Texte intégral
Q - Bonjour Laurent Saint-Martin.
R - Bonjour.
Q - Merci d'être avec nous ce dimanche.
R - Merci à vous.
Q - J'ai à mes côtés, pour vous interviewer, Françoise Fressoz du journal Le Monde. Bonjour Françoise.
Q - Bonjour.
Q - Et Alix Bouilhaguet de France Télévisions. Bonjour également.
Q - Bonjour Karine, bonjour à tous.
Q - "Je les ai aimés durant toute l'année", vos images de la semaine avec vos explications, avec vos commentaires, pour décrypter ce qui s'est passé dans l'actualité. Dernier tour de table donc. On commence avec vous, Laurent Saint-Martin, Qu'est-ce qui a retenu votre attention en particulier cette semaine ?
R - C'est cette image de la baignade dans la Seine, à double titre. D'abord parce que ça démontre qu'on peut poursuivre des objectifs politiques à très long terme. Je rappelle que c'était un souhait cher à Jacques Chirac notamment. Ça a pris du temps. Et c'est aussi un héritage de nos Jeux olympiques. Et ça, on doit en être fiers. Vous savez, je suis aussi en charge de l'attractivité de notre pays, et les Jeux olympiques ont été un moment absolument formidable de mise en lumière, de mise en valeur de notre pays. Et on avait voulu ensemble, collectivement, l'État, les collectivités, la mairie, la région, faire en sorte qu'il y aurait un après dont les Parisiens, dont les Franciliens, mais au-delà aussi, puissent bénéficier. Et je crois que c'est une image positive, optimiste, de ce que la France sait faire de mieux, y compris pour ses propres habitants, après de si beaux événements.
Q - Donc vous ne dites pas que c'est la gauche qui est en train de vraiment transformer la capitale ? Que je vous entends bien.
R - Je dis que c'est un bel héritage collectif après les Jeux olympiques qui ont été un succès unanimement reconnu partout dans le monde. Et c'est bien qu'après des beaux événements internationaux, ce soient les habitants, et ce n'est pas que pour Paris, demandez aux habitants de Seine-Saint-Denis notamment, toutes les infrastructures dont ils bénéficient aujourd'hui. Ça, c'est vraiment construire dans la durée.
(...)
Q - On termine des images avec vous, Alix Bouilhaguet. La ville de Kiev, la capitale ukrainienne, sévèrement visée cette semaine par les frappes russes.
Q - Oui. Sur cette image, on peut voir effectivement le ciel de Kiev s'embraser. C'était dans la nuit de jeudi. L'attaque de drones russes la plus massive depuis 2022, un bombardement sans précédent. Cette semaine, les Américains ont annoncé faire une pause dans la livraison de systèmes antiaériens, cruciaux pour faire face à la pluie de missiles et de drones lancés quotidiennement par la Russie. Une pause au moment même où les Russes gagnent chaque jour du terrain. Si officiellement, les États-Unis justifient cette décision pour, disent-ils, "donner la priorité aux intérêts américains", dans les faits, ça revient quand même à dire à Volodymyr Zelensky : "Arrête de chipoter, mets-toi autour de la table, accepte la paix aux conditions de la Russie et ça ira bien pour toi." Mais derrière cette réalité, c'est l'atonie de l'Europe qui frappe ainsi, son incapacité à prendre le relais des Américains, son incapacité à livrer des armes dans les temps, alors que l'avenir de l'Europe passe par l'avenir de l'Ukraine.
Q - Un commentaire ?
R - Et l'avenir de l'Ukraine passe par l'Europe. Et l'avenir de l'Ukraine passe par les choix et les décisions ukrainiennes. Et c'est ça qu'il faut réussir, évidemment, dans les prochaines semaines, dans les prochains mois.
Q - Mais on le voit moins, là, en ce moment. On a l'impression que l'Europe est moins présente et moins derrière. C'est ce que dit Alix Bouilhaguet, d'ailleurs.
R - Non, je ne partage pas ce constat-là. Et nous serons à Rome dès la semaine prochaine, justement aussi pour discuter d'enjeux très structurants, qui sont le soutien effectif aujourd'hui, et puis la reconstruction demain de l'Ukraine. La position européenne, et notamment celle de la France, n'a pas varié en la matière. Il ne peut y avoir de paix durable, pérenne, sans respect des intérêts ukrainiens. Ça n'existera jamais. Et on a besoin de...
Q - Oui, mais ça, on voit bien que ça n'a pas varié, mais en revanche, de manière très concrète, les livraisons d'armes, on ne voit pas une accélération massive se dessiner. Avouez que c'est inquiétant.
R - Non, je ne suis pas d'accord. L'Europe reste un soutien extrêmement actif à l'Ukraine. Elle a besoin aussi des États-Unis pour une résolution du conflit. C'est évident. Et on ne pourra pas, et on a toujours dit cela, on ne pourra pas faire fi des intérêts ukrainiens qui, je le rappelle, et ça, pour le coup, c'est parfois un petit peu passé sous silence : c'est le peuple ukrainien qui a été agressé. Pardon de le rappeler toujours. C'est le peuple ukrainien qui a été agressé. Ce n'est pas un conflit où nous pouvons regarder les deux belligérants de façon équidistante. Ce n'est pas vrai. C'est la Russie qui a déclaré la guerre à l'Ukraine et la France soutient l'Ukraine.
Q - Et Emmanuel Macron appelle Vladimir Poutine.
R - Mais ça, c'est autre chose. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas dialoguer et que la diplomatie ne peut pas être la source de la résolution du conflit. Je rappelle juste que ni la position de la France, ni la position de l'Union européenne, en soutien total, inconditionnel, à l'Ukraine, n'a varié d'un centimètre. C'est la même position. Mais oui, j'assume de dire que nous avons besoin des États-Unis dans cette équation pour réussir. Mais nous avons besoin à la fois de mettre l'Europe autour de la table, et d'entendre les intérêts ukrainiens dans cette résolution de conflit. Sinon, cela n'existera pas de façon pérenne. Il y aura peut-être un cessez le feu, mais cela ne résoudra pas le conflit à long terme.
Q - Une question très concrète pour finir sur ce dossier. Berlin a décidé d'acheter des armes américaines pour les envoyer en Ukraine. Est-ce que la France peut s'engager sur la même idée : acheter des armes américaines, si on en manque ? Des Patriot, en particulier, pour effectivement les envoyer en Ukraine ?
R - Sur tous les sujets de livraisons d'armes, la France s'exprime régulièrement sur ce qui va être fait, par la voix de notre ministre des Armées, Sébastien Lecornu, ou du Président de la République. Et nous l'avons toujours fait, et nous continuerons à le faire exactement de la même manière. Je pense que ce qu'il faut, en revanche, c'est se demander comment est-ce que l'Europe peut accélérer dans ses dépenses militaires, comment l'Europe peut continuer à se renforcer sans être systématiquement sous le parapluie américain pour que demain, et ça rejoint aussi votre question, l'Europe dans ces questions-là puisse aussi être plus indépendante. Ça, c'est une question qui structurellement, après la guerre en Ukraine, quand il y aura la paix, devra continuer à être posée.
(...)
Q - Laurent Saint-Martin, question toute simple : est-ce que l'Union européenne va faire partie des pays ou des groupes de pays qui pourraient recevoir une de ces lettres ?
R - L'Union européenne est en train de continuer à négocier avec Washington, pour faire en sorte que le meilleur compromis possible puisse être trouvé, évidemment dans la défense de nos propres intérêts. Et la France y participe activement aux côtés de la Commission, et soutient surtout le travail de la Commission européenne.
Q - On a jusqu'à mercredi pour le faire ?
R - On a jusqu'à mercredi pour le faire. Vous voyez bien une forme de mise en tension de la part du président américain, que ces lettres sont aussi une forme de pression pour aboutir sur des négociations. Et là-dessus, je ne lui donne pas tort. Nous avons tous intérêt à ce que les négociations aboutissent rapidement maintenant, parce que cela crée beaucoup d'incertitude, beaucoup d'attentisme dans le climat d'investissement pour nos entreprises. Et cela est très mauvais, de ne pas savoir, quand on exporte sur le marché américain, quels seront les droits de douane définitifs. Donc nous avons, nous sommes, comme on dit en Amérique justement, dans le money time. Et donc on a besoin aujourd'hui d'aboutir à une résolution la plus rapide possible, et surtout, qui comprenne les intérêts des deux parties. Il y a quand même là-dessus une question qui est différente des autres pays, si je peux me permettre. Les États-Unis ne peuvent pas considérer l'Union européenne comme un partenaire comme les autres. On ne peut pas à la fois parler de la résolution de la guerre en Ukraine, des différents cessez-le-feu, de demander, et je donne raison au président Trump là-dessus, à ce que l'Europe puisse mieux s'armer, être plus indépendante des États-Unis, et en même temps, faire une guerre commerciale...
Q - En fait, ce que vous êtes en train de dire, c'est qu'on ne peut pas, nous, l'Europe, on ne pourrait pas fournir le gigantesque effort d'armement si on a une guerre commerciale qui nous plombe la croissance.
R - J'essaye de mettre en cohérence, Françoise Fressoz, les propos du président Trump lui-même.
Q - Il l'entend ça, Donald Trump ou pas ?
R - J'essaye de mettre en cohérence ses propres propos.
Q - Mais est-ce que Trump est rationnel ?
R - Moi, je suis d'accord avec lui quand on dit que l'Europe doit se réveiller. L'Europe doit être plus indépendante. Je suis d'accord avec ça. Et on a une fenêtre d'opportunité, avec ce second mandat de Donald Trump, pour le faire. Donc moi, je vois le verre à moitié plein là-dessus. En revanche, si derrière, ça veut dire affaiblir nos exportations, réduire la valeur de nos entreprises, être en incapacité à être des partenaires commerciaux durables, effectivement, il y a une contradiction évidente. Et donc, il reste quelques jours, quelques heures, pour que la Commission européenne parvienne à un accord. Est-ce que cet accord sera forcément du "zéro pour zéro" comme on dit techniquement, c'est-à-dire, abaisser tous les droits de douane ? Probablement pas. Il va falloir que...
Q - Alors attendez, avant d'arriver au "zéro pour zéro", il faudrait peut-être qu'on explique un peu aux auditeurs comment ça se présente exactement. Ils en entendent parler depuis un petit moment, des droits de douane, mais voilà, normalement, il y a un montant de droit de douane qui va être décidé. Est-ce que ça peut être toujours les fameux 10% dont on entend parler ? Est-ce que ça peut être au-delà ? Est-ce que ça peut être en dessous ? Et puis ensuite, effectivement, expliquez-nous ce que peuvent être les exemptions et le fameux "zéro pour zéro".
R - Alors d'abord, pour nos auditeurs, il faut bien comprendre où on en est aujourd'hui, dans la période de suspension. Aujourd'hui, sont à l'oeuvre 25% d'augmentation de droits de douane sur l'automobile, 50% sur l'acier et l'aluminium et 10% sur à peu près 70% des autres exportations.
Q - Et ça, c'est pour toute l'Union européenne ?
R - Et ça, c'est pour toute l'Union européenne. C'est ce qui existe aujourd'hui. Donc, déjà, il est erroné de croire que nous sommes dans une période où il ne se passe rien. Nous sommes impactés aujourd'hui. La question est de savoir quelle est la fin de la négociation : 10%, aujourd'hui, c'est ce que les États-Unis veulent globalement imposer à l'Union européenne.
Q - C'est acceptable ou pas ?
R - Pour que cela puisse être acceptable, il faut que ce soit symétrique et qu'il y ait donc, aussi, des baisses de droits de douane sur certains secteurs prioritaires pour l'Union européenne. Je pense à l'aéronautique, je pense aux vins et spiritueux, je pense à nos cosmétiques, certains produits chimiques. Ce qui fait finalement la force de l'Europe à l'exportation. Et là aussi, où l'Union européenne a besoin des États-Unis, et réciproquement, là où les États-Unis ont besoin de l'Union européenne. Ce qu'on a peut-être juste un peu trop oublié dans votre commentaire...
Q - Jusque- là, vous avez bon espoir sur les produits que vous nous citez, qui est ce fameux "zéro pour zéro" droits de douane ?
R - En tout cas, c'est tout à fait possible. Et c'est dans les négociations en cours. Donc ce n'est pas quelque chose de fantasmé, c'est quelque chose qui est tout à fait acceptable. Et pour l'Union européenne, pour que cela se termine positivement, en comprenant évidemment la partie américaine, il serait illusoire de croire que cela sera unilatéral dans un sens comme dans l'autre. Il faut comprendre les besoins et les intérêts de chaque partie pour qu'à la fin de cette période-là, et c'est le plus important, encore une fois, pour nos entreprises... Vous savez, moi, je suis à un carrefour entre l'économique et le politique dans mon ministère. Nos entreprises, elles sont inquiètes. Ce qu'il faut, c'est qu'elles comprennent que tout ça est derrière nous et qu'on puisse avoir un champ de vision et de visibilité sur ce qu'est le marché américain, demain, pour les entreprises européennes. Donc nous, on va tout faire pour qu'il puisse y avoir un accord le plus intelligent possible, et comme on dit en termes technique, en politique commerciale, qu'on aboutisse à un agenda positif, c'est-à-dire, quelque chose qui ne soit pas trop pénalisant.
Q - Alors, ça, c'est votre espoir.... Imaginez qu'il n'y a pas d'accord-cadre à 10%, que ce soit beaucoup plus haut. Est-ce que concrètement, l'Union européenne et la France ont des moyens de rétorsion contre les États-Unis ? Qu'est-ce que vous pouvez brandir ?
R - Permettez-moi, Françoise Fressoz, et ce n'est pas pour botter en touche que je dis ça, de faire les choses dans l'ordre...
Q - On n'est pas encore dans ça.
R - On n'y est pas. Et on l'a préparé, on l'a dit pendant des mois : l'Union européenne a un arsenal de contre-mesures qui existe, soit pour les biens, soit pour les services. On en a déjà parlé à multiples reprises, mais si moi je brandis l'arme de la rétorsion avant de donner la chance à la négociation, est-ce que je suis cohérent, moi-même, avec mon agenda positif ? Moi, je veux... C'est quoi mon objectif comme ministre du Commerce extérieur ? C'est que nos entreprises ne soient pas pénalisées. C'est que nos entreprises puissent continuer à exporter sur le marché américain. C'est continuer inlassablement à expliquer que les États-Unis ont plus à perdre qu'à gagner avec ces droits de douane. Ce n'est pas fini, la discussion. Il y a encore un chemin de conviction là-dessus à mener. Et en fonction, c'est pour ça que je vous réponds dans l'ordre, en fonction du résultat de la négociation, nous aurons, avec mes collègues du commerce européen, un Conseil le 14 juillet, sur lequel nous verrons la position à adopter. Y aura-t-il des mesures de riposte ou non ? Ça ne peut se faire qu'en fonction du résultat de la négociation.
Q - Je me permets quand même d'insister, parce que ça fait aussi partie d'une négociation : il y aurait une liste de contre-tarifs ciblés, un montant de 95 milliards, qui incluerait des secteurs comme les vins, les avions, les produits agricoles. Ça, vous dites, oui, ça peut être une mesure de rétorsion ? On est prêts ?
R - Je dis : nous avons un arsenal dissuasif, que nous pouvons effectivement actionner. Le faut-il ? Je ne le crois pas. D'abord, pour une raison simple : c'est que ça créerait une forme d'escalade, qui serait encore une fois négative pour nos propres industries. Pardon d'être très concentré sur nos propres entreprises. Mais le président américain, lui, il ne réfléchit que "America First". Permettez-moi d'avoir aussi un réflexe de protection de nos entreprises et de nos industries européennes et françaises. Qu'est-ce que vous faites si vous pénalisez, par exemple, le bourbon américain, en riposte, comme ça avait été fait lors du premier mandat de Donald Trump ? Vous exposez nos propres vignerons, nos propres entreprises de vins et spiritueux, à avoir encore plus de droits de douane en réponse. Ça s'appelle l'escalade de la guerre commerciale. Il faut l'éviter.
Q - Mais est-ce que l'Union européenne est d'accord ?
R - On a quelques jours pour continuer à avoir cette discussion de baisse des tarifs commerciaux. Et ça ne s'arrête pas aux États-Unis. Je comprends vos questions, parce qu'on est encore une fois dans un moment extrêmement resserré de négociation. Mais il y a tout le reste du monde aussi qui attend les produits français et européens. Et moi, je reviens par exemple d'Amérique latine. Je pense qu'on a beaucoup à faire avec d'autres zones du monde, en Asie du Sud-Est, dans les pays du Golfe, sur lesquels on peut avoir des accords de commerce qui nous permettront d'aller plus loin, justement, dans les baisses de droits de douane.
Q - Ça nous mène par exemple au traité de libre-échange avec le Mercosur. La France freinait des quatre fers. Qu'est-ce qu'il en est aujourd'hui ? Est-ce que vous vous dites : "Vu le contexte, il vaudrait peut-être mieux signer, même si les produits agricoles, ce n'est pas vraiment bon pour nous." ?
Q - Alors, on n'a pas fini sur les droits de douane, on y reviendra, mais effectivement, question Mercosur.
R - La France est opposée, aujourd'hui, au texte qui a été conclu à Montevideo entre la Commission européenne et le Mercosur pour une raison très simple : c'est qu'elle n'apporte aucune protection à nos filières agricoles. Et nous avons dit qu'un bon accord de libre-échange, c'est un accord qui sait mettre des mesures de freinage si les filières venaient à être déséquilibrées.
Q - Alors qu'est ce qui va se passer ?
R - Soit l'accord ne bouge pas. Et dans ce cas-là...
Q - C'est fini ou pas ? C'est fini-fini, ou pas, si ça ne bouge pas ?
R - Nous resterons fermement opposés et nous irons chercher avec d'autres partenaires européens une minorité de blocage.
Q - Mais vous ne l'avez pas là ?
Q - Mais vous ne l'avez pas, la minorité de blocage.
Q - Attendez, vous ne l'avez pas la minorité de blocage. Oui, non ?
R - Je vous explique dans l'ordre des choses à nouveau, que s'il y avait un refus d'aller discuter pour modifier justement cette accord-là, la position de la France, c'est votre question, restera la même : tout faire pour aller chercher une minorité de blocage. Ce que j'ai dit, moi, au président argentin, aux autorités brésiliennes lors de mon déplacement, c'est qu'avec le Président de la République, s'il y avait une intelligence collective permettant d'apporter ce qu'on appelle un protocole additionnel, c'est-à-dire des clauses de sauvegarde assurant à nos filières, notamment bovines, mais agricoles en général, des mesures de freinage permettant de ne pas déstabiliser, de ne pas déséquilibrer nos entreprises, alors nous pourrions effectivement avancer de façon plus consensuelle sur l'intérêt d'avoir un accord de libre-échange. Mais aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Donc de façon très binaire, pardon d'exprimer ça comme ça...
Q - Non, mais là, vous revenez du Brésil. Donc il s'est dit des choses, il serait...
R - C'est ce que je vous dis.
Q - Ce n'est pas très concret.
R - Est-ce que ce que la position de l'Europe, si elle venait à faire évoluer, par un protocole additionnel avec les pays du Mercosur, ce texte-là, aurait davantage de considération de la part de la France ? La réponse est oui...
Q - Mais vous les avez sentis dans cet esprit-là ou pas, pendant deux jours, puisque vous y étiez ?
R - Oui, la réponse est oui. Maintenant, la balle est dans le camp de la Commission européenne qui doit engager, c'est sa compétence, en termes de politique commerciale, des discussions avec les pays du Mercosur.
Q - Je voudrais qu'on revienne sur les droits de douane. On est carrément re-rentré - vous me direz si vous êtes d'accord - dans un monde de relations commerciales agressives avec les États-Unis, avec la Chine aussi, qui vient d'imposer des droits de douane aux vignerons français du cognac. Les autorités françaises ont estimé malgré tout qu'il s'agissait d'un très bon deal, celui qu'on a trouvé, là, ces derniers jours. Quel est le montant de ces droits de douane qui ont été trouvés et qui font que c'est un bon deal ou pas ?
R - Les montants dépendent des différentes maisons de cognac et d'armagnac, faut-il le rappeler. Les deux sont impactés, ce qu'on appelle le brandy dans la politique commerciale. Pourquoi est-ce que nous considérons que c'est un bon deal ? D'abord, parce que l'accès au marché chinois reste possible avec ces conditions-là pour nos entreprises de cognac et d'armagnac...
Q - Pourquoi est-ce qu'ils sont cachés, en fait, les montants de ces droits de douane ?
R - Parce qu'il s'agit d'une négociation entre la filière et les autorités chinoises que je n'ai pas à divulguer. Ce que je peux vous dire, et le Bureau national interprofessionnel du cognac l'a exprimé de façon très claire, c'est que nous avons évité le pire. Et nous l'avons fait notamment par un exercice de diplomatie économique pendant six mois du Président de la République, avec la visite de Jean-Noël Barrot en Chine. Moi-même, j'ai reçu le ministre du Commerce chinois au cours du mois de juin. Nous avons discuté, nous avons négocié, expliquant que nous ne pouvions avoir une diplomatie apaisée et constructive entre la France et la Chine s'il y avait une telle agressivité vis-à-vis d'un produit aussi fort pour nos territoires et nos terroirs qu'est le cognac et l'armagnac...
Q - Donc ce n'est pas 32% ? C'est beaucoup moins ?
R - C'est moins et c'est une négociation qu'on appelle l'engagement de prix à l'importation, que la filière cognac et armagnac a pris avec les autorités chinoises. Il faudra maintenant, parce que je reste toujours très vigilant et ce depuis plusieurs mois sur tous ces sujets de négociation commerciale, s'assurer de l'effectivité. S'assurer que nos produits reviennent bien, notamment dans les duty free, vous savez, aux aéroports, dont ils avaient été totalement exclus, ce qui les avait fortement pénalisé. Les cautions - ils avaient dû faire des dépôts pendant plusieurs mois - vont être rendues. On parle de 80 millions d'euros, donc c'est important pour la trésorerie de ces PME. C'est souvent des PME, le cognac. Et donc oui, il y a du positif dans la séquence. Ce que ça veut dire, c'est que quand on négocie, quand on fait de la diplomatie économique, ça marche. Est-ce que pour autant, il ne faut pas rester sur ses gardes ? Bien sûr que non. Et donc nous, on continuera à soutenir notre filière cognac et armagnac jusqu'au dernier moment en s'assurant que l'accès au marché reste possible, parce que le marché chinois est un marché prioritaire pour eux.
Q - Mais en échange, nous, on a accepté quoi, en échange de ces droits de douane... ?
R - La filière a accepté des engagements de prix, des augmentations, qui sont importantes mais qui n'empêchent pas l'accès au marché, comme cela pouvait être le cas avec cette menace des droits de douane.
Q - On dit 12 à 16%, vous confirmez ?
R - Ce n'est pas à moi, encore une fois, de donner les chiffres de la négociation de la filière...
Q - Est-ce qu'on n'est pas, nous, l'Union européenne et la France, complètement sur la défensive, notamment par rapport au marché chinois, où on se dit, il faut quand même faire attention aux importations. On essaie de les freiner, mais à chaque fois, on est quand même obligé de négocier parce que voilà, on risque d'être complètement étranglés. Comment on peut s'armer, l'Union européenne peut s'armer face à cette menace-là ?
R - L'Union européenne, d'abord, elle doit prendre conscience de sa puissance. Pardon de le dire comme première étape, mais vous n'êtes pas forts dans le monde si vous n'êtes pas conscient de vos forces. D'abord, l'Union européenne, c'est un marché de 450 millions de personnes. C'est une épargne privée qui est plus importante que nos amis américains. C'est un pouvoir d'achat, c'est de la qualité, c'est de l'innovation, c'est de la recherche et du développement...
Q - Mais c'est 27 pays.
R - Bien sûr qu'on a ce défi de gouvernance. C'est le principe de l'Union européenne. Mais si on était seul comme pays, vous croyez qu'on ferait mieux ? Bien sûr qu'on a besoin d'une Europe en ce moment, plus que jamais. En revanche, il faut que l'Europe soit fière d'elle et surtout qu'elle connaisse ses forces. Et donc vis-à-vis de la Chine, pour répondre à votre question, pardon, mais on doit continuer à commercer avec la Chine. C'est un marché très important. On doit investir ensemble aussi avec des entreprises chinoises. Ce n'est absolument pas interdit de le faire. Par contre, on doit se protéger de finalement ce qui devient le plus grand risque de la politique de Donald Trump, qui sont les surcapacités venues de Chine vis-à-vis du marché européen. Parce qu'eux-mêmes, dans la guerre commerciale qu'ils mènent avec Donald Trump, cherchent d'autres pays dans lesquels exporter. Ils cherchent notamment les pays européens. Et donc il va falloir qu'on se protège. Dit autrement, pour résumer, Françoise Fressoz, l'Europe, elle réussira cette période inédite dans laquelle nous vivons de redéfinition du commerce international si elle est sûre de ses forces, si elle sait négocier, si elle sait se protéger...
Q - Et si elle reste unie.
R - Si elle reste unie, vous avez raison, et si elle sait enfin, et là aussi, c'était l'objet de mon déplacement en Amérique latine, diversifier ses partenariats. Il n'y a pas que les États-Unis et la Chine dans le monde. Vous avez des poches de croissance en Asie du Sud-Est, dans l'Indopacifique, en Amérique latine, en Afrique, dans les pays du Golfe. Faisons des accords commerciaux dans ces zones-là, accélérons justement nos exportations. Moi, je vous fais un pari : c'est que courant 2026 ou même dès la fin de 2025, si vous faites la somme de tout ce que nous allons permettre avec des accords de libre-échange à nos exportateurs de faire versus ce que Donald Trump va imposer en droits de douane, l'Europe ressortira gagnante de cette période-là. Moi, je crois que nous pourrons réveiller l'Europe dans cette période que Donald Trump a imposée pour ressortir plus forts dans nos capacités d'exportation ailleurs.
Q - Est-ce qu'elle peut sortir gagnante vu la situation aujourd'hui politique dans laquelle se trouve la présidente de la Commission européenne ? Je rappelle que cette semaine, la semaine qui vient là, elle va devoir affronter une motion de censure au sein du Parlement européen. Donc on a une patronne de la Commission européenne qui est affaiblie. Est-ce que ça n'affaiblit pas toute l'Union européenne ?
R - La gouvernance, qu'elle soit européenne, française ou des autres pays, nous devons la prendre en considération, parfois comme une faiblesse, mais aussi souvent comme une force. Je répète, est-ce que la France, l'Italie, l'Allemagne, individuellement, seraient plus forts aujourd'hui si on n'avait pas eu de la construction européenne ? La réponse est clairement non. Nous serions extrêmement affaiblis. Au contraire, soyons fiers de ce qu'on a construit en Europe, soutenons l'Union européenne dans sa capacité de négociation, mais ne soyons pas naïfs. Imposons la défense de nos filières et imposons surtout la protection à nos frontières de l'Union européenne, notamment à l'importation d'un certain nombre de produits qui sont subventionnés - je pense aux produits chinois notamment - qui fragilisent nos industries.
(...)
Q - Merci à tous les deux. Merci beaucoup, Laurent Saint-Martin...
R - Merci à vous.
Q - ... D'être venu clore cette neuvième saison de "Questions Politiques".
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2025