Texte intégral
Madame la Directrice générale,
Mesdames et Messieurs les directrices et les directeurs,
Mesdames et Messieurs les conseillères et les conseillers,
La France a été l'un des premiers pays, il y a plus d'un siècle, à développer une véritable diplomatie culturelle. Votre action s'inscrit dans cette continuité. Elle est un élément constitutif de la projection de notre pays à l'étranger.
Mais à l'heure où les relations internationales se tendent, deviennent plus brutales, se transforment en guerres commerciales, en luttes informationnelles où tous les coups semblent permis, que peut encore la culture ? N'est-on pas naïfs en continuant à investir comme nous le faisons dans notre soft power à la française, avec nos programmations culturelles et nos coopérations locales ?
Oui, si nous le faisons à l'aveugle, sans voir que nos actions sont partout déformées, contestées, instrumentalisées.
Non, mille fois non, si nous intégrons avec lucidité la réalité des perceptions et si nous accompagnons chacune de nos actions d'une dimension stratégique, d'un récit engagé et lisible. Alors, la culture devient un levier d'Archimède pour gagner la guerre des perceptions, pour faire reconnaître la France pour ce qu'elle est : un partenaire de confiance qui respecte la souveraineté de ses partenaires, qui respecte le droit international, qui privilégie toujours la coopération à la confrontation pour la résolution des enjeux mondiaux.
Par votre action, par votre rôle de chef d'orchestre du débat d'idées, vous êtes au coeur de la promotion du dialogue interculturel, qui est notre meilleure arme pour contrer ceux qui s'en prennent à nos valeurs fondamentales. Je pense aux campagnes qui remettent en question l'égalité de genre, aux gouvernements qui s'en prennent à la liberté académique, à ceux qui nient la réalité du changement climatique. Je pense aux idéologues du repli sur soi. Si nous laissons prospérer ces narratifs, ces récits, c'est la démocratie qui est remise en cause et, avec elle, l'ordre international assis sur la primauté du droit, le primat du droit sur la force. Et alors la loi du plus fort triomphera et nous aurons failli.
C'est pourquoi aujourd'hui j'ai un triple mandat à vous confier : porter nos priorités stratégiques au quotidien, contribuer à notre attractivité, et défendre la France et son image dans le champ des perceptions.
Ces trois volets constituent ensemble notre politique d'influence. Les Journées du réseau sont un moment unique pour réfléchir à notre responsabilité collective et à la façon d'exercer ces missions.
En tant que Français, nous sommes privilégiés. Vous l'avez dit, Madame la Directrice générale, nous avons le troisième réseau diplomatique au monde, avec 163 ambassades, 208 consulats, 108 instituts français, des alliances françaises présentes dans 136 pays. C'est une fierté de pouvoir compter sur tant de talents, et je veux commencer par vous dire merci pour l'énergie que vous mettez à développer nos coopérations.
Certains d'entre vous travaillent dans des contextes particulièrement difficiles, au Proche et Moyen-Orient, en Ukraine, en Haïti, dans certains pays africains. Je les remercie tout particulièrement.
Je tiens aussi à saluer la mémoire de notre collègue, Jean-Pierre Mahoue, conseiller de coopération et d'action culturelle en RDC, décédé il y a quelques semaines. Il avait effectué l'essentiel de sa carrière au sein du réseau. Il incarnait la générosité et le respect, deux valeurs qui fondent notre coopération culturelle.
Mesdames et Messieurs,
Je vous demande de porter nos priorités stratégiques au quotidien - le premier des trois mandats que j'évoquais tout à l'heure.
Les programmations que vous développez dans les Instituts français et les Alliances françaises sont le miroir de ce que nous sommes. Elles permettent de célébrer le dialogue, la diversité des cultures, des oeuvres et des idées.
Dans certains pays, l'Institut français est l'un des rares lieux où la parole est libre. "La culture est le lieu naturel de la confrontation puisque c'est la forge de l'identité et qu'il n'y a pas d'identité sans un minimum d'altercation à autre que soi", écrivait Régis Debray. C'est l'honneur de la France de permettre cette altercation avec l'autre. C'est tout l'esprit de la Nuit des idées, qui est devenue en dix ans un symbole de l'approche française, de l'échange et du débat à travers le monde. Oui, nous assumons des choix qui sont politiques.
Premier exemple : notre soutien à l'Ukraine, agressée par la Russie. En 2026, nous lancerons la saison culturelle ukrainienne, en collaboration avec l'Institut ukrainien de Paris.
Deuxième exemple : notre soutien aux chercheurs originaires de pays en guerre via le programme PAUSE et les dispositifs mis en place pour la Syrie, Gaza, l'Ukraine, le Liban ou encore le Soudan. Aujourd'hui, 66.000 étudiants - soit 15 % des étudiants étrangers présents en France - viennent de pays en crise. C'est ainsi que l'on fait vivre la tradition d'accueil de la France.
Troisième exemple : la Saison Méditerranée à Marseille en 2026, pour mettre à l'honneur la vitalité de nos diasporas et renforcer les coopérations culturelles, économiques et sociales dans les pays de la rive sud.
Je m'arrête un instant sur cet agenda. Depuis 2017, cette nouvelle dynamique vis-à-vis des pays africains se construit sur le continent, mais aussi en France, au contact des diasporas. En octobre, le forum Création Africa viendra la poursuivre, à Lagos, en lien avec la progression de la MansA, la maison des mondes africains, à Paris. C'est le fruit d'un long travail collectif. À la rentrée, le projet de loi-cadre sur la restitution des biens culturels sera examiné au Sénat. Elle pose les jalons d'un nouvel espace de dialogue et de coopération avec nos partenaires, notamment dans le domaine de la coopération patrimoniale et muséale, où notre expertise est sollicitée par de nombreux pays. Même si le chemin reste long pour que les perceptions soient alignées avec nos actions, les choses avancent. Ce sont des efforts de long terme. Je vous remercie et compte sur vous pour continuer sur ce chemin.
Dernier exemple : les enjeux globaux, notamment le climat et la santé. Plus que jamais, notre mobilisation est attendue sur ces sujets délaissés par d'autres. Merci aux équipes de l'AFD engagées dans 4.000 projets dans les territoires d'Outre-mer et dans 160 pays. Il y a un mois, la Conférence des Nations unies sur l'Océan, à Nice, a été un succès diplomatique et populaire. Nous avons su mobiliser les dirigeants mondiaux et les opinions pour préserver les océans de la prédation et de la pollution. Merci à vous d'avoir accompagné cette priorité nationale par l'organisation de conférences scientifiques, de rencontres et d'événements dans vos pays respectifs. Peu de diplomaties dans le monde - je dirais aucune diplomatie dans le monde - n'est capable de mobiliser ainsi la communauté internationale autour d'une cause mondiale.
Et nous allons continuer. Je fais appel à vos capacités de mobilisation pour nos quatre grandes démarches à venir.
En octobre, sur les diplomaties féministes lors de la conférence que nous accueillerons à Paris ;
En novembre, sur la santé, lors du One Health Summit à Lyon ;
Ensuite, autour du climat, pour les dix ans de l'accord historique de Paris, que nous fêterons à l'occasion du Forum de Paris sur la paix ;
Et puis en juin 2026, lors de la présidence française du G7 à Evian.
Ces quatre exemples nous rappellent que les choix de notre diplomatie culturelle ne doivent rien au hasard. Ils sont intrinsèquement liés à des priorités nationales et stratégiques. Ils sont portés au plus haut niveau par le Président de la République, par le Premier ministre.
Mesdames et Messieurs,
Le deuxième mandat que je vous confie, c'est de contribuer à notre attractivité. Un monde plus brutal nous donne aussi l'occasion de montrer à nos partenaires combien le modèle français est attractif. Chacun peut s'y épanouir et développer des relations de long terme avec notre pays. C'est tout le sens de nos investissements dans la coopération éducative, qu'il s'agisse de l'apprentissage de la langue française ou de l'accès à l'enseignement supérieur et la recherche française. Chaque année, 600.000 personnes sont formées dans nos centres de langue, qu'il s'agisse des alliances françaises ou des instituts français. Ces apprenants y voient la promesse d'opportunités professionnelles uniques.
Dans un contexte de forte concurrence internationale, former les élites politiques et économiques reste une priorité. L'enseignement bilingue dans les programmes scolaires étrangers y contribue, en complément des 600 lycées et écoles françaises. Là aussi, l'attractivité est au rendez-vous. 165.000 élèves en 1990, 400.000 aujourd'hui. Merci à l'AEFE, à France Education Internationale, à vous toutes et tous qui adaptez vos méthodes de coopération pour que notre offre soit toujours pertinente.
Dans un monde où les libertés académiques sont bafouées ou reléguées au second plan, nous sommes déterminés à porter durablement le flambeau. La France accueille déjà 430.000 étudiants étrangers. Ils représentent 37% de nos doctorants. Le Président de la République l'a rappelé avec force le 5 mai à la Sorbonne : les chercheurs étrangers sont les bienvenus en France. Nous souhaitons accueillir les talents qui sont exclus ailleurs. Dans la période particulière que nous traversons, nous comptons sur vous pour identifier les partenaires, recruter les étudiants et les chercheurs les plus prometteurs, et relayer l'initiative "Choose Europe for Science" lancée au printemps dernier à l'intention des chercheurs internationaux. Plus que jamais, nous avons besoin de savoir et d'une science libre et ouverte. Notre ministère est attendu sur ce sujet, car nous avons des leviers uniques avec les espaces Campus France et les services de coopération. Promouvez nos cursus, orientez les étudiants brillants vers la France. Et faites savoir que nous croyons dans la diversité, qui est l'une des clés de l'excellence de la recherche française.
Contre tous les défaitismes, la meilleure riposte est de prouver que la France sait être attractive. Vous occupez des postes déterminants pour faire grandir nos industries culturelles et créatives à l'international. C'est tout l'objet du programme "ICC Immersion", soutenu par l'Institut français et Business France. L'effet multiplicateur est impressionnant : pour 1 euro investi, ce sont 3 euro euros de contrats signés et 14 euro de contrats potentiels.
Alors, je vous le demande : organisez-vous pour identifier de nouveaux marchés pour nos organismes d'expertise culturelle, publics et privés. Il y a beaucoup d'opportunités patrimoniales et muséales, mais également dans le domaine du cinéma, du spectacle vivant, des jeux vidéo - autant de domaines où l'expertise française est recherchée et reconnue. Nous avons la capacité à répondre à tous ces types de projets, alors n'hésitez pas à faire remonter ceux que vous identifiez.
L'exemple du Louvre à Abu Dhabi est bien sûr unique, mais rappelons-nous que depuis 2017, les retombées s'élèvent à 1 milliard d'euros. Ce premier succès a incité notre partenaire émirien à nous solliciter sur la coopération en matière d'intelligence artificielle. Soyez attentifs à ce secteur dans lequel la France devient une nation incontournable. Nous l'avons prouvé lors du Sommet sur l'action pour l'intelligence artificielle en février dernier à Paris. Vous y avez pris votre part. Continuez à saisir les opportunités de valoriser nos acteurs de l'IA et notre vision responsable et éthique de cette technologie.
Mesdames et Messieurs,
J'en viens au troisième mandat que je souhaite vous confier : défendre la France dans le champ des perceptions. Le Président de la République l'a clairement exprimé dans son discours du 13 juillet : le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères est attendu comme opérateur principal de l'influence française dans le monde.
Et par "influence", il n'entend pas le fait de rayonner sans effort, mais d'aller proactivement faire reconnaître la France pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle fait. Car ce qui n'est pas dit n'existe pas. Alors si l'on n'y prend garde, certains de nos efforts passent inaperçus et nos adversaires réussissent à imposer des interprétations erronées de nos actes. Au total, ne pas investir dans la communication nous porte préjudice. Nous devons en tirer les conséquences.
J'ai donné le même mandat aux ambassadrices et aux ambassadeurs, aux conseillères, conseillers de presse et de communication. Dans un monde de hard power désinhibé, le soft power est stratégique. Il faut communiquer mieux et plus. C'est donc à une petite révolution culturelle que je vous invite. Chaque fois que vous faites quelque chose, réfléchissez aussi à le faire savoir.
Montrez que vous avez conscience que nos idées ne s'imposent pas d'elles-mêmes. Aidez-nous à pallier le décalage entre les efforts consentis et ce que nos publics en retiennent, entre ce que fait la France et ce qu'est la France à l'étranger - un partenaire de confiance, respectueux de la souveraineté de ses partenaires, respectueux du droit international, privilégiant toujours la coopération à la confrontation pour la résolution des enjeux mondiaux - et ce que nos publics en retiennent, abreuvés par les récits de nos adversaires et de nos rivaux.
En matière de communication, nous avons collectivement des progrès à faire. Soyons créatifs. Sachons nous raconter, expliquer nos intentions, nos propositions sur les réseaux sociaux. Travaillons main dans la main avec des créateurs de contenus locaux, qui savent raconter mieux que nous-mêmes à leur communauté ce que la France a de séduisant à proposer. Vous qui êtes au contact de vos publics, adaptez vos récits aux perceptions existantes. Inventez des formats créatifs pour des messages clairs et percutants. Associez nos publics et nos bénéficiaires pour les imaginer. Considérez qu'il vaut mieux une campagne ratée que pas de campagne du tout.
Le 3 juillet, j'ai lancé la réserve diplomatique. Elle intégrera un contingent numérique et des profils agiles sur les réseaux sociaux qui pourront soutenir vos efforts.
Enfin, pour amplifier notre communication, nous devons aussi lutter contre la désinformation. La coopération dans le domaine des médias y contribue. Grâce à l'audiovisuel extérieur français, notamment France Médias Monde, nous allons toucher des publics partout où la propagande antifrançaise nous vise, au Proche-Orient, en Europe de l'Est, en Afrique de l'Ouest, au Sahel. Soutenons directement les écosystèmes médiatiques fragiles pour préserver l'intégrité de l'information. L'an dernier, Canal France International a formé plus de 1.000 journalistes étrangers et soutenu l'activité de 112 médias indépendants. Nous finançons à travers le monde des formations de fact-checkers pour faire émerger des écosystèmes locaux de vérification de l'information. Cette filière est décisive pour le bon fonctionnement des démocraties et je compte sur vous pour cartographier les acteurs locaux dont nous pourrions soutenir l'activité.
Je compte beaucoup sur vous pour vous saisir pleinement de ce troisième mandat, car la responsabilité de ce ministère, c'est de porter la voix de la France. Mais dans un monde informationnel qui s'est fragmenté, dans lequel nos adversaires et nos rivaux nous pilonnent par des campagnes de propagande et de désinformation qui abîment l'image de la France à l'étranger, vous avez un rôle essentiel à jouer, car les leviers dont vous disposez - les leviers de soft power - sont sans doute, dans ce monde fragmenté, les plus efficaces et les plus puissants.
Mesdames et Messieurs,
Je terminerai par un mot sur l'impact, qui est la clé de tout, et notamment des décisions budgétaires. Dans un contexte difficile que le Premier ministre a rappelé hier, il est essentiel d'expliquer que notre action répond aussi, notamment et surtout aux préoccupations des Françaises et des Français, et que nos leviers sont efficaces pour traiter de ces préoccupations, dont les racines, vous le savez bien, se trouvent bien souvent au-delà de nos frontières.
C'est une réalité. Nous parvenons à faire beaucoup avec peu. Je vous demande maintenant d'avancer dans la mesure de l'impact de votre action au quotidien, en la documentant, en l'illustrant, en l'évaluant grâce à des indicateurs comme ceux que la Directrice générale de la mondialisation a commencé à identifier.
Mesurer notre impact, c'est pouvoir mieux piloter notre dispositif, au plus près du terrain. En 2025, nous avons fermé une antenne de l'Institut français au Japon et ouvert deux nouveaux instituts français en Arabie saoudite et au Canada. Du côté des alliances françaises, 21 ont fermé depuis 2020, mais 34 ont vu le jour, et de nombreux projets de fusion permettent à des alliances de se regrouper. Cette adaptabilité nous permet d'être plus agiles dans nos actions et nos coopérations.
En interne, l'efficacité passe par la simplification. Notre effort collectif de transformation a permis de simplifier une douzaine de procédures administratives. Ce sont des avancées importantes pour le quotidien de tous les agents. Je vous invite à poursuivre cet effort auprès de vos directions et de vos équipes.
À l'extérieur, pour gagner en impact, nos actions doivent gagner en lisibilité. C'est pourquoi j'ai demandé la création d'un logo unique France, que tous les services et tous les opérateurs doivent désormais utiliser. C'est simple, basique et efficace.
Mesdames et Messieurs,
"Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude", écrivait Albert Camus en 1951, lui qui savait combien l'Histoire pouvait être tragique et absurde. Ces mots disent avec justesse ce qu'est la raison d'être de notre réseau : un engagement collectif au service de la personne humaine et de la liberté des peuples. Il est aujourd'hui plus utile et plus précieux que jamais. Alors merci à toutes et tous pour votre engagement.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juillet 2025