Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Il est 7h48. Benjamin DUHAMEL, votre invité est ministre de l'Économie et des Finances.
BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour Éric LOMBARD.
ÉRIC LOMBARD
Bonjour Benjamin DUHAMEL.
BENJAMIN DUHAMEL
Merci d'être avec nous ce matin, au lendemain de ce coup de poker qui risque de finir en Bérézina. François BAYROU qui annonce donc ce vote de confiance le 8 septembre. Le Rassemblement National, la France Insoumise, les Écologistes qui voteront contre cette confiance. Les Socialistes qui a minima ne la voteront pas. Vous avez déjà fait vos valises, vous partez en vacances le 9 septembre ?
ÉRIC LOMBARD
Pour le moment je vais partir à Troyes, dans l'Aube, soutenir la filière textile. Et on prépare le Sommet franco-allemand. Donc nous sommes au travail. Je vais vous parler 15 secondes d'économie. On a une économie qui résiste bien. Au deuxième trimestre, on a fait une croissance de 0,3%. L'Allemagne est en récession de 0,3%. Les entreprises sont à la bataille. Et pour nos entreprises, et derrière les entreprises il y a tous les emplois, tous les emplois salariés et puis il y a aussi les finances publiques, les entreprises qui paient des impôts et des charges. L'idée de parler tous les jours de blocage, de censure, c'est absolument délétère. Et le Premier ministre a voulu éviter que dans les mois qui viennent, il y ait cette menace permanente. Il a voulu clarifier les choses en mettant sur la table effectivement ce risque avec cette déclaration de politique générale. De façon à ce qu'ensuite, d'une façon ou d'une autre, les choses étant clarifiées, on puisse travailler pour préparer le budget…
BENJAMIN DUHAMEL
On va détailler tout ça Éric LOMBARD, mais simplement sans langue de bois, qu'est-ce qui aujourd'hui pourrait empêcher, éviter que le Gouvernement de François BAYROU ne chute ? A Bercy, vous connaissez les maths, vous connaissez les chiffres. Est-ce que vous avez d'ores et déjà accepté le fait que vous alliez chuter le 8 septembre ?
ÉRIC LOMBARD
Absolument pas.
BENJAMIN DUHAMEL
Ah bon !
ÉRIC LOMBARD
Puisque la vie politique étant pleine de surprises. Et depuis quelques mois que je suis ministre, je peux vous dire que les surprises sont nombreuses.
BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous reconnaissez qu'il faudrait une surprise pour que vous ne tombiez pas.
ÉRIC LOMBARD
C'est une bataille depuis le début. Mais je rappelle que quand nous avons été nommés le 23 décembre, tout le monde nous disait : " Il n'y a pas de majorité pour faire passer ce budget ". Et nous avons, par le dialogue, par la négociation, fait passer ce budget. Donc nous sommes à la bataille, dans un travail de conviction, pour avoir cette majorité le 8 septembre. Et quel que soit le résultat du 8 septembre…
BENJAMIN DUHAMEL
Pardon Éric LOMBARD, mais je n'ai pas l'impression qu'on vive dans le même monde. Vous avez entendu les réactions des responsables politiques qui annoncent tous qu'ils vont voter contre cette confiance ? Olivier FAURE qui, de la même manière, dit : " Il est inimaginable que les Socialistes votent la confiance ". Vous la voyez où, la majorité, le 8 septembre, pour ne pas tomber ?
ÉRIC LOMBARD
Eh bien, sur un travail que nous allons faire avec toutes et tous, sur quel est le meilleur chemin pour le pays. Les commentateurs, vos collègues aujourd'hui, disent : " La Bourse hier a mal réagi, les taux d'intérêt montent, le pays risque d'être en difficulté ". Il nous faut, collectivement trouver un chemin afin de préparer un budget pour 2026 qui soit un budget de redressement. Et donc pour que chacun a la responsabilité…
BENJAMIN DUHAMEL
Trouver un chemin, pardonnez-moi Éric LOMBARD, avec une sorte de façon qui consiste à dire le détail des mesures d'économie, on verra plus tard. Ce qu'on vous demande, c'est le 8 septembre. Un blanc-seing, au fond vous êtes d'accord pour faire des économies, le détail des mesures, on verra plus tard. Est-ce que là, vous ne demandez pas aux oppositions une forme de chèque en blanc qu'elles ne peuvent pas vous donner ?
ÉRIC LOMBARD
Alors je vais dire quelques mots sur les mesures précisément. Le Premier ministre les a présentées le 15 juillet. Nous avons eu un premier dialogue avec l'ensemble des partis au mois de juillet. Et nous avons prévu, et de toute façon il faudra que ça se tienne, quel que soit le résultat du 8 septembre, de travailler avec les partis politiques, avant même le dépôt du projet de budget en conseil des ministres, qui se tiendra à la toute fin du mois de septembre. Et donc ce calendrier doit être tenu afin que dans le dialogue avec les partis, on parvienne à un accord comme celui qui nous a permis de faire passer ce budget. Et ce calendrier, pour moi, ne doit pas être modifié, parce que, et c'est aussi la vertu de la décision du Premier ministre, c'est que si nous avons une difficulté politique qui est possible le 8 septembre, nous sommes suffisamment en amont pour malgré tout préparer un budget pour les Français. Je rappelle que la censure du Gouvernement de Michel BARNIER, c'était le 4 décembre. Et on a eu des difficultés considérables. Hier, je voyais les membres du conseil de la politique de la ville, dont les subventions ne sont arrivées, les dotations, qu'au mois de mai, à cause de cette censure qui est arrivée en décembre. Donc s'il y a un problème politique à traiter, il faut qu'il soit traité en amont de façon à ce que le budget soit voté dans les temps.
BENJAMIN DUHAMEL
Éric LOMBARD, sur les chiffres que vous citiez, notamment la réaction, les marchés financiers, le CAC 40 qui a clôturé en baisse, le spread, c'est-à-dire la différence entre les taux d'intérêt allemand et français qui s'élargit. Très concrètement, si François BAYROU tombe le 8 septembre, qu'est-ce que vous prédisez ? Est-ce que vous prédisez un choc financier ? Une incapacité à se refinancer sur les marchés ? Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que très concrètement il faut s'attendre à une crise majeure si François BAYROU tombe le 8 septembre ?
ÉRIC LOMBARD
Notre responsabilité, celle du Gouvernement, est d'éviter qu'il y ait une crise. La France est un pays extrêmement solide. Je veux rappeler que les finances publiques sont tenues. Cette année, nous suivons avec la ministre des Comptes publics, Amélie DE MONTCHALIN, mois par mois, l'exécution. Et nous sommes exactement dans les clous de notre trajectoire qui doit réduire le déficit à 5,4%. Donc nous ferons tout pour que, s'il y a un vote défavorable le 8 septembre, les finances publiques étant tenues, une solution rapide soit trouvée. Mais ça, ça relèvera à ce moment-là du président de la République, de façon à ce qu'il y ait continuité et que notre économie continue…
BENJAMIN DUHAMEL
Pardonnez-moi Éric LOMBARD, vous ne répondez pas tout à fait à ma question. Le 8 septembre, François BAYROU tombe. Est-ce que le lendemain, il faut s'attendre à ce que les taux d'intérêt augmentent ? Est-ce que la France se retrouve potentiellement dans une tempête financière ? Est-ce que ça fait partie des scénarios sur lesquels vous travaillez ?
ÉRIC LOMBARD
Il y a deux sujets. Il y a l'augmentation des taux d'intérêt qui, et c'est aussi pour ça que le Premier ministre a voulu cette clarification, qui graduellement augmente, jour après jour, ces derniers mois. L'écart avec l'Italie, qui était quand même dans le passé le mauvais élève de l'Union européenne, était hier soir de 0,03%, 3 centimes. Et donc je vous parie que dans les 15 jours qui viennent, nous paierons notre dette plus chère que l'Italie. Nous serons vraiment en queue des 27 en Europe. Ce qui, pour un pays comme la France, est un vrai souci. Mais malgré tout, cette dette, elle est soutenable. Les refinancements se passent bien et nous faisons tout à Bercy évidemment…
BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous dites, Éric LOMBARD, aux oppositions, si vous faites tomber François BAYROU le 8 septembre, vous porterez la responsabilité d'une éventuelle augmentation des taux d'intérêt, d'un renchérissement du coût de la dette ?
ÉRIC LOMBARD
Non, la responsabilité politique n'a rien à voir avec cela. Nous, nous faisons en sorte que le pays fonctionne. Et je ne veux pas faire la politique de la peur ou de la menace. Notre sujet n'est pas de trouver un accord pour éviter une crise financière. Notre sujet est de trouver un accord parce que le pays a besoin d'un budget. Nous avons besoin, et c'est tout le discours du Premier ministre hier, nous avons besoin de redresser nos comptes publics. La question, c'est de trouver le chemin pour cela. Et ce chemin, c'est la négociation, c'est le dialogue. Et en tout état de cause…
BENJAMIN DUHAMEL
Donc quand Amélie DE MONTCHALIN disait : " Si nous ne faisons pas ces choix maintenant, ce seront nos créanciers ou le FMI, Fonds monétaire international, qui nous les imposeront ", elle exagérait ?
ÉRIC LOMBARD
C'est un risque qui est devant nous. Souvent, on me dit dans telle ou telle émission, mais pourquoi est-ce qu'on ne fait pas comme l'Espagne ou le Portugal ? Mais en Espagne ou au Portugal, c'est effectivement le FMI et la Banque centrale européenne et la Commission…
BENJAMIN DUHAMEL
Donc il y a bien un risque que le FMI intervienne si d'aventure la situation financière se dégrade.
ÉRIC LOMBARD
C'est un risque que nous souhaitons éviter, que nous devons éviter. Mais je ne veux pas vous dire que le risque n'existe pas.
BENJAMIN DUHAMEL
Un mot sur les discussions de négociations que vous appelez de vos voeux. Quand François BAYROU a été nommé, vous aviez négocié avec les Socialistes, fait des concessions. Aujourd'hui, quand ils vous demandent une réduction de l'effort en termes d'économie, une contribution des plus aisés, notamment sur leurs patrimoines, est-ce qu'aujourd'hui, vous nous dites que vous êtes prêt à faire ce type de gestes pour tenter de les convaincre de ne pas voter contre cette confiance ?
ÉRIC LOMBARD
Il y a une condition pour que ce budget soit accepté par les Français, c'est qu'il y a de l'équité. Les Français le demandent. Mais c'est normal, c'est bien ça que nous devons, nous, en tant que Gouvernement, assurer. C'est que l'effort, il est équitablement partagé. Et donc la part des plus fortunés, de ceux qui sont favorisés par la fortune, l'héritage, doit être évidemment plus forte pour que, devant les Françaises et les Français, chacun voit que l'effort est partagé.
BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous êtes prêt, Éric LOMBARD, à aller plus loin sur, par exemple, une contribution exceptionnelle sur le patrimoine des plus aisés ? Est-ce que ça, vous dites aux Socialistes ce matin ? Là-dessus, on peut regarder et aller plus loin que ce qui est prévu, qui, en réalité, aujourd'hui, ne rapporte pas beaucoup d'argent et n'est qu'un dispositif pour éviter l'optimisation fiscale.
ÉRIC LOMBARD
Le pas beaucoup d'argent, on a prévu plus de 4 milliards d'Euros de contribution, ce qui est une somme tout à fait substantielle, sur laquelle vous avez noté que les mesures derrière ne sont pas précises, précisément parce que nous souhaitons en dialoguer avec l'ensemble des partis représentés au Parlement, et pas seulement le Parti Socialiste. Donc il y a évidemment une marge de négociation sur le partage de l'effort, il y a une marge de négociation sur les mesures.
BENJAMIN DUHAMEL
Sur le montant des économies, faire plutôt que 44, en faire entre 20 et 30 ?
ÉRIC LOMBARD
Sur le montant des économies, nous avons un engagement pris devant l'Union européenne et devant les marchés financiers de faire un ajustement. Et je rappelle que, toutes ces dernières années, les plans d'ajustement qui ont été discutés à Bruxelles n'ont pas été tenus. Et il est important qu'on change cette image que nous avons de ne pas tenir nos plans. Donc sur les 44 milliards, là, je suis très ferme, nous devons tenir sur les 44 milliards. Mais sur leur répartition, on peut travailler.
BENJAMIN DUHAMEL
Un tout dernier mot, Éric LOMBARD. Est-ce que pour faire baisser la pression, le premier signe de bonne volonté de la part du Gouvernement ne serait pas de dire les deux jours fériés supprimés, on oublie ?
ÉRIC LOMBARD
Nous ne souhaitons pas être cuirassés c'est-à-dire qu'on découpe le sujet en tranches. Il y a un premier sujet, c'est est-ce que nous sommes d'accord de réduire le déficit et de faire un effort de 44 milliards d'Euros ? Et ensuite, nous discuterons du paquet de mesures. Mais on voit bien que si on discute mesure après mesure, on va se terminer avec quelque chose qui ne répond pas à la question posée.
BENJAMIN DUHAMEL
Merci beaucoup Éric LOMBARD, qui attend donc une surprise pour ne pas tomber le 8 septembre.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 septembre 2025