Interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, à France Inter le 23 juillet 2025, sur les conflits en Ukraine et à Gaza, les droits de douane américains, le budget de l'Union européenne et la vie politique en France.

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Média : France Inter

Texte intégral

Simon LE BARON
Les occidentaux, les européens en particulier, peuvent-ils vraiment faire plier Vladimir POUTINE ? Ici même, hier matin, le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël BARROT ; nous annonçait préparer de nouvelles sanctions contre la Russie. Alors, on va essayer d'en savoir plus dans ce grand entretien, alors qu'une nouvelle journée de négociation commence à Istanbul, sans grand espoir disons-le, entre Russes et Ukrainiens. Nous sommes avec l'autre tête du quai d'Orsay, le ministre délégué chargé de l'Europe, Benjamin HADDAD. Bonjour,

Benjamin HADDAD
Bonjour,

Simon LE BARON
Comme d'habitude, les auditeurs dialoguent avec nous, au 01-45-24-70-00 et sur l'application de Radio France. Beaucoup d'autres questions à vous poser, notamment sur la guerre commerciale avec les Etats-Unis de TRUMP, et sur le budget de l'Union Européenne. Mais pour commencer, donc, dites-nous, quand ce nouveau paquet de sanctions sera adopté ?

Benjamin HADDAD
Le plus tôt possible. Il faut qu'on travaille avec nos partenaires. Vous savez que nous venons d'adopter, coup sur coup, le 17e et 18e paquet de sanctions de l'Union Européenne, largement sous l'impulsion de la France. Et je voudrais rendre hommage, ici, au travail de nos diplomates, qui visent précisément à tarir les ressources que la Russie utilise pour son effort de guerre, notamment les ressources énergétiques. Le 18e paquet de sanctions, qui est massif, vraiment sans précédent, adopté la semaine dernière, qui impose notamment un abaissement du prix maximal auquel la Russie peut vendre son pétrole, de 60 à 45 dollars. Un embargo sur les importations de pétrole brut raffiné, ou encore de nouvelles sanctions sur la flotte fantôme. Vous savez, ces navires sans pavillon que la Russie utilise en mer du Nord, en mer de l'Allemagne, pour contourner les sanctions. L'objectif, quel est-il ? C'est de mettre une pression maximale sur la Russie pour qu'elle se mette autour de la table des négociations.

Simon LE BARON
Donc, quand vous dites le plus tôt possible, c'est une question de jour ?

Benjamin HADDAD
Là, on a commencé déjà à travailler, effectivement, sur le périmètre. Il faut travailler après, avec nos partenaires européens. Et puis, je voudrais rajouter aussi, parce qu'on a vu les Britanniques qui se sont aussi alignés sur ce 18e paquet de sanctions, c'est important, notamment sur la question du prix du pétrole. Et travailler aussi avec les Américains. Nous sommes en lien avec, notamment, les sénateurs américains. Je pense à Lindsey GRAHAM, sénateur républicain, qui a proposé un paquet, aujourd'hui, complètement bipartisan, soutenu par 80 sénateurs, donc républicains comme démocrates, qui imposerait, notamment, des sanctions secondaires, c'est-à-dire des sanctions sur les pays qui aident la Russie à contourner ces sanctions. Vous savez, depuis déjà plusieurs mois, fondamentalement, vous voyez les Ukrainiens et son président, Volodymyr ZELENSKY, qui disent que nous sommes prêts à un cessez-le-feu pour se mettre autour de la table des négociations. C'est ce que demandent aussi les Européens et les Américains, c'est-à-dire trouver les moyens pour mettre fin à cette guerre d'agression sur notre continent. Le seul qui continue l'escalade sur le terrain, qui continue les bombardements contre les civils et les infrastructures, qui continue de refuser de s'engager dans la diplomatie de la bonne foi, c'est Vladimir POUTINE. Et donc, il faut imposer un rapport de force, sur le plan militaire et sur le plan économique, pour pousser la Russie à se mettre autour de la table des négociations.

Simon LE BARON
Précisément, vous parlez de rapport de force, ça fait trois ans, plus de trois ans, depuis le premier jour, en fait, quasiment, en 2022, février 2022, qu'on entend qu'il faut asphyxier, étouffer l'économie russe, on en est, vous l'avez dit, au dix-huitième paquet de sanctions. Et on se demande si ces sanctions servent vraiment à quelque chose, quand on voit les moyens engagés par la Russie sur le terrain.

Benjamin HADDAD
Mais vous savez, fondamentalement, il n'y a pas de solution magique. Ceux qui pensaient qu'on pouvait mettre fin à cette guerre en 24 heures, n'ont pas vu que vous avez là, une Russie qui, en effet, s'est adaptée, qui a mis toute son économie, tout son budget, aujourd'hui, dans son effort de guerre et dans la guerre d'agression contre l'Ukraine. Et à travers l'Ukraine, c'est bien sûr les démocraties européennes qui sont menacées par les opérations de sabotage, par les attaques cyber, par les opérations de désinformation. J'ai été, ces derniers mois, en Roumanie, en Moldavie, où on a vu des processus électoraux sur le continent européen qui ont été manipulés aussi par la Russie sur les réseaux sociaux comme TikTok. Donc, on a une menace russe, aujourd'hui, qui s'est constituée. Donc, effectivement, ça demande un effort considérable et permanent sur les sanctions pour adapter ces sanctions pour mettre la Russie sous pression. Un effort de réarmement des démocraties européennes, en plus du soutien qu'on apporte à l'Ukraine.

Simon LE BARON
Et un effort diplomatique, est-ce que vous croyez que les nouvelles discussions qui vont commencer, aujourd'hui, à Istanbul peuvent aboutir à quelque chose ? Ou, comme à peu près tous les observateurs, vous êtes sans grand espoir ?

Benjamin HADDAD
Écoutez, c'est positif qu'il y ait des discussions et ça montre une fois de plus, d'ailleurs, la bonne volonté des Ukrainiens qui, depuis le début, et le président ZELENSKY lui-même a dit qu'il était prêt à s'asseoir autour de la table avec le président POUTINE. Mais quand on entend, aujourd'hui, les demandes maximalistes et extravagantes de la Russie, que ce soit le désarmement de l'Ukraine, quand vous venez d'envahir un pays, vous vous demandez après, " Est-ce qu'il soit désarmé ? " La dénazification, on est toujours dans cette propagande absurde. Le renversement du président ZELENSKY, on voit bien que tout ça est inacceptable. Donc, encore une fois, on n'est pas là dans une volonté sérieuse de la part de la Russie de négocier et d'aboutir à la paix. C'est d'ailleurs ce qu'entendent, aujourd'hui, les Américains. Nous, c'est le dialogue qu'on a eu avec les Américains depuis le début. Le président de la République, en parlant avec le président TRUMP depuis le début, a dit, " Nous, on est alignés. On veut trouver les voies d'une paix juste et durable en Europe ". Mais aujourd'hui, celui qui s'y refuse, c'est bien sûr la Russie de Vladimir POUTINE. Et donc, c'est tout l'effort aussi que nous avons fait en France avec nos partenaires européens et américains pour réaligner aussi les Américains et les Européens. Parce que je rappelle qu'il y a quelques mois, on nous disait que les Européens allaient être complètement écartés de la négociation. On n'aurait aucune influence. Tout allait se gérer entre Russes et Américains au bout de 24 heures. On voit bien, aujourd'hui, qu'il n'en est rien, que les Européens défendent leurs intérêts, que nous le faisons avec nos partenaires américains et bien sûr en soutien à l'Ukraine.

Simon LE BARON
Un mot sur Volodymyr ZELENSKY qui, après un vote au Parlement, va signer un décret, aujourd'hui, pour quasiment supprimer des instances anticorruptions. Ça n'a pas dans le sens d'une adhésion à l'Union Européenne ?

Benjamin HADDAD
Non, vous avez raison et d'ailleurs, je partage l'avis de la Commission Européenne qui a dit, hier, être vivement préoccupée par cette décision. Il n'est pas trop tard pour les Ukrainiens bien sûr pour revenir en arrière. Quand on est candidat à l'Union Européenne, ça entraîne des exigences en termes de lutte contre la corruption, de préservation de l'état de droit, de respect des minorités, des oppositions politiques ou de l'indépendance de la justice. Donc, on sera extrêmement vigilants sur ce sujet. Jean-Noël BARROT l'a dit lundi à Kiev à son homologue ukrainien. Je l'ai dit moi-même à mon homologue hier. Donc, on est en dialogue avec les autorités ukrainiennes là-dessus. Encore une fois, il n'est pas trop tard pour revenir là-dessus. Mais je partage ce qu'a dit la Commission Européenne sur la préoccupation des Européens vis-à-vis de cette dernière décision.

Simon LE BARON
Puisque l'on parle de sanctions au sujet de l'Ukraine, Benjamin HADDAD, cette fois au sujet de Gaza, est-ce que l'Europe doit parler enfin d'une seule voix ? C'est ce que nous dit Marc sur l'application de Radio France, l'un de nos auditeurs qui nous interpelle. Est-ce que l'Europe doit enfin parler d'une seule voix sur Gaza ? Et je vais plus loin, est-ce que l'Europe doit sanctionner Israël ?

Benjamin HADDAD
Écoutez, je pense que c'est important pour les Européens de parler d'une seule voix et de rappeler les principes qui sont ceux que rappelle la France depuis les débuts, c'est-à-dire trouver les conditions d'un cessez-le-feu immédiat, la libération de tous les otages qui sont encore à Gaza, l'acheminement de l'aide humanitaire pour la population civile de Gaza, et puis, la relance du dialogue politique régional. Vous savez que la France travaille avec l'Arabie Saoudite à l'organisation d'une conférence pour relancer ce dialogue politique…

Simon LE BARON
Sur la solution à deux États, mais là je vous parle de l'urgence, on parle de famine, aujourd'hui, à Gaza, votre collègue Jean-Noël BARROT, hier, à ce micro disait " Plus aucune justification militaire aux opérations militaires israéliennes à Gaza ". La cheffe de la diplomatie européenne, on parle de l'Europe, Kaja KALLAS, dit que l'armée israélienne doit cesser de tuer des civils qui cherchent de l'aide humanitaire. Ça, ce sont les mots, mais dans les faits, rien. Pourquoi ?

Benjamin HADDAD
Alors, vous avez entendu... Déjà, je ne partage pas ce que vous venez de dire. Vous avez entendu les propos très fermes, en effet, sur votre antenne, hier, du ministre des Affaires étrangères. Vous savez que la France a d'ailleurs été très impliquée dans l'acheminement de l'aide humanitaire ou encore dans le fait de soigner des civils qui ont été blessés à Gaza. La Commission européenne a lancé un travail de révision de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël pour voir si l'article 2 qui repose sur les droits humains, les droits de l'homme est respecté ou non. Et donc, il y aura, à la fin du mois, une discussion pour savoir si cet article 2 est respecté ou non et à ce moment-là, les conséquences qu'il faudra en tirer. La France a soutenu ce travail pour examiner…

Simon LE BARON
Donc, vous seriez favorable à remettre en cause, à suspendre cet accord ?

Benjamin HADDAD
En tout cas, il y aura une discussion sur ce sujet. Donc, on verra ce que la Commission européenne aura à dire sur ce sujet. Mais encore une fois, je voudrais insister. Effectivement, vous avez raison de souligner l'urgence de la situation actuelle. Mais au-delà de ça, sur le rôle que joue la France, le président de la République, notre diplomatie, pour relancer la solution à deux États. Parce que, fondamentalement, c'est la voie d'un règlement politique durable. C'est de faire en sorte que nous puissions avoir la construction d'un État palestinien souverain aux côtés d'un État d'Israël qui peuvent vivre côte à côte et qui peuvent être reconnus par leurs voisins. C'est le travail que nous faisons. Bien sûr, avec des conditions, le désarmement du Hamas, le fait que le Hamas ne participe pas à la gouvernance de la bande de Gaza…

Simon LE BARON
La question des otages, 49 dont 22 seraient toujours en vie.

Benjamin HADDAD
Bien sûr, je l'ai dit tout à l'heure. Mais je crois que c'est la responsabilité de la France et des Européens, vous l'avez dit, de travailler de façon durable à ce qu'on puisse trouver une solution politique pour cette région.

Simon LE BARON
L'actualité européenne, Benjamin HADDAD, c'est aussi ce mur qui arrive dans huit jours. Les droits de douane de 30% que Donald TRUMP promet de mettre en place donc, au 1er août sur tous les produits en provenance des pays de l'Union. Où en sont les négociations et est-ce qu'il va y avoir un accord ?

Benjamin HADDAD
On verra ce qui se passera dans les prochains jours. Vous savez que la Commission européenne continue ses négociations avec les États-Unis. Moi, ce que je constate, c'est que déjà, ces menaces de droits de douane et les droits de douane qui sont déjà imposés par l'administration américaine, ils sont inacceptables et ne reposent en rien sur la réalité de la relation commerciale, aujourd'hui, entre les États-Unis et l'Europe. Et que la seule façon de pouvoir obtenir un accord, ce qu'on souhaite, nous on ne veut pas une guerre commerciale, on ne veut pas de protectionnisme, on veut pouvoir trouver une désescalade, un accord qui serait dans l'intérêt de tous, c'est de montrer que les Européens peuvent se défendre et qu'on est capable d'assumer un rapport de force.

Simon LE BARON
Justement, ça fait plus de 100 jours qu'il dure ces pourparlers, là on est à huit jours du terme et vous dites, en fait, la Commission européenne n'a pas été à la hauteur de l'agression américaine.

Benjamin HADDAD
Nous avons demandé à la Commission européenne de faire des propositions pour avoir des contre-mesures, notamment sur les biens, mais aussi sur les services américains qu'on pourrait aller taxer s'il n'y a pas d'accord acceptable le 1er août. Ça veut dire des taxations sur des biens américains, il y a deux paquets de 20 milliards puis de 72 milliards de biens venant des États-Unis qu'on peut aller taxer, mais on peut aller plus loin. Vous savez qu'il y a quelques années, on a créé un instrument qui s'appelle l'instrument anti-coercition.

Simon LE BARON
Qui était plutôt destiné à la Chine.

Benjamin HADDAD
Qui à l'époque, vous avez raison, était destiné à la Chine, qui viserait à élargir le champ des biens qu'on peut aller toucher et notamment les services numériques puisqu'on est importateur, on est consommateur de services numériques américains et ça permettrait d'aller taxer les services numériques, de barrer l'accès à des marchés publics, de pouvoir saisir aussi des propriétés intellectuelles. Dans une négociation, il faut assumer un bras de fer. Les Européens, c'est 27 pays, c'est un grand marché unique intégré, c'est un test de crédibilité géopolitique pour l'Europe. Quel précédent est-ce qu'on en verra aux États-Unis, si demain l'administration TRUMP veut aller plus loin et augmenter à nouveau les droits de douane, mais aussi à la Chine ou à d'autres, si on montre de la faiblesse dans cette négociation ? Donc, encore une fois, dans cette dernière semaine et dans les jours qui suivront, on est dans un test de crédibilité géopolitique, on est dans un test de puissance pour l'Union Européenne.

Simon LE BARON
On était ici avec l'ancien commissaire, Thierry BRETON, il y a quelques jours qui nous disait « Si on fait moins bien que le Royaume-Uni qui a, il y a quelques semaines, conclu un accord qui est déjà jugé très peu favorable aux Britanniques, si on fait moins bien la 27, c'est la porte ouverte aux anti-européens de tous bords ».

Benjamin HADDAD
Il a raison parce que, encore une fois, vous avez là une compétence, les négociations commerciales qui sont une compétence ce qu'on appelle exclusive de l'Union Européenne. Donc, elles négocient au nom des 27. Ça nous donne des leviers, ça nous donne la possibilité d'imposer un rapport de force. On est un partenaire commercial de premier plan des États-Unis. Donc, encore une fois, je crois que dans ce type de négociation face à l'administration TRUMP, si vous montrez de la faiblesse, vous poussez l'autre, au contraire, à durcir sa position et à escalader. Donc, je rappelle les fondamentaux qui est que nous souhaitons, une fois de plus, sortir de cette spirale protectionniste qui est dans l'intérêt de personne. Et il suffit de voir, d'ailleurs, les marchés obligataires américains, les prévisions de croissance, les entreprises qui tirent à la langue, de nombreuses entreprises qui gèlent leurs investissements au ou vers les États-Unis, qui s'interrogent quand même sur le climat économique. Donc, c'est dans l'intérêt de personne, à commencer par celui des États-Unis. Mais la meilleure façon de se faire entendre, de se faire respecter, c'est de montrer qu'on peut assumer un rapport de force.

Simon LE BARON
Mais j'entends ce que vous dites, la France dit « Bras de fer, rapport de force, approche beaucoup plus politique que ce que la Commission a fait jusqu'à présent ». Et c'est important parce qu'on parle de millions d'emplois qui sont en jeu sur le continent européen. Mais est-ce que des pays comme l'Allemagne, qui sont beaucoup plus dépendants des États-Unis pour leur commerce, jouent contre l'Union Européenne ?

Benjamin HADDAD
Non, moi j'étais en Allemagne la semaine dernière, à Berlin et Düsseldorf, j'ai rencontré, à la fois, mes homologues, mais aussi beaucoup d'industriels. C'est vrai qu'on a des pays européens qui sont très exposés au commerce avec les États-Unis. Mais qui voient bien, aujourd'hui, qu'on a eu une escalade de la part de l'administration TRUMP dans ces négociations, qu'on est passé de 20, puis à 10, puis à 30%, qu'on a 50% de taxes sur l'acier et l'aluminium. Et on partage le même objectif, c'est ce que je vous disais, c'est d'aboutir à un accord. D'aboutir à un accord qui serait dans l'intérêt de tous, d'aboutir à une désescalade. La question c'est encore une fois, comment est-ce qu'on s'en donne les moyens pour pouvoir y aboutir ?

Simon LE BARON
D'autres négociations, qui commencent celles-là à Bruxelles, elles sont parties pour durer 2 ans à peu près, celles qui concernent le projet de budget européen pour la période 2028-2034. Principale inquiétude dans ce budget pour les agriculteurs, sur la politique agricole commune, qui d'abord est réduite dans ce budget, et qui, en plus, serait variable, en tout cas elle pourrait être renégociée au cours des années à venir. Grosse inquiétude des agriculteurs, qu'est-ce que vous leur dites ?

Benjamin HADDAD
Déjà, je leur dis que la souveraineté alimentaire de l'Europe, et donc, la protection des agriculteurs, de ceux qui nous nourrissent, et la protection de leurs revenus, c'est une priorité absolue de la France dans ces négociations. J'ai eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises, aussi bien avec le commissaire HANSEN à l'agriculture, et le commissaire SERAFIN au budget, que j'ai emmené d'ailleurs rencontrer des agriculteurs français dans le Doubs et dans le Jura, il y a quelques mois. On a, aujourd'hui, les paiements directs de la politique agricole commune qui sont préservés, et après effectivement, il y a une flexibilité qui est donnée sur le reste, avec la politique de cohésion. Moi, je pense qu'il faudra être extrêmement vigilant, à la fois sur les montants, mais aussi sur l'architecture de la PAC, pour que nos agriculteurs puissent avoir de la visibilité sur leurs revenus, sur ce dont ils ont besoin pour investir, et donc, il faudra aller plus loin.

Simon LE BARON
Vigilance, ça veut dire que les revenus, les subventions aux agriculteurs ne sont plus garanties ?

Benjamin HADDAD
Alors, ça veut dire qu'aujourd'hui, il y a eu des revenus d'investissement pour l'agriculture, ainsi que les revenus de la cohésion, qui sont mélangés. Et moi, je crois que ça ne donne pas suffisamment de visibilité et de clarté à nos agriculteurs, donc il faudra revoir la copie, c'est un travail que nous faisons avec la Commission européenne. Vous l'avez dit, on est au début d'une négociation qui sera longue, de deux ans, où il vous faudra un budget européen ambitieux pour investir dans la compétitivité et l'innovation du continent, dans le réarmement, la défense et le spatial, et bien sûr, dans la souveraineté alimentaire. On se battra pour chaque centime de la politique agricole commune. Encore une fois, c'est l'avenir de la souveraineté alimentaire du continent européen qui est en jeu.

Simon LE BARON
Vous parlez de centimes, on parle de milliards, de mille milliards dans ce budget quasiment. Plusieurs pays, Suède, Autriche, Pays-Bas, Allemagne, ne veulent pas de ce budget et disent qu'il n'est pas question de payer plus pour l'Europe à l'heure où les pays, dans leurs budgets nationaux, sont contraints de faire des économies. Justement, la France cherche 44 milliards rien que pour l'année prochaine. Est-ce qu'elle est d'accord pour payer plus sur l'Europe ?

Benjamin HADDAD
Écoutez, déjà, la question, fondamentalement, avant de parler des montants, c'est qu'est-ce qu'on veut faire ? Et où est-ce que l'Europe a une valeur ajoutée ? Je crois qu'on est dans un moment de bascule géopolitique où on a besoin d'une Europe qui se donne les moyens d'agir et qui se donne les moyens d'investir dans sa souveraineté et dans son autonomie stratégique. Ça veut dire investir dans sa défense. On le fait au niveau national. Vous avez vu que sur les deux mandats d'Emmanuel MACRON, nous aurons doublé le budget de défense de la France. Et le Président de la République a annoncé récemment une accélération pour 2026-2027 face aux menaces auxquelles nous sommes confrontés sur notre continent. Il faut le faire, bien sûr, aussi au niveau européen pour soutenir une industrie de défense européenne autonome dans le spatial, qui est un enjeu quand même de souveraineté, que ce soit la protection des données privées, l'accès aux orbites basses, on voit le rôle que joue STARLINK, par exemple, en Ukraine. Le soutien à l'innovation, je pense à l'intelligence artificielle, aux quantiques, sur tous ces sujets-là, nous avons besoin d'un budget européen ambitieux.

Simon LE BARON
Que la France d'Emmanuel MACRON soit favorable à plus d'intégration européenne, une Europe plus forte, ce n'est pas nouveau, c'est l'ADN politique d'Emmanuel MACRON depuis huit ans maintenant. Mais si je vous pose la question des financements, c'est parce que politiquement, c'est sensible en France. Le Rassemblement national dit " On nous demande de faire des économies, donnons-moi à l'Union européenne ". D'ailleurs, quand on veut, on peut. La preuve, la France a négocié une ristourne pour sa participation, sa contribution à l'Union européenne pour 2026.

Benjamin HADDAD
Moi, je vois le Rassemblement national qui, à chaque tournant, sur chaque débat, trouve une façon de faire de l'europhobie et trouve une façon, en réalité, de proposer quoi ? Un Frexit déguisé. Quand il parle de rabais en rabais, on a vu les débats qu'il y avait eu avec la Grande-Bretagne à l'époque, qui étaient rentrés dans cette logique transactionnelle avec l'Union européenne, pour finalement, décider de quitter l'Union européenne. On a besoin d'une France qui est influente au sein d'une Europe forte, qui se donne les moyens de se défendre. Sinon, quelle est l'alternative ? Vous nous voyez, aujourd'hui, aller en rang dispersé face à la Russie de Vladimir POUTINE, face aux États-Unis de Donald TRUMP, face à la Chine. On a besoin, aujourd'hui, d'une Europe qui se donne les moyens d'agir sur la scène internationale. Et donc, moi, je vois, une fois de plus, que les vieilles obsessions anti-européennes du Rassemblement national ressurgissent à chaque tournant, et c'est ce qu'on voit, aujourd'hui, dans ce débat budgétaire.

Simon LE BARON
Un mot aux entreprises, puisque dans ce budget, l'Europe cherche aussi des recettes. Il y a un projet de taxe sur les grandes entreprises. Qu'est-ce que vous leur dites ? On ne touche pas aux entreprises au niveau national, dans le budget, mais on veut bien les faire payer plus au niveau européen.

Benjamin HADDAD
Alors, c'est encore une fois, vous l'avez dit, le début de négociations qui vont être longues. On a besoin de ressources propres pour l'Union européenne, précisément, parce que si on veut un budget plus ambitieux, il faut que l'Union européenne soit capable aussi de dégager des ressources propres. Je pense que ces ressources doivent essentiellement peser, non pas sur les ménages ou les entreprises européennes, mais plutôt sur des acteurs extérieurs, que ce soit la création d'un Etat européen, c'est-à-dire faire payer les touristes qui viennent en Europe, comme c'est le cas pour ceux qui vont aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Que ce soit une taxe sur les services numériques américains, ou encore une taxe sur les petits colis. Voilà, c'est plutôt les propositions que nous avons faites, aujourd'hui, au Commissaire européen.

Simon LE BARON
J'en reviens à la politique française. Benjamin HADDAD, est-ce que vous êtes à l'aise à l'idée de rester au Gouvernement avec une collègue, Rachida DATI, ministre de la Culture, envoyée en correctionnel pour corruption et trafic d'influence ?

Benjamin HADDAD
Mais j'espère quand même qu'on a encore la présomption d'innocence dans notre pays. Et moi, d'ailleurs, je voudrais ici réitérer mon amitié et mon estime envers Rachida DATI, qui fait un travail formidable, qui fait un travail…

Simon LE BARON
Il y a l'amitié, il y a l'estime, il y a l'exemplarité. Pendant des années, mise en examen signifiait démission.

Benjamin HADDAD
Monsieur, moi, j'ai toujours eu une règle. Quelle que soit le parti politique, la personnalité, que ce soit de mon camp, d'un parti opposé, de ne pas commenter et de ne pas m'ingérer dans des procédures judiciaires. Je pense que c'est ma responsabilité en tant que politique. Et vous savez, je l'ai soutenue pour qu'on fasse l'union autour d'elle pour la mairie de Paris. C'est quelqu'un qui a Paris chevillé au corps, qui, à mon avis, parle à beaucoup de Parisiens, qui a l'expérience, l'énergie pour pouvoir mener cette campagne, qui est une excellence ministre de la Justice. Et donc…

Simon LE BARON
Donc, pas de problème, vous restez avec elle sans problème au Gouvernement ?

Benjamin HADDAD
Oui, mais pour moi, encore une fois, il y a quand même la présomption d'innocence dans ce genre de sujet.

Simon LE BARON
Elle appartient aussi politiquement à un parti dont le nouveau patron, ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU, n'a pas de mot assez dur dans l'hebdomadaire " Valeurs Actuelles " contre votre parti, le parti présidentiel Renaissance. Je rappelle que LR est censé appartenir au fameux socle commun du Gouvernement. Bruno RETAILLEAU dit que le macronisme n'est ni un mouvement politique ni une idéologie, qu'il s'achèvera avec Emmanuel MACRON et qu'il alimente l'impuissance. Vous pouvez continuer à travailler avec Bruno RETAILLEAU également ?

Benjamin HADDAD
Dans une coalition, on peut avoir des sensibilités différentes, des expressions différentes, c'est normal. Moi, je vois des coalitions politiques partout en Europe, mais il faut qu'on se respecte. Moi, je suis fier, profondément fier d'avoir rejoint Emmanuel MACRON dès le début, qui a répondu à une aspiration profonde des Français, une aspiration qui existe toujours aujourd'hui, précisément de mettre de côté les petites querelles partisanes, les logiques d'appareil pour mettre ensemble les gens qui voulaient travailler pour l'intérêt général, qui voulaient réformer le pays. Et on a réformé le pays. Et on a fait baisser le chômage à son plus bas historique depuis 40 ans. On a fait revenir les investissements. J'en suis fier et je crois que ce qu'il a créé perdurera au-delà de lui. En tout cas, je ferai partie de ceux qui continueront à faire perdurer cet héritage.

Simon LE BARON
Ce n'est pas ce que pense Bruno RETAILLEAU. Est-ce que sa présence au Gouvernement est bien cohérente ?

Benjamin HADDAD
Je vous ai dit qu'on peut avoir des coalitions avec des expressions différentes. Mais encore une fois, il faut qu'on respecte là d'où on vient, l'histoire de chacun, l'identité de chacun. Et puis, je pense aussi qu'il se trompe. Je crois que ce que nous avons construit ces dernières années autour d'Emmanuel MACRON n'était pas un accident, n'était pas lié à des circonstances particulières en 2017 ou en 2022. Je crois, encore une fois, que les clivages avaient changé, que les aspirations politiques sont différentes. Encore une fois, la volonté de pouvoir mettre les gens autour de la table pour pouvoir travailler, obtenir des résultats, avoir une logique d'intérêt général plutôt qu'une logique uniquement partisane. Et moi, je me reconnais toujours dans ça, je suis fier d'en faire partie. Et puis, je voudrais rajouter quelque chose. Vous savez, je pense que les Français n'attendent pas de nous qu'on soit là dans l'élection présidentielle de 2027. Il nous reste deux ans.

SIMON LE BARON
C'est ce que fait Bruno RETAILLEAU, d'après vous.

Benjamin HADDAD
Deux ans pour agir, deux ans pour réformer, deux ans pour travailler, deux ans pour trouver des solutions pour les Français au niveau national, au niveau européen. Regardez tous les enjeux dont nous avons parlé. La Russie, les questions de compétitivité, le soutien à nos agriculteurs, les droits de douane. Sur tous ces sujets, il faut qu'on apporte, qu'on mette de la responsabilité, qu'on apporte des solutions et qu'on agit jusqu'au bout, jusqu'à la dernière minute.

Simon LE BARON
Benjamin HADDAD, ministre délégué chargé de l'Europe. Merci beaucoup.

Benjamin HADDAD
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 juillet 2025