
La parole est à M. Julien Brugerolles.

M. Julien Brugerolles (GDR)
Vous avez parlé tout à l'heure d'écologie populaire, madame la ministre, en insistant sur l'aide du gouvernement pour louer un véhicule électrique, le leasing social. S'il y a bien une mesure d'écologie populaire, c'est celle-ci, or elle a été suspendue après 50 000 véhicules loués : exemple prototypique de la politique du stop and go qu'il s'agit d'éviter. Vous semblez vouloir abandonner ce dispositif au profit des certificats d'économie d'énergie, financés en particulier par les fournisseurs d'énergie, dont les montants seront en réalité à la charge des consommateurs eux-mêmes, car les fournisseurs ne se priveront pas de répercuter leurs dépenses supplémentaires sur les factures des ménages, au détriment des plus populaires.

Je vous ai également entendue évoquer la recherche. Cette dernière ne relève pas de votre ministère, mais je soulignerai tout de même que notre pays est passé de la sixième à la treizième place mondiale en termes de publications scientifiques, selon le dernier rapport de l'Observatoire des sciences et des techniques. Ne pensez-vous pas que les réformes et les restructurations subies par la recherche publique ces dernières années –? je devrais plutôt parler de déstructurations –, censées faire briller la France, ont démontré toute leur nocivité ? Parce qu'il est nécessaire de changer de cap et de donner à la recherche publique les moyens d'agir, nous nous inquiétons des crédits dont elle disposera.

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Le leasing social n'existait pas auparavant ; il n'avait pas été pensé par les gouvernements précédents. Il a été créé sous l'égide du président de la République, et il fonctionne manifestement très bien, puisque 50 000 véhicules réservés ont été distribués en quelques semaines –? le budget ne suffit pas, il faut aussi disposer des véhicules. Ce dispositif sera relancé en septembre, de sorte que les Français aient accès à un véhicule électrique pour 100 euros par mois. Les C2E sont soutenus par les scientifiques et les experts économiques parce qu'ils constituent l'un des leviers de la transformation écologique. Ce type de financement permet d'accompagner ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter un véhicule électrique, en mettant notamment à contribution ceux qui ont davantage.

M. Julien Brugerolles
Ce n'est pas vrai !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je ne peux donc pas laisser passer de tels propos.

En ce qui concerne la politique scientifique de la France, nos gouvernements successifs ont défendu un projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030, qui a permis d'allouer des crédits à des programmes qui n'en avaient plus depuis des années, puisqu'ils en avaient été privés, notamment sous le quinquennat précédant 2017. Ce texte a également permis de revaloriser les jeunes chercheurs, que la France ne traite pas aussi bien que d'autres pays.

Cette treizième place que vous évoquez nous invite aussi peut-être à faire preuve de moins d'arrogance. D'autres pays progressent en ce moment. Des pays que nous considérons comme en retard, ou en développement, en particulier dans le domaine de l'écologie, déposent des brevets en nombre impressionnant –? je pense notamment à la Chine, qui occupe les premières places du classement, et à d'autres qui investissent massivement dans l'écologie parce qu'ils ont compris que le combat écologique est aussi économique, que l'écologie est au service de l'emploi, de la souveraineté et de l'indépendance.

M. le président
La parole est à M. Nicolas Bonnet.

M. Nicolas Bonnet (EcoS)
Sachez tout d'abord que, lorsque je vous interpelle, je ne vous vise évidemment pas personnellement, madame la ministre : je m'adresse au gouvernement au sens large, dans toute sa pluralité, que vous représentez aujourd'hui.

Pourquoi cherchez-vous à forcer la poursuite du projet de l'A69 par le truchement de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse ? N'êtes-vous pas d'accord avec l'analyse du Haut Conseil pour le climat selon laquelle il faut cesser de soutenir ces projets qui dégradent davantage l'environnement qu'ils ne servent à la transition écologique au sens large –? en incluant la biodiversité ? Quel est l'apport positif du projet de loi de simplification de la vie économique ? Peut-on le considérer ne serait-ce que comme neutre vis-à-vis des enjeux environnementaux ? Il me semble plutôt qu'il a créé de nombreuses exceptions au droit de l'environnement, largement non justifiées en séance. Bref, tout cela va plutôt dans le mauvais sens.

Personne n'oppose l'écologie et l'économie, seules les approches divergent. Les contraintes écologiques qui s'imposent à nous répondent à des lois naturelles sur lesquelles nous avons bien peu de prise ; il faut les accepter avec beaucoup d'humilité et plutôt adapter les lois économiques, qui relèvent pour leur part de décisions humaines, au lieu de considérer que l'écologie et l'économie seraient sur un pied d'égalité. L'économie doit fonctionner dans le cadre des contraintes environnementales, plutôt que l'inverse –? cela ne fonctionnerait pas. Que proposerez-vous pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre dans les mois à venir ? Ces dernières ont certes un peu diminué, si l'on considère uniquement les émissions internes en faisant abstraction des émissions importées, dont le volume est encore important. Une courbe qui a commencé à baisser ne baissera pas nécessairement de manière linéaire. Certaines économies sont plus faciles à faire que d'autres ; certains seuils sont toujours plus faciles à franchir.

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
En ce qui concerne l'A69, je vous invite à consulter le dossier de compensation. On a le sentiment que ce projet viserait uniquement à artificialiser les sols sans qu'aucune compensation ne soit prévue, or les compensations feront plus que corriger l'artificialisation : il y aura par exemple deux fois plus d'hectares restaurés en zone humide que d'hectares affectés par le projet.

Mme Anne Stambach-Terrenoir
Non !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
En outre, cette zone est la seule du territoire présentant une telle densité de population qui soit dépourvue d'autoroute. Les habitants ont peut-être eu tort de ne pas plaider plus tôt en sa faveur, à la différence des Bretons, des habitants des Hauts-de-France, du Grand Est, de Bourgogne-Franche-Comté ou de Provence-Alpes-Côte d'Azur, par exemple, qui ont construit leur autoroute –? lesquelles ne sont pas considérées comme des injures à l'écologie. Quoi qu'il en soit, il faut savoir raison garder au sujet de l'A69, dont le niveau de compensation est sans égal par rapport aux autres autoroutes construites par le passé.

Mme Karen Erodi
Ce n'est pas vrai !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
C'est la raison pour laquelle je soutiens, en conscience, ce projet. S'agit-il d'un projet d'intérêt public majeur ? La contestation porte sur cette question. Ce n'est pas un hasard si, sur le terrain, tous les élus, quel que soit leur bord politique, le soutiennent –? je ne parle pas de ceux qui habitent au plus proche du centre de la plus grande agglomération concernée, mais de ceux qui en sont éloignés. Je ne crois pas que Carole Delga, pour ne citer qu'elle, soit une macroniste échevelée –? en tout cas je ne l'ai jamais entendue s'exprimer en ce sens.

En ce qui concerne le projet de loi de simplification de la vie économique, vous m'accorderez que l'essentiel des points controversés est issu d'amendements déposés par les sénateurs et les députés. Ce projet de loi, comme son titre l'indique, ne traitait pas d'écologie. Les tests PME et d'autres éléments de simplification contenus dans le texte, tels que la suppression de certains formulaires Cerfa, n'ont rien à voir avec le sujet qui nous réunit.

Vous avez raison de souligner que la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre doit être relativisée compte tenu de l'importance de nos émissions importées ; réindustrialiser le pays permettra de réduire ces dernières. Lorsqu'on vote contre ou qu'on cherche à entraver des projets de loi tels que celui relatif à l'industrie verte, on agit à l'encontre de la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre. Néanmoins, je tiens à vous rassurer : nos émissions importées baissent aussi, quoiqu'à un rythme moins soutenu que les émissions françaises.

Par ailleurs, nous apprécions la baisse des émissions sur sept ans. Si vous avez raison de rappeler qu'il y a eu des hauts et des bas, les émissions ont baissé de plus de 20% ces sept dernières années, alors qu'elles n'avaient été réduites que de 15% les vingt-sept années précédentes. L'accélération est donc indéniable, même s'il convient effectivement de se montrer vigilant : je ne suis pas sereine face à l'avenir, en particulier du fait des mauvais signaux envoyés concernant les énergies renouvelables et le nucléaire.

M. le président
La parole est à Mme Murielle Lepvraud.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP)
Depuis 2009, tous les rapports scientifiques convergent, que ce soit celui du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), celui du conseil scientifique de l'environnement de Bretagne ou celui de la Cour des comptes : plus de 90% de l'azote à l'origine de la prolifération des algues vertes provient de l'agriculture intensive.

Une décision du tribunal administratif de Rennes du 18 juillet 2023 condamnait l'État pour son inaction. Désormais, la cour administrative d'appel de Nantes, depuis sa décision du 25 juin 2025, reconnaît le lien entre la mort d'un homme et la prolifération des algues vertes.

Cependant, le gouvernement préfère continuer à soutenir un modèle agricole industriel et créer une filière économique autour des algues vertes, plutôt que de déployer la transition agroécologique nécessaire. En déplacement dans les Côtes d'Armor le 19 juin, Mme Braun-Pivet a déclaré qu'il ne fallait plus considérer les algues vertes comme un " fléau " mais comme un " cadeau ". Je ne crois pas que les habitants d'Hillion apprécient ce cadeau : leur plage a été fermée le 28 juin pour plusieurs jours, en raison du dépassement du seuil d'alerte d'hydrogène sulfuré fixé par le Haut Conseil de la santé publique.

La justice, la science et les citoyens vous enjoignent d'agir, mais votre gouvernement préfère soutenir la proposition de loi dite Duplomb qui permettra aux élevages industriels de s'agrandir, sans enquête publique, alors qu'ils se trouvent à l'origine du fléau des algues vertes. Madame la ministre, n'avez-vous pas le sentiment de servir de caution à un gouvernement pollueur ? La question vaut pour l'extension des élevages comme pour l'acétamipride, puisque Mme la ministre Genevard soutient la réintroduction de cette substance. Que pèse votre ministère face au ministère de l'agriculture et de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je trouve curieux de remettre en cause notre action en faveur de la baisse des nitrates, alors que l'utilisation de ces derniers a drastiquement diminué dans plusieurs territoires, à la suite de plans d'action successifs tels que les programmes d'actions régionaux Nitrates, dont nous élaborons la huitième version. Il est donc faux de dire que le gouvernement n'agit pas au niveau régional afin que l'utilisation des nitrates et leur présence dans les sols diminuent –? en témoignent les agriculteurs eux-mêmes, qui se plaignent de ne pas disposer des mêmes amendements du sol que par le passé.

Par ailleurs, il est faux de dire que la proposition de loi Duplomb facilitera l'élevage ultra-intensif. L'élevage français s'appuie sur des installations qui, en moyenne, sont beaucoup plus petites que celles qu'on trouve en Allemagne, aux États-Unis ou en Ukraine. On utilise le terme d'agro-industrie à propos d'élevages qui, en comparaison des pays avec lesquels nous sommes en concurrence, font figure de gentil artisanat.

En outre, cette proposition de loi ne change rien en matière d'autorisation d'élevage, mais change la façon de les déclarer et de les enregistrer, à des fins de clarification juridique. Si vous vous penchez sur le sujet, vous constaterez plusieurs complications dues aux chevauchements entre l'application des textes européens relatifs aux émissions industrielles (IED) et notre droit en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). La proposition de loi Duplomb vise à y remédier, sans aller toutefois jusqu'au bout : nous avions préparé un texte qui permettait de clarifier les dispositions en vigueur, tout en conservant un haut niveau d'exigence puisque nous proposions une transposition de la directive IED mieux disante que le droit européen actuel.

M. le président
La parole est à Mme Claire Lejeune.

Mme Claire Lejeune (LFI-NFP)
Madame la ministre, il est sidérant de vous entendre dénoncer –? dans votre propos liminaire – une situation internationale dans laquelle des dirigeants choisiraient la voie de la guerre au lieu de se concentrer sur le progrès écologique, alors que c'est précisément ce que fait votre gouvernement. Donnons-en quelques illustrations.

Le projet de loi de simplification de la vie économique déposé par le gouvernement comportait des reculs ; en outre, de nombreux amendements qui allaient dans le mauvais sens du point de vue de l'écologie ont été soutenus, en séance, par le gouvernement. Je ne sais si notre indignation relevait de la posture, comme vous l'avez dit, mais elle a permis de résister à certaines régressions qu'imposait, tel un rouleau compresseur, ce projet de loi.

Il est faux de dire que votre gouvernement s'est opposé à la réintroduction de l'acétamipride : que ce soit lors des questions au gouvernement ou de façon répétée dans la presse, Mme Genevard a défendu cette réintroduction, notamment en déclarant que l'acétamipride était déjà utilisée " dans tous les insecticides domestiques " et que cette substance n'avait donc pas beaucoup d'importance.
En ce qui concerne MaPrimeRénov', l'intention initiale du gouvernement était de suspendre complètement ce dispositif,…

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Non !

Mme Claire Lejeune
…en tout cas de le suspendre pendant quelques mois. Ce qui est sûr, c'est que la réintroduction du parcours monogeste de MaPrimeRénov' n'a été annoncée qu'à la suite de la mobilisation du secteur du bâtiment –? en particulier de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) –, des acteurs écologistes et des parlementaires, dont nous étions. Il a fallu forcer le gouvernement à revenir à une copie acceptable.

S'agissant du dispositif des C2E, qui sera de plus en plus utilisé, soulignons qu'il sera payé par les consommateurs : le rapport de la Cour des comptes sur les certificats d'économie d'énergie montre bien que le coût est répercuté sur le consommateur final.

En considérant l'ensemble de ces exemples, une contradiction se dégage entre les propos que vous tenez face à nous et la réalité de la politique de votre gouvernement.

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
C'est le gouvernement qui a déposé un amendement tendant à supprimer la réintroduction des néonicotinoïdes : vous pouvez le vérifier en consultant le compte rendu de la séance du Sénat.

Concernant MaPrimeRénov', la suspension du dispositif se justifie par l'ampleur des fraudes constatées : nous avons tous été victimes d'appels, d'ailleurs parfaitement interdits, destinés à nous vendre des rénovations ou des pompes à chaleur –? je défie quiconque dans cette salle de ne pas avoir été l'objet d'une telle sollicitation. L'arrêt de cette fraude permettra de réallouer plus efficacement les crédits correspondants. Nous suspendons donc le dispositif durant deux mois, pour les dossiers de rénovation globale –? vous avez raison de souligner que le dispositif a été maintenu, après vérifications, pour les travaux qui relèvent du parcours monogeste. Je pense qu'il s'agit d'une bonne décision.

Le principe des certificats d'économie d'énergie est d'inciter et de réorienter les citoyens vers des solutions plus économes en énergie, qui leur coûteront moins cher. C'est le ressort essentiel de ce que nous entendons faire en matière d'écologie populaire. Nous avons encore du chemin à parcourir pour taxer les énergies bas-carbone moins que les énergies fossiles. Le principe est le même : chacun sait que, du point de vue physique, un moteur thermique est moins efficace qu'un moteur électrique et qu'une chaudière thermique est moins efficace qu'une pompe à chaleur. Il s'agit donc d'améliorer le prix de la solution qui économise de l'énergie et de majorer légèrement le prix de la solution qui en consomme indûment, afin de pousser les citoyens, par signal-prix, à aller dans la bonne direction.

Nous améliorons ces signaux-prix en appliquant des coefficients multiplicateurs dans les C2E afin que les bons gestes soient privilégiés. Cela a très bien fonctionné pendant la crise énergétique, où une réelle transformation des installations a été constatée. Il faut continuer : personne ici n'a pu se satisfaire de voir le nombre d'installations de chaudières à gaz augmenter l'année dernière. Cela ne devrait pas arriver quand on sait combien coûte le gaz, combien son prix est volatil et combien les installations électriques adaptées peuvent être plus compétitives.

M. le président
La parole est à Mme Karen Erodi.

Mme Karen Erodi (LFI-NFP)
Si mon groupe a pris l'initiative de ce débat, c'est parce que l'heure est grave. Malgré les promesses de campagne d'Emmanuel Macron, qui déclarait que son second quinquennat " sera écologique ou ne sera pas ", l'opinion publique devient de plus en plus sensible aux thèses complotistes diffusées par l'extrême droite politique, comme l'a souligné tout à l'heure le climatologue Fabio D'Andrea.

Madame la ministre, comment expliquez-vous que vos propres députés remettent en cause la parole de magistrats indépendants sur l'autoroute A69, reconnue inutile et illégale par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février ? Comment pouvez-vous à la fois soutenir un projet jugé anachronique par le Giec et prétendre défendre le vivant ? Comment expliquez-vous que le climatoscepticisme explose depuis sept ans au sein du gouvernement ? N'y voyez-vous pas une forfaiture et une incapacité à penser une autre solution : former les citoyens et protéger les générations futures.

Je m'exprime en tant que députée du Tarn, opposée à l'A69 depuis des décennies, bien avant mon élection. La raison impérative d'intérêt public majeur n'est pas justifiée. Les arguments avancés sont fallacieux. Dans la circonscription concernée, on trouve une voie ferrée, un aéroport, un hôpital, un campus universitaire, une école d'ingénieur et une école de cinéma –? je pourrais allonger la liste. Les données de l'Insee montrent que le chômage est moins important dans cette circonscription que dans celle où je suis élue qui, centrée autour d'Albi, dispose de l'autoroute A68. La population et le nombre de naissances augmentent moins du côté d'Albi, où il y a l'autoroute, que du côté de Castres.

Je ne comprends pas pourquoi vous persistez à défendre ce projet. L'autoroute A69 sera déficitaire : on compte seulement 7 000 véhicules par jour sur cet axe, contre 15 000 véhicules par jour sur l'axe Albi-Castres. Le département a apporté les aménagements suffisants et la circulation est fluide. Quel est l'intérêt de ce projet ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous invoquez la seule décision de justice…

Mme Karen Erodi
J'ai invoqué la parole des scientifiques !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…dans laquelle le juge s'est prononcé contre le projet d'A69 : il s'est prononcé en faveur de ce projet dans six autres décisions et une septième décision se dessine qui semble aller dans le même sens. Puisque nous parlons de science et de faits, il serait bon de s'attacher à la vraie science et aux vrais faits.

Dans sept instances de jugement, le juge, par six fois, a donné raison à ce projet.

Mme Karen Erodi
Pas sur le fond ! Vous le savez bien !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
On ne peut donc pas laisser entendre, sans injurier la justice, que le gouvernement s'immiscerait dans son travail : il est libre, comme le sont les citoyens, de faire appel ou de se pourvoir en cassation.

Mme Karen Erodi
C'est une argumentation fallacieuse !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
La justice tranche en parfaite indépendance ; c'est travestir les faits que de prétendre le contraire et on ne saurait défendre la science en travestissant les faits. Je ne peux donc pas adhérer à vos arguments.

Ce projet est déjà sensiblement avancé. Des compensations environnementales ont été négociées. Ma position est donc simple : sur un projet d'aménagement de cette importance, les choses doivent être claires –? c'est oui ou non. On ne peut pas accepter, en revanche, des batailles juridiques qui épuisent tout le monde pendant des années. Ces stop and go à répétition font du mal à la justice et aux défenseurs de l'environnement comme à ceux de l'économie. Les choses doivent être tranchées une fois pour toutes.

Mme Karen Erodi
Mais elles ne le sont pas, justement !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Les travaux se poursuivent et des revirements supplémentaires ne nous conduiraient qu'à perdre des compensations environnementales.

Si nous avions eu connaissance, il y a cinquante ans, du dérèglement climatique, nous n'aurions sans doute pas aménagé la France de la même façon.

Mme Karen Erodi
Nous ne sommes plus au siècle dernier !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Essayons maintenant d'avancer, sans perdre plus de temps ; mais ne choisissons pas nos combats en travestissant la réalité, comme vous l'avez fait à propos des juges.

Mme Karen Erodi
Nous faisons simplement entendre la voix des citoyens !

M. le président
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 9 juillet 2025