Texte intégral
M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, le projet de loi, adopté par le Sénat, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social a été inscrit à l'ordre du jour de la séance publique à compter du jeudi 3 juillet. Je remercie Mme la ministre Astrid Panosyan-Bouvet de venir nous présenter ce texte.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Ce projet de loi a pour objectif de transposer trois accords intervenus entre les partenaires sociaux le 14 novembre dernier. Le premier ministre de l'époque – Michel Barnier – et moi-même avons rapidement fait le choix de demander aux partenaires sociaux de reprendre plusieurs négociations récentes, qui n'avaient pas pu aboutir : celle relative à l'assurance chômage, qui avait donné lieu, à l'automne, à un accord qui n'avait pas été agréé par le gouvernement d'alors ; celle sur l'emploi des seniors, qui constituait un volet de la négociation sur le pacte de la vie au travail et qui n'avait pas pu aboutir au printemps 2024. En relançant le dialogue social au niveau national, le Gouvernement a fait le choix de la démocratie sociale. Au final, un triple accord est intervenu le 14 novembre 2024.
Il prend la forme de deux accords nationaux, l'un sur les travailleurs expérimentés, l'autre sur le dialogue social, ainsi que d'un avenant au protocole d'accord sur l'assurance chômage de novembre 2023, qui demande une transposition législative. Ces trois accords ont été signés largement, voire très largement. Celui sur l'emploi des salariés expérimentés a été signé par trois organisations patronales et les organisations syndicales, à l'exception de la CGT. L'accord national interprofessionnel (ANI) relatif au dialogue social a été signé par deux des trois organisations patronales – la Confédération des petites et moyennes entreprises faisant exception – et toutes les organisations syndicales. L'avenant au protocole d'accord de 2023 sur l'assurance chômage a été signé par les trois organisations patronales et trois des cinq organisations syndicales, à l'exception de la CGT et de la CFE-CGC.
Sans recueillir l'unanimité, ces trois accords ont donc suscité une très large adhésion, donnant le sentiment que le dialogue social avait véritablement sa place dans notre pays, sur des sujets potentiellement épineux : après avoir échoué, ils ont finalement pu être conclus. Il appartient désormais au Parlement – au Sénat, début juin, et à l'Assemblée nationale le 3 juillet – d'en assurer la transposition législative, sur la base d'un projet de loi qui a fait l'objet d'échanges avec les partenaires sociaux depuis plusieurs mois. De leur aveu, il a été transposé fidèlement, dans le texte qui vous est soumis aujourd'hui.
Je précise que cette transposition a non seulement été vue avec les partenaires sociaux qui ont signé ces accords, mais aussi avec ceux qui ne les ont pas signés. C'est une manière de respecter les organisations non-signataires, qui contribuent aussi au dialogue social à travers les négociations.
Les articles 1er à 7 du projet de loi concernent l'emploi des travailleurs expérimentés.
Les deux premiers articles renforcent le dialogue social en obligeant les branches et les entreprises d'au moins trois cents salariés à mener des négociations spécifiques tous les quatre ans au moins. Il était en effet important qu'à tous les niveaux, le dialogue social puisse se saisir des sujets du recrutement des seniors, des moyens pour les maintenir en emploi et en bonne santé, avec des compétences actualisées, des aménagements de fin de carrière et de transmission de savoir-faire. Afin d'apporter les bonnes réponses en fin de carrière, employeurs et salariés doivent se préparer en amont. Il s'agit de l'un des grands enseignements constaté dans les pays où les taux d'emploi des travailleurs expérimentés sont plus élevés : ils arrivent à anticiper ces sujets bien plus en amont que nous.
L'article 3 renforce le dispositif de mi-carrière, prévu autour de 45 ans –les branches en décideront –, en ajoutant à la visite médicale obligatoire un nouvel entretien professionnel, pour avoir une vision à 360 degrés – compétences et santé. Ces deux obligations combinées constitueront un rendez-vous de mi-carrière, qui permettra de mieux répondre aux enjeux de santé au travail et d'aborder l'ensemble des questions liées aux compétences et aux qualifications, aux besoins de formation, aux mobilités, aux reconversions.
L'article 4 lance, pour cinq ans, l'expérimentation d'un contrat de valorisation de l'expérience, pour rendre plus incitatif le recrutement des salariés de 60 ans et plus, en tirant les enseignements des raisons pour lesquelles des dispositifs existants – contrat à durée déterminée pour les seniors, contrats de génération – n'ont pas fonctionné. Ces travailleurs expérimentés pourront ainsi bénéficier d'un contrat à durée indéterminée (CDI), spécifique ; en contrepartie, les entreprises pourront bénéficier d'une sécurité et d'un avantage. La sécurité, c'est la certitude de voir le salarié partir à la retraite lorsqu'il aura atteint l'âge légal de départ à taux plein ; l'avantage, c'est une exonération de cotisation sur l'indemnité de mise en retraite.
Les articles 5, 6 et 7 facilitent les aménagements de fin de carrière. Dans les pays comme la Suède et le Danemark, qui ont des taux d'emploi élevés de travailleurs âgés de 61 à 64 ans – parfois deux fois plus que le nôtre –, le recours au temps partiel est beaucoup plus important. Nous apporterons de meilleures réponses si nous sortons de la logique binaire consistant à considérer que la dernière partie de carrière doit s'effectuer soit à 100 % en activité soit pas du tout.
L'article 5 vise à faciliter les aménagements de fin de carrière, en obligeant les entreprises à motiver précisément les refus qu'elles sont en droit d'opposer aux demandes de passage à temps partiel. L'article 6 permet à l'employeur d'un salarié qui décide de réduire son temps de travail de lui verser de manière anticipée tout ou partie de l'indemnité de départ à la retraite, afin de compenser en partie la rémunération ainsi perdue. L'article 7 clarifie les règles relatives à la mise à la retraite d'office, pour les rendre pleinement applicables aux salariés qui bénéficient d'un cumul emploi-retraite.
Toutes les stipulations de l'accord du 14 novembre n'impliquaient pas de transposition législative. Tel est cependant le cas de la retraite progressive, dont l'âge d'ouverture sera établi à 60 ans, contre 62 ans dans la réforme Borne de 2023. Cette mesure a le même objectif : favoriser les aménagements de fin de carrière, pour sortir d'une logique binaire. En effet, la retraite progressive n'est pas assez mobilisée : 30 000 bénéficiaires seulement chaque année, soit moins de 0,5 % de la cohorte annuelle des 700 000. Grâce à l'accord du 14 novembre, le salarié pourra réduire son temps de travail, en commençant à percevoir une partie de sa pension, tout en continuant à cotiser à taux plein. La publication prochaine du décret permettra une entrée en vigueur au 1er septembre 2025. La retraite progressive qui existait, certes de manière très marginale, dans le secteur privé, sera désormais accessible aux agents des trois fonctions publiques.
Concernant le dialogue social, l'article 8 prévoit de supprimer la limite du nombre de mandats successifs pour les membres élus siégeant dans les comités sociaux et économiques. Le cumul des mandats faisait l'objet de débats, un arbitrage délicat devant être rendu entre liberté de choix, renouvellement, continuité et efficacité. Les partenaires sociaux ont trouvé un accord très large, presque unanime, pour écarter cette limite.
S'agissant de l'assurance chômage, les circonstances sont un peu différentes : le gouvernement de l'époque avait choisi de ne pas agréer l'accord de novembre 2023 auquel étaient parvenus les partenaires sociaux. En octobre 2024, nous avons demandé aux partenaires sociaux de reprendre la négociation. Ils sont parvenus à un accord sur la base de celui de 2023 et la nouvelle convention de l'Unedic a été agréée par le Gouvernement, par un décret du 20 décembre 2024. Elle permet l'adaptation de certaines dispositions applicables aux salariés de plus de 55 ans, la mensualisation du versement de l'allocation et la suppression de plusieurs mesures d'effets d'aubaine liées à l'allocation pour les créations ou les repreneurs d'entreprises. Au total, en régime de croisière, l'économie pour l'Unedic devrait atteindre 1,5 milliard d'euros en année pleine.
Cette nouvelle convention d'assurance chômage prévoit également d'améliorer les droits des saisonniers et des primo-entrants, composés à 62 % de jeunes. Sur ce second point, l'abaissement de la durée d'affiliation des personnes s'inscrivant pour la première fois à l'assurance chômage – les primos-entrants de six à cinq mois, dont il faut mieux sécuriser la situation, particulièrement fragile – n'a pu être agréée, faute d'avoir une base législative. L'article 9 du projet de loi permettra ainsi d'intégrer cette disposition à la convention d'assurance chômage, pour mieux protéger les primo-entrants, dans un contexte où le taux de chômage – celui des jeunes en particulier – a récemment augmenté.
Enfin, le Gouvernement a souhaité être prévoyant en introduisant un article 10, qui traite des transitions et des reconversions professionnelles. Les dispositions en la matière sont très importantes pour mieux répondre aux secondes parties de carrière, soit pour les personnes confrontées à des métiers à forte usure professionnelle, pénibles et usants, soit pour les salariés dans des secteurs en pleine restructuration économique. Il n'existe pas de solution unique. Pour apporter les bonnes réponses, nous devons rendre nos dispositifs plus simples et lisibles, pour qu'ils soient plus utilisables par les entreprises et les salariés. Par une lettre en date du 10 avril, nous avons donc demandé aux partenaires sociaux, qui l'avaient réclamé, de relancer les négociations sur les dispositifs de transition et de reconversion. Cette négociation est dans sa dernière ligne droite, puisqu'elle doit se conclure demain. Il s'agit d'une relance car cette question avait fait l'objet d'un accord très partiel dans le cadre de la négociation sur le pacte de la vie au travail au printemps 2024.
Notre objectif est de mieux accompagner les salariés en mobilité, interne et externe, et de développer l'alternance pour les adultes. On évoque souvent l'exemple du dispositif Transitions collectives, qui a permis à des personnes travaillant dans une entreprise en restructuration d'être recrutées, avec une formation, dans une entreprise qui embauche, dans le même territoire. Or ce très beau dispositif concerne actuellement peu de personnes alors qu'il a été créé en 2019. Il faut donc le simplifier et changer d'échelle : les partenaires sociaux y travaillent.
Dans le projet initial, l'article 10 habilitait le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures législatives nécessaires à la transposition d'un nouvel accord, de façon à embarquer dans ce véhicule législatif ce qui aura été négocié par les partenaires sociaux, pour que nos salariés et nos entreprises puissent en bénéficier dès la rentrée prochaine. Le Sénat a souhaité supprimer les dispositions habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance. En bonne entente avec le Gouvernement, et pour ne pas supprimer l'article qui constitue une accroche légistique, il a choisi de reprendre les objectifs généraux de la négociation tels que nous les avons formulés. À cette heure, la négociation se poursuit ; nous verrons ce qu'il en sera lorsque le texte sera examiné par les députés en séance publique. Nous serons particulièrement attentifs, pour apporter les réponses aux entreprises qui restructurent.
Votre commission se réunit à un moment où tous les regards sont braqués sur la délégation paritaire permanente. Le dialogue social est essentiel, parce qu'il est toujours utile, comme le montre la transposition de ces accords. Il joue également un rôle d'apaisement, en permettant une vraie discussion, qui prend le temps d'aller au fond des sujets. Accord ou pas, certaines de ces questions avancent : alors que cela n'a pas été le cas les années précédentes, elles trouvent enfin une conclusion. Le dialogue social contribue aussi à renforcer une culture du compromis, qui permet de rapprocher un certain nombre de points de vue.
Les trois accords que nous transposons témoignent de cet état d'esprit. La transposition du fruit d'un accord entre partenaires sociaux, articulation entre deux formes de démocratie, est un exercice particulier, pour l'Assemblée nationale comme pour le Sénat. Je sais que vous l'avez déjà fait à plusieurs reprises, sur le partage de la valeur, ou, plus récemment, l'ANI accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) – dont nous avions discuté durant le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, sur la faute inexcusable de l'employeur. Je suis confiante : nous réussirons aussi à faire une belle transposition de ces trois accords.
M. Stéphane Viry, rapporteur. En 2020, les plus de 65 ans représentaient déjà 20 % de la population française, une part qui atteindra près de 30 % d'ici à 2050. Ce ne sont pas de simples projections ; c'est une réalité démographique qui avance à grand pas et à laquelle notre pays doit se préparer, en particulier sur la question de l'emploi des travailleurs expérimentés. En effet, alors que la population vieillit, la part des demandeurs d'emploi de plus de 50 ans a presque doublé en quinze ans. Cette progression rapide, trop souvent passée sous silence, appelle une réponse structurée.
Face à cela, les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités. Ils se sont saisis de ce sujet complexe, parfois clivant, et sont parvenus à un accord équilibré. L'ANI sur l'emploi des salariés expérimentés, signé le 14 novembre 2024, est le fruit de ce dialogue social, que l'on croit parfois perdu : il prouve ici toute sa vitalité. Je tiens à saluer leur méthode, leur persévérance et leur sens du compromis.
Cet accord s'inscrit dans la continuité du travail que j'avais moi-même entamé lors des précédentes législatures, avec une proposition de loi sur le même sujet, issue d'une mission d'information menée en 2021 sur l'emploi des seniors. Dans un contexte de tension budgétaire et de fragilité de notre protection sociale, notre pays doit mobiliser toutes ses forces sur cette question. Les travailleurs expérimentés, riches de compétences et d'envie, sont une ressource que nous ne pouvons plus laisser de côté. Trop souvent, ils se heurtent à des freins injustes ou à des stéréotypes dépassés.
Soyons clairs : il n'y a pas d'âge, en France, pour créer de la valeur. Il est grand temps que notre législation le reconnaisse pleinement. Le projet de loi qui nous est soumis vise à transposer fidèlement les dispositions de l'ANI du 14 novembre 2024. Il s'articule autour de quatre priorités, qui s'adressent aux branches, aux entreprises, aux salariés et aux demandeurs d'emploi.
Le titre Ier pose les bases du dialogue social. L'article 1er crée une négociation obligatoire, dans chaque branche professionnelle, sur l'emploi des travailleurs expérimentés. L'article 2 impose la même démarche dans les entreprises de plus de trois cents salariés. C'est une manière de sortir les seniors de l'angle mort des discussions collectives et de reconnaître leur place dans la stratégie des ressources humaines.
Le titre II – l'article 3 – renforce l'entretien professionnel. Il devra désormais avoir lieu dans les deux mois suivant la visite médicale de mi-carrière, organisée l'année des 45 ans. Cela permettra de mieux articuler les recommandations du médecin du travail avec les évolutions possibles du poste. On passe ainsi d'une logique de réparation à une logique d'anticipation.
Le titre III – l'article 4 – introduit le contrat de valorisation de l'expérience. Ce contrat, expérimenté pendant cinq ans, s'adresse aux demandeurs d'emploi âgés d'au moins 60 ans ou dès 57 ans lorsque la branche le prévoit. Il prévoit une exonération de 30 % sur la contribution patronale à l'indemnité de mise à la retraite, afin de rendre l'embauche plus attractive. C'est un signal clair au marché du travail : l'expérience a toute sa place dans l'entreprise.
Le projet de loi a été adopté au Sénat en première lecture le 4 juin, dans un esprit de respect de l'accord négocié par les partenaires sociaux. Les quelques amendements adoptés sont venus clarifier le texte sans jamais le dénaturer. Avec Nicolas Turquois, nous avons mené de nombreuses auditions qui ont confirmé un large consensus autour de ce projet. C'est pourquoi, je vous invite à faire preuve de la même rigueur et du même respect que nos collègues sénateurs : conservons l'équilibre du texte. Le travail mené par les partenaires sociaux mérite d'être transposé, sans déviation.
Je veux aussi rassurer celles et ceux qui pourraient s'inquiéter d'un texte figé : non, ce projet de loi ne clôt pas le débat, bien au contraire ; il en est le point de départ. Nous aurons d'autres occasions d'approfondir la question de l'emploi des seniors, notamment dans le cadre du prochain PLFSS, ou lors de nos futurs débats sur le travail.
En effet, la question de l'emploi des seniors ne se résume pas à un contrat ou à une visite médicale : elle interroge le sens que nous donnons au travail tout au long de la vie. Je terminerai en citant les conclusions du groupe de réflexion "Travail en commun", que j'ai eu le plaisir de coanimer en 2023, avec Dominique Potier et vous-même, madame la ministre, chère Astrid : "Depuis quarante ans, les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont considéré la question du travail avant tout sous l'angle de l'emploi et de la lutte contre le chômage. Mais la question du sens du travail doit être replacée au centre de nos débats."
Ce projet de loi n'épuise pas la question. Il la structure. Il la rend visible. Il nous engage à continuer à avancer collectivement dans cette direction. Alors ne dévions pas ce texte de sa trajectoire. Votons-le dans le respect de l'accord qu'il transpose et préparons, ensemble, les prochaines étapes du débat.
M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je partage la conclusion de mon co-rapporteur Stéphane Viry sur le sens du travail. L'objet du présent texte est de transposer des accords trouvés, largement, entre organisations syndicales et patronales. Au-delà du contenu, cet accord souligne l'importance du dialogue social. Alors que notre assemblée est régulièrement bloquée par des oppositions politiques stériles, les organisations syndicales et patronales ont su trouver un accord utile pour notre pays et pour le monde du travail. Nous devons donc être à la hauteur de cet accord et ne pas en modifier les équilibres. Cela n'empêche pas d'y apporter des améliorations juridiques et techniques – c'est le rôle des rapporteurs, et, plus largement, celui du législateur –, pour donner aux conventions toute leur force : cela invite à ne rien en supprimer et à ne rien ajouter qui n'aurait été signé.
Il me revient de rapporter les titres IV à VII. D'abord, sont prévues des facilitations des aménagements de fin de carrière. Comme vous le savez, depuis la réforme des retraites de 2023, lorsqu'il refuse de faire droit à la demande du salarié de travailler à temps partiel ou à temps réduit, l'employeur doit justifier de l'incompatibilité de la durée de travail sollicitée avec l'activité économique de l'entreprise. À travers l'accord du 14 novembre 2024, les organisations représentatives sont convenues de limiter pour l'employeur les raisons d'un refus d'une demande de passage à un temps partiel. Je précise que l'accord verra aussi sa transposition faite par voie réglementaire, pour faciliter le recours à la retraite progressive, dès l'âge de 60 ans, contre 62 ans actuellement.
Il est aussi prévu que l'indemnité de départ à la retraite puisse être versée de manière anticipée à un salarié en fin de carrière qui souhaite réduire son temps de travail, pour maintenir tout ou partie de sa rémunération. Pour lever un frein au recrutement de salariés dans le cadre du cumul entre l'emploi et la retraite, il est également prévu que les personnes embauchées après l'âge permettant de bénéficier d'une retraite à taux plein se voient appliquer les dispositions relatives à la mise à la retraite d'office.
Ensuite, les partenaires sociaux reviennent sur la limitation, introduite par les ordonnances de 2017, du nombre de mandats que peut successivement exercer un délégué au comité social et économique (CSE) de l'entreprise. L'objectif du plafonnement à trois mandats était d'encourager le renouvellement des représentants du personnel. Il faut prendre acte que cela n'a pas fonctionné pour endiguer le manque de candidats et même que cela peut rompre des relations qui, pour être de qualité, mettent du temps à s'établir entre les délégués eux-mêmes, ou entre les délégués et les employeurs. Nos auditions ont montré à quel point ce retour à la possibilité d'acquérir une expérience solide en matière de droit du travail et de prévention était souhaité par les organisations syndicales et patronales.
Par ailleurs, les partenaires sociaux ont conclu une convention nationale dans le champ de l'assurance chômage, dont une partie a déjà été transposée du seul fait de son agrément par arrêté : elle requiert encore une intervention législative pour baisser de six à cinq mois la condition minimale d'affiliation antérieure au bénéfice de l'aide au retour à l'emploi pour les primo-affiliés ou primo-entrants – les personnes qui n'ont jamais été inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi ou qui ne l'auraient pas été pendant une durée qui pourrait être de l'ordre vingt ans. Je précise que si ces deux termes de la modulation – l'activité antérieure et la période de référence sans inscription comme chômeur – correspondent à l'intention très claire des signataires de la convention, que partagent le Gouvernement, le Sénat et nous-mêmes en tant que rapporteurs, leur valeur n'est pas de rang législatif. Sur le fond, cet article est favorable aux jeunes comme aux seniors longtemps éloignés du marché du travail – en raison d'arrêts importants ou de séjour à l'étranger.
Enfin, le tout dernier article du texte ne manque pas d'originalité sur le plan procédural. Dans sa version initiale, était sollicitée une habilitation, pour l'exécutif, à simplifier par voie d'ordonnances les outils que l'État, les régions, France compétences et d'autres opérateurs gèrent dans le domaine de la formation et de la reconversion professionnelles. Ils se chevauchent en effet de manière peu efficiente, sur le plan financier mais surtout sur le plan opérationnel.
Comme vous l'avez dit avec clarté au Sénat, madame la ministre, et comme nos collègues sénatrices Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat l'expliquent très bien dans leur rapport, l'exécutif ne souhaitait pas tant utiliser ce levier juridique qu'insérer dans le projet de loi une accroche pour éventuellement y faire figurer les dispositions dont sont en train de discuter les partenaires sociaux sur les sujets de la formation et des transitions professionnelles. Pensez-vous, madame la ministre, qu'un accord puisse être formalisé après-demain ? Quelle forme prendrait alors l'amendement du Gouvernement, en vue de la séance ?
Je me réjouis de nos échanges à venir sur des sujets qui me sont chers et je forme le vœu que les dispositions dont nous parlons puissent trouver un large consensus dans notre assemblée, pour entrer en vigueur rapidement.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Thomas Ménagé (RN). Je salue à mon tour saluer la méthode retenue, celle de la transposition d'un accord national interprofessionnel qui repose sur le dialogue social et non sur une décision imposée par un ministère. Le groupe Rassemblement National considère le recours aux partenaires sociaux comme un préalable, à chaque fois que cela est possible, dans le monde du travail. C'est une question de bon sens, car personne ne connaît mieux la réalité des entreprises, des branches et des métiers que les partenaires sociaux. Cet accord, signé par une large majorité d'organisations syndicales et patronales, en est la preuve.
Pour que le dialogue social soit réellement efficace, il faut surtout que les partenaires sociaux soient libres d'évoquer les sujets qu'ils veulent, dans le périmètre qu'ils veulent, et qu'ils ne soient jamais muselés par le Gouvernement. Il y aurait un grand nombre de sujets à traiter : l'assurance chômage, la formation professionnelle, la question des salaires ou encore l'emploi des jeunes. Ma question porte sur ce dernier thème. Madame la ministre, comptez-vous ouvrir des discussions et travailler sur la question de l'âge d'entrée sur le marché du travail, afin que nos jeunes entrent plus tôt et dans des métiers qui recrutent ?
Selon notre groupe, pour équilibrer nos systèmes de retraite, il est plus simple de demander aux Français de travailler deux ans plus tôt que deux ans en fin de carrière. Je ne peux en effet pas m'abstenir d'évoquer la réforme des retraites de 2023 : cette réforme imposée à coups de 49.3 n'a jamais été votée par cette assemblée. On ne peut prétendre traiter dignement l'emploi des seniors sans interroger cette réforme, qui pèse lourd sur ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux dont la santé s'abîme plus vite, sur les femmes, sur tous les grands perdants de la réforme Macron-Borne. Peu importe ce qui ressortira du conclave, un jour ou l'autre, il faudra rouvrir ce débat avec un nouveau vote, par une nouvelle majorité, avec une nouvelle présidence de la République : ce sera en 2027. Le Rassemblement national est clair auprès des Français : nous reviendrons sur cette réforme des retraites.
Mme Christine Le Nabour (EPR). En 2023, moins de six seniors sur dix étaient en emploi en France, contre sept sur dix en Allemagne, au Portugal ou en Suède. La comparaison est brutale, mais parlante : les freins à l'embauche, à la formation et au maintien dans l'emploi résultent de représentations dépassées que ce texte entend faire bouger.
Un salarié expérimenté n'est pas un salarié fatigué mais un professionnel solide, un repère, un levier de transmission. Dans une société où l'on parle sans cesse de sens au travail, de compétences et de confiance, comment pouvons-nous continuer de considérer l'âge comme un facteur d'exclusion ?
Ce projet de loi, fruit du dialogue entre partenaires sociaux, trace la voie d'un changement culturel dans l'entreprise que nous encourageons. Il s'agit non pas de brandir de nouvelles obligations, mais d'ancrer durablement le sujet des fins de carrière dans les pratiques sociales, dans les négociations collectives et dans les stratégies RH, et ce, à tous les niveaux : branches, entreprises et parcours individuels.
Certes, les mesures proposées sont parfois modestes, mais elles répondent à des attentes pressantes et sont le fruit d'un travail collectif. Par le biais du contrat de valorisation de l'expérience, de la reprise des négociations de branche ou encore de la revalorisation du temps partiel choisi, nous voulons redonner des perspectives à celles et ceux qui, trop souvent, se voient reléguer en marge du marché du travail bien avant l'âge légal de départ à la retraite.
Nous approuvons cette transposition fidèle des accords interprofessionnels, parce qu'elle traduit une conviction simple : notre pays ne pourra atteindre le plein emploi sans revaloriser l'expérience. La justice consiste aussi à permettre à chacun de terminer sa vie professionnelle avec dignité, utilité et fierté ; le groupe Ensemble pour la République votera en ce sens.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Madame la ministre, on ne va pas se mentir : ce projet de loi est la pommade de Michel Barnier après la réforme des retraites, qui n'a jamais été votée par personne – ce qui est pour le moins baroque.
La situation politique est assez étrange : vous avez succédé à Mme Vautrin comme ministre du travail et, après la censure du gouvernement Barnier, vous voici à nouveau ministre du travail, sous l'autorité de la même Mme Vautrin ! Or vous ne devriez même pas être ministre puisque vous avez perdu les dernières élections législatives.
On peut toujours essayer de revenir sur la réforme des retraites avec une petite pommade, mais ce texte ne propose que des mesures à propos desquelles l'employeur peut décider unilatéralement de faire ce qu'il veut, puisqu'aucune sanction n'est prévue. Sans compter que ce projet de loi ne prévoit rien à propos de la pénibilité ! De plus, tout en disant qu'il faut remplir les caisses, vous prévoyez des exonérations de cotisations sociales pour le CDI senior, pour corriger vos erreurs.
La vraie question consiste à se demander pourquoi autant de seniors sont sans emploi. En France, entre 500 000 et 800 000 emplois sont non pourvus alors que près de 6 millions de personnes n'ont pas de travail. Suffit-il vraiment de traverser la rue pour trouver du boulot ? Si certains ici le pensent, nous ne pourrons jamais être d'accord avec eux : notre pays fait face à une pénurie d'emplois. Revenir sur la réforme des retraites, c'est soulever à nouveau la question de sa légitimité politique.
Permettez-moi de m'adresser aussi aux socialistes : le conclave est en train de faire "pschitt" et les 12 milliards d'euros de crédits promis ont tous été annulés par décret.
Le groupe La France insoumise n'a pas vraiment de question à vous poser sur ce texte, madame la ministre ; pas plus qu'une pommade il ne résoudra le problème créé par l'imposition de la réforme des retraites par 49.3. Nous travaillons à une nouvelle motion de censure ; parce que vous vous êtes trahis sur tous les plans au sujet des retraites, nous allons vous censurer une deuxième fois et j'espère ne pas vous revoir dans cette commission, avec tout le respect que je vous dois.
Mme Océane Godard (SOC). Madame la ministre, le 19 mai dernier au Sénat, vous avez présenté l'ambition de ce texte : "[…] changer la loi, mais aussi changer les regards et les pratiques, pour en finir avec le [gâchis du] sous-emploi des plus de 50 ans". Nous partageons ce constat et nous saluons le travail mené par les partenaires sociaux. Nous avons la responsabilité de respecter la parole collective qui a abouti à ce compromis solide, qui renforce la démocratie sociale dont nous avons tant besoin. Le groupe Socialistes et apparentés soutient donc la transposition fidèle de cet accord.
Néanmoins, ce texte laisse de côté les nombreuses entreprises qui ne seront pas couvertes par des accords de branche ou des négociations internes. Que prévoyez-vous pour elles, madame la ministre ? Comment faire en sorte que les nouveaux droits ne restent pas de simples principes ?
Ce projet de loi pose enfin un cadre clair permettant de mener une réflexion collective sur l'emploi des seniors au niveau des branches professionnelles. Nous soutenons pleinement cette ambition tant il est urgent de dépasser la vision limitée du maintien dans l'emploi. Nous ne devrions d'ailleurs pas aborder la situation des salariés expérimentés sous l'angle de l'emploi puisque c'est avant tout une question d'organisation et de conditions de travail, ainsi que de management.
Le renforcement des entretiens professionnels est une avancée, à condition que l'on y parle de travail et d'organisation du travail, pour accompagner individuellement les parcours, anticiper les besoins et lutter contre l'usure professionnelle. Leur succès dépendra de la qualité du dialogue instauré et de la capacité des entreprises, notamment les petites et les moyennes, à mobiliser les moyens nécessaires.
Nous sommes favorables aux mesures visant à aménager le temps de travail, comme la retraite progressive et le versement anticipé de l'indemnité de départ, qui permettent de proposer une transition plus sereine vers la retraite.
Lors de l'examen du texte au Sénat, les rapporteurs ont supprimé l'habilitation à légiférer par ordonnance sur les transitions professionnelles, pour éviter que le Gouvernement puisse transposer un futur accord sans débat parlementaire. Nous nous en réjouissons, parce que nous tenons à ce qu'il n'y ait pas de transposition automatique : le dialogue social élabore des compromis, que la démocratie parlementaire transforme en droit. Réinventer la vie professionnelle ne peut se faire sans débat démocratique.
Nous voterons ce projet de loi, non pour le sanctuariser, mais pour ouvrir les chantiers suivants, pour parler du travail, de son organisation, de conditions de travail et pour ne plus opposer la flexibilité à la protection des salariés.
Mme Josiane Corneloup (DR). Je salue ce projet de loi qui vise à transposer deux accords nationaux interprofessionnels relatifs à l'emploi des salariés expérimentés et au dialogue social.
Ce texte n'est pas simplement technique : il résulte d'un véritable dialogue social, exercice que nous respectons profondément incarnant à la fois la responsabilité des partenaires sociaux et l'intérêt national. Qui, mieux que les partenaires sociaux, pourrait identifier les mesures favorables au maintien dans l'emploi et au retour à l'emploi des seniors ?
Augmenter le taux d'emploi des seniors est l'un des grands défis de notre temps. L'âge ne doit pas être un facteur d'exclusion ; chacun doit pouvoir terminer sa vie professionnelle avec dignité et respect. Je fais miens vos propos, madame la ministre : il faut changer le regard et les pratiques. Le taux d'emploi des seniors ne peut plus être relégué au second plan : il doit devenir une priorité dans toute réforme du marché du travail ou du système de retraite.
En 2023, seuls 38,9 % des 60-64 ans occupaient un emploi en France, contre 50,9 % en moyenne dans l'Union européenne. Ce n'est pas qu'une statistique sociale, c'est un levier budgétaire majeur : si nous atteignions simplement le niveau de l'Allemagne, nous dégagerions près de 20 milliards d'euros supplémentaires de recettes issues des prélèvements sociaux. C'est, non pas un détail, mais une marge de manœuvre considérable pour notre modèle social.
Ce texte prévoit des outils concrets, utiles et attendus : des négociations obligatoires sur l'emploi des salariés expérimentés, le renforcement des entretiens professionnels de milieu et de fin de carrière, l'expérimentation d'un contrat de valorisation de l'expérience, l'assouplissement des conditions d'aménagement de fin de carrière – retraite progressive, cumul emploi-retraite.
Toutefois, nous serons vigilants à ce que le débat parlementaire ne permette ni le retour par la petite porte d'une réforme des retraites ni la réintroduction de mesures qui n'auraient pas été validées par les partenaires sociaux. Le respect du cadre de la négociation est fondamental.
Le groupe Droite Républicaine votera en faveur de ce projet de loi avec la conviction qu'il s'agit d'une étape importante vers une meilleure reconnaissance de l'expérience des salariés et la concrétisation d'une société du travail plus inclusive.
M. Paul Christophe (HOR). Ce texte revêt une importance particulière pour l'avenir du marché du travail et la cohésion de notre société. Alors que la France a connu depuis 2017 des avancées majeures en matière d'emploi et de formation professionnelle, notre pays reste confronté à un défi de taille : l'emploi des salariés seniors.
Les chiffres sont sans appel : en 2023, seuls 36 % des 60-64 ans sont en emploi contre 61 % en Allemagne et 70 % aux Pays-Bas. Près de 30 % d'entre eux ne sont ni en emploi ni en retraite, et la durée moyenne de chômage des plus de 55 ans excède dix-huit mois. Ces chiffres témoignent d'une précarité subie que nous pourrions éviter.
Le présent projet de loi est le fruit d'un dialogue social exemplaire, qui a abouti à deux accords nationaux interprofessionnels, signés le 14 novembre dernier par l'ensemble des partenaires sociaux. Il vise à transposer fidèlement ces accords autour de quatre axes : renforcer le dialogue social sur l'emploi des seniors, préparer la seconde partie de carrière, lever les freins au recrutement des demandeurs d'emploi seniors, notamment grâce à la création du contrat de valorisation de l'expérience, et faciliter les aménagements de fin de carrière.
Le groupe Horizons & Indépendants votera résolument ce texte, qui respecte l'équilibre trouvé par les partenaires sociaux dans un contexte de vieillissement démographique et de transition économique rapide. Toutefois, si nous saluons la méthode privilégiant la concertation et la confiance, nous serons néanmoins vigilants à ce que ce texte demeure fidèle à l'esprit et à la lettre des accords, sans surtransposition ni dénaturation. Je pense notamment à l'article 10, qui, dans sa version initiale, prévoyait une habilitation à légiférer par ordonnance sur les transitions professionnelles, disposition finalement supprimée par le Sénat. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser votre position à ce sujet et nous indiquer si le Gouvernement entend proposer une nouvelle rédaction, le Parlement ne pouvant prendre l'initiative du rétablissement de cet article ?
M. Paul-André Colombani (LIOT). Le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires continue de penser que le Gouvernement a pris le problème à l'envers en reculant l'âge légal de départ à la retraite alors que le taux d'emploi des seniors n'est pas bon.
Nous soutiendrons le rétablissement d'une obligation formelle de négociation sur l'emploi des seniors au niveau des branches et des entreprises, comme nous l'avons fait à de nombreuses reprises, mais pourquoi ne pas prévoir un mécanisme de sanction en cas d'absence d'accord ?
Les entretiens professionnels seront mieux articulés, grâce aux visites médicales de milieu de carrière et de fin de carrière, mais ces nouveaux rendez-vous demandent du temps et du personnel, que la pénurie de médecins du travail ne permettra pas de fournir.
Nous sommes plus dubitatifs sur le contrat de valorisation de l'expérience, puisqu'il est possible de mettre un salarié à la retraite dès lors qu'il est en mesure de la prendre à taux plein ; nos doutes portent également sur l'exonération de cotisation sur l'indemnité de mise en retraite. Les seniors sont nettement plus vulnérables aux accidents et aux maladies et 37 % des salariés ne se sentent pas capables de travailler jusqu'à leur retraite. Cela montre l'importance d'aménager les fins de carrière, en donnant notamment la possibilité de réduire le temps de travail et de mobiliser des dispositifs comme la retraite progressive. Notre groupe avait aussi proposé d'abaisser la condition d'âge à 57 ans ; l'annonce du Gouvernement de la remettre à 60 ans est une première étape.
Au-delà des mesures relatives au dialogue social et à l'accès facilité à l'assurance chômage, nous promouvons la reprise des dispositions de notre proposition de loi visant à protéger l'assurance chômage et à soutenir l'emploi des seniors, adoptée avant la dissolution, afin de rendre moins contraignant le document de cadrage. Si nous soutenons la transposition fidèle d'accords nationaux interprofessionnels importants, alors que le Gouvernement avait pris l'habitude de contourner le paritarisme, nous ne devons pas faire l'impasse sur ce débat essentiel dont nous avons toujours été privés.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Vous réparez les pots cassés, mais vous les réparez mal : quel dommage !
Nous avions donné l'alerte sur les conséquences désastreuses de la réforme des retraites pour les salariés les plus abîmés par le travail, pour les plus précaires, pour les femmes, les plus âgées. Nous avions aussi proposé des mesures portant sur la question précise de l'emploi des seniors, véritable angle mort de la réforme.
Il y a deux ans déjà, nous remarquions votre politique contradictoire visant à repousser l'âge de départ à la retraite sans vous préoccuper de la précarité des seniors exclus du marché du travail. En France, à 62 ans, 40 % des personnes qui ne sont pas encore à la retraite ne sont déjà plus en emploi et sont davantage exposées à la précarité. Quant à ceux qui restent en emploi, c'est souvent dans de mauvaises conditions. Le report à 64 ans a des effets similaires, plaçant 200 000 personnes supplémentaires dans le sas de précarité, pour une hausse de l'emploi des seniors estimée à environ 300 000 par Michaël Zemmour.
Nous souscrivons à l'objectif d'amélioration du taux d'emploi des seniors de ce projet de loi, mais comment peut-on appréhender le sujet ô combien important de l'employabilité des seniors en faisant l'impasse sur la question de la santé au travail ?
Le groupe Écologiste et Social reconnaît quelques avancées : la suppression de la limite du nombre de mandats successifs des délégués du personnel au CSE et la réintroduction de l'obligation de négocier sur l'emploi, le travail et l'amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés, malgré l'absence de sanctions en cas de non-application. Cette dernière mesure est toutefois une avancée en demi-teinte : sa suppression par les ordonnances Macron de 2017 a donné lieu à une dégradation du climat social dans les entreprises et à l'augmentation du nombre de demandeurs d'emploi de plus de 50 ans, passé de 312 000 en 2008 à 809 000 fin 2022 et à 868 000 au quatrième trimestre 2024. La santé au travail ne fait pas l'objet d'un plan doté de moyens massifs à la hauteur de l'enjeu, alors que dans le même temps, on ne compte plus les cadeaux faits aux entreprises.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste et Social défendra des amendements pour améliorer les conditions de travail et d'emploi des seniors, mais s'abstiendra sur l'ensemble du texte.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Didier Le Gac (EPR). Ce projet de loi nous permet d'examiner les difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour faire croître significativement le taux d'emploi des seniors. S'il vise à créer un contrat de valorisation de l'expérience, il met aussi l'accent sur la formation des salariés seniors, dont les besoins doivent être identifiés aussi tôt que possible, notamment grâce à l'entretien de mi-carrière. Ce dispositif peut contribuer à orienter les salariés qui le souhaitent vers un autre métier, moins pénible.
Mais pour que les salariés soient bien formés, il faut des organismes de formation. Permettez-moi, madame la ministre, de profiter de votre audition ce jour pour vous interroger au sujet de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), qui a déjà connu une grave crise il y a quelques années et qui se trouve à nouveau en difficulté.
Les salariés de cet organisme très présent sur l'ensemble du territoire – neuf centres et 380 salariés dans ma seule région de Bretagne – s'inquiètent des décisions qui pourraient être prises dans les prochaines semaines, mettant un terme à leur carrière. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour préserver l'avenir de cet acteur historique de la formation et de la reconversion professionnelle ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Je voudrais formuler une remarque et deux questions.
Tout d'abord, je suis attaché à la démocratie sociale, qu'il faut chérir et respecter. Mais permettez-moi de vous faire part du malaise du parlementaire que je suis à chaque fois qu'il s'agit de transposer un ANI. Si nous sanctuarisons la démocratie sociale, nous aliénons dans le même temps notre faculté à aller plus loin, de manière interstitielle, pour compléter et enrichir le travail des partenaires sociaux.
Je regrette que sur un texte consensuel, le Gouvernement n'ait pas saisi l'occasion de prendre d'autres mesures relatives à l'emploi des seniors. La démocratie parlementaire aurait pu être utilement complémentaire de la démocratie sociale. Je regrette l'impuissance que nous nous assignons à nous-mêmes.
Par ailleurs, l'un des objectifs de l'augmentation du taux d'emploi des seniors est l'amélioration des finances publiques. Or cet objectif n'a pas été chiffré dans l'étude d'impact, qu'il s'agisse de son effet sur la croissance ou des montants des cotisations supplémentaires pour la sécurité sociale, en particulier pour la branche vieillesse.
Enfin, je me réjouis des dispositions relatives à la retraite progressive et de la sortie de la règle des deux années et de l'abaissement de l'âge à 60 ans. Cependant, cette faculté demeure soumise à l'autorisation de l'employeur. Quel est votre avis, madame la ministre, sur la possibilité de créer un droit opposable à la retraite progressive, qui pourrait figurer dans un texte soumis au Parlement à la suite du conclave sur les retraites ?
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Nous devons augmenter le taux d'emploi des seniors, par le biais du dialogue social et de discussions au sein des branches. Mais comment accélérer la prise en considération du travail des seniors par les chefs d'entreprise, au-delà des efforts menés en ce sens par France Travail ?
Nous avons voté l'instauration de consultations de prévention, à des âges clefs de la vie. Les médecins généralistes qui les effectuent, ainsi que les médecins du travail, devraient pouvoir tenir compte des éléments relatifs aux conditions de travail de leurs patients et contacter leurs employeurs à ce sujet.
La loi reste nécessaire, mais il nous faut avant tout changer d'état d'esprit quant aux capacités de certains salariés à poursuivre leur activité pendant encore plusieurs années et quant à leur possibilité de suivre une formation pour se réorienter. Sans ce changement d'état d'esprit, nous ne parviendrons pas à faire émerger une véritable prise de conscience de l'état de santé des salariés en fin de carrière.
M. Frédéric Petit (Dem). Au nom du groupe Les Démocrates, je tiens à saluer la volonté du Gouvernement de transposer fidèlement les différents accords conclus entre partenaires sociaux sur le dialogue social, l'accès à l'assurance chômage et l'emploi des seniors.
La comparaison avec l'Allemagne, qui se trouve dans ma circonscription, est riche d'enseignements. Nous accusons un retard préoccupant en matière d'insertion sur le marché du travail des personnes en fin de carrière : seuls 39 % des personnes entre 60 et 64 ans sont en emploi en France, contre 51 % en moyenne en Europe et 65 % en Allemagne – l'écart est énorme. Je n'ai pourtant pas l'impression d'être dans une prison ou un pays sous-développé lorsque je suis en Allemagne.
De plus, l'augmentation de la population active est essentielle à la soutenabilité de notre modèle ; certaines études évoquent 150 milliards d'euros de recettes supplémentaires, ce qui équivaut aux budgets de l'éducation nationale et de la défense réunis.
Outre-Rhin, de nombreux patrons sont passés par l'apprentissage et on constate une plus grande capacité d'évolution et de plus fréquentes trajectoires ascendantes, quoique pas nécessairement rectilignes ou circonscrites à une même entreprise. Au-delà de l'exemple allemand, nous pouvons nous inspirer des différents travaux de l'Observatoire français des conjonctures économiques, qui témoignent de l'importance des politiques publiques dites incitatives en matière d'emploi, à savoir le durcissement de l'assurance chômage et le relèvement de l'âge de départ à la retraite.
Nous nous réjouissons de l'instauration des rendez-vous professionnels de milieu et de fin de carrière, prévus à l'article 4. Toutefois, madame la ministre, quelle ambition pourrions-nous avoir, au-delà de l'application de ce texte, pour changer d'état d'esprit, comme vient de le suggérer Mme Dubré-Chirat, et aller vers quelque chose de beaucoup plus positif ?
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Il a été beaucoup question de démocratie sociale, de dialogue social et de décisions collégiales entre partenaires sociaux. Toutefois, il y a un décalage entre les discours et les décisions concrètes prises par la Macronie depuis huit ans. En matière de démocratie sociale, nous avons vu successivement un passage en force de la réforme des retraites en 2023, contre l'avis de la majorité des parlementaires et des partenaires sociaux, puis un conclave sur les retraites dont tous les échanges ont été conditionnés à l'absence de remise en cause de l'âge légal de départ. Derrière les intentions affichées, le dialogue social n'est pas au beau fixe en Macronie.
Par ailleurs, l'emploi des seniors ne relève pas uniquement d'une dimension sociale ou d'un enjeu d'employabilité. J'en conviens, il est préférable d'adapter l'emploi aux demandeurs plutôt que l'inverse, mais il n'en demeure pas moins vrai que le sujet fondamental est la création d'emplois. Combien de personnes, après 50 ans, se retrouvent sur le carreau parce que leur usine a fermé ? Après avoir travaillé quinze ou vingt ans dans la même entreprise, il n'est pas évident de retrouver un emploi, notamment pour des raisons d'employabilité. Si vous voulez aborder la dimension sociale du travail, peut-être devriez-vous tirer les leçons des réformes qui ont été appliquées.
À cause de la réforme de l'assurance chômage et de celle des retraites, des Français de plus de 50 ans sont restés particulièrement longtemps en dehors du travail et de la retraite, dans une situation de précarité. Plutôt que d'invoquer la responsabilité des employeurs, il est temps de se pencher sur la responsabilité des décisions politiques, en particulier macronistes.
Mme la ministre. Permettez-moi une remarque liminaire générale, avant que je m'efforce de répondre à vos questions.
On a souvent eu tendance à opposer le taux d'activité des jeunes à celui des seniors, comme si l'amélioration de l'un se faisait au détriment de l'autre. Cette erreur, propre à la France, a été commise par la gauche comme par la droite depuis les années 1970. Diverses mesures, comme les départs en préretraite, ont été prises pour faciliter l'entrée des jeunes sur le marché du travail ; pourtant, le taux d'activité des personnes entre 60 et 64 ans est moitié moins important en France qu'en Allemagne, comme l'a rappelé M. Frédéric Petit, et celui des jeunes de 15 à 24 ans est de 42 %, contre 54 % en Allemagne. Comme le montrent les exemples de l'Allemagne et des pays d'Europe du nord, il n'existe pas de vases communicants : nous devons améliorer ces taux aux deux extrémités de la vie active.
Je préfère parler de travailleurs expérimentés plutôt que de seniors, pour éviter toute confusion avec les résidences seniors ; de même, je préfère parler de la valorisation de leur expérience, qui a de la valeur sur le marché du travail comme dans la vie.
La situation des travailleurs de plus de 50 ans agit comme un miroir grossissant des dysfonctionnements du marché du travail tout au long de la vie, au premier rang desquels se trouve la discrimination. Comme l'a montré la Défenseure des droits, la discrimination sur le fondement de l'âge est plus importante sur le marché du travail : un demandeur d'emploi de plus de 50 ans a deux à trois fois moins de chance d'être convoqué à un entretien d'embauche qu'un demandeur d'emploi de moins de 50 ans.
Elle est aussi un miroir grossissant s'agissant de la formation professionnelle ; c'est pourquoi nous avons demandé aux partenaires sociaux de travailler en particulier sur les transitions et les reconversions. L'accès à la formation des salariés de plus de 50 ans est presque divisé par deux par rapport à celui des autres salariés : le taux de formation des salariés de 55 à 64 ans s'élève à 35 %, contre 57 % pour les moins de 44 ans et contre 60 % pour les plus de 55 ans en Suède.
Nous avons là, par ailleurs, un miroir grossissant des dysfonctionnements en matière de santé au travail, comme l'a dit M. Peytavie. Certains métiers sont surreprésentés : un tiers des ouvriers non qualifiés de la manutention et du bâtiment passent en inaptitude professionnelle entre 51 et 59 ans, de même que 25 % des aides-soignantes.
La situation se cristallise vraiment à partir de 50 ou 55 ans – j'y reviendrai – en matière de maintien au travail ou de recrutement. Quand on a plus de 50 ans, la durée moyenne d'inscription à France Travail est de 582 jours, contre 311 jours pour les 25-49 ans. Les chômeurs de longue durée sont ainsi surreprésentés parmi les plus de 50 ans.
Je suis d'accord avec l'idée selon laquelle la loi ne suffit pas. Le ministère du travail a néanmoins lancé une immense mobilisation en lien avec les entreprises pour changer la loi, afin d'améliorer ce qui peut l'être dans le cadre du dialogue avec les partenaires sociaux. Il ne s'agissait pas de leur passer de la pommade. Je rappelle que 75 % des organisations syndicales et 100 % des organisations patronales ont voté pour l'accord relatif aux seniors, ce qui n'est pas rien en matière de représentativité.
Il faut aussi changer les pratiques. De plus en plus d'entreprises, de toutes tailles, s'intéressent à ces questions. Nous avons engagé un travail avec l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), les organisations patronales et les organisations professionnelles pour valoriser les bonnes pratiques des entreprises, petites ou grandes, en matière de recrutement, de maintien en emploi, de mobilité et de formation.
Enfin, on doit changer les regards. La révolution culturelle viendra de là. Nous nous sommes tous habitués, depuis quarante ans, à penser qu'on n'a plus tout à fait sa place dans l'entreprise après 50 ou 55 ans. Un travail de très longue haleine doit être mené à cet égard.
Monsieur Ménagé, vous m'avez interrogée sur les jeunes. Je ne veux pas opposer – mais je ne pense pas que vous le fassiez de votre côté – leur taux d'activité et celui des travailleurs expérimentés. Je travaille en ce moment même à une stratégie pour l'insertion professionnelle des jeunes. Leur taux d'activité, je l'ai dit, est plus bas en France qu'en Allemagne, et surtout leur insertion professionnelle est plus lente et plus difficile, quel que soit le niveau de qualification. Selon une étude du Conseil d'analyse économique, le taux d'activité des jeunes diplômés qui arrivent entre 22 et 24 ans sur le marché du travail met un ou deux ans à être comparable à ce qu'on observe au Royaume-Uni ou en Allemagne. C'est une vraie question, qui nécessitera une mobilisation des entreprises – cela ne relève pas seulement de la loi – et je m'y emploie. Passer quatre entretiens pour un simple stage, ce n'est pas possible !
Madame Godard, si les partenaires sociaux ont retenu un seuil de trois cents salariés, c'est qu'il s'agit du niveau auquel s'imposent les dispositions relatives à la gestion des parcours et des compétences. Les entreprises de plus petite taille seront néanmoins rattrapées par la patrouille si elles ne veulent pas elles-mêmes prendre le sujet en main. D'abord, le texte impose aux branches de traiter la question tous les trois à quatre ans. Il y a, ensuite, toute la mobilisation que nous avons lancée avec le ministère du travail, les organisations patronales, "Les entreprises s'engagent" et l'ANDRH. Dans toute la France, une vingtaine d'événements ont été organisés pour échanger sur les bonnes pratiques et montrer que la question des travailleurs expérimentés, qu'il s'agisse du maintien en emploi ou du recrutement, concerne l'ensemble des entreprises.
En ce qui concerne les retraites progressives, je vous remercie pour vos encouragements. Ce dispositif, très prometteur, est très largement sous-utilisé en France. Si le taux d'activité des travailleurs expérimentés s'approche de 70 % en Suède, il y a derrière beaucoup de retraites progressives, en réalité – beaucoup plus, en tout cas, que nos actuels 0,5 %.
Monsieur Guedj, la question de l'opposabilité a fait l'objet de discussions entre les partenaires sociaux, mais ils n'ont pas nécessairement trouvé un point d'équilibre en la matière – en tout cas ils n'ont pas trouvé de compromis, même pour une durée d'un jour.
M. Jérôme Guedj (SOC). Et vous, qu'en pensez-vous ?
Mme la ministre. J'ai été une femme d'entreprise : quand une personne demande à bénéficier, dans un délai de six mois, d'une retraite progressive, c'est un signal. L'employeur doit s'adapter pour l'entendre, sinon ce sera concrètement compliqué en matière d'organisation du travail. Mais je suis également sensible à la négociation et à la question du point d'équilibre. Ce qui était important, plus que l'opposabilité, c'était de passer à quatre ans au lieu de deux avant l'âge légal de départ à la retraite et de demander à l'employeur de justifier un éventuel refus, ce qui peut enclencher une discussion.
S'agissant des transitions et reconversions professionnelles, je suis totalement à l'aise avec le fait d'enlever du texte la transposition d'un futur accord par ordonnance – j'en ai discuté avec les rapporteures du Sénat. L'idée est néanmoins de garder à l'article 10 une accroche pour embarquer un accord si les négociations sont conclusives. Nous procéderons exactement de la même façon qu'aujourd'hui, dans des délais plus restreints mais en consultant les partenaires sociaux ainsi que les députés et les sénateurs qui s'intéressent à la question, afin de nous assurer de la fidélité de la transposition à l'esprit de la négociation.
Monsieur Peytavie, vous avez parlé d'impasse sur la santé. Je crois, pour ma part, aux entretiens de mi-carrière, à 45 ans, qui associent une visite médicale et un entretien relatif aux compétences. Cette approche globale, qui est franchement neuve en France, permettra de décider, en partant des compétences et de l'état de santé, soit d'un aménagement de poste soit d'une reconversion – il y aura des éléments concrets pour se poser ces questions. Certes, cela ne répondra pas à la problématique des moyens de la médecine du travail, mais on voit déjà que le nombre d'entretiens de mi-carrière a doublé à la suite de la conclusion, en 2021, de mémoire, d'un accord national interprofessionnel portant sur la santé au travail, et que les visites médicales de mi-carrière se font vraiment en partenariat entre la médecine du travail et les infirmiers et infirmières – il existe vraiment un bon niveau de délégation en la matière. Il faut naturellement continuer à avancer, mais je vois le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide : on considère maintenant la mi-carrière comme un rendez-vous important aussi bien en matière de santé que de compétences.
Monsieur Le Gac, l'Afpa joue un rôle absolument essentiel, en particulier pour l'emploi des seniors. Des expérimentations valent vraiment la peine d'être déployées au niveau national, comme celles qui se déroulent dans l'Aveyron. J'entends l'inquiétude des salariés de l'Afpa. Sa situation économique, actuellement difficile, nécessite que des mesures de rationalisation et de redressement soient prises. Nous recevrons jeudi l'intersyndicale pour échanger au sujet de la construction du futur contrat d'objectifs et de performance 2026-2029, qui se poursuivra avec la gouvernance de l'Afpa en vue d'un aboutissement à la rentrée. L'Afpa a mis en place des dispositifs alliant de l'individuel et du collectif, des formations courtes, professionnalisantes, et une mise en application en entreprise, qui marchent pour les seniors. France Travail est en train de s'en inspirer pour développer des dispositifs plus globaux, portant sur l'ensemble du territoire.
Monsieur Guedj, vous avez eu tout à fait raison de parler de l'étude d'impact. Le deuxième rapport remis par la Cour des comptes dans le cadre de la délégation paritaire permanente, en avril 2025, a repris un certain nombre d'études montrant à quel point la question des retraites était liée à celle du taux d'activité des plus de 55 et 60 ans. Selon une modélisation purement théorique de la direction générale du Trésor, qui a été reprise par la Cour des comptes et le Haut Conseil du financement de la protection sociale, l'alignement du taux d'emploi des seniors français sur celui des seniors allemands, c'est-à-dire le passage d'un taux d'activité de 37 % à 61 % entre 60 et 64 ans, se traduirait, hors ajustement du temps de travail, par la création de 3,6 millions d'emplois, soit plus du double de la hausse observée depuis la crise sanitaire. Une augmentation du taux d'emploi d'environ 4 points aurait un impact positif majeur sur les finances sociales : le PIB pourrait croître de quelque 3 %, ce qui se traduirait par 15 milliards d'euros supplémentaires pour la protection sociale. Au total, cette hausse du taux d'emploi pourrait entraîner une augmentation des prélèvements obligatoires perçus par toutes les administrations publiques d'environ 38 milliards d'euros, les personnes en activité cotisant et payant des impôts. Ces chiffres ont été fournis à titre indicatif – ils doivent naturellement être considérés avec prudence compte tenu des hypothèses et des limites de l'analyse – mais ils montrent qu'une augmentation du taux d'activité des plus de 55 ans aurait un véritable impact macroéconomique, au-delà de la question fondamentale, du questionnement existentiel que peuvent se poser nos compatriotes de 55 ou 60 ans – et auquel vous êtes tous confrontés, en tant que députés de terrain – quant à leur place sur le marché du travail.
J'en profite pour apporter une précision. On évoque souvent les 55-64 ans. Or il faut désormais dissocier les 55-59 ans et les plus de 60 ans. S'agissant des premiers, nous avons beaucoup progressé puisque leur taux d'emploi se situe maintenant 1 point au-dessus de la moyenne européenne. C'est à partir de 60 ans que nous avons vraiment des marges de progrès : le taux d'activité est de 37 %, soit 13 points de moins que la moyenne européenne et presque deux fois moins que dans les pays d'Europe du Nord.
En ce qui concerne l'état d'esprit, madame Dubré-Chirat, je vous rejoins totalement. Il faut aussi une déconstruction des regards : avoir de l'expérience et de la bouteille a de la valeur – je pense d'ailleurs que vous n'êtes plus les mêmes, en tant que députés, qu'au moment de votre élection. Il faut faire passer ce message auprès des entreprises, même si elles en sont déjà conscientes. Il faut aussi se rendre compte que les aspirations des travailleurs de plus de 55 ans peuvent être très différentes : certains ont envie d'être à temps partiel, parce qu'ils sont des aidants familiaux ou désirent s'impliquer dans une association, d'autres souhaitent participer à la transmission des savoirs, quand d'autres encore veulent continuer leur activité. Les entreprises qui ont vraiment gagné leur pari en la matière – je n'en citerai pas, mais j'en ai rencontré un certain nombre – sont celles qui ont été capables d'appréhender les aspirations multiples des travailleurs expérimentés.
S'agissant de la France et de l'Allemagne, dont Frédéric Petit a beaucoup parlé, je ne reviens pas sur la question du différentiel entre les deux pays. En revanche, je tiens à souligner qu'on peut être très bon pour le taux d'activité des jeunes comme pour celui des travailleurs de plus de 55 ans. Pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant ? Je me rendrai le 1er juillet à Berlin, avec Catherine Vautrin, pour rencontrer la ministre allemande du travail, ancienne présidente social-démocrate du Bundestag, en compagnie d'une délégation de huit organisations patronales et syndicales, qui rencontreront leurs homologues d'Allemagne. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, que ce soit au sujet de défis qui sont les mêmes en France et en Allemagne, comme le vieillissement de la population, l'insertion des jeunes et l'impact de l'intelligence artificielle, ou de questions comme celle relative à l'industrialisation.
Monsieur Dussausaye, vous avez salué le dialogue social. Je ne suis ministre du travail que depuis septembre, mais j'ai eu la chance d'avoir comme premiers ministres M. Michel Barnier et M. François Bayrou, qui, malgré des différences de parcours et d'histoire sur le plan politique, sont très attachés, comme moi, au dialogue social. Cette question dépasse les clivages : il s'agit, d'abord, de croire à la capacité des syndicats et du patronat à agir, à tous les niveaux et à tous les échelons, en étant force de proposition et en créant du compromis au plus près du terrain. Un très important accord concernant la branche AT-MP a ainsi été conclu avant 2024, de même qu'un accord, lui aussi majeur, sur le partage de la valeur et un autre sur la santé au travail, qui date de 2021. Je suis une ministre du travail qui croit au dialogue social. Outre la transposition, importante, qui vous est proposée avec ce texte, nous verrons ce que donnent la délégation paritaire permanente et la discussion sur les reconversions, dont les partenaires sociaux attendent beaucoup.
M. le président Frédéric Valletoux. Merci, madame la ministre, pour votre présentation du texte et vos réponses à toutes les questions qui vous ont été posées.
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 11 juillet 2025