Texte intégral
WILLIAM GAY COSTA
Bonjour Clara CHAPPAZ.
CLARA CHAPPAZ
Bonjour.
WILLIAM GAY COSTA
Merci d'être avec nous ce matin sur France Info. Revenons sur cette affaire qui continue de susciter une vague d'émotion intense dans tout le pays, la mort en direct du streamer Jean PORMANOVE, Raphaël GRAVEN de son vrai nom. Hier, l'autopsie a estimé que son décès n'était pas lien à l'intervention d'un tiers et n'est pas non plus d'origine traumatique. Les jours précédents sa mort, le streamer avait été la victime d'insultes, d'humiliations, de brimades et de coups, ce qui cause aussi une énorme émotion dans cette affaire. Vous avez dénoncé une horreur absolue, mais l'État a-t-il failli alors qu'il était au courant depuis une enquête de Mediapart au début de l'année ?
CLARA CHAPPAZ
Oui, déjà, je ne parlerai pas d'affaire, je parlerai de drame. On est face à une situation qui, vous l'avez dit, a créé une émotion extrêmement forte dans le pays, et comme des millions de Français j'ai ressenti cette même émotion. Je veux dire, la réalité a dépassé la fiction. Il y a quelques années, on a vu des séries télé dans lesquelles on voyait, en se disant que c'était une réalité qui n'arriverait jamais, des personnes sur des chaînes en direct, comme ça, subir ce type d'humiliation, et on se disait, ce n'est pas possible. Or, c'est ce qui s'est passé ici, sur cette chaîne. Qu'est-ce que l'État a fait ? Depuis les premiers signalements de Mediapart le 13 décembre, une enquête a été ouverte trois jours après, le 16 décembre, qui cherche à mettre la lumière sur ce qui s'est passé, et elle ira au bout, qui cherche à mettre la lumière sur la responsabilité des personnes qui étaient impliquées dans les phénomènes qu'on pouvait voir sur cette chaîne, qui cherche à mettre la lumière aussi sur la responsabilité de la plateforme, avec laquelle je suis en lien très étroit.
WILLIAM GAY COSTA
Et pourquoi ça n'a pas été fait plus vite ? Pourquoi cette chaîne qui mettait en scène, en tout cas c'est ce que disent les personnes mises en cause, des humiliations, n'a pas été coupée ? Pourquoi le compte n'a pas été fermé, comme ça peut être le cas sur d'autres plateformes, comme TikTok, quand il y a des tendances trop problématiques ou dangereuses ?
CLARA CHAPPAZ
Justement, c'est exactement la difficulté mondiale de la régulation du numérique dans laquelle on est aujourd'hui, et je pense que c'est important que les Français comprennent bien ce à quoi on est confrontés.
PAUL BARCELONE
Mais la question c'est de savoir - pardonnez-moi - si vous avez pris suffisamment au sérieux cette affaire, c'est ça la question de William ce matin, la question qui se pose quand on dit l'État, c'est vous en tant que ministre, est-ce que vous avez l'impression d'avoir pris cette affaire suffisamment au sérieux dès décembre dernier ?
CLARA CHAPPAZ
J'ai l'impression d'avoir pris cette affaire, comme toutes les affaires de régulation du numérique, très au sérieux, parce que s'il y a une chose dans laquelle ça me conforte, de voir ce qui s'est passé, c'est qu'il y a urgence à ce qu'on sorte de ce Far West numérique. Est-ce que c'est facile ? Non. Est-ce que c'est assez rapide ? Non. Est-ce que je suis la première frustrée ? Mais je vais vous dire, il n'y a pas de bouton rouge. Ce monde-là n'existe pas. La réalité du monde numérique dans lequel on est, c'est qu'on ne peut pas décider, en tant que ministre, en appuyant sur un bouton, de fermer.
PAUL BARCELONE
Ça dépasse tout le monde ? Ça vous dépasse ?
CLARA CHAPPAZ
Ça ne nous dépasse pas, et je pense qu'il faut être aussi très lucide sur là où on en est. On est dans un monde numérique dans lequel, jusqu'à il y a peu de temps, il n'y avait pas de règles. Il n'y avait pas de règles.
PAUL BARCELONE
C'est le Far West.
CLARA CHAPPAZ
C'était comme ça qu'a été créé le monde numérique. On pouvait, et d'ailleurs, je tiens à rappeler qu'en Europe, on a pris les devants pour construire un cadre, des outils, qui nous permettent de mettre une responsabilité sur ces plateformes. Et la première chose, et encore il y a quelques jours, quelques semaines, la première chose qu'on entend beaucoup quand on met ces règles, c'est la question de la liberté d'expression. Qu'est-ce qu'on peut faire, qu'on ne peut pas faire ?
WILLIAM GAY COSTA
Mais est-ce qu'aujourd'hui, pardon, est-ce que c'est entendable qu'aujourd'hui.
CLARA CHAPPAZ
C'est la question d'où sont les plateformes. Moi, j'ai échangé avec Kick. On a eu un échange…
WILLIAM GAY COSTA
La plateforme en cause.
CLARA CHAPPAZ
Un échange extrêmement tendu.
PAUL BARCELONE
Et ça veut dire qu'aujourd'hui, on peut mourir devant des millions de gens, en stream, en direct, en live, devant son écran d'ordinateur. Ça nous renvoie à la mort, à la mort en direct, à la mort devant son écran d'ordinateur. Ça veut dire que le numérique tolère ça aujourd'hui, c'est possible en 2025 ?
CLARA CHAPPAZ
Non, ce que je veux dire, justement, aux personnes qui nous écoutent, c'est que ces comportements déviants, il n'y a aucune raison, aucune raison, que ces comportements déviants, qui dans la vraie vie, seraient extrêmement choquants. Je veux dire, dans la vraie vie, il n'y aurait jamais 20 000 personnes qui regardent, 200 000 personnes qui payent cinq euros par mois pour s'abonner à ce type de contenu sans que personne ne fasse rien. Ça n'existerait pas. Si là, sur ce plateau, on voyait ce type de choses se passer devant nos yeux, alors nous serions tous extrêmement outrés. Le monde dans lequel on est aujourd'hui, c'est qu'il y a ce sentiment que ces comportements déviants, finalement, derrière un écran, sont des comportements acceptables. Ce n'est pas le cas. Je veux juste revenir pour qu'on comprenne bien de quoi on parle. J'ai échangé avec les responsables de la plateforme Kick. On est face à quoi ? On est face à des Australiens, à l'autre bout du monde, en visio.
PAUL BARCELONE
Ils ont une représentation à Malte, visiblement. Représentation européenne.
CLARA CHAPPAZ
Ils ont attendu qu'il y ait un décès sur leur plateforme pour désigner un représentant légal en Europe et encore, nous sommes en train de vérifier si ce représentant est bien un représentant légal. Ils ne l'ont pas fait avant. C'est ça, le monde dans lequel on est. Je veux juste être très claire. On est face à des gens à l'autre bout du monde, en visio, en t-shirt, avachis, qui ne prennent absolument pas la mesure de ce qui est en train de se passer.
PAUL BARCELONE
Vous allez les convoquer à Bercy, dans votre ministère ?
CLARA CHAPPAZ
Qui ne prennent absolument pas la mesure de ce qui est en train de se passer et qui n'ont aucune réponse à mes questions.
WILLIAM GAY COSTA
Et l'État français ne peut rien faire contre des gens avachis en Australie ?
CLARA CHAPPAZ
Qui n'ont aucune réponse à mes questions.
WILLIAM GAY COSTA
On n'a aucune puissance contre ces gens-là. On ne peut rien faire.
CLARA CHAPPAZ
Et qui, tout de suite, nous donnent des arguments du type, et je crois que vous avez eu un débat tout à l'heure sur votre chaîne : " Ils étaient consentants. C'était finalement des mises en scène ".
WILLIAM GAY COSTA
Des mises en scène, c'est ce que dit Philippe-Henri HONEGGER, l'un des avocats des influenceurs qui étaient aux côtés de Jean-Pierre MANOV.
CLARA CHAPPAZ
Exactement. Et donc, qu'est-ce que je vous dis là-dessus ? Moi, je ne suis pas procureur. Ce n'est pas mon rôle de mener au bout cette enquête et de dire si oui ou non, quelle était la nature des agissements, quelle était la nature de la responsabilité.
WILLIAM GAY COSTA
Justement, Clara CHAPPAZ, je vous propose d'écouter maître Philippe-Henri HONEGGER. Justement, vous, vous avez critiqué, parlé de maltraitance. Lui, après les résultats de l'autopsie, dit que vous avez peut-être parlé un peu trop vite. Je vous propose de l'écouter.
PHILIPPE-HENRI HONEGGER, AVOCAT DE L'INFLUENCEUR NARUTO
Qu'elle soit choquée, très bien. Mais quand on est un homme ou une femme politique, on respecte la présomption d'innocence. C'est la première chose à faire. Et la deuxième chose, c'est qu'on n'essaie pas d'influencer la justice quand on a une enquête qui est en cours. Elle a été désavouée par l'autopsie. Il suffisait d'attendre deux-trois jours pour savoir ce qu'allait être dit. L'enquête va suivre son cours. J'espère que par la suite, les hommes et les femmes politiques, mais aussi les médias, seront un peu plus prudents dans le respect de la présomption d'innocence de celui que je représente.
WILLIAM GAY COSTA
Justement, vous disiez que vous n'étiez pas procureur. L'avocat de Naruto, l'un de ses streamers, lui, dit que vous vous êtes peut-être un peu avancée avec les résultats de cette autopsie. Vous lui répondez quoi ?
CLARA CHAPPAZ
L'avocat, il est dans son rôle. Je pense que quand on voit l'émotion du pays face à ce qui s'est passé, je suis aussi dans le mien de dire que je trouve absolument choquant que, encore une fois, on soit dans un monde où la réalité a dépassé la fiction et où on puisse voir quelqu'un décéder sur une chaîne et on puisse voir ce type de vidéos pendant des heures et des heures d'humiliation. J'ai échangé avec la plateforme. Pour vous donner quelques exemples, j'ai appris, par exemple, qu'ils ont 75 personnes en charge de la modération. Ils n'ont pas une personne qui parle français.
PAUL BARCELONE
Mais que font ces gens ?
CLARA CHAPPAZ
Quand je leur ai demandé, s'ils ne voyaient pas le problème, ils m'ont dit " De toute façon, la modération, c'est des vidéos. " Dans les vidéos, aujourd'hui, certaines que j'ai regardées moi-même, on entend parfois des moments où la personne, et encore une fois, ce n'est pas à moi de juger, on entend, c'est factuel, on entend des moments où Raphaël GRAVEN, dit qu'il veut que ça s'arrête et qu'il va appeler la police. Je leur ai demandé si, par exemple, quelqu'un qui comprend le français, ça n'aurait pas pu être utile. On est dans ce type d'échange dans une plateforme qui a trois ans, qui, visiblement, est très déconnectée de ce qui est en train de se passer.
WILLIAM GAY COSTA
Mais, encore une fois, si la plateforme ne fait pas le ménage elle-même, pourquoi les autorités françaises, européennes, n'ont pas les moyens de le faire aussi d'une certaine manière et de le faire plus vite ? Ou l'ARCOM, le régulateur du numérique en France.
CLARA CHAPPAZ
Exactement. Et c'est exactement ce sur quoi on travaille aujourd'hui. Il y a une enquête qui est en cours.
WILLIAM GAY COSTA
Il faut plus de moyens, plus de mains, plus de yeux pour regarder les vidéos.
CLARA CHAPPAZ
Elle ira au bout et il y a aussi, bien sûr, l'ARCOM qui est saisie pour faire la lumière sur les responsabilités de la plateforme.
WILLIAM GAY COSTA
Vous dites 75 modérateurs chez Kick, mais il y a combien de modérateurs à l'ARCOM ? Il y en a combien ? Combien de personnes à l'ARCOM peuvent surveiller les médias ?
CLARA CHAPPAZ
Il y a les personnes qui travaillent à l'ARCOM et puis, il y a tous les citoyens qui peuvent signaler, plutôt que de payer pour regarder ces vidéos, signaler ce type de contenu aussi. Je suis désolée, c'est aussi la réalité qu'il faut dire aujourd'hui. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'on ne découvre pas que la régulation du numérique, ce n'est pas quelque chose de facile. Est-ce que c'est assez rapide ? Non. Est-ce que c'est frustrant ? Je suis ministre du Numérique, bien sûr que c'est frustrant. Mais est-ce qu'on avance ? Oui, on avance, on met des règles, on met un cadre et je peux vous garantir que si nous avons les preuves que la plateforme a été défaillante, nous irons au bout, il y aura des sanctions. Mais comme dans toute décision, il faut d'abord qu'il y ait une enquête. Il n'y a pas de boutons rouges. Il n'y a pas de boutons rouges, aujourd'hui, et c'est une bonne chose, nous sommes dans un état de droit, on ne peut pas décider de fermer un site comme ça. Donc, l'enquête ira au bout, il le faut, mais c'est comme ça avec le numérique, je veux dire, de façon générale. Je me suis attaquée au site pornographique. On m'avait dit : " Madame la ministre, n'y allez pas, c'est une industrie extrêmement juteuse, de toute façon, on ne peut rien faire. " En France, on a pris les devants et on a dit quelque chose de très simple, on a dit : " Il faut que les personnes qui ont moins de 18 ans ne puissent plus accéder, juste en cliquant sur un bouton j'ai plus de 18 ans, au site pornographique. " Quand on a fait passer cette loi, et encore il y a quelques semaines, j'ai entendu tous les opposants nous dire : " C'est de la privation de liberté d'expression ". Le site lui-même a mis sur sa page la peinture, la liberté d'expression et a préféré quitter la France plutôt que de vérifier l'âge de nos enfants.
WILLIAM GAY COSTA
Et donc, tout le monde prend un VPN et peut regarder les sites pornographiques en détournant le blocage français.
CLARA CHAPPAZ
On peut regarder tous les différents obstacles ou on peut se dire qu'on avance dans la régulation. Moi, ce qui m'intéresse, c'est d'avancer et d'être dans l'action. On m'avait dit : " On ne peut rien faire sur, par exemple, une tendance que j'ai vue sur TikTok qui promouvait des vidéos qui demandaient aux jeunes filles de s'affamer, par Skinny Talk, parce qu'il vaut mieux être vide que vieille. "
PAUL BARCELONE
C'est ce que vous avez réussi à faire. Aujourd'hui, il y a une impuissance vis-à-vis de cette plateforme qui n'a manifestement pas empêché la mort de ce streamer. Vous en voulez à qui ? Et selon vous, qu'est-ce que ça dit de l'état de la société aujourd'hui ? De ces gens qui ont été regardés, ces vidéos sans rien dire, qui sont restés impuissants. Qu'est-ce que ça dit de l'état de la société et ce que vous en voulez à quelqu'un ?
CLARA CHAPPAZ
Je ne vous laisserai pas dire qu'on est impuissant. J'entends que c'est difficile. J'entends que ça ne va pas assez vite. Je suis la première frustrée du fait qu'on ne puisse pas aller plus vite que ça. Je suis la première frustrée. Et je comprends toutes les émotions que suscite ceci. Mais vous comprendrez que ce n'est pas facile, ça prend du temps, mais que je suis déterminée, moi je n'en veux à personne, je suis déterminée à être dans l'action et à faire en sorte que les enquêtes aillent au bout, que l'ARCOM fasse son travail, le fasse vite, le fasse bien, et que, si nous n'avons pas tous les outils, mais comme je vous l'ai expliqué, ces outils sont des outils nouveaux qu'il nous faut déjà appliquer avec fermeté. Si nous n'avons pas tous les outils, nous, nous aurons aucun problème à créer d'autres régulations.
PAUL BARCELONE
Est-ce qu'il faut interdire les réseaux sociaux aux mineurs de moins de quinze ans et plus vite ? Comment est-ce que vous avez un calendrier à nous donner ?
CLARA CHAPPAZ
J'ai d'ailleurs missionné juste sur cette question des plateformes de créateurs de contenu en direct. Deux députés, Stéphane VOJETTA et Arthur DELAPORTE qui avaient déjà travaillé sur l'influence sur les réseaux sociaux, je les ai missionnés pour qu'ils puissent nous faire des propositions sur ce type de contenu, il y a quelques mois. Leur lettre de mission a été signée au début de l'été parce qu'on voit bien que peut-être dans ce type de plateforme, il y a des choses supplémentaires qu'on peut faire. Donc, nous irons au bout pour trouver des réponses systémiques, c'est ça ce qui m'intéresse en tant que ministre du Numérique et je ne faiblirai pas face à la moindre difficulté. Il faut qu'on puisse avancer. Ce Far West numérique doit cesser. Et justement, justement, sur votre question, sur les réseaux sociaux aux moins de 15 ans, c'est une volonté du président de la République et c'est exactement, je crois, que ce qui doit nous intéresser, aujourd'hui, parce que c'est une réponse systémique et parce que je sais très bien, pour l'avoir vécu.
PAUL BARCELONE
Ça aurait empêché cette affaire ou pas ?
CLARA CHAPPAZ
Pour l'avoir vécu dans les derniers mois, que ça peut sembler une mesure très ferme et j'ai entendu des oppositions me parler de privation de liberté mais j'aimerais qu'on se rappelle, parce qu'on aura ces débats, on aura ces débats sur les réseaux sociaux aux moins de 15 ans, on les a déjà, j'aimerais qu'on se rappelle de l'émotion et de la condamnation qu'on a pu avoir face au décès dramatique de Jean PORMANOV, Raphaël GRAVEN, sur cette chaîne Kick cette semaine, quand nous aurons ces débats parce qu'il faudra qu'on avance unis parce que la régulation si chacun tire de son côté, je peux vous garantir qu'on ne va pas avancer et moi, je suis déterminée à ce qu'on avance sur les réseaux sociaux. Avec le président de la République, nous avons obtenu de l'Europe une voie de passage alors qu'on nous disait que c'était impossible je m'étais donné 3 mois, nous avons obtenu cette voie de passage le 14 juillet et je peux vous dire que je travaille, chaque jour qui passe, pour rendre cette interdiction possible dans le droit national et j'irai au bout, je ne lâcherai rien sur ce combat parce qu'on peut rester dans l'émotion, on peut être outré mais on peut aussi se dire qu'il faut qu'on aille plus loin et je n'ai pas peur de vouloir le faire bien au contraire.
WILLIAM GAY COSTA
Clara CHAPPAZ, ministre déléguée chargée de l'Intelligence Artificielle et du Numérique vous restez avec nous dans un instant nous allons revenir évoquer les droits de douane qui s'appliquent désormais, les droits de douane américains qui s'appliquent désormais à l'Europe, on parlera également de la rentrée politique et sociale qui s'annonce chargée juste après le Fil info à 8h46, Julien RAYMOND
(…)
PAUL BARCELONE
Toujours avec Clara CHAPPAZ, ministre déléguée chargée de l'Intelligence Artificielle et du Numérique. Clara CHAPPAZ, l'une des grandes actualités de ces dernières heures ce sont aussi ces droits de douane. Les secteurs des vins et spiritueux seront taxés à 15% par les États-Unis. L'Union Européenne a échoué à se faire exempter ce secteur et à trouver un accord. Est-ce qu'elle est trop faible, l'Europe, dans ses négociations avec les États-Unis ? Quel levier actionner ? Est-ce qu'il faut par exemple, puisque c'est votre secteur, taxer plus fort encore, taper plus fort encore sur les géants du numérique en guise de représailles ?
CLARA CHAPPAZ
Déjà avant tout, rappeler comme l'a dit le ministre Laurent SAINT-MARTIN que ce n'est pas la fin de l'histoire, ce n'est pas la fin du match. On est dans une négociation commerciale qui va durer. Et donc comme il y a quelques semaines, quand les 15% ont été décidés par les États-Unis, nous continuerons à nous battre pour obtenir des exemptions, pour rééquilibrer cet accord parce que… Je veux dire qu'avant toute chose, c'est une nouvelle situation commerciale internationale qui va peser sur la hausse des prix, déjà avant tout aux États-Unis et en effet sur nos filières commerciales. Dès le début de ces négociations commerciales, autour du ministre LOMBARD, nous avons rassemblé toutes les filières et j'ai entendu, comme mes collègues, les difficultés que pouvait avoir notamment la filière des vins et des spiritueux. Et nous sommes déterminés à pouvoir continuer à avancer et continuer de négocier. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est la question de l'Europe. On a fait le choix, comme pour la régulation du numérique, de se dire qu'à 450 millions de personnes on est plus fort que quand on va tout seul dans son coin.
PAUL BARCELONE
Mais les délais sont aussi plus longs.
CLARA CHAPPAZ
Oui.
PAUL BARCELONE
C'est plus difficile dans cet accord.
CLARA CHAPPAZ
Je pense que chacun dans son quotidien sait que quand on met plein de personnes autour de la table c'est plus lent que quand on va tout seul dans son coin, mais c'est aussi beaucoup plus fort et on va beaucoup plus loin et ça j'en suis convaincue. Est-ce qu'aujourd'hui je suis satisfaite de cet accord ? Non. Cet accord est déséquilibré, cet accord est loin de ce qu'on pourrait vouloir de ce qu'on voudrait aujourd'hui voir et vous avez raison de le pointer. Il y a notamment quelque chose dont on n'a pas parlé jusqu'aujourd'hui puisqu'on a un accord sur les biens mais il y a la question des services.
PAUL BARCELONE
Il n'en est pas fait mention dans cet accord.
CLARA CHAPPAZ
Il y a la question des services sur lesquels la situation est extrêmement différente parce que toutes les personnes qui nous écoutent peuvent en faire l'expérience ; aujourd'hui ; les services numériques c'est-à-dire par exemple le moteur de recherche sur lequel vous avez peut-être cherché des informations ce matin, pour la plus grande majorité des gens est un moteur de recherche américain. Si vous êtes chef d'entreprise, l'hébergeur sur lequel vous mettez vos données pour 80% et quelque est un hébergeur américain… AMAZON, GOOGLE, ce type d'entreprise. Et donc on est dans un déficit commercial de près de 300 milliards d'Euros face à ces imports et exports de services et sur lesquels il va falloir pouvoir rééquilibrer aussi.
WILLIAM GAY COSTA
Donc il faut des taxes là-dessus. On n'a pas mis de contre-mesure pour l'instant contre les États-Unis sur les biens mais alors sur les services il va falloir taper fort ?
CLARA CHAPPAZ
Je pense qu'il faut regarder tous les outils qui sont dans nos mains. Et dans cette négociation, continuer à explorer des pistes, c'en est une. Mais moi, ce qui m'intéresse ce n'est pas de mettre des taxes, ce qui m'intéresse c'est le coeur du problème. C'est encore une fois la raison systémique de là où on en est aujourd'hui. " Pourquoi on a ce déficit commercial avec les États-Unis sur les services ? " est ce qui m'intéresse aujourd'hui. Parce qu'on a, pendant des années, refusé de comprendre que le numérique ce n'était pas seulement un sujet du responsable IT et un sujet de tuyau si je peux le dire, mais un sujet éminemment stratégique. Quand le Président de la République, depuis 2017, porte cet agenda d'autonomie stratégique, il y a bien sûr la question du numérique. C'est pour ça que depuis 2017, on investit dans l'innovation dans l'accompagnement des entreprises petites et grandes qui saisissent des technologies pour créer des alternatives.
WILLIAM GAY COSTA
Et elle commence à être puissante ces alternatives ? On peut penser par exemple à MISTRAL qui a son équivalent… Le Chat qui est l'équivalent de ChatGPT. Mais est-ce qu'on a vraiment des alternatives qui tiennent la route en Europe face aux géants américains ?
CLARA CHAPPAZ
Mais je pense qu'il faut arrêter de s'auto-flageller et de se dire que ce n'est pas possible.
WILLIAM GAY COSTA
Non mais on ne s'auto-flagelle pas, c'est tout simplement quelles sont les alternatives aux réseaux sociaux, à Facebook, à Instagram ? Quelles sont celles à la suite Office de Microsoft ?
CLARA CHAPPAZ
Sur les réseaux sociaux, pour revenir sur la discussion présente, c'est d'ailleurs bien le problème ; c'est qu'aujourd'hui, on est dépendant d'entreprises commerciales qui ont mis des milliards d'Euros de chiffre d'affaires sur des algorithmes qu'on ne maîtrise pas et sur la santé de nos enfants. C'est bien pour ça que je veux interdire les réseaux sociaux au moins de 15 ans parce qu'on a perdu cette souveraineté aussi cognitive, si je peux me permettre, des enfants qui passent du temps sur des outils qui ne sont même pas créés par nous et qu'on ne maîtrise pas. Sur la question des technologies stratégiques du monde dans lequel on vit, l'intelligence artificielle qui est une de mes responsabilités parce que je suis ministre de l'Intelligence Artificielle…
WILLIAM GAY COSTA
Votre premier titre, avant même du Numérique.
CLARA CHAPPAZ
…et du Numérique… qui bouleverse toute notre vie. J'étais, pas plus tard que la semaine dernière, avec un commerçant qui utilise viticole d'ailleurs qui utilise l'intelligence artificielle pour engager ses clients et avoir beaucoup plus de temps pour lui dans son exploitation que le temps administratif qu'il passait. J'étais avec un responsable d'une boucherie, d'une triperie qui utilise l'intelligence artificielle pour prendre ses commandes dans la nuit et permettre de mieux organiser le travail de ses équipes… Qui bouleverse tout. Aujourd'hui, depuis 2018, avec la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle, on a mis les moyens, on a décidé que c'était stratégique et on a investi dans la recherche, dans les entreprises, dans le fait de pouvoir avoir ces alternatives et ça marche. On est cinquième à l'échelle mondiale en intelligence artificielle. On a des entreprises comme MISTRAL que vous avez cité, comme OWKIN dans la santé. On a ces entreprises là, mais il reste un verrou sur lequel nous pouvons tous collectivement agir c'est celui de se dire qu'il va falloir y aller et il va falloir y aller aussi en soutenant nos entreprises françaises.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 septembre 2025