Texte intégral
Q - C'est l'un des sujets qu'on soumet ce soir à notre invité, le ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger. Laurent Saint-Martin bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Merci d'avoir accepté notre invitation. On évoquera aussi avec vous la menace des taxes douanières que Donald Trump brandit toujours sur l'Europe d'ici au 9 juillet, me semble-t-il. On aura la réponse ce jour-là.
(...)
Q - Laurent Saint-Martin, est-ce qu'on en sait plus sur l'état de l'armement nucléaire iranien après les frappes américaines qu'avant les frappes américaines ?
R - Non, nous le saurons un peu plus tard.
Q - On le saura ?
R - On peut le savoir, mais il est normal, comme l'a montré Patrick Cohen, qu'on ne le voit pas tout par les images satellites, parce que ce sont précisément les objectifs de ces missiles que d'aller sous terre, très profondément. Il ne faut quand même pas se tromper de discours et d'objectifs. Le fait est que nous avons le même objectif avec les États-Unis, avec les pays européens là-dessus, qui est d'empêcher l'Iran de développer son programme d'armement nucléaire et balistique. Cet objectif-là, il faut quand même le garder à l'esprit, ne pas le perdre de vue. Oon est quand même exactement dans ce même objectif et ça a été très bien rappelé aujourd'hui, lors du sommet de l'OTAN...
Q - Avec une question de timing quand même. Ça s'est fait à deux jours de discussions qui étaient prévues et de rendez-vous, justement, où il était prévu d'échanger avec les Iraniens.
R - Vous avez raison, et ce que ne change pas le débat du niveau de recul du programme nucléaire iranien, c'est la nécessité, de toute façon, de reprendre le dialogue et la négociation avec l'Iran. Le président américain l'a dit lui-même, il n'y a pas d'objectif de changement de régime. Ce n'est pas l'objectif de ces frappes. Et donc aujourd'hui, il n'y a pas d'autre solution pour essayer d'avoir un recul pérenne, durable du développement du programme nucléaire iranien que de rentrer à nouveau en négociation avec eux. Nous l'avons fait : la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, ce qu'on appelle les E3. Nous l'avons fait il y a 10 ans. Et nous avons besoin des États-Unis pour reprendre cette discussion-là et ces négociations. On doit d'abord, je pense, reprendre un peu les choses dans l'ordre, parce que depuis le 13 juin, beaucoup de choses se sont passées sur le sujet iranien. Reprendre les choses dans l'ordre, c'est d'abord se dire qu'on est ensemble. Les pays de l'OTAN aujourd'hui l'ont dit. C'est dire que maintenant, le cessez-le-feu, c'est une bonne nouvelle. C'est ce que nous appelions et c'est ce que le président des États-Unis a imposé. Cela, nous devons le saluer et l'accompagner. Mais, encore une fois, si on s'arrête là aujourd'hui, ce qui se sera passé depuis le 13 juin n'aura pas permis une solution durable à la résolution du programme nucléaire iranien. Donc se remettre autour de la table des négociations, comme nous l'avons fait en 2015 avec succès, faut-il le rappeler, c'est désormais l'agenda absolument nécessaire pour pouvoir tous réussir à aboutir sur ce même objectif qui est que non, non, l'Iran ne doit pas se doter de l'arme atomique.
Q - Emmanuel Macron recevra ce soir à l'Élysée Rafael Grossi, dont vous avez parlé, c'est-à-dire le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui va vérifier, qui vérifie d'ailleurs que les matières nucléaires iraniennes ne sont pas détournées à des fins militaires. Aujourd'hui, les députés iraniens ont voté en faveur d'une suspension de la coopération avec cette agence de l'ONU. Est-ce que vraiment, avant de négocier, un état des lieux réaliste sera fait exactement de l'état du programme nucléaire iranien?
R - Cela prendra du temps, mais il le faudra. D'ailleurs, l'AIEA devra être aussi autour de la table des négociations, comme elle l'a été cette dernière décennie. Mais encore une fois, je ne voudrais pas que ce qui s'est passé depuis le 13 juin nous fasse perdre de vue quel est l'adversaire. C'est l'Iran qui n'a pas respecté le droit international et les accords de Vienne récemment. Ça, ça a été aussi documenté et démontré. Qu'on n'ait pas la même stratégie, qu'on n'ait pas les mêmes moyens pour y parvenir, on l'a dit, on le répète et la France l'assume. Nous pensons toujours que la voie militaire n'était pas et n'est pas le meilleur moyen de parvenir à contenir le programme nucléaire iranien et que c'est par la diplomatie et la négociation qu'on y parvient. La preuve, encore une fois, on l'a fait. Mais il faut évidemment que l'AIEA soit autour de la table, que les autorités iraniennes reprennent langue avec eux, mais aussi avec les pays européens qui, encore une fois, sont probablement aujourd'hui le meilleur canal de discussion.
Q - Meilleur moyen, ça veut dire que ces frappes, elles étaient utiles ? Si elles n'ont fait que retarder, peut-être de quelques mois...
R - Ça veut dire que je maintiens que nous considérons que ce n'était pas la meilleure solution pour y parvenir durablement. Est-ce que les frappes américaines, d'abord israéliennes, faut-il le rappeler dans l'ordre des choses, puis américaines, ont permis un recul plus substantiel que si elles n'avaient pas eu lieu ? Peut-être. Je ne suis pas capable de vous le dire. Parce que nous l'avons dit en introduction, aujourd'hui, il faut attendre d'avoir plus d'expertise là-dessus. Ce qui est sûr, c'est que, et ça, les Etats-Unis le reconnaissent eux-mêmes, si on a fait tout ça sans passer à la phase de négociation, alors on recommencera comme avant. Et alors Israël se retrouvera sous la menace du régime des mollahs. Faut-il rappeler une chose, c'est que le régime des mollahs a dit texto qu'il fallait rayer Israël de la carte. Il a dit texto que la sécurité dans la région ne pouvait dépendre que de cela et que l'Europe, de fait, était menacée.
Q - Je précise que Trump a annoncé aujourd'hui que les États-Unis allaient reprendre le dialogue avec l'Iran dès la semaine prochaine.
R - Et c'est indispensable et il faut que l'Europe soit évidemment aussi à bord.
Q - Et pourtant, Trump a déclaré que les Européens n'étaient pas utiles pour résoudre ce conflit. Ça, c'était le huitième jour de la guerre entre Israël et l'Iran. Est-ce qu'ils vont être plus écoutés qu'aujourd'hui ?
Q - Il dit le contraire d'un jour à l'autre...
R - D'abord et on parlera de politique commerciale après. Je sais peut-être mieux que beaucoup à quel point les paroles du président américain peuvent changer d'un jour à l'autre, mais là n'est pas le sujet. Si les pays européens, et notamment encore une fois la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, n'étaient pas utiles, pourquoi est-ce qu'alors les accords de Vienne ont eu justement cet effet il y a dix ans ? Pourquoi est-ce que nous avons été à la manoeuvre là-dessus ? Donald Trump le sait pertinemment. Bien sûr qu'on a besoin d'être ensemble là-dessus. Ce que je souhaite, moi, c'est qu'aujourd'hui, le sommet de l'OTAN ait pu permettre peut-être un nouveau départ aussi dans une relation atlantique qui permette non pas de se demander si on est ensemble ou pas. Ça, ça doit être évident. La question, c'est évidemment d'être ensemble, avec l'Agence internationale de l'énergie atomique, en dialogue avec les autorités iraniennes. Sinon, très clairement, on aura reculé, pas seulement sur le programme atomique iranien, mais aussi sur la capacité à le contenir durablement.
Q - Vous êtes également en charge des Français de l'étranger. Des vols de retour ont été organisés pour ceux qui souhaitaient quitter Israël. Combien de Français sont rentrés et est-ce que, avec le cessez-le-feu en vigueur depuis hier, ces vols vont se poursuivre ?
R - Oui. Nous avons à peu près un millier de Français, beaucoup d'Israël, un peu d'Iran qui sont rentrés en France déjà. Encore hier soir, j'étais à Orly pour accueillir un vol qui avait été affrété depuis Amman. Deux types de vols, pour faire très court : des vols des pays voisins, beaucoup de Jordanie essentiellement, soit des vols commerciaux, soit des vols que la France a affrétés, notamment pour les personnes les plus vulnérables, et aussi des vols militaires depuis Tel-Aviv qui ont pu décoller vers Chypre, et ensuite, les passagers se sont rendus en France. On a un millier de Français qui seront rentrés par ces moyens. Nous allons poursuivre ce programme de rapatriement autant que nécessaire, évidemment, avec un cessez-le-feu qui reste aujourd'hui fragile. Nous sommes très vigilants. Avec un cessez-le-feu pérenne consolidé, évidemment, la question se posera moins.
Q - Les Français qui résident en Iran ont pu partir via la Turquie et l'Arménie. Deux Français, Cécile Kohler et Jacques Paris, sont détenus à la prison d'Evin à Téhéran. On sait qu'elle a été frappée lundi par l'armée israélienne. Est-ce que vous avez l'assurance qu'ils n'ont pas été blessés, touchés par ces frappes ?
R - Oui, et surtout, nous exigeons, et c'est là le plus important, leur libération immédiate. Je répète que Cécile Kohler, Jacques Paris sont emprisonnés dans des conditions qui s'assimilent à de la torture, de façon totalement inacceptable. Nous avons sollicité à plusieurs reprises la visite consulaire, notamment depuis le tir israélien, que nous avons qualifié d'ailleurs d'inacceptable, tant qu'il mettait en danger nos deux compatriotes sur place. Le ministre Jean-Noël Barrot a reçu la famille la semaine dernière. C'est un dossier que nous suivons au jour le jour. Nous pensons d'abord à eux, à leur famille, à leurs proches, surtout dans un moment où Téhéran est sous les bombes.
(...)
Q - 5% du PIB en dépenses militaires, c'est un objectif qui sera difficile à atteindre, ont d'ores et déjà prévenu plusieurs pays européens. L'Espagne le juge même déraisonnable. Pour nous, est-ce que c'est déraisonnable, c'est possible, vu les contraintes budgétaires actuelles ?
R - Bon, d'abord, ce n'est pas nouveau, le discours du président Trump sur l'exigence que l'Europe puisse se doter davantage de sa propre défense et soit moins sous le parapluie américain. D'ailleurs, souvenez-vous, le premier mandat de Donald Trump avait permis une forme de réveil de l'OTAN aussi par ces discours-là. Et ça, moi, je pense que c'est une bonne chose. Si ces discours-là permettent un réveil européen sur une défense, mais ça veut dire aussi avec une capacité industrielle de défense et technologique européenne, alors, je crois que c'est une opportunité et que c'est une bonne nouvelle. Pour répondre à votre question, la France là-dessus est assez exemplaire. On a doublé notre part de PIB sur la dépense militaire depuis 2017, on a augmenté, via plusieurs lois de programmation, notre budget en termes de défense nationale. Les autres pays suivent, avec évidemment des rythmes et des trajectoires qui sont individuels à chaque pays européen, mais on n'a pas de divergences sur la nécessité d'avancer là-dessus. Ce qui a réveillé évidemment plus encore la nécessité de cette défense européenne, c'est bien sûr l'agression russe en Ukraine, qui a peut-être fait réaliser bien plus concrètement que la guerre pouvait être en Europe, sur le sol européen, et que donc, il allait tout simplement de notre souveraineté et de notre avenir commun de savoir se défendre, et pas toujours grâce aux États-Unis.
Q - Bon, dites-nous où on en est sur des droits de douane. Anne-Elisabeth a rappelé tout à l'heure le 9 juillet...
R - C'est une bonne transition. Le Président de la République aujourd'hui a dit, à la sortie du sommet de l'OTAN, quelque chose de très juste. On ne peut pas exiger en commun des augmentations budgétaires pour notre défense nationale et se faire une guerre commerciale en même temps...
Q - "C'est une aberration", a dit le Président.
R - En fait, c'est une aberration au sens où c'est un non-sens. On s'empêche ou on se prive de création de richesse mutuelle alors qu'on en a besoin pour investir, notamment dans notre défense, mais de manière générale pour notre croissance.
Q - Trump vous dirait que ce n'est pas le même problème.
R - C'est totalement le même problème. Vous créez aujourd'hui par exemple, les droits de douane qui sont "suspendus" jusqu'au 9 juillet, c'est 25% d'augmentation de tarif pour l'automobile, c'est 25% pour l'acier et l'aluminium et c'est 10% pour à peu près 70% des autres produits. Cela représente grosso modo 400 milliards d'euros pour les exportations européennes de perte de valeur, 400 milliards d'euros. Vous le divisez par rapport au PIB de chaque pays, vous avez de quoi investir dans la défense... Donc c'est de la perte de valeur, c'est de la perte de richesse.
Q - Ça c'est le constat. Maintenant, ensuite, la négociation, la dialogue, on en est où ?
R - La négociation, c'est que les États-Unis et les pays européens ont tout à perdre là-dedans. Il faut absolument revenir à ce qu'on faisait avant, c'est-à-dire baisser les droits de douane entre les pays amis.
Q - Ils vous écoutent les Américains là-dessus ?
R - Eh bien écoutez, c'est la Commission européenne qui est en train de négocier cela. Est-ce qu'à la fin, cela se terminera par 0% de droits de douane ? Je ne sais pas vous le dire actuellement, mais je pense que vraiment... Encore une fois, c'est une question d'objectif. Que veut-on ensemble entre les États-Unis et l'Europe ? C'est ça la question. Est-ce qu'on veut être alliés ? Si on veut être alliés, on doit pouvoir investir chez l'un, chez l'autre. Vous savez que les États-Unis, c'est le premier investisseur en France. La France investit beaucoup aux États-Unis. Aller mettre des tariffs, aller mettre des droits de douane, aller mettre des barrières tarifaires, c'est s'empêcher de commercer ensemble. Est-ce que c'est ce que l'on veut ensemble ? Moi, je crois que le réveil de ces derniers jours peut être une occasion, peut-être, de reprendre la négociation sous un nouvel angle. De se considérer à nouveau comme des alliés historiques et non pas comme des adversaires, même commerciaux. On ne l'a jamais été militairement, mais même commerciaux, je pense qu'on n'a aucun intérêt à l'être.
Et puis, Patrick Cohen, je vais juste vous dire quelque chose. La perte de PIB, donc l'effet récessif de la guerre tarifaire, elle impacte d'abord celui qui l'initie. Donc évidemment que cela pénaliserait nos exportations, mais de manière deux fois plus importante, cela créerait un effet inflationniste et un ralentissement économique côté américain. Et ça, je pense que les États-Unis, et on l'a déjà vu par certains revirements d'annonces, le comprennent de plus en plus. Et donc il faut qu'effectivement, d'ici les prochains jours, le commissaire européen Maroš Šefčovič, qui est en charge de la négociation, puisse convaincre nos alliés américains que cette guerre commerciale n'est dans l'intérêt de personne.
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Q - Merci Monsieur le ministre Laurent Saint-Martin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juillet 2025