Texte intégral
- 7h45, notre invité est ministre de l'Europe et des affaires étrangères et il nous répond en direct depuis l'Est de l'Ukraine. Jean-Noël Barrot, bonjour.
R - Bonjour Simon Le Baron.
Q - C'est votre deuxième et dernier jour sur place. Vous nous répondez depuis une grande ville, vous ne souhaitez pas qu'on en dise plus pour des raisons de sécurité. Qu'est-ce que cela dit de l'atmosphère en ce moment, du climat qui règne avec la Russie de Poutine ?
R - Une ville à l'est de l'Ukraine, en effet, proche de la ligne de front, qui a donc été constamment prise pour cible par la Russie de Vladimir Poutine, mais qui a résisté de manière héroïque depuis trois ans, en repoussant à plusieurs reprises l'envahisseur. Une ville qui est donc un exemple de résilience et de force d'âme. Et c'est pourquoi j'ai tenu à me rendre sur place.
Q - Mais que vous, Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères d'un grand pays européen, ne puissiez pas dire où vous êtes précisément... Qu'est-ce que ça dit, encore une fois, des intentions de Poutine en ce moment ?
R - Cela dit qu'à 2.000 kilomètres du territoire national se joue une guerre de très haute intensité qui engage l'intégrité du territoire ukrainien, mais où se joue également la sécurité de l'Europe et plus généralement l'ordre international fondé sur le droit, dont nous fêtons cette année le 80e anniversaire. C'est la raison pour laquelle il est si important de marquer par ma présence le soutien de la France, ici, à l'est de l'Ukraine, mais aussi de constater ce que le soutien de la France en matière budgétaire, militaire, mais aussi économique, a permis aux Ukrainiens de faire, face à cette guerre injuste, inhumaine et cynique.
Q - L'actualité sur l'Ukraine, c'est cette annonce de Volodymyr Zelensky il y a quelques heures. Nouvelle session pour parler demain en Turquie entre délégation de Kiev et délégation de Moscou. Qui croit vraiment encore à ces négociations ? Est-ce que vous y croyez, Jean-Noël Barrot ?
R - Ce que je sais, c'est que ça fait maintenant cinq mois - souvenez-vous, c'était le 9 mars - que l'Ukraine a accepté un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours permettant d'ouvrir des négociations, parce qu'on ne négocie pas sous les bombes. Et ça fait cinq mois qu'on attend que Vladimir Poutine accepte le même principe. Et donc c'est très bien que des discussions puissent se poursuivre, mais à condition qu'elles conduisent à une rencontre au niveau des chefs d'Etat, Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, et une rencontre qui puisse aboutir à un cessez-le-feu. Parce que nous ne pouvons plus accepter que Vladimir Poutine poursuive sa guerre d'agression, qui ne se joue pas seulement sur la ligne de front, mais qui cible, dans toutes les villes ukrainiennes des zones d'habitation, des entreprises, pour terroriser les civils ukrainiens, et pour saper leur morale, sans succès jusqu'à présent, puisque ça n'a conduit qu'à accroître leur résolution et leur détermination.
Q - Mais est-ce que c'est possible de contraindre Poutine à un cessez-le-feu ? Il y a cet ultimatum de 50 jours qui a été lancé par Donald Trump... Est-ce que finalement, Poutine, en affirmant être disposé à des négociations, mais en continuant de maintenir des exigences jugées inacceptables par les Ukrainiens et les Occidentaux, est-ce qu'il ne joue pas avec vous, d'une certaine manière, avec Trump, avec les pays occidentaux en général ?
R - Quoi qu'il en soit, nous avons adopté jeudi dernier un paquet de sanctions massif avec l'Union européenne pour contraindre Vladimir Poutine à cesser le feu. Et ce paquet de sanctions, qui vient assécher les recettes pétrolières de la Russie en fixant un plafonnement pour le prix du pétrole, en instaurant un embargo sur les produits du pétrole raffiné en provenance d'autres pays qui continuent d'importer du pétrole brut en provenance de Russie, tout cela doit conduire Vladimir Poutine à changer son calcul et à consentir à un cessez-le-feu. Et je vais vous dire, on va aller plus loin, puisque moi j'ai d'ores et déjà demandé à mes équipes de préparer un prochain, un nouveau paquet de sanctions, encore plus lourd, pour contraindre Vladimir Poutine.
Q - Sanctions françaises, européennes ?
R - Des sanctions européennes, bien sûr, parce que c'est la taille de notre marché, de notre économie, qui est dix fois supérieure à celle de la Russie, qui doit nous permettre de peser de tout notre poids, en coordination avec les États-Unis, où un paquet de sanctions est en préparation, pour aboutir à une fin des hostilités et à des négociations en bonne et due fin.
Q - Et ces nouvelles sanctions que vous préparez, vous espérez les voir adoptées à quelle échéance ?
R - Au plus vite. Vous savez, c'est le Quai d'Orsay qui a été à la manoeuvre pour le 17e paquet de sanctions qui a été adopté au mois de mai et pour faire aboutir ce nouveau paquet de sanctions que nous avons adopté jeudi. C'est donc une nouvelle fois le Quai d'Orsay qui sera à la manoeuvre, en lien avec nos partenaires européens, pour faire aboutir au plus vite, si toutefois Vladimir Poutine n'a pas cessé le feu, un nouveau paquet de sanctions pour épuiser son économie de guerre.
Q - Vous dites, on vous entend, que c'est possible, en tout cas vous croyez toujours en la possibilité de forcer Vladimir Poutine et la Russie à accepter enfin un cessez-le-feu. Vous nous répondez, je l'ai dit Jean-Noël Barrot, depuis l'Est de l'Ukraine, impossible de ne pas vous interroger malgré tout sur Gaza, où Israël a étendu hier ses opérations après avoir rejeté l'appel de 25 pays, dont la France, à mettre fin à cette guerre. Là encore, c'est la même question qui se pose. À quoi servent la France et les Occidentaux en général ? Et se pose sans doute avec encore plus de force dans le cas de la guerre à Gaza.
R - D'abord, je veux dire que cette nouvelle offensive terrestre est déplorable. Il n'y a plus aucune justification aux opérations militaires de l'armée israélienne à Gaza. C'est une offensive qui va aggraver une situation déjà catastrophique, qui va provoquer de nouveaux déplacements forcés de populations que nous condamnons avec la plus grande fermeté, et nous appelons au cessez-le-feu immédiat à la libération de tous les otages du Hamas, qui doit être désormais désarmé, et à l'accès sans aucune entrave de l'aide humanitaire à Gaza. Quel est le rôle que la France peut jouer ? La France présidera, la semaine prochaine à New York, sous l'égide des Nations unies, avec l'Arabie saoudite, une conférence majeure pour la solution à deux États, pour recréer les conditions d'existence d'un État palestinien, pour redessiner une perspective politique, seule susceptible de ramener la paix et la stabilité.
Q - Ça c'est la perspective politique, qui paraît plus que jamais lointaine aujourd'hui. Mais il y a l'urgence. Cet appel, par exemple, de la Société des journalistes de l'Agence France-Presse, que vous avez entendu dans le journal il y a quelques minutes. "Sans intervention immédiate, les derniers reporters de Gaza vont mourir." Ils parlent de leurs collègues sur place. "Nous avons perdu des journalistes dans des conflits. Aucun de nous n'a le souvenir d'avoir vu un collaborateur mourir de faim." Ce risque de famine à Gaza, il est connu. Il est documenté. C'est même peut-être plus qu'un risque aujourd'hui. Est-ce que... Je vous pose la question directement, le gouvernement israélien affame sciemment les habitants de Gaza ?
R - La situation humanitaire à Gaza, j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, est indigne. C'est un scandale qui doit cesser immédiatement. Les opérations de la Fondation humanitaire pour Gaza ont conduit à un bain de sang, 900 personnes qui ont perdu la vie alors qu'elles allaient chercher un sac de farine et ont été prises pour cible dans des files alimentaires. Tout ça est inacceptable. C'est tout autant inacceptable de s'apercevoir que la presse libre et indépendante n'a pas accès à Gaza. Je demande que la presse libre et indépendante puisse accéder à Gaza pour montrer ce qu'il s'y passe et pour en témoigner. S'agissant plus particulièrement des collaborateurs de journalistes français, nous sommes saisis de cette question. Nous avons bon espoir de pouvoir, comme nous l'avons fait à plusieurs reprises, dans des conditions extrêmement éprouvantes et exigeantes, et je veux saluer nos diplomates sur place, avec l'évacuation de Gaza de plusieurs centaines de personnes depuis le début de la guerre, nous avons l'espoir de pouvoir faire sortir quelques collaborateurs de journalistes dans les prochaines semaines. En tout cas, nous y consacrons beaucoup d'efforts et beaucoup d'énergie.
Q - Deux questions pour terminer, Jean-Noël Barrot. D'abord, sur la Syrie, où le cessez-le-feu, pour l'instant, semble tenir, après une semaine de violence qui a fait plus de 1.200 morts dans le sud du pays. Est-ce que vous craignez la résurgence de la guerre civile ?
R - Le calme revient progressivement, c'est vrai, mais c'est une sérieuse alerte pour la transition syrienne qui montre, après les massacres du mois de mars, l'enracinement en Syrie des violences confessionnelles. Dans ce contexte, nous avons trois priorités. La première, c'est que le dialogue puisse s'engager entre les autorités, le gouvernement et les différentes composantes de la société syrienne, pour trouver des solutions politiques qui garantissent la sécurité et le respect des droits de tous, à commencer par les Kurdes. La deuxième priorité, c'est la lutte contre l'impunité. Les responsables de ces exactions et de ces massacres doivent être punis de manière implacable. Et la troisième, évidemment, c'est la préservation de la stabilité, la lutte contre le terrorisme, et le fait que les acteurs extérieurs à la Syrie doivent prendre garde à des actions unilatérales qui ramèneraient le chaos et qui plongeraient la région dans l'instabilité.
Q - Question enfin sur l'Algérie, où deux Français, un écrivain, un journaliste, Boualem Sansal et Christophe Gleizes, sont toujours en prison aujourd'hui, condamnés à cinq et sept ans de prison ferme. Est-ce que vous regrettez la diplomatie des bons sentiments, comme vous l'a reproché votre collègue de l'intérieur Bruno Retailleau ? Est-ce qu'il faut engager désormais un bras de fer avec Alger ?
R - Je ne veux pas entrer dans ces considérations. La diplomatie ne se fait pas avec des sentiments, ni bons ni mauvais. J'ai évidemment à cet instant une pensée pour Boualem Sansal, une pensée pour Christophe Gleizes...
Q - Mais au-delà de la pensée, est-ce que vous appelez Alger à les libérer clairement et fermement aujourd'hui ?
R - Nous ne ménagerons pas nos efforts pour obtenir leur libération, pour défendre l'intérêt de la France et des Français vis-à-vis de l'Algérie. Mais on ne défend pas les intérêts de la France avec des sentiments, ni bons ni mauvais. On les défend bien souvent, ça a été le cas avec l'Algérie, avec la coopération. C'est d'ailleurs par la coopération que nous avons obtenu des résultats pour expulser les Algériens en situation irrégulière. Mais pour la coopération, il faut être deux. Et les autorités algériennes, pour l'instant, jouent contre leur camp.
Q - Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, vous nous répondiez en direct de l'Est de l'Ukraine, où vous achevez aujourd'hui cette visite diplomatique de deux jours. Merci beaucoup.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juillet 2025