Entretien de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, avec LCI le 5 juillet 2025, sur les tensions commerciales avec les États-Unis, le conflit en Ukraine et la question migratoire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : LCI

Texte intégral

Q - Benjamin Haddad, bonsoir.

R - Bonsoir.

Q - Renaud Girard, bonsoir.

Q - Bonsoir Margot.

Q - Monsieur le Ministre, vous connaissez ma marotte : on rappelle aux téléspectateurs que nous n'avons aucun lien de parenté. C'est toujours la règle à chaque fois que je vous reçois en plateau. Vous avez entendu Donald Trump et le ministre Eric Lombard. Donc, la France négocie directement ?

R - Non, c'est la Commission européenne qui négocie au nom des Européens, puisque je vous rappelle que le commerce est une compétence exclusive de la Commission européenne. Mais bien sûr, nous échangeons régulièrement avec la présidente von der Leyen et le négociateur Maroš Šefčovič. Notre objectif en effet, c'est d'avoir un accord rapide et équilibré. Puisque je vous rappelle qu'aujourd'hui, nous sommes dans une situation déséquilibrée, qui n'a pas de justification, qui est que les Européens ont subi des droits de douane de la part des États-Unis. Notre objectif, c'est évidemment d'avoir une désescalade et d'arriver à une situation qui serait dans l'intérêt de tous. C'est pour ça qu'il y a eu cette négociation. On verra ce qui se passera dans les prochains jours. La ligne de la France sur ce sujet depuis le début, elle a été très claire : si on a une situation asymétrique, les Européens ont des moyens de répondre, ont des moyens de mettre en oeuvre des contre-mesures, il y a des contre-mesures qui ont été décidées au niveau européen pour pouvoir avoir une symétrie.

Q - Notamment sur les services numériques.

R - Alors, sur un certain nombre de biens, notamment. Et effectivement, on peut aller plus loin et taxer, par exemple, les services numériques américains. Donc, cette négociation, elle se fait dans la défense des Français et des Européens, il faut être extrêmement clair, extrêmement ferme. Et puis, il y a aussi des lignes rouges, je le rappelle, d'ailleurs, ça avait été dit par la présidente de la Commission européenne au début de cette négociation. On ne remettra pas en cause nos normes, nos règles, notre Etat de droit européen dans cette négociation. Je pense en particulier aux règles sur le numérique, le Digital Services Act, c'est-à-dire ces règles qu'on a décidées au niveau européen pour pousser les plateformes numériques à modérer leurs contenus, à lutter contre la haine en ligne ou encore la désinformation et la manipulation des algorithmes. Là aussi, ça ne fait pas partie de la négociation. Donc, encore une fois, on verra ce qui se passera dans les prochains jours. Mais sur des sujets comme ça, on doit pouvoir collectivement se défendre, répondre et assurer nos intérêts.

Q - Mais est-ce que vous entendez la voix des Allemands, par exemple, avec le chancelier Merz, qui a dit très clairement : "la Commission européenne, c'est trop compliqué", et qui a essayé, tant bien que mal, de négocier directement, notamment sur le secteur automobile, avec Donald Trump.

R - Moi, je vois peut-être des entreprises qui vont négocier directement avec les États-Unis. Ce n'est pas le cas aujourd'hui des gouvernements. Nous avons l'occasion d'échanger régulièrement avec le gouvernement allemand et les autres là-dessus. Quand je vois fondamentalement l'impact que cette incertitude commerciale fait peser sur l'économie américaine, je me demande vraiment dans l'intérêt de qui cette guerre commerciale pourrait être. On voit aujourd'hui les marchés obligataires, on voit le dollar qui dévisse, on voit les prévisions de croissance américaines qui sont à la baisse, des entreprises qui gèlent leurs investissements, précisément parce qu'ils s'interrogent aussi sur l'état de l'économie américaine. Donc, il faut que nous, on soit là-dessus très sereins, très calmes et rester fermes pour défendre nos intérêts. Et puis, je dirais aussi, parce que là, vous parlez de la question commerciale, mais on a souvent eu l'occasion d'en parler sur votre plateau, investir aussi massivement dans notre compétitivité, dans la simplification de nos règles européennes, dans l'unification du marché unique, pour donner les moyens aussi à nos entreprises, à nos industries, à nos start-up et nos PME de pouvoir jouer des coudes dans la concurrence internationale, face aux Américains et face aux Chinois. C'est aussi une opportunité peut-être pour l'Europe de renforcer sa prospérité et sa croissance.

Q - Renaud Girard.

Q - Moi, je me demande si on joue fair-play avec les Américains ou c'est plutôt si les Américains jouent fair-play avec nous. Vous l'avez répété, l'Europe est fondée sur un Etat de droit, vous appliquez le droit, le droit international, les règles de l'OMC, de l'Organisation mondiale du commerce... Mais j'ai l'impression que les États-Unis n'appliquent plus le droit international. Est-ce que je me trompe ? Et est-ce qu'on fait quelque chose pour s'adapter à cette nouvelle situation, c'est-à-dire d'une Europe qui prend vraiment, qui respecte strictement le droit international, même quand ce n'est pas son intérêt, et d'une Amérique qui s'en libère quand elle le veut.

R - Je crois que ce que vous avez dit, Renaud Girard, c'était vrai il y a quelques années, puisqu'il y a quelques années, on a vu les administrations démocrates comme républicaines, qui ont complètement vidé le droit international, en particulier sur le plan commercial de son sens, notamment l'OMC. Pendant longtemps, depuis la Seconde Guerre mondiale, on avait des règles de non-discrimination, de non-tarifs, notamment entre les États-Unis et l'Europe, qui ont, d'ailleurs, contribué à la prospérité de tous. Et on a vu notamment le fameux tribunal d'appel de l'Organisation mondiale du commerce qui a été vidé de son sens par les administrations démocrates comme républicaines. Et pendant longtemps, les Européens, c'étaient un peu les derniers ravis de la crèche, à avoir un coup de retard, et à appliquer des règles que plus personne, Américains ou Chinois, n'appliquait. C'est pour ça qu'on a renforcé nos instruments commerciaux ces dernières années. On parlait, par exemple, à l'instant, de l'instrument anti-coercition, c'est-à-dire la capacité de pouvoir élargir le spectre et d'aller taxer les services numériques, barrer l'accès à des marchés publics, saisir des licences et la propriété intellectuelle. Ça, ce sont des avancées concrètes, sous l'impulsion de la France, d'une sortie de la naïveté commerciale de la part de l'Europe. Et aujourd'hui, on a des instruments plus forts, plus rapides aussi, qu'on peut mettre en oeuvre tout de suite, sans avoir à attendre des procédures interminables, par exemple devant l'OMC.

Q - Est-ce qu'on va pouvoir lutter contre l'extraterritorialité du droit américain ? Car cette prétention incroyable des Américains, du département du Trésor américain, d'appliquer leur droit chez nous. L'exemple le plus connu est que la BNP avait eu une amende de 9 milliards de dollars, c'est quand même énorme, alors qu'elle n'avait contrevenu à aucune loi, ni américaine, ni européenne, ni française, mais qu'elle n'avait pas appliqué, elle n'avait aucune raison de le faire, un embargo décidé par l'Amérique sur Cuba, le Soudan et l'Iran. Alors, est-ce qu'on a progressé ? Est-ce que vous avez progressé dans votre gouvernement à cet égard ?

R - Alors, ça, c'est une question très intéressante et qui est notamment liée au privilège exorbitant, comme le disait, je crois, Valery Giscard d'Estaing...

Q - Tout à fait.

R - ... du dollar dans les échanges internationaux. Le dollar qui continue d'être la monnaie de réserve privilégiée, la monnaie d'échange, y compris parfois entre des pays tiers aux États-Unis. La réponse à ça, c'est de renforcer aussi le rôle de l'euro. Et là, je crois qu'on a vraiment une opportunité. Quand tant d'investisseurs s'interrogent sur l'économie américaine et sur le rôle du dollar, quand on voit le dollar dont la valeur, en ce moment, dévisse par rapport à l'euro ces dernières semaines, eh ben oui, renforçons notre zone euro, renforçons l'union des marchés de capitaux et la coordination des politiques fiscales et de la dette au niveau européen. C'est ce que nous portons avec la France, et on voit les lignes qui bougent enfin sur ce sujet, qui est un serpent de mer depuis longtemps. On a vu que pendant longtemps, la France l'avait porté, mais n'avait peut-être pas l'impulsion de la part de nos partenaires, au contraire. On voit aujourd'hui qu'il y a une nécessité, effectivement, de se réveiller, d'investir dans notre compétitivité et de faire de l'euro une monnaie de réserve qui protège aussi les Européens. Parce que quand on parle d'économie ou de monnaie, ce n'est pas qu'une question simplement d'emploi ou de création de richesse, c'est aussi une question de souveraineté. C'est ce que vous soulignez à travers votre question.

Q - Donald Trump fait-il la pluie et le beau temps sur la scène internationale ? En tous les cas, c'est la question qu'on se pose quand on voit cette scène. (...) Vous en avez pensé quoi ?

R - Moi, je ne vais pas commenter ce qui relève essentiellement de mise en scène politique. Si on regarde le fond de ce qui s'est passé au sommet de l'OTAN, nous avons tous collectivement décidé de continuer à augmenter nos dépenses de défense.

Q - Vous y croyez vraiment aux 5% ?

R - On doit aller dans cette trajectoire. Sur les deux mandats d'Emmanuel Macron, on aura doublé le budget de défense de la France. Là on vient, au niveau de l'Union européenne, de prendre des décisions historiques pour dégager des financements pour investir dans notre industrie de défense européenne autonome. Le plan SAFE, par exemple, 150 milliards d'euros, là aussi sous l'impulsion de la France, ça fait longtemps qu'on en parlait, pour pouvoir renforcer la coopération entre les pays, pour réduire nos dépendances, notamment aux États-Unis. On voit...

Q - Vous savez que quand on fait le détail, ce n'est pas vraiment 150 milliards d'Euros...

R - Ça, ce sera 150 milliards d'Euros, bien sûr. Après, je pense que vous parlez du reste. Sur les 600 milliards d'euros, effectivement, c'est plutôt, là, des flexibilités qui sont donnés aux États membres pour pouvoir investir et exclure certaines dépenses des calculs de déficit. Mais bref. On est dans un monde plus dangereux, plus conflictuel. On a la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine à nos portes et la Russie qui menace toutes nos démocraties. On a bien sûr toujours le terrorisme, l'instabilité dans notre voisinage. On ne peut plus se reposer sur les États-Unis, on ne peut plus se reposer sur d'autres pour assurer notre propre sécurité. Vous savez...

Q - Donc on va acheter européen avec les 5% ?

R - On doit acheter européen, on achètera européen. Déjà avec les fonds dont je vous parle, par exemple les 150 milliards d'Euros, on aura, là, la préférence européenne, c'est-à-dire le fait que ces fonds doivent soutenir la souveraineté de l'industrie de défense européenne. Pourquoi ? Non seulement parce que nos industriels ont besoin de visibilité pour monter en cadence, mais aussi parce qu'on doit garder le contrôle de l'usage des exportations, de la technologie, pour ne pas que quelqu'un au Pentagone puisse appuyer sur un bouton et dire : "Votre missile, vous ne l'utilisez pas." Ça, c'est la clé pour l'autonomie stratégique

Q - Mais regardez ce que dit Mark Rutte, Benjamin Haddad : "Les États-Unis doivent s'assurer que leurs stocks sont au niveau dont ils ont besoin car ils sont essentiels à notre défense collective." Il y a un repos encore sur les Américains. Les Allemands eux-mêmes viennent d'acheter des F-35, il y a encore une demande américaine extrêmement forte. J'entends ce besoin d'acheter européen et cette ligne directrice, mais est-ce qu'on peut vraiment le faire tout en essayant de satisfaire un Donald Trump ?

R - Mais c'est la seule façon, non seulement d'assurer notre sécurité, mais aussi en réalité de repenser l'Alliance atlantique. Il ne s'agit pas d'aller contre les États-Unis, mais il s'agit de voir que, là aussi, les administrations démocrates comme républicaines nous disent : "L'Europe, ce n'est plus notre priorité. On veut se concentrer sur la Chine, on veut se concentrer sur nous-mêmes." Le protectionnisme, on l'a vu aussi dans l'administration Biden. Et donc, à un moment, il faut que nous, on en tire les conclusions et qu'on soit capable de reprendre notre destin en main et d'avoir une industrie de défense. Et encore une fois, c'est ce que fait l'Europe en ce moment avec ces nouveaux financements, avec ces nouvelles annonces.

Q - Vous avez tout à fait eu raison, Monsieur le Ministre, de dire qu'il faut rester dans l'Alliance atlantique, l'alliance de l'Occident, et bien sûr qu'elle est très forte. Mais quand on voit la servilité de cet ancien Premier ministre hollandais devenu secrétaire général...

Q - Néerlandais, oui.

Q - Néerlandais oui, hollandais, néerlandais comme vous voulez, devenu secrétaire général de l'OTAN, quand on voit la condescendance avec laquelle le président Américain a traité les alliés européens lors de ce sommet de l'OTAN, est-ce qu'on ne se dit pas en tant que Français : "Ah! Le Général de Gaulle avait vraiment eu raison de se retirer de l'organisation intégrée", c'est-à-dire que vous disiez tout à l'heure, on ne peut plus faire confiance aux Américains, c'est une organisation qui est gouvernée par un général Américain, Et est-ce que finalement, on ne se rend pas compte que le président Sarkozy, dans un geste un peu lèche-botte à l'égard des États-Unis, nous a ramené dans cette organisation et qu'en fait, il fallait rester dans l'Alliance et pas dans l'organisation intégrée, puisque la France n'a pas à se joindre à ces gestes de servilité ? Et on a vu aussi, vous avez parlé, Margot, de l'Allemagne, de la Belgique qui viennent d'acheter des F-35 et nous expliquait que les avions américains étaient bien meilleurs que les avions français, sans en donner la preuve d'ailleurs.

R - Moi, j'aime pouvoir débattre d'histoire avec Renaud Girard. Je pense que le général de Gaulle avait raison, en 1966, de quitter le commandement intégré parce qu'à l'époque, nous avions des bases militaires américaines sur notre territoire et les Américains voulaient soumettre la doctrine nucléaire française à un commandement des Alliés, et notamment des Américains. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Ce n'est évidemment pas le cas. Quand nous sommes revenus en 2008, sous l'impulsion du président Sarkozy, dans l'OTAN, c'était aussi pour pouvoir être dans le commandement militaire, c'était pour pouvoir être autour de la table avec nos partenaires quand des décisions majeures sur la sécurité collective, à l'époque, l'Afghanistan, aujourd'hui à l'Ukraine, étaient prises. Mais on maintient notre souveraineté. Nous avons une force de frappe nucléaire indépendante. Nous, nous n'achetons pas des F-35 ; nous avons nos propres avions aussi, indépendants. Et donc, nous avons des alliés, nous travaillons avec nos partenaires européens, mais cette souveraineté et cette indépendance, elle est toujours au coeur de la doctrine française et bien sûr que le général de Gaulle et tous les présidents, d'ailleurs, qui lui ont succédé, ont bien fait de maintenir cette vision, une certaine singularité de ce qu'est la politique étrangère de la France.

Après, encore une fois, moi je m'intéresse au temps long. Vous savez, vendredi, je serai en Bosnie. On commémorera les 30 ans du massacre de Srebrenica. C'est sur le sol européen, plus proche de chez nous que l'Ukraine aujourd'hui. Et j'ai dans mon bureau, un poster, que j'ai acheté à Sarajevo il y a quelques années, d'une femme endormie avec un pin's drapeau européen qui dit "Wake up Europe, réveille toi l'Europe ! Sarajevo t'appelle." À l'époque, il y a 30 ans déjà, nous avions été incapables d'empêcher un génocide sur le sol européen et on avait dû attendre l'administration américaine, l'administration Clinton. On voit qu'on est dans un environnement dangereux. La guerre existe, elle n'a jamais quitté, en réalité, notre continent. On en a eu, après la Géorgie en 2008, l'annexion de la Crimée en 2014. On doit sortir de ce déni, on doit comprendre qu'il y a des décisions fondamentales à prendre. C'est ce que l'Europe commence à faire. Encore une fois, c'est ce que nous avons fait, dès 2017, alors qu'il y avait eu des décennies de sous-investissement dans la défense, dès 2017, avec le Président de la République, à augmenter notre budget militaire, et c'est ce que nous devons faire aussi par la coopération industrielle avec les Européens. Ça prendra du temps, c'est un effort générationnel de réarmement, mais il est indispensable pour notre sécurité collective.

Q - Mais est-ce que l'Europe parle d'une seule et même voix, Benjamin Haddad ? Quand on voit, tout de même, que même sur l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, il y a encore des frugaux, ce qu'on appelle des pays qui ne sont pas totalement pour. Et puis même sur l'armement, vous le dites, il y a un effort, mais tout de même, on a vu Donald Trump pointer du doigt l'Espagne de manière très claire, qui ne veut pas augmenter son budget de défense. Comment vous l'expliquez, puisque vous parlez de l'Europe d'une seule et même voix, d'une certaine manière, quand on entend ces voix dissidentes, tout de même ?

R - Mais moi, je ne vous dis pas qu'il n'y a pas des désaccords ou des débats. Sur les questions de défense et de sécurité, les décisions se prennent à l'unanimité en Europe, pas comme sur d'autres domaines où on est, par exemple, parfois à la majorité, où lorsque la Commission décide. Et d'une certaine façon, comme ce sont des sujets qui sont tellement au coeur de notre sécurité nationale, il est sain qu'elles se prennent à l'unanimité et donc que ça fasse l'objet de débats. Mais si vous prenez le verre à moitié plein, et il est à moitié plein... Depuis plus de trois ans, on nous avait prédit à chaque tournant que les Européens se diviseraient et qu'on n'arriverait pas à renouveler les sanctions, on les a renouvelées. On a adopté récemment le 17e paquet de sanctions, on est en train de finaliser le 18e paquet, qui aura un impact massif sur le secteur énergétique de la Russie, avec d'autres sanctions contre la flotte fantôme, contre l'embargo sur le pétrole brut raffiné russe, l'abaissement de ce qu'on appelle le "price cap", c'est-à-dire le seuil auquel les Russes sont autorisés à pouvoir exporter du pétrole. Ça, on continue à travailler avec nos partenaires pour maintenir, pour accroître la pression sur la Russie, pour qu'elle se mette à la table des négociations, ce qu'elle refuse aujourd'hui de façon cynique, en continuant sa guerre d'agression contre les Ukrainiens. C'est un travail de conviction. C'est le rôle de la diplomatie française, du Président de la République, justement de créer cette unité et de pouvoir continuer à avancer avec nos partenaires.

Q - Est-ce qu'on est toujours, est-ce qu'on peut avoir ce leadership ? Parce qu'effectivement, ce n'est pas à la Commission. La Commission n'a que le monopole de la proposition, ce n'est pas elle qui décide, c'est le Conseil qui décide. La France est membre du Conseil et peut proposer. Est-ce qu'on n'a pas un peu perdu de leadership ? Est-ce que depuis le discours de la Sorbonne, le Président Macron lui-même a perdu beaucoup de son leadership ? Pourquoi : parce que la France n'arrive pas à tenir ses promesses européennes. Une des promesses européennes les plus flagrantes, si vous voulez, c'est qu'on s'est engagé, c'était l'idée française, à ne faire pas plus de 3% de déficit budgétaire. Et nos finances publiques déraillent complètement. On est le seul pays dont les finances publiques déraillent totalement par rapport à nos propres engagements européens. Alors est-ce qu'on n'a pas un problème, nous, la France, à imposer nos idées parce qu'en fait, on est un tout petit peu, dans l'application, un pays foireux ?

R - Je vois bien qu'aujourd'hui, c'est très à la mode, je regarde les commentaires d'éditorialistes, de journalistes, que c'est très à la mode dans les salons d'être déclinistes et défaitistes. Moi, partout où je vais en Europe, on me dit "merci la France, merci Macron", parce qu'on a remobilisé les Européens, par exemple sur le soutien à l'Ukraine en ramenant les Américains. Rappelez-vous, il y a six mois, on avait un dirigeant international qui nous disait qu'il allait régler la question ukrainienne en 24h, "on va mettre tout le monde autour de la table", et combien de débats j'ai fait pour m'entendre dire "ah, finalement, vous avez vu, les Européens ne vont pas être autour de la table, on est complètement impuissants, on est largués, et c'est Donald Trump qui va gérer ça en direct avec Vladimir Poutine."

Q - On n'y est toujours pas...

R - Vous plaisantez ? Quand on a au contraire ces dialogues permanents avec les Américains, avec les Ukrainiens, quand c'est nous précisément qui avons ramené aussi les Américains, avec les Européens, à Paris, pour réaligner nos positions, pour pouvoir augmenter la pression sur la Russie. C'est la France aussi qui...

Q - Le dialogue direct n'est pas du tout de l'Europe avec les Russes. Vous savez bien. C'est-à-dire que...

R - Le Président de la République, il y à peine quelques jours...

Q - Avoir un appel, ça ne veut pas dire forcément être...

R - Mais précisément, on nous avait dit : "on va diverger, on ne sera pas là." Et aujourd'hui, on fait entendre notre voix. Sur les instruments de défense...

Q - Est-ce qu'on peut faire entendre sa voix quand on a des finances publiques qui sont la honte de l'Europe entière ? Est-ce que vous n'avez pas peur ? Parce que là, on va garder ça. Est-ce que vous n'avez pas peur ? Je vous pose la question très directement. Est-ce que vous n'avez pas peur que la France fasse défaut, qu'elle ne puisse pas que, par exemple, la note de la France, du crédit de la France, qui n'arrive pas à respecter ses propres obligations, les obligations qu'elle a consenties librement, n'est-ce pas ? Qu'elle a imposé d'ailleurs aux autres pays européens, puisque les 3%, c'est une idée française. Est-ce que vous n'avez pas peur que la France fasse défaut ? Que dans quelques mois, la note de la France baisse ? Que les fonds de pension japonaise n'achètent plus de la dette française et que la France devienne comme l'Argentine, qu'elle fasse défaut ? Vous avez peur ou vous n'avez pas peur ?

Q - Jean-François Colosimo disait ce matin : "Il y a un risque que la France devienne comme Athènes", c'est-à-dire la Grèce antique dont on parlait comme quelque chose d'incroyable dans l'Histoire. Et puis, la France qui deviendrait pareil avec une histoire fantastique, mais un petit pays.

R - Mais on peut un peu parler de ces sujets qui sont graves et qui sont importants, qui sont importants, bien sûr. Vous avez tout à fait raison, on peut en parler avec sérénité.

Q - Tout à fait. Enfin, M. Macron et M. Le Maire...

R - Je suis membre d'un Gouvernement qui effectivement présentera un budget qui doit réduire notre dépense publique et qui doit nous mettre sur une trajectoire de désendettement. Ça, je le soutiens parce qu'en effet, je pense qu'il est essentiel pour la souveraineté de notre pays de ne pas nous rendre dépendants des autres, de continuer à réformer et à créer des recettes aussi par la croissance et à nous désendetter. Parce qu'en effet, quand je regarde autour de nous, je vois souvent des pays qui sont plus taxés, je ne pense pas d'ailleurs que les hausses d'impôts à cet égard soient une solution, bien au contraire ; qui sont moins endettés, ce n'est pas le cas de tous les pays européens tout de même, je tiens quand même à le souligner. Et parfois où on travaille plus, en tout cas un taux d'emploi qui est supérieur, notamment chez les jeunes et chez les seniors. Et donc là, je pense qu'on peut s'inspirer de ce qui se passe autour de nous aussi en Europe, en tirer les conclusions aussi pour continuer à réformer. Ma collègue...

Q - L'Italie n'a plus de déficit public. L'Italie...

R - Ma collègue Astrid Panosyan-Bouvet, il y a quelques jours, ministre du travail, a organisé une réunion avec les patronats et les partenaires sociaux à Berlin pour qu'on puisse comparer aussi nos modèles économiques et sociaux sur l'assurance chômage, sur le taux d'emploi sur les retraites, pour qu'on puisse effectivement voir là où on peut peut-être converger et continuer à réformer ensemble. Ce travail, il est absolument indispensable. Il est indispensable pour la prospérité et pour la souveraineté de notre pays. Mais la voix de la France porte sur ces sujets de défense, sur ces sujets de souveraineté numérique, sur le soutien à l'Ukraine. Tout ce qu'on porte depuis le discours de la Sorbonne aujourd'hui, c'est au coeur des débats et des propositions européennes. Maintenant, il faut accélérer, il faut être capable de délivrer, si vous me permettez cet anglicisme, parce qu'on voit qu'on est sous pression, parce qu'on a les Américains et les Chinois et qu'on a un monde qui est en transition. Mais c'est précisément tout le rôle que joue la France avec ses partenaires européens.

Q - Oui, mais, Monsieur le Ministre, vous nous parlez de sanctions. Les sanctions, vous le savez, c'est un poison lent. Vous parlez du 18e paquet de sanctions. À chaque fois qu'on parle d'un conflit, les mesures de rétorsion françaises, il s'agit de sanctions. Ecoutez ce que disait Pierre Servent sur ce plateau et vous allez y répondre. (...) C'est vrai que les sanctions, ça n'empêche pas les guerres et ça ne les arrêtent pas non plus.

R - Moi, je ne vous dis pas qu'il y a des solutions miracles et faciles. Je vous l'ai dit tout à l'heure que je ne faisais pas partie de ceux qui pensaient que la guerre allait s'arrêter en 24 heures. Aujourd'hui, la Russie continue son agression tous les jours sur le terrain, alors que les Ukrainiens, depuis des mois, ont dit qu'ils étaient prêts à un cessez-le-feu inconditionnel pour se mettre à la table des négociations, ce que les Européens et les Américains souhaitaient aussi. La Russie continue à tenir un discours maximaliste en demandant la neutralisation et la démilitarisation de l'Ukraine en voulant renverser le président Zelensky. C'était d'ailleurs son objectif au début, quand ils ont échoué à prendre Kiev, il faut quand même le rappeler. Maintenant, on a les instruments de pression économiques, il faut continuer à faire accroître la pression économique sur le régime de Vladimir Poutine et de soutien militaire aux Ukrainiens. C'est pour cela que ces derniers jours, nous avons aussi pris la décision d'accélérer un certain nombre de prêts. Par exemple le prêt qui est financé sur les intérêts des avoirs gelés de la Russie en Europe, le prêt ERA. Ce sont 50 milliards d'euros qui doivent aller plus vite aussi pour pouvoir répondre aux besoins économiques et militaires de l'Ukraine. Nous sommes engagés avec eux dans le temps long. Il faudra continuer de faire monter la pression sur la Russie sans se faire croire qu'il y a une solution facile, mais sans non plus encore une fois... Ces discours d'impuissance, d'auto-flagellation permanente, ils n'ont aucun sens et n'ont aucun lieu d'être.

Q - Alors l'impuissance, il y a quand même le problème de l'immigration. On a, par exemple, un rapport qui vient de nous dire qu'il y a 100.000 Afghans en France, alors que c'est un problème qui n'est pas récent et que les gouvernements à partir de Macron avaient tout à fait pris en conscience. Ce problème est là, on se retrouve avec 100.000 Afghans. On ne sait pas comment on les a attrapés, ces 100.000 Afghans. Est-ce que ce sont les Turcs qui nous les envoient ? Comment ça se passe ? Pourquoi est-ce qu'on a aujourd'hui 100.000 Afghans dans la nature en France ? Quelle est la responsabilité de votre Gouvernement ? Quelle est la responsabilité de l'Europe ? Expliquez ça. Expliquez le phénomène dans une France qui ne voulait plus d'une immigration très lointaine, d'avoir tout d'un coup 100.000 Afghans en France.

R - Vous savez, ce que vous soulignez, la lutte contre l'immigration illégale et la maîtrise de nos frontières, c'est un sujet absolument essentiel. Si on n'est pas capable d'apporter des solutions concrètes, les gens se tourneront vers les réponses inefficaces, contre-productives et faciles des populistes, mais on a une responsabilité de pouvoir apporter des solutions...

Q - Donc les solutions italiennes, du Danemark, c'est populiste ?

R - Qu'est-ce que c'est les solutions italiennes ?

Q - Vous savez, ils ont des réunions toutes les semaines avec les Pays-Bas. Par exemple, prendre les bijoux... Les Danois ont décidé de mettre en place, de prendre les bijoux des migrants qui venaient ici pour financer leur séjour.

R - Mais l'Italie, quand Mme Meloni a été élue, dit "il y a des solutions nationalistes en dehors de la coopération européenne". Ce que fait Mme Meloni, fondamentalement, qui obtient des résultats, c'est le renforcement des instruments européens. C'est ce qu'on fait avec elle, notamment en Méditerranée centrale, avec l'Agence européenne de contrôle des frontières, FRONTEX. Ce sont des accords avec des pays de départ et de transit comme la Tunisie. Ça aussi, nous l'avons soutenu et nous pouvons continuer à le renforcer. Après, elle a procédé aussi à des régularisations massives de sans-papiers. Il faut quand même aussi le rappeler. Mais quand on parle par exemple des solutions innovantes, c'est-à-dire l'externalisation, le fait de faire des accords avec des pays comme l'Albanie ou le Rwanda, aujourd'hui, ça ne marche pas. Moi, je vous dis, je n'ai pas de tabou particulier...

Q - À combattre l'immigration illégale, l'Europe n'y arrive pas.

R - Vous avez aussi une immigration illégale massive quand même aux Etats-Unis. J'ai vécu suffisamment longtemps là-bas pour pouvoir le dire.

Q - Ça a l'air de reculer, quand même...

R - En revanche, ce qu'on doit être capable de faire au niveau européen, c'est de renforcer nos instruments. Là, dans les prochains mois, on aura une réforme de ce qu'on appelle le "Règlement retour", c'est-à-dire les règles européennes. On travaille là-dessus avec mon collègue Bruno Retailleau auprès des autorités européennes, pour pouvoir expulser plus facilement, plus rapidement ceux qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire. Si vous ne respectez pas les règles, si vous ne travaillez pas, si vous contourner les règles de visa, vous avez vocation à être expulsé du territoire européen. On renforcera les outils ainsi que ce qu'on appelle les instruments externes, c'est-à-dire la conditionnalité des visas, les délivrances de visas, l'aide au développement, les accords commerciaux. Là, les Européens doivent pouvoir assumer des rapports de force avec les pays de transit et de départ collectivement, pour peser, s'ils ne respectent pas leurs engagements, s'ils ne reprennent pas leurs ressortissants. C'est les propositions qu'on est en train de porter. Là-dessus, on aura aussi des instruments efficaces au niveau européen pour renforcer la maîtrise des frontières extérieures de l'Europe.

Q - Vous avez mentionné Bruno Retailleau. Il y a des désaccords majeurs sur le sujet, notamment de l'Algérie, entre le Président et le ministre de l'Intérieur. Désaccord majeur également sur le sujet de l'énergie : quand le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, a voulu critiquer les énergies renouvelables, le Président a répondu que chaque ministre devait s'occuper de son ministère. Agnès Pannier-Runacher a dit ceci : "Hier, il niait le changement climatique. Aujourd'hui, il s'en sert pour attiser les peurs et fracturer le pays. C'est du populisme, du court-termisme électoral déguisé en soi-disant bon sens qui protégerait les classes populaires et la ruralité". Est-ce que pour vous aussi, critiquer les énergies renouvelables, c'est du populisme et de la petite politique ?

R - Déjà, le Président République, il a fait un point de méthode qui me paraissait nécessaire, qui est que chaque ministre a une responsabilité, une feuille de route, une mission et qu'il doit s'y tenir. On a là des comptes à rendre devant les Français, chacun dans nos domaines respectifs.

Q - Donc, se taire sur les autres sujets ?

R - Je crois qu'il y a effectivement une nécessité de solidarité, d'être un collectif, de se soutenir. On peut avoir des différences, des désaccords, c'est normal, en particulier là. Mais c'est quelque chose d'assez inédit dans la vie politique française, on a un Gouvernement de coalition, avec des gens qui viennent de sensibilités et de partis politiques différents. M. Retailleau, il est président des Républicains. J'étais aujourd'hui au congrès des Jeunes avec Macron du parti Renaissance. Mais on travaille ensemble. Je vous parlais à l'instant de l'immigration, on doit avancer ensemble. Mais en revanche, sur la question de l'énergie, c'est ce qu'on a toujours défendu, aussi bien en France qu'au niveau européen, c'est un mixe énergétique qui soutient l'investissement massif dans le nucléaire et dans les renouvelables. Et ça obtient des résultats. La France, c'est un des pays européens qui réduit le plus sa consommation de CO2. C'est aussi d'ailleurs un enjeu, non seulement de lutte contre le réchauffement climatique - je le dis dans ce moment de canicule - mais aussi de compétitivité, mais aussi de souveraineté. Plutôt que d'aller importer du gaz et du pétrole russe, moi, je préfère qu'on investisse dans le nucléaire et dans le renouvelable, pour notre souveraineté européenne.

Q - Au vu de ces déclarations, de quel oeil il faut regarder la proposition que vous avez eue pour Paris, avec Rachida Dati, de faire une alliance macroniste/LR. Est-ce que ça fonctionne vraiment quand vous voyez ces désaccords-là ?

R - Mais on peut avoir des débats. Mais encore une fois, j'ai organisé avec Rachida Dati une réunion publique dans ma circonscription, dans le 16e arrondissement. On a parlé de projet, de projet pour les Parisiens. Les Parisiens veulent une alternance. On a parlé d'environnement, de sécurité, de culture, de mobilité. Confrontons les projets, ayons des débats d'idées apaisés. Moi, je crois au rassemblement et à l'unité, à un moment où on est face à une extrême-droite qui n'a jamais été aussi forte dans notre pays, une gauche qui n'a aucun scrupule à s'allier avec l'extrême-gauche la plus violente, la plus antisémite, la plus anti-institutionnelle, moi je souhaite effectivement que ceux qui croient à l'Europe, à la réforme, à la République puissent travailler ensemble. C'était tout le projet du dépassement depuis le début d'Emmanuel Macron, du Président de la République. Je continue à être profondément macroniste et à le porter.

Q - Merci, Monsieur le Ministre. Merci Renaud Girard.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2025