Déclaration de M. Sébastien Lecornu, Premier ministre, sur l'accès aux soins, Mâcon (Saône-et-Loire) le 13 septembre 2025.

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Texte intégral

[...] Il y a 20 ou 30 ans, on arrivait facilement à trouver un médecin. Et aujourd'hui, en dépit des efforts importants qui sont faits, je vais y revenir, j'ai le sentiment que c'est de plus en plus dur.

Et pour cause : d'un côté, on a une pyramide des âges de vos consœurs et de vos confrères qui [inaudible]. On l'a vu arriver, à vrai dire. C'est un autre débat. De l'autre, on a des patients qui eux, sont évidemment de plus en plus âgés et la question de la vieillesse, la question du maintien à domicile des personnes âgées, la question aussi, évidemment, des difficultés sociales, on se l’est dit, et enfin de plus en plus une patientèle qui est de moins en moins homogène entre ceux qui prennent beaucoup soin d'eux, qui peuvent le faire, et ceux qui de moins en moins le font, et cela pose aussi évidemment les questions de prévention.

Je pense que c'est un sujet qui est absolument clé, et comme je vous le disais de manière très directe, je vais le redire devant les journalistes : on connaît tous la situation politique, on connaît tous la situation budgétaire, il y a plein de sujets qui vont être traités par l'élection présidentielle. Mais je ne vois pas très bien comment on peut expliquer en ce moment aux Françaises et aux Français que la question de l'accès aux soins, ça va attendre 2027. Et donc ça, pour le coup, c'est absolument clé.

J'ai la faiblesse de penser, je le dis devant des élus qui ont des opinions politiques très différentes, qu'en plus, si on prend ça à bras-le-corps, c'est quelque chose qui peut complètement enjamber les clivages.

Deuxième chose : on ne part pas de nulle part. Comme beaucoup de choses ont été faites ces dernières années – je le dis parce que parfois chez les politiques, il y a toujours le sentiment, surtout quand ils prennent une fonction, que tout est génial depuis qu'ils sont là et que c'était ni fait, ni à faire pour leurs prédécesseurs. Non, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai parce que ce qu'on appelle de manière plus ou moins barbare la fin du numerus clausus, numerus apertus, en clair, c'est ce mouvement de liberté qui a été fait dans les universités de médecine, c'est quelque chose qu'Édouard PHILIPPE avait engagé sous l'autorité du président de la République et ça va produire ses résultats le moment venu. François BAYROU, il y a encore quelque temps, avec les deux ministres qui sont ici et que je salue et que je remercie de m'accompagner ce matin, a lancé un plan sur les résultats médicaux qui va commencer seulement à se mettre en œuvre. Donc, beaucoup de choses ont été faites.

Mais on voit bien qu'on a un problème de rythme. On a un problème de rythme et de vitesse entre globalement, ce que ressentent nos concitoyennes et nos concitoyens, et puis la rapidité d'exécution, la mise en œuvre de tout ça.

Troisième commentaire : j'ai voulu venir ici parce que je connais André ACCARY, président du conseil départemental de Saône-et-Loire depuis 2015. On était élus tous les deux en même temps. On a quitté nos mairies tous les deux en même temps, pour devenir présidents de conseils départementaux. Et j'ai vu André faire grandir ce projet. Je l'ai vu chercher le consensus local entre les formations politiques. Cela peut être une leçon, pour nous tous, à l'échelle nationale, parce que souvent, ce qui est possible à l'échelle locale pour le président de région et l'ensemble des élus qui sont ici, c'est souvent plus simple localement que nationalement, donc ça veut dire aussi que ça peut être une méthode pour la suite, je n'en dis pas plus. La construction d'un consensus aussi, en tout cas essayer [inaudible] les approches (je vous ai entendus : opposer médecine libérale, médecine salariée, etc., n'a absolument aucun sens).

Les Françaises et les Français, ce qu'ils veulent surtout, c'est un médecin. Ils ne se posent pas la question, d'ailleurs, quand ils poussent la porte d'un cabinet médical : "Mais au fait, vous êtes salarié, vous êtes médecin libéral ?"

Je pense que là, il faut qu'on fasse attention à ne pas trop se parler à nous-mêmes, et en même temps, respecter profondément l'ensemble des approches, telles qu'elles existent, il y a de la place pour tout le monde.

Et pour cela, je vais recevoir la semaine prochaine avec des ministres (et je vais le faire au ministère de la Santé parce que c'est leur maison), l'Ordre des médecins, l'ensemble des associations qui représentent les professions, parce que je sens qu'on est en train d'installer un moment de défiance dans la communauté médicale, au moment où on doit dire merci à l'intégralité de la communauté médicale – et pas seulement les médecins d'ailleurs : c'est vrai aussi des assistants médicaux, des infirmiers, aides-soignants, sage-femmes. Donc là, on a toute une communauté qui a plutôt besoin de soutien et de remerciements, parce que les applaudissements pendant le covid le soir paraissent un peu lointains pour tout un chacun, et je pense qu'il faut repartir aussi de cette gratitude.

Je parlais d'André ACCARY parce qu'en fait, il faut bien aussi comprendre que l'essentiel de ce qui a été fait ici a été fait au fond plutôt contre l'État. On peut le dire maintenant. Pendant des années, le président du département a créé un réseau de maisons de santé. Ce réseau était illégal. Tout simplement parce que le département n'avait pas le droit de le faire. Bon, ça dit tout de notre pays et beaucoup de choses qui a toujours existé depuis 1945. Enfin, c'est quand même quelque chose qui est un tout petit peu à côté, un tout petit peu à part. Mais au fond, on n'arrive pas à faire confiance aux collectivités locales. Et donc, on est encore dans une logique où l'État s'en occupe, les collectivités locales prennent des initiatives. Il y a beaucoup trop de cuisiniers dans la cuisine. Et on ne sait pas très bien, globalement, comment cela fonctionne.

Il y a quelques années, en sortie du Grand Débat national, j'avais organisé dans des conditions que vous connaissez, pendant la crise des gilets jaunes et suite à la crise des gilets jaunes, on avait senti un sentiment d'abandon du milieu rural, qui était absolument épouvantable. Si je suis honnête, pas qu'en milieu rural, mais dans un certain nombre de quartiers des politiques de la ville, dans lesquels il peut y avoir, au fond, une déshumanisation de beaucoup de rapports entre l'administration et nos concitoyennes et nos concitoyens.

On avait imaginé quelque chose d'assez innovant, qui était France services, en disant : "Eh bien voilà : on va recréer du guichet de proximité, puis on va fonctionner différemment, on ne va pas demander aux Françaises et aux Français de s'adapter au guichet, on va faire en sorte que ce soit les guichets, les caisses, allocations familiales, assurances maladies, les collectivités locales, les entreprises aussi comme La Poste, etc., de se mettre à disposition avec un maillage territorial."

C'était une première rupture importante, qui était de repartir de la proximité, et de laisser beaucoup de liberté au territoire pour s'organiser. Alors, pour l'avoir fait avec Jacqueline GOURAULT et d'autres (on nous avait dit que ça ne fonctionnera jamais, que c'est cosmétique, c'est du marketing, c'est un effet d'annonce : en général, quand on essaie de faire des choses bien, on n'est jamais en reste d'encouragement pour le faire) : on a réussi. Et aujourd'hui, vous avez un réseau France services. Il est inégal sur le territoire. C'est aussi quelque chose qu'il va falloir accepter. Dans certains endroits, ça fonctionne tout le temps avec beaucoup d'offres. Dans d'autres endroits, c'est parfois imparfait. Mais ça, il va falloir aussi que notre logiciel change un peu là-dessus.

Et donc moi, ce que je vais demander aux ministres et au Gouvernement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026 et du projet de loi de finances pour la sécurité sociale pour 2026, c'est de faire un réseau France santé, dans lequel on se dit une chose simple : c'est que d'ici à 2027, on doit avoir une offre de soins de proximité par bassin de vie a minima. Et donc globalement, quelque chose autour de 30 minutes de chez vous. Là aussi, en fonction d'une situation locale, ça devra être adapté, parce qu'à Reims, par définition, la situation n'est pas la même qu'à Vernon, au hasard. Donc ça, c'est une priorité absolue pour moi. Je veux qu'elle soit inscrite dans les documents économiques et financiers qu'on va proposer à l'Assemblée nationale et au Sénat pour l'année prochaine.

Soit parce qu'on va venir soutenir ce qui existe déjà, parce que ce qui existe déjà a sûrement besoin soit d'être protégé, fidélisé, etc. [inaudible] et développé parce que, vous me l'avez tous dit, on a quand même malheureusement un problème qui continue de s'accélérer et sur lequel il va falloir évidemment apporter des réponses. Et puis surtout, vous avez beaucoup d'endroits, outre-mer compris, des territoires pour lesquels j'ai un attachement particulier, dans lesquels il va falloir prendre des mesures d'adaptation encore plus fortes.

C'est une approche que je crois pragmatique, qui va donc ouvrir un certain nombre de discussions avec les associations d'élus. Il va falloir aussi qu'avec nos agences régionales de santé, la caisse primaire d'assurance maladie, on travaille un peu différemment. Parce que ça veut dire aussi que cet égalitarisme et ces rigidités, elles viennent tuer dans l'œuf parfois beaucoup de démarches locales. Et je ne dis pas ça pour critiquer nos fonctionnaires, parce qu'ils font un travail absolument remarquable, mais le pouvoir politique a besoin de le porter.

Et donc c'est un des sujets (sans évidemment court-circuiter les ministres, les directeurs généraux de d'agences régionales de santé [ARS], les préfets), c'est un sujet que je vais prendre vraiment à mon niveau parce que je considère que c'est une grande priorité nationale, et qu'on ne peut pas parler d'intelligence artificielle, de quantique, ou d'investir autant sur notre défense (c'est un sujet que je soutiens évidemment) en expliquant aux gens qu'au fond que demain, ça sera pire qu'hier.

Et là, il y a des marqueurs : on est la France, un grand pays, on met beaucoup d'argent public dans tout ça, donc la question de l'efficacité, la question de l'organisation de l'offre de soins, c'est évidemment quelque chose d'important. Et après, il y a des sujets plus techniques, peut-être moins grand public. Les ministres en ont parlé avec les médecins qui sont ici, je le dis pour la presse. Mais évidemment, il s'agit de la manière dont on organise la coordination entre offre de soins et médico-social, la question évidemment du handicap, la question de l'autonomie des personnes âgées, la question de l'aide sociale à l'enfance, la PMI. Beaucoup de choses ont été dites et je vous en remercie. De manière globale, il y a le lien avec l'hôpital, parce que je le dis (au passage), y compris pour toutes celles et ceux qui s'interrogent sur pourquoi aussi il y a des problèmes de finances publiques : il y a aussi des problèmes de finances publiques parce qu'on a décidé de remettre beaucoup d'argent dans l'hôpital. C'est vrai pour la rémunération (c'est le Ségur de la santé, c'est le Ségur médico-social) et je le dis devant le maire de Mâcon, c'est vrai aussi parce qu'on a remis beaucoup d'argent dans les infrastructures hospitalières (un hôpital ici à Mâcon est neuf, il faut bien le reconnaître). Et je le dis en tout cas : il y a eu beaucoup d'investissements, et Catherine VAUTRIN y a veillé, et je le dis devant la maire de Montceau-les-Mines, des investissements sont à venir pour un hôpital nouveau à Montceau-les-Mines.

Tout cela, évidemment, c'est un effort important, on le voit bien. Qu'est-ce qu'on attend de l'hôpital ? Qu'est-ce qu'on attend de notre médecine libérale ? Parce qu'elle est libérale, il faut la laisser libre. Et donc, il faut avoir une carte de France qui soit vivante. Et comment, en revanche, on vient nous, à côté, justement, proposer une offre de soins qui soit très pragmatique, simple, loin des grands discours, et dans laquelle on est capable de dire aux Françaises et aux Français qu'on le fera. Et je pense que ces 5 000 maisons, globalement, ce réseau, on est capable de les construire d'ici à 2027.

En tout cas, merci de m'avoir accueilli et d'avoir pris du temps, ça me fait du bien de sortir de Paris pour être complètement transparent avec vous, et de revenir aussi au-delà de nos sujets politico-budgétaires du moment, sur des choses essentielles qui produisent quelque chose de notre pacte social et du rapport que l'on doit avoir entre êtres humains.

Merci à toutes et à tous. Merci beaucoup.


Source https://www.info.gouv.fr, le 16 septembre 2025