Interview de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, à TF1 le 25 juillet 2025, sur l'annonce par le président de la République de la reconnaissance de l'État de Palestine, les droits de douane américains et la vie politique.

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Média : TF1

Texte intégral

CHRISTOPHE BEAUGRAND
C'est l'heure de l'interview en toute franchise. Il est 07 h 37. On retrouve Sehla BOUGRIOU. Bonjour Sehla.

SEHLA BOUGRIOU
Bonjour Christophe.

CHRISTOPHE BEAUGRAND
Bienvenue sur ce plateau. Bienvenu également à Laurent SAINT-MARTIN. Bonjour Laurent SAINT-MARTIN, ministre chargé du Commerce extérieur et des Français de l'Étranger. Beaucoup d'actualité à l'international ce matin.

SEHLA BOUGRIOU
Oui, absolument. Et d'abord, cette information de la nuit : Emmanuel MACRON qui a annoncé hier qu'il reconnaîtrait la Palestine en septembre. Premier pays du G7 à le faire. Pourquoi une reconnaissance maintenant ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Parce qu'il nous faut avancer dans un processus de paix durable avec la solution que la France défend depuis maintenant longtemps. Et depuis plusieurs mois, le Président de la République a annoncé cette volonté d'aller vers une reconnaissance de l'État de Palestine. Tout simplement parce que la solution à deux États et la seule solution, et que face au courrier que Mahmoud ABBAS avait envoyé au mois de juin, présentant des engagements, d'abord, de dénonciation, il faut tout commencer par-là, des attentats terroristes du 7 octobre, mais aussi la démilitarisation avec le cessez-le-feu, mais aussi la libération des otages israéliens. Alors, effectivement, la solution à deux États par la reconnaissance de l'État de Palestine est devenue un engagement de la France. Et c'est tout simplement un chemin et un processus indispensable si on veut une solution à deux États. Et donc la France prend aujourd'hui, effectivement, cette décision.

SEHLA BOUGRIOU
Est-ce que vous actez aussi d'une certaine manière l'échec de la diplomatie jusqu'ici, avec encore ces dernières heures l'envoyé spécial américain à Doha ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Force est de constater qu'aujourd'hui il n'y a pas de cessez-le-feu. Force est de constater que ce qui se passe à Gaza est totalement insoutenable. Et qu'allons-nous faire ? On va observer et regarder une famine se créer aujourd'hui dans la bande de Gaza, ou on agit et on accélère justement pour la solution à deux États ? J'entends parfaitement que beaucoup de questions vont se poser aujourd'hui, beaucoup d'interrogations et beaucoup de débats. Et c'est légitime. Mais la question est la suivante : est-ce que la France peut faire basculer, par la reconnaissance de l'État de Palestine, l'histoire et permettre un processus de paix durable ? C'est ce que fait le Président de la République.

SEHLA BOUGRIOU
Et vous y croyez ? Les premiers alliés d'Israël : États-Unis. Les États-Unis viennent de réagir. Ils rejettent une décision imprudente, " Un camouflet pour les victimes du 7 octobre ". Sans pression américaine, le Gouvernement de Benyamin NETANYAHOU garde toute la latitude pour poursuivre la guerre, au fond ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais précisément, nous devons, d'abord, ne pas seulement reconnaître l'État de Palestine, seul, en France, sans effet. Il nous faut embarquer un mouvement plus large. Et c'est pour cela que cela sera confirmé, d'abord, par le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël BARROT, lundi, à la tribune de l'ONU. Mais surtout par le Président de la République, en septembre, lors de son assemblée générale. On a besoin, évidemment, que cela ne soit pas une initiative franco-française isolée.

SEHLA BOUGRIOU
Si vous restez seul, ce sera tout de même un échec, sur le plan diplomatique ? Ils ne vous suivent pas.

LAURENT SAINT-MARTIN
L'objectif est évidemment d'embarquer davantage de nations et de pays dans cette dynamique-là. Encore une fois, la question n'est d'opposer personne. Nous avons toujours affirmé le droit d'Israël à se défendre. Et nous avons toujours, évidemment, commencé par condamner les attentats du 7 octobre et aussi les otages toujours retenus par le Hamas. Et de toute façon, la solution ne passera pas seulement par la reconnaissance de l'État de Palestine, mais aussi par le fait que le Hamas ne doit jamais être une solution dans l'avenir de cet État de Palestine.

SEHLA BOUGRIOU
Dernière question sur ce sujet. Vous êtes aussi ministre du Commerce extérieur. En 2024, l'Union européenne a importé pour 16 milliards d'Euros de biens de l'État Hébreu et exporté pour plus de 26 milliards d'Euros. Est-ce qu'il faut aller plus loin ? Vous avez déjà décidé de réexaminer l'accord d'association avec Israël. Est-ce qu'il faut aujourd'hui le suspendre ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Les discussions sont en cours. C'est une discussion européenne, puisque c'est l'Union européenne qui a, vous le savez... politique commerciale.

SEHLA BOUGRIOU
Mais vous y êtes favorable ?

LAURENT SAINT-MARTIN
C'est une discussion que nous avons aujourd'hui. Je crois qu'il faut faire les choses un peu dans l'ordre. Ce que nous faisons d'abord, c'est une diplomatie pour la paix. La priorité, c'est une diplomatie pour la paix, pour un cessez-le-feu, pour la libération des otages, pour la démilitarisation du Hamas. On reste extrêmement focalisés sur cette priorité. Et la fin de ce qui devient, pour les civils Gazaouis, absolument insoutenable et insupportable aux yeux du monde entier. Et donc, nous devons absolument accélérer, d'abord, dans ces voies-là.

SEHLA BOUGRIOU
Laurent SAINT-MARTIN, venons-en désormais aux droits de douane dont vous êtes en charge. Épineux dossier. À date du 1er août, le Président américain menace l'Union européenne de 30% de droits de douane si aucun accord n'est trouvé entre Washington et Bruxelles. Un accord devrait être signé dans les tous prochains jours. Vous faites encore confiance à Donald TRUMP sur cette question ? Est-ce que vous êtes confiant ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Alors, les derniers mois m'ont appris à être très prudent, voyez-vous, sur la capacité à avoir un accord en temps et en heure avec Donald TRUMP et les États-Unis. Je vous rappelle que jusqu'au 13 juillet, nous devions avoir un accord, dans les dernières heures également, avant qu'il envoie un courrier menaçant de 30% les droits de douane européens à partir du 1er août. Donc, tant que ce n'est pas fait, moi, ma responsabilité, c'est aussi de protéger nos industries, nos entreprises françaises. Je ne crierai pas victoire. Ce qui est sûr, c'est que si on parvient, dans les prochaines heures, dans les prochains jours, à un accord permettant un niveau de droits de douane soutenable, acceptable…

SEHLA BOUGRIOU
15 %.

LAURENT SAINT-MARTIN
À peu près. Mais qui doit aussi permettre à certains secteurs prioritaires, pour nous, d'avoir des exemptions. Je pense à l'aéronautique, je pense aux spiritueux, qui dépendent beaucoup du marché américain. Alors, nous pourrons considérer cela comme acceptable. Mais attention, l'Europe ne doit pas se laisser faire et l'Europe ne doit pas faire preuve de faiblesse dans cette période-là. Et c'est pour ça qu'on a milité pendant longtemps, la France, à être en capacité aussi à savoir répondre aux États-Unis en cas d'échec.

SEHLA BOUGRIOU
Et à préparer vos arrières. Bernard ARNAULT, dans le Figaro, explique qu'il est indispensable de trouver un accord à l'amiable avec les États-Unis, même si ça peut paraître facialement déséquilibré. Ce sera préférable au bras de fer, dit-il. On ne peut pas se permettre de se brouiller avec les États-Unis. Il a raison, au fond, ils sont en position de force aujourd'hui ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Il a raison de dire qu'un accord à l'amiable, c'est souhaitable pour tout le monde, parce que cette guerre commerciale, en fait, elle crée des effets très néfastes pour tout le monde : pour l'Europe, mais aussi pour les États-Unis. En ce sens, il a raison. Là où j'ai un léger point de désaccord avec Bernard ARNAULT, c'est que vous ne créez pas de rapport avec Donald TRUMP, et lui-même le sait très bien, pour le connaître personnellement. Vous ne créez pas un bras de fer avec Donald TRUMP sans montrer, vous-même, vos armes, vos capacités de rétorsion. Et donc, cette négociation, elle est dure, mais c'est aussi pour ça que la France a poussé ces derniers mois, à ce qu'on puisse savoir répondre, soit par une taxation des biens en retour, soit par ce qui s'appelle l'outil anti-coercition, c'est-à-dire, effectivement, une incapacité pour les produits et les services, surtout américains, à pénétrer le marché européen. Mais on n'en est pas là. Et il ne faut pas souhaiter cette escalade. Il ne faut pas souhaiter cette guerre commerciale. Donc, on a toujours l'espoir d'un accord commercial le plus positif possible pour l'Europe.

SEHLA BOUGRIOU
J'aimerais vous interroger sur un tout autre dossier : les soubresauts de la politique nationale. Bruno RETAILLEAU qui s'est exprimé à l'hebdomadaire Valeurs actuelles : " Le macronisme s'achèvera avec Emmanuel MACRON. Je ne crois pas au en même temps, car il alimente l'impuissance. " Il doit partir ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Vous voyez, par rapport à la gravité des deux premiers sujets que vous avez évoqués, à quel point celui-ci apparaît quand même assez dérisoire en vrai.

SEHLA BOUGRIOU
Il peut aussi coûter, j'allais dire, la cohésion au sein du Gouvernement.

LAURENT SAINT-MARTIN
En fait, personne n'a demandé à Bruno RETAILLEAU son avis sur l'avenir du macronisme. Et en fait, ce n'est pas à lui de le donner, c'est aux Français. Bruno RETAILLEAU, c'est un ministre de l'Intérieur qui fait bien son travail. Et la priorité, c'est la sécurité des Français. A partir du moment, et je l'ai toujours répété, où on est membre d'un Gouvernement, où on est membre d'une certaine solidarité, à partir du moment où on est nommé par le Président de la République, on lui doit une certaine forme de loyauté. Ce qui ne veut pas dire appartenir nécessairement à sa famille politique.

SEHLA BOUGRIOU
Donc, il est déloyal ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Écoutez. Je crois qu'à un moment donné, la répétition, même s'il s'en défend, sur le respect de la fonction, le respect de l'homme, la répétition, effectivement des, ce qu'on peut considérer comme des attaques vis-à-vis du Président de la République, ne sont pas conformes, effectivement, à ce qu'on attend d'un ministre de l'Intérieur, particulièrement dans des moments où on a besoin, en France, d'être soudés.

CHRISTOPHE BEAUGRAND
Alors, il peut rester ministre de l'Intérieur, selon vous, dans ces conditions-là ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Il peut le rester si on arrête, effectivement, ces formes de coups de menton qui ne servent personne, et certainement pas les Français.

CHRISTOPHE BEAUGRAND
Merci beaucoup Laurent SAINT-MARTIN.

LAURENT SAINT-MARTIN
Merci à vous.

CHRISTOPHE BEAUGRAND
Merci à Sehla BOUGRIOU.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 juillet 2025