Interview de M. Gérald Darmanin, Garde des Sceaux, ministre de la justice, à France Inter le 20 octobre 2025, sur le cambriolage au musée du Louvre, son intention de mettre les victimes au centre du système pénal, le pôle des crimes sériels ou non élucidés et l'ancien Président Nicolas Sarkozy incarcéré à la prison de la Santé.

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Média : France Inter

Texte intégral

Benjamin DUHAMEL 
Bonjour Gérald DARMANIN.

Gérald DARMANIN 
Bonjour. Benjamin DUHAMEL Merci d'être avec nous ce matin au micro de France Inter, alors que les Français se réveillent ce matin encore sous le choc du spectaculaire cambriolage qui a eu lieu hier au musée du Louvre. Huit bijoux dérobés d'une valeur patrimoniale inestimable alors que les voleurs ont utilisé un simple monte-charge garé devant le Louvre, une disqueuse, et sont repartis sur un scooter avec leur butin. On a du mal à trouver les mots pour qualifier la situation ce matin. C'est un échec, un fiasco, une humiliation nationale.

Gérald DARMANIN 
Il y a quelqu'un chez moi à Tourcoing qui m'a dit : " Monsieur le maire, on a l'impression d'avoir été un peu cambriolé ". Je pense que les Français ce matin, ils ont tous un peu l'impression, enfin je crois, ou une grande majorité des Français, d'avoir été cambriolé. Et de même que Notre-Dame, quand elle brûlait, c'était notre Église qui brûlait, même si on n'était pas catholique. Ben se faire voler des bijoux au Louvre de façon aussi rocambolesque, ça affiche mal et par ailleurs c'est une image de la France très négative.

Benjamin DUHAMEL 
Le président du RN, Jordan BARDELLA, se pose cette question : " Jusqu'où ira le délitement de l'État ? ". Est-ce qu'il y a quelque chose ici, dans cette facilité avec laquelle les cambrioleurs ont pu monter au premier étage avec un monte-charge, du délitement de l'État ?

Gérald DARMANIN 
Écoutez, d'abord, il faut d'abord voir comment et qui a organisé cela parce que quand je vois que la procureure de Paris a ouvert une enquête avec la GIRS, c'est-à-dire la Juridiction spécialisée pour la criminalité organisée, je me dis qu'avant de parler, on ferait mieux de laisser les enquêteurs et la justice dire si c'étaient des gens très organisés et donc non, ça ne démontre pas le délitement de l'État ou si c'étaient effectivement des bévues de l'organisation globale de la sécurité autour du Louvre et on en tira les conséquences.

Benjamin DUHAMEL 
Que ce soit organisé ou pas, il y a quand même une question de sécurisation des lieux culturels. Vous avez été ministre de l'Intérieur pendant plus de quatre ans et votre collègue ministre de la Culture, Rachid DATI, a dit la chose suivante : " Le sujet de la vulnérabilité des musées est ancien. Pendant 40 ans, on ne s'est pas intéressé à leur sécurisation ". Il y avait même un audit qui avait été commandé il y a deux ans à la préfecture de police sous votre autorité. Donc est-ce que vous prenez votre part dans cet échec ? Est-ce que vous avez sous-estimé la question de la sécurisation des grands établissements culturels comme le Louvre ?

Gérald DARMANIN 
Je peux prendre ma part, si vous le souhaitez, de toutes les formes de cambriolage ou de délinquance qui se sont passées depuis cinq ans, mais...

Benjamin DUHAMEL 
Oui. Mais ce n'est pas exactement n'importe quel cambriolage.

Gérald DARMANIN 
Mais on voit bien ce qu'il s'est passé. Il y a eu un audit qui a été commandé et puis ensuite le président de la République avec le ministre de l'Intérieur de l'époque et le ministre de la Justice, en l'occurrence de l'époque, a accepté l'idée qu'on allait sécuriser tous les grands événements culturels et singulièrement le lieu culturel qui était le Louvre. Où est-ce que ça en est depuis un an ? Je n'en sais rien. Mais en tout cas, il y a beaucoup de musées à Paris, il y a beaucoup de musées en France, il y a des valeurs inestimables dans ces musées. Le fait que les vitres, par exemple, n'aient pas été sécurisées, c'est une question qu'on peut se poser. Qu'il y ait un monte-charge sur la voie publique, c'est une question qu'on peut se poser. Pour avoir été ministre de l'Intérieur, je sais qu'on ne peut pas faire non plus la sécurisation totale de tous les lieux, mais ce qui est sûr, c'est que nous avons failli, puisqu'on est capable de mettre un monte-charge en pleine rue de Paris, faire monter des gens en quelques minutes pour récupérer des bijoux inestimables et donner l'image déplorable de la France.

Benjamin DUHAMEL 
Nous avons failli, un tout dernier mot là-dessus, les enquêteurs, la justice sont mobilisés, bien sûr vous ne pouvez pas commenter une enquête en cours, qu'est-ce que vous pouvez nous dire ce matin des informations dont on dispose sur les investigations ?

Gérald DARMANIN 
Justement, je ne peux pas les dire. La procureure de la République hier a fait une communication. Elle a eu raison de le faire très rapidement. Je suis sûr qu'elle communiquera de nouveau cette semaine. Ce que je sais en tant qu'ancien ministre de l'Intérieur, c'est que la police gagne toujours à la fin. Le temps médiatique de l'événement n'est pas toujours le temps médiatique de l'arrestation, mais ces personnes seront arrêtées. Pour moi ça ne fait aucun doute. La question c'est quand ? Dans un mois ? Dans un an, comme dit Bérénice

Benjamin DUHAMEL
Gérald DARMANIN, vous citez les grands auteurs, vous avez été renommé ministre de la Justice la semaine dernière, et vous dites vouloir remettre les victimes au centre du système pénal. Alors j'ai du mal à comprendre. Ça veut dire qu'elle ne l'était pas auparavant ?

Gérald DARMANIN 
Non, elle ne l'était pas totalement auparavant. Il y a des gens formidables dans les juridictions qui font attention aux victimes, bien évidemment, mais le système en général ne met pas la victime au centre de notre action. On met davantage l'accusé, qui d'ailleurs a des droits, qui avant que le procès ne le condamne définitivement d'ailleurs doit être respecté. Il y a un devoir d'impartialité évident de la part des magistrats et du système judiciaire, mais les victimes sont souvent mises de côté, par des faits, parfois des petits faits, qui sont extrêmement choquants quand vous êtes victime. Je prends par exemple l'exemple de l'autopsie. Vous mettez parfois beaucoup de temps à récupérer le corps de votre conjoint, de vos enfants, de vos parents, lorsque la justice s'en occupe. Et vous voulez faire votre deuil. Bon ben voilà, ça met beaucoup de temps. Le nombre de lettres que je reçois le plus souvent des citoyens qui se plaident de la justice, c'est ces questions, par exemple, d'autopsie, ou de rendre les objets qui ont été pris lorsqu'il y a une scène de crime. On n'arrive pas à faire son deuil avec cela. Ou quand on est victime d'une agression, un viol, un homicide, une tentative d'homicide, eh ben de voir que son agresseur est sorti et qu'on le recroise et qu'on n'a pas été prévenu.

Benjamin DUHAMEL 
Et donc ça, c'est pour ça que vous annoncez notamment le fait que désormais, les victimes seront prévenues automatiquement quand il y aura des libérations pour ne pas se retrouver dans des situations où l'on croise celui ou celle qui vous a agressé.

Gérald DARMANIN 
En tout cas c'est une demande très importante des victimes et des associations de victimes d'être prévenues pour s'y préparer psychologiquement. Il y a des victimes qui ne veulent pas le savoir, elles ne seront évidemment pas informées, mais oui je pense que c'est important. C'est le moins qu'on puisse leur devoir, de ne pas les croiser dans la rue, de ne pas voir les réinstaller près de chez soi. Et puis il y a un deuxième sujet, c'est évidemment l'accompagnement des victimes, ne serait-ce que dans la relation que l'administration de la justice a avec eux. Si vous portez plainte, par exemple, vous recevez parfois six mois, neuf mois après une lettre très sibylline qui vous dit juste : " C'est classé ". On ne vous dit même pas que vous pouvez faire un appel au procureur général, c'est gratuit, dans la décision du procureur. On ne vous dit même pas que vous pouvez consulter une partie civile pour dire que vous passez par un avocat et on saisit directement la juridiction. La justice mériterait très largement de faire ce que nous avons fait dans d'autres administrations, lorsque j'ai fait par exemple l'impôt à la source au ministère des Comptes publics, c'est-à-dire considérer les gens, alors ils ne le font pas par manque de temps, par manque de magistrats...

Benjamin DUHAMEL 
... un sacré réquisitoire contre ceux qui ont occupé votre charge depuis huit ans.

Gérald DARMANIN 
Non, chacun fait sa part. Et moi j'essaie d'améliorer très modestement la part au ministère de la Justice, mais je me concentre désormais sur une politique qui est peut-être un peu oubliée, c'est vrai, que le ministre de la Justice et le ministre des Victimes... Il n'y a même pas une direction des victimes au ministère.

Benjamin DUHAMEL 
Vous entendez les syndicats de magistrats qui disent : " Pour ça, il faut des moyens ", et on n'a pas forcément les moyens suffisants pour permettre de mettre au coeur de la procédure les victimes.

Gérald DARMANIN 
Alors des moyens, il y en aura de plus en plus, puisque avec le ministère des Armées je suis le seul ministère à avoir à l'Euro près la loi de programmation de la justice. Donc il y aura des magistrats, des greffiers, des agents en plus, mais oui il faut des moyens en plus, mais il faut parfois juste un peu de bon sens. Changer le traitement de texte qui explique le droit aux personnes à qui on envoie un courrier, qui sont déjà assez choquées de voir que leur infraction est classée, enfin en tout cas que leur plainte est classée, je pense que ça ne coûte pas grand-chose.

Benjamin DUHAMEL 
Juste avant de parler de Nicolas SARKOZY, vous allez tout à l'heure vous rendre à Nanterre dans le fameux pôle Cold Case où vous voulez visiblement changer la loi pour permettre d'aller un peu plus loin, pour tenter d'élucider ces affaires qui ne l'ont pas été. Il y a vraiment des choses à faire encore pour améliorer et faciliter le travail des enquêteurs ?

Gérald DARMANIN 
Oui. Moi, j'étais très frappé quand j'étais ministre de l'Intérieur d'une demande qu'a fait le pôle Cold Case, donc c'est le pôle qui regarde les affaires très anciennes et qui n'ont pas de résolution, on n'a pas trouvé l'auteur de ces crimes, et ils ont demandé une coopération judiciaire au FBI pour trouver grâce à l'ADN, on va dire un ADN récréatif, vous pouvez en France envoyer votre ADN aux États-Unis pour voir si vous n'êtes pas le cousin de quelqu'un d'autre, et grâce à cette demande de généalogie génétique, aujourd'hui c'est interdit, on a retrouvé par exemple le prédateur des bois qui avait fait plusieurs viols entre 1998 et 2008. Il y a plus de 30 affaires au pôle Cold Case aujourd'hui qui, si on autorisait cette demande en Amérique, de voir l'ADN génétique, pourraient être résolues. Il y a plus de 50 000 traces ADN dans le fichier du FNAEG, le fichier des délinquants sexuels et des auteurs d'homicides, qui ne trouvent pas preneur. Si nous autorisons dans la loi la généalogie génétique, alors nous pourrions résoudre une partie de ces crimes. Aux États-Unis c'est un crime par semaine qui est résolu.

Benjamin DUHAMEL 
Et donc ça c'est ce que vous allez inscrire dans la loi.

Gérald DARMANIN 
Exactement.

Benjamin DUHAMEL 
Gérald DARMANIN, demain, l'ancien Président Nicolas SARKOZY passera la porte de sa cellule à la prison de la santé après sa condamnation à cinq ans de prison avec exécution provisoire. Son fils, Louis, a appelé à un rassemblement demain matin en soutien avant son incarcération. Est-ce que vous y serez à ce rassemblement ?

Gérald DARMANIN 
Écoutez, moi, d'abord j'ai beaucoup de tristesse pour le Président SARKOZY. L'homme que je suis, Gérald DARMANIN, j'ai été son collaborateur, on ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme. Après le ministre de la Justice, il fait son travail et il organise quelque chose d'exceptionnel, au sens littéral du terme, c'est l'incarcération, non seulement d'un ancien président de la République, mais quelqu'un qui est présumé innocent. Je rappelle quand même qu'il a fait appel et le ministre de la Justice aura rappelé à ce moment-là.

Benjamin DUHAMEL 
Mais est-ce que c'est normal, Gérald DARMANIN, d'avoir ce type de rassemblement à l'appel de la famille par rapport à quelqu'un qui a été condamné et qui, comme des dizaines de milliers de Français, va aller en prison ?

Gérald DARMANIN 
Moi, je n'ai pas de commentaire à faire. Vous savez, moi, j'ai été voir mon père en prison. Il a fait plusieurs mois de préventive à la maison d'arrêt de Valenciennes quand j'avais 18 ans. Je sais le choc que c'est d'avoir son père au parloir.

Benjamin DUHAMEL 
Donc ça ne vous choque pas ce type de rassemblement ?

Gérald DARMANIN 
Il faut se mettre un tout petit peu à la place de la famille. Et ce n'est pas un rassemblement devant la prison de la Santé. Donc voilà. Moi, je voulais vous dire que nous allons évidemment, puisque c'est un détenu, entre guillemets, comme les autres, organiser les choses pour que Nicolas SARKOZY soit en pleine sécurité. Il a fait appel, donc il est en détention préventive, il y a un principe en France, il n'est pas condamné définitivement, il est présumé innocent, ce serait aussi bien de le rappeler. Le ministre organise cela de façon professionnelle et l'homme évidemment est triste de cette situation.

Benjamin DUHAMEL 
Si je vous demande si vous serez à ce rassemblement, c'est parce que nos confrères de L'Obs ont révélé que vous êtes allé voir l'ancien Président quelques jours après sa condamnation. Ça veut dire que même quand Nicolas SARKOZY parle d'une décision qui viole toutes les mesures de l'État de droit, quand il se compare à DREYFUS, le garde des Sceaux, peut quand même se rendre dans son bureau et entendre toutes ces critiques de la justice. Vous êtes en face de l'ancien Président, il vous dit tout ce qu'il pense de cette décision et ça ne pose pas de problème d'indépendance de la justice ?

Gérald DARMANIN 
Non, parce que je n'ai pas le droit de donner des instructions aux magistrats, donc il n'y a pas de problème d'indépendance. Ensuite, j'ai appelé moi-même publiquement et individuellement les magistrats qui ont été menacés par cette décision. J'ai été voir Nicolas SARKOZY. Vous savez quoi, j'irai le voir d'ailleurs en prison. Comme garde des Sceaux, j'irai m'inquiéter.

Benjamin DUHAMEL 
Vous irez voir Nicolas SARKOZY en prison ?

Gérald DARMANIN 
Je m'inquiéterai de ses conditions de sécurité si Nicolas SARKOZY demain…

Benjamin DUHAMEL 
Est-ce que vous irez le voir au parloir pour discuter avec lui comme vous étiez allé dans son bureau... ?

Gérald DARMANIN 
Le ministre de la Justice peut aller voir n'importe quelle prison et n'importe quel détenu quand il le souhaite. C'est parce qu'il doit garantir le bon fonctionnement du service public, comme je le fais.

Benjamin DUHAMEL 
Vous n'y allez pas spécialement pour d'autres, non ?

Gérald DARMANIN 
J'y vais trois fois par semaine. Si.

Benjamin DUHAMEL 
Mais pas pour voir des individus qui sont en détention.

Gérald DARMANIN
Ça m'est arrivé. Et vous savez quoi, ce n'est pas anormal.

Benjamin DUHAMEL 
Mais vous voyez bien Gérald DARMANIN juste le symbole, dans un moment où la justice a été critiquée, effectivement vous rappeliez que vous aviez affiché votre soutien aux magistrats qui avaient été menacés, d'aller rendre visite à quelqu'un, Nicolas SARKOZY parfaitement estimable mais qui a eu des propos extrêmement durs, pas seulement contre la décision mais qui a mis en cause directement la justice de notre pays. Ça veut dire qu'en quelque sorte, est-ce que vous n'êtes pas comptable en allant le voir de ces critiques contre la justice ?

Gérald DARMANIN 
D'abord, on a le droit de critiquer les décisions de justice, tout le monde le fait.

Benjamin DUHAMEL 
Mais là il va plus loin, il se compare à Alfred DREYFUS.

Gérald DARMANIN 
Mais je lui laisse l'entièreté responsabilité d'expliquer ses propos. Je ne suis pas totalement d'accord toujours avec Nicolas SARKOZY.

Benjamin DUHAMEL 
Donc la comparaison, elle ne vaut pas ?

Gérald DARMANIN Mais attendez, dans un moment aussi dramatique, monsieur COHEN je pense a fait un éditorial qui résumait assez bien la situation, il y a des propos qui sont sans doute de part et d'autre excessifs quand je vois à quel point par exemple la France Insoumise se délecte de la mise en prison d'un homme alors qu'ils défendent en général la fin de l'incarcération, je me pose des questions sur leur véritable sentiment, une sorte de masochisme pénal. Par ailleurs, le ministre de la Justice doit garantir en effet que les magistrats soient protégés. Je garantis intégralement cela. Et moi aussi, je dois dire à quel point, et c'est normal, on doit faire attention à la sécurité d'un ancien Président à la prison de la santé. Cela ne me paraît pas choquant que de le dire. Et les propos polémiques, c'est pour tous ceux qui veulent faire de la polémique.

Benjamin DUHAMEL 
Merci beaucoup Gérald DARMANIN qui ira donc, Florence, voir Nicolas SARKOZY en prison.

Gérald DARMANIN 
J'espère que vous n'avez retenu que ça de ce qu'on vient de se dire.

Benjamin DUHAMEL 
Non, c'est un point de d'esprit à la fin de l'interview.

Gérald DARMANIN 
Oui. Bien sûr. Mais effectivement, je n'ai rien à cacher des sentiments que je peux avoir pour les uns ou pour les autres.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 octobre 2025