Texte intégral
CHRISTOPHE BEAUGRAND
C'est l'heure de l'interview en toute franchise, il est 7 h 36 et nous sommes ravis d'accueillir ce matin Aurore BERGÉ. Bonjour.
AURORE BERGÉ
Bonjour.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Bienvenue. Vous êtes ministre chargée de la lutte contre les discriminations. En tant que ministre, vous avez justement rencontré hier la monitrice de la colonie de vacances au cœur de l'affaire Vueling. Alors je vais réexpliquer rapidement. L'équipage d'un avion Vueling partant de Valence en Espagne, direction Paris, ont exclu des enfants français juifs, leur ont reproché de mal se comporter et potentiellement de mettre en péril le bon déroulement du vol. La colonie de vacances dément et évoque de l'antisémitisme. Alors que vous a dit la monitrice qui avait été arrêtée par la Guardia Civil ? Qu'est-ce qu'elle vous a dit hier ?
AURORE BERGÉ
Alors je me suis entretenue avec elle, il y avait également Benjamin HADDAD qui est le ministre des Affaires européennes à mes côtés. Déjà, elle est extraordinairement choquée parce qu'elle est très jeune, elle a vingt ans, elle est étudiante, elle est terrorisée à l'idée que son prénom, son nom, son visage apparaissent dans les médias ou sur les réseaux sociaux et de subir à la fois un risque de récupération et puis des vagues d'attaques et d'attaques antisémites. Et ce qu'elle a décrit, c'est ce que les enfants ont aussi décrit à leur famille, à leurs avocats, qui vont, je pense, dans les jours prochains engager un certain nombre de poursuites. C'est tout simplement qu'il y a des enfants qui sont rentrés dans un avion, adolescents, qu'il y a un enfant qui a commencé à entonner un chant, le chant habituel d'une colo de vacances, qu'immédiatement il a été rappelé à l'ordre, de manière très véhémente par l'équipage, qu'ils se sont immédiatement arrêtés, qu'ils sont restés calmes et que dès les consignes de sécurité, on les a à nouveau ciblés et qu'ensuite on a fait sortir la monitrice, laissant les enfants seuls avec les autres accompagnateurs, qu'on a ensuite fait sortir les enfants sans autre explication. Et puis une scène très brutale qu'elle a vécue de la Guardia Civil. Une scène très brutale où on a une jeune monitrice de colo de vacances qui se fait jeter au sol, molester, brutaliser, menotter.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
On a vu les images sur les réseaux sociaux.
AURORE BERGÉ
Menotté. Pour qui était-elle une menace ?
CHRISTOPHE BEAUGRAND
On est persuadés que c'est de l'antisémitisme parce que c'est une accusation très grave par rapport à cette compagnie aérienne.
AURORE BERGÉ
Écoutez, en tout cas, on a une colo de vacances avec des enfants français, contrairement à ce qu'a dit le ministre des transports espagnol qui a dit que ces enfants n'étaient pas français mais israéliens. C'est-à-dire que dès qu'on est juif, on est israélien comme s'il y avait une forme de soupçon et comme si ça justifiait un quelconque mauvais traitement sur des enfants, des adolescents ou des accompagnateurs qui se sont sentis ciblés, qui ont senti une ambiance extrêmement pesante à leur égard. Moi, vous savez, il n'y a quasiment pas un jour où je n'ai pas des familles qui m'interpellent, des femmes, des hommes qui m'interpellent sur des faits d'antisémitisme. Il y a un climat malsain, mauvais dans notre pays, dans les démocraties, au sein de l'Union européenne aussi, où on voit ici des clients d'un établissement, d'un restaurant à Vienne qui ont été exclus parce qu'ils parlaient ici en hébreu. Là, on voit que ce sont des enfants français, il se trouve par ailleurs qu'ils sont juifs, mais des enfants français qui sont exclus d'un avion. C'est aussi une humoriste à Marseille, Marie S'IFILTRE, qui a été chassée d'une terrasse de café à coups de slogans extrêmement véhéments à son encontre parce qu'elle était reconnue, non pas en tant qu'humoriste, mais reconnue et ciblée parce que juive.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Donc vous faites passer de nouveau ces messages-là. Après, c'est la justice qui prendra potentiellement en charge ces affaires.
AURORE BERGÉ
Oui, mais parce que c'est grave ce qui se passe. Parce qu'il y a quelque chose qui ne va pas quand aujourd'hui on a des femmes, des hommes et des enfants qui, du simple fait qu'ils sont juifs, sont pris pour cibles. Pourquoi, qu'ont-ils fait ? De quoi sont-ils responsables ? De quoi des enfants qui rentrent de colos de vacances sont-ils responsables ? Et si on n'est pas tous capables de s'indigner, à la fois parce que moi, je suis ministre et que c'est ma responsabilité de lutter contre l'antisémitisme et pas uniquement de m'indigner et de prendre les mesures qui sont appropriées pour protéger les Français, mais si on n'est pas, en tant qu'être humain, en tant que citoyen, en tant que parent, capables de s'indigner de ça, on ne sait plus s'indigner de grand-chose. Donc oui, je pense qu'il faut être extrêmement clair, ne rien laisser passer.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Le message est clair.
AURORE BERGÉ
Chaque Français considère que ce n'est pas l'affaire des juges, mais que c'est l'affaire de chacun d'entre nous.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Au cœur de l'actualité en ce moment, il y a également la décision d'Emmanuel MACRON de reconnaître l'État de Palestine. On a appris hier que le Royaume-Uni avait l'intention de lui emboîter le pas au mois de septembre. Ça montre quoi selon vous ? Qu'il a bien fait ? Qu'il fallait le faire ?
AURORE BERGÉ
Moi, je pense qu'il faut toujours rappeler le point de départ de la situation, parce que la situation humanitaire à Gaza, absolument déplorable et insupportable, elle est aussi la conséquence de ce qui s'est produit le 7 octobre 2023. Le 7 octobre 2023, on a 1 200 personnes qui ont été assassinées : des femmes, des enfants, de vieillards, des femmes qui ont été mutilées et violées et cinquante personnes qui ont perdu la vie.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Alors, justement, est-ce qu'il fallait reconnaître l'État de Palestine. Le Gouvernement israélien estime que c'est donner un satisfecit au Hamas, qu'est-ce que vous pensez ?
AURORE BERGÉ
Et c'est pour ça que moi, je rappelle toujours le point de départ et parce que le risque, c'est que le souvenir du 7 octobre progressivement s'estompe et qu'on oublie, qu'on oublie ce qui s'est passé, qu'on oublie ce qui a provoqué aussi la riposte qui est la riposte du Gouvernement israélien qu'on mélange tous les sujets, qu'on mélange à la fois le fait qu'on doit avoir des relations diplomatiques et que l'État d'Israël est légitime à exister et de l'autre côté, qu'on le confonde avec le Gouvernement israélien, l'attitude du Gouvernement israélien et de son Premier ministre. Donc, volontairement, vous le voyez bien…
CHRISTOPHE BEAUGRAND
J'entends bien, mais vous n'avez toujours pas répondu à ma question. Est-ce qu'il fallait le faire ?
AURORE BERGÉ
Ça s'inscrit dans un temps long, ça s'inscrit aussi dans la tradition qui est celle de la France de dire qu'on souhaite évidemment une solution diplomatique et une solution diplomatique à deux États et qu'on ne le souhaite pas sans conditions. Il suffit de reprendre d'ailleurs la lettre du président de la République pour voir un certain nombre de conditions qui sont très claires.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Alors, il a raison Emmanuel MACRON ?
AURORE BERGÉ
Ces conditions, c'est quoi ? C'est ce qu'on dit depuis le début. L'élimination de tous les otages, il y a encore cinquante otages aujourd'hui qui croupissent dans les tunnels du Hamas. C'est la question du cessez-le-feu et du cessez-le-feu immédiat. C'est la question de l'aide humanitaire qui doit évidemment arriver à Gaza. C'est la démilitarisation demain d'un État palestinien s'il existait et c'est enfin que le HAMAS ne soit jamais partie prenante de cette solution. Donc ce n'est pas une reconnaissance sans conditions, c'est une reconnaissance qui est inscrite dans un temps long pour garantir la paix, pour garantir la sécurité de l'État d'Israël, pour garantir le retour d'une situation humanitaire qui doit être acceptable évidemment.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Donc Emmanuel MACRON a raison, c'est ce que vous me dites ?
AURORE BERGÉ
En tout cas, il a fait un choix.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Vous avez du mal à me le dire, en tout cas j'ai l'impression. Il y a une petite gêne.
AURORE BERGÉ
Non, ce n'est pas une gêne. Je pense que c'est une question qui est essentielle pour la diplomatie française et qui a toujours été une constante de la diplomatie française.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
La solution à deux États.
AURORE BERGÉ
Tous les présidents de la République française, de gauche comme de droite, ont toujours dit que la voie de la France appelait une solution diplomatique à deux États. Il se trouve que cette solution, elle a été profondément meurtrie et heurtée par les attentats terroristes du 7 octobre 2023. On ne peut pas faire comme si ça n'était pas arrivé, ça ne s'était pas produit et cinquante Français n'avait pas été assassiné à ce moment-là. Et il se trouve qu'il y a un certain nombre de conditions. Et ça, je crois que c'est la bonne manière…
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Donc pour vous, les conditions sont intangibles, les conditions restent évidemment.
AURORE BERGÉ
Exactement.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Aujourd'hui, c'est le dernier conseil avant les vacances. Ça se passe comment dans le Gouvernement ? Tout le monde s'entend bien parce qu'on voit quand même que ça se tire pas mal dans les pattes entre Bruno RETAILLEAU, d'autres ministres qui disent que Bruno RETAILLEAU ne peut pas rester s'il continue de critiquer Emmanuel MACRON notamment et le macronisme. Vous, en tant que macroniste, par exemple, les critiques de Bruno RETAILLEAU, c'est quelque chose qui vous dérange ? Vous croyez bien qu'il y ait cette liberté de parole ?
AURORE BERGÉ
Alors, la liberté de parole et de ton et d'expression, ça a des convictions, certes, mais ça n'empêche pas le respect qu'on doit à la fois au président de la République qui nous a nommés. Nous avons tous été nommés par le président de la République. On sait qu'on a fait le choix d'être dans une coalition malgré des différences et des nuances parce qu'on n'avait pas d'autre choix.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Et là, c'est limite en termes de respect ?
AURORE BERGÉ
Déjà, moi, je ne crois pas à ça. Moi, je ne crois pas à l'idée que le macronisme s'arrêtera dans deux ans parce que je crois qu'au-delà du personnage, de la personne qu'est le président de la République, il y a des idées qu'il porte. Il y a un projet politique qu'il porte, que ce projet politique, on le bâtit depuis 2017 et qu'il n'y a aucune raison que ce projet, en tout cas, moi, je fais partie de ceux qui veulent continuer, un, à porter des résultats pendant les deux années qui viennent et qui veulent continuer à porter ce projet politique au-delà de 2027.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Rapidement, pour la législative de Paris à l'automne, vous votez BARNIER ou DATI ? Je rappelle que Michel BARNIER a été investi officiellement par Les Républicains, votre ancienne famille politique, et que Rachida DATI y va quand même face à lui. Alors, vous êtes pour qui ?
AURORE BERGÉ
Alors, Michel BARNIER est le candidat des LR. Moi, je ne suis pas membre des Républicains. Et Rachida DATI est membre du Gouvernement. Et moi, je souhaite surtout, d'ailleurs, qu'elle puisse être candidate à la mairie de Paris parce que je pense qu'on doit absolument faire front et faire bloc pour la mairie de Paris parce que c'est quand même une condition extrêmement importante d'être rassemblée.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Donc, pour la mairie de Paris, c'est clair, et pour les législatives ?
AURORE BERGÉ
Il faut qu'on ait ces discussions avec Rachida DATI et avec Renaissance, Horizon, le Modem. Il se trouve qu'on n'est pas effacé, qu'on existe.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Vous pourriez soutenir Rachida DATI et pas Michel BARNIER pour cette élection législative ?
AURORE BERGÉ
Michel BARNIER n'a pas sollicité, je crois, l'investiture de Renaissance, du MoDem ou d'Horizon. Et il a sollicité, ce qui est normal, l'investiture de son propre parti politique. Moi, je pense qu'il faut qu'on puisse avoir des discussions avec celle qui est aujourd'hui ministre de la Culture, celle qui doit être la candidate, je crois, à la mairie de Paris, qui a les meilleures chances de gagner à la mairie de Paris. Je crois que les Parisiens, ils attendent plutôt une alternance à Paris et que même moi, qui suis élue des Yvelines, on attend aussi une alternance parce que ça a des conséquences en chaîne.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Merci beaucoup, Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Merci à vous.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Bonnes vacances, puisque vous partez en vacances demain, c'est ça ?
AURORE BERGÉ
Demain, oui, exactement.
CHRISTOPHE BEAUGRAND
Dernier conseil des ministres tout à l'heure, on verra s'il y a de l'ambiance. Dans un instant, le décryptage de l'actualité avec Adrien PORTON, alors que les incendies se multiplient dans le sud de la France.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 31 janvier 2025