Interview de Mme Éléonore Caroit, ministre chargée de la Francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l'étranger, à France Info le 30 octobre 2025, concernant l'annonce par Donald Trump de la reprise par les États-Unis des essais nucléaires, le passage de l'ouragan Mélissa dans les Caraïbes, le conflit à Gaza et le débat sur le budget.

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Intervenant(s) : 
  • Éléonore Caroit - Ministre déléguée; chargée de la francophonie, des partenariats internationaux et des Français de l'étranger

Média : France Info

Texte intégral

ALEXANDRE PÉROU
Bonjour Eléonore CAROIT.

ELEONORE CAROIT
Bonjour.

ALEXANDRE PÉROU
Merci d'être notre invitée, ce matin. Vous êtes donc ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères. L'actualité de la nuit, c'est cette déclaration de Donald TRUMP, qui déclare que les États-Unis allaient reprendre " immédiatement " les essais d'armes nucléaires. Ça intervient alors que le Forum de la paix vient de commencer à Paris. Est-ce que vous êtes une ministre inquiète, comme, peut-être, nos téléspectateurs, ce matin, après ces déclarations ?

ELEONORE CAROIT
Moi, j'ai appris, comme vous, cette nuit, ces déclarations. Nous en prenant note. Mais ce que je peux vous dire, c'est que la France a historiquement rappelé son attachement aux accords au droit international et surtout à la non-prolifération nucléaire, son attachement aussi au moratoire qui est en place depuis plus de 25 ans. Et dans le contexte d'instabilité que nous vivons aujourd'hui et qui, d'ailleurs, est très largement débattu et où des décisions sont prises, justement, au Forum de la paix, vous le rappeliez, il est vraiment très important d'agir plutôt vers une désescalade, vers un retour au dialogue, plutôt que vers d'autres formes d'actions qui pourraient mener à ces formes de surenchère.

ALEXANDRE PÉROU
Mais quand on voit ce qui se passe aussi avec Vladimir POUTINE, cet essai de missiles à propulsion nucléaire, ce drone sous-marin capable de transporter une arme nucléaire, est-ce que, finalement, vous ne prenez pas dans le vide ? Est-ce que le monde n'est pas condamné à l'escalade ?

ELEONORE CAROIT
On n'est jamais condamné à l'escalade. Et la France parle depuis une position de puissance dotée, de puissance dotée et responsable, et qui est fermement convaincue du multilatéralisme. Et justement, il faut le dire avec beaucoup de force, sur ce qui s'est passé cette nuit, les déclarations qui ont été faites, nous verrons comment la situation évoluera, nous verrons concrètement en quoi cela se traduira. Mais ce que je peux vous rappeler, c'est notre position historique qui, pour le coup, n'a pas changé et que nous devons, dans le monde que nous vivons aujourd'hui, maintenir le plus fermement possible.

ALEXANDRE PÉROU
Alors, à l'étranger, toujours, il y a ces scènes de dévastation : dans les Caraïbes, en Jamaïque et en Haïti, après le passage de l'ouragan Mélissa. On fait état d'un bilan d'au moins trente morts pour le moment. Est-ce que l'on sait si, sur place, il y a des Français qui ont été victimes ou des Français sinistrés ? Est-ce que vous le savez ?

ELEONORE CAROIT
Alors, j'ai évidemment posé la question. À ce stade, nous n'avons pas de victimes françaises, mais cela n'en demeure pas moins une tragédie, quelque chose qui, évidemment, nous interpelle tous. Nous avons un bateau avec de l'aide humanitaire, notamment des kits de purification d'eau, des aliments de première nécessité, qui est au large, aujourd'hui, de la Jamaïque et qui devrait pouvoir intervenir prochainement. Moi, j'ai grandi dans les Caraïbes, j'ai grandi en République dominicaine, à côté d'Haïti. Pendant les heures qui ont suivi, avec ma famille, je regardais le passage de l'ouragan. Et je peux vous dire que je me sens très solidaire, très empathique et vraiment de tout coeur avec toutes les victimes Haïtiennes et Jamaïcaines.

ALEXANDRE PÉROU
Est-ce que, peut-être, s'il y a des Français sur place qui nous écoutent, qui ont leur logement, qui sont partiellement détruits, abîmés, quelles consignes on peut leur donner ?

ELEONORE CAROIT
Alors, déjà, de rester toujours informés, connectés à une source d'information, radio, télévision, si possible, de se signaler auprès des autorités consulaires de nos ambassades. Et je voudrais, d'ailleurs, saluer le travail exceptionnel de notre centre de crise, ici, à Paris, mais surtout de nos postes à Cuba, en Jamaïque et en Haïti. Vous savez qu'on est toujours présents en Haïti, alors que de nombreux pays ne sont plus présents dans ce pays. Et puis, de leur dire aussi, évidemment, de se signaler sur le fil d'Ariane. Le fil d'Ariane, si vous ne le connaissez pas, c'est essentiel. C'est vraiment un instrument que nous avons, qui nous permet d'identifier nos citoyens, où qu'ils soient, dans des territoires de crise. Et puis, vous dire que la priorité de mon ministère, mais la priorité au Quai d'Orsay, c'est vraiment la protection et la sécurité des Français, où qu'ils soient.

ALEXANDRE PÉROU
Alors, dans le monde, aussi, l'actualité est chargée puisqu'on apprenait qu'il y a deux jours, une nouvelle frappe israélienne sur la bande de Gaza, avec un très lourd bilan : plus de 100 morts, dont 46 enfants. Est-ce que c'est un échec du plan de paix qu'a proposé Donald TRUMP ?

ELEONORE CAROIT
On ne peut pas voir les choses comme un échec lorsqu'on est en train de parler d'une tragédie humanitaire, lorsqu'on est en train de parler de toutes les vies qui sont aujourd'hui dans la bande de Gaza, mais aussi dans d'autres territoires. Je pense qu'il faut, au contraire, continuer à appeler à un cessez-le-feu. La France a eu un rôle important, vous l'aviez rappelé, notamment lors de la reconnaissance de l'État de Palestine.

ALEXANDRE PÉROU
Est-ce qu'il ne faut pas aller plus loin, durcir le ton contre le Gouvernement israélien ?

ELEONORE CAROIT
Ce qu'il faut, c'est rappeler les accords et appeler les partis à le respecter. Je pense que durcir le ton, c'est toujours quelque chose qu'il est possible de faire, mais est-ce que ça aura les effets que nous souhaitons ? Rappeler ceux sur quoi on s'est mis d'accord et surtout pourquoi c'est une absolue nécessité, aujourd'hui, que de commencer par un cessez-le-feu, et ensuite poser les jalons politiques pour une paix durable. Et c'est, encore une fois, ce dont nous parlons ce matin à Paris, lors du forum de Paris pour la paix. La paix, elle n'existe que si elle est durable, si elle est accompagnée d'une action aussi sur les sociétés civiles, si elle inclut justement ces sociétés civiles. Et il y a, d'ailleurs, au forum de Paris pour la paix, des représentants de sociétés civiles israéliennes et palestiniennes qui se parlent et qui ont envie, justement, d'avancer.

ALEXANDRE PÉROU
Alors, il y en a d'autres qui se parlent en France. Ce sont les Députés, puisqu'en ce moment, c'est le débat sur le budget. Vous étiez Députée il n'y a pas si longtemps, vous étiez sur ces bancs. Est-ce qu'on va tout droit vers l'impasse, sur cette question budgétaire ? On a l'impression que ça n'avance pas et que finalement, personne ne peut se mettre d'accord.

ELEONORE CAROIT
Pour la première fois depuis longtemps, on a un débat parlementaire riche, un débat parlementaire qui, en fait, est permis aussi par l'abandon de l'article 49.9 par le Gouvernement. Est-ce qu'on est contents de toutes les décisions, de tous les votes ? Évidemment que non, mais on le savait par avance, parce qu'à partir du moment où vous dites aux parlementaires : " débattez, votez, vous aurez des victoires et il y aura aussi des défaites ", eh bien, on est obligés de respecter ce moment parlementaire. Et d'ailleurs, pour en parler, avec mes anciens collègues, je vois que les débats se passent de manière relativement apaisée, constructive.

ALEXANDRE PÉROU
Alors, apaisée, oui, mais ça prend du temps. Est-ce que le Gouvernement envisage de passer ce budget par ordonnance ? Est-ce que c'est une possibilité ou est-ce que vous y renoncez ?

ELEONORE CAROIT
Ça sera au ministre de l'Économie, au Premier ministre de s'exprimer, mais à ce stade, ce que je vois, ce que je constate, et d'ailleurs, je salue cette situation, c'est qu'il y a un vrai débat parlementaire. Certes, ça prend du temps, mais pas plus de temps qu'ailleurs. On a d'ailleurs des groupes qui acceptent aussi de retirer…

ALEXANDRE PÉROU
On a commencé plus tard.

ELEONORE CAROIT
On a commencé plus tard, c'est vrai. On a commencé plus tard, et puis, d'ailleurs, on a des groupes qui acceptent de retirer des amendements, qui sont peut-être moins importants pour se concentrer sur l'essentiel.

ALEXANDRE PÉROU
Vous les remerciez, c'est une bonne chose, tous les groupes ?

ELEONORE CAROIT
Je ne vais pas les remercier ou pas les remercier, mais ce que je vais vous dire, c'est qu'à un moment donné, lorsque vous donnez aux gens le pouvoir de véritablement décider de voter, de débattre, eh bien, ils peuvent le faire en responsabilité. Tous les groupes ne le font pas en responsabilité, ça, on le sait, mais il y en a quand même beaucoup qui le font. Et moi, j'aimerais saluer les avancées et les choses qui vont dans le bon sens plutôt que de me dire " ça ne marchera pas ", parce qu'il faut que ça marche. Nous avons besoin de stabilité, nous avons besoin d'un budget, nous avons besoin... on a parlé de toutes ces crises à l'international, mais on a besoin d'une France forte qui puisse répondre, justement, à l'international comme elle le fait.

ALEXANDRE PÉROU
Alors, vous prônez, au Gouvernement, la question du compromis, le dialogue. Justement, il va y avoir un débat intense qui va commencer demain à l'Assemblée : c'est celui autour de cette question de la taxe Zucman. On sait qu'au Gouvernement, vous êtes contre. Alors, les socialistes vous ont fait une contre-proposition qu'on appelle communément la taxe Zucman Light, si je puis utiliser cet anglicisme. Vous, est-ce que vous y êtes favorable ?

ELEONORE CAROIT
Alors, moi, personnellement, non, pour une raison très simple, c'est que lorsque vous regardez ce dont a besoin notre pays, on a besoin d'une réforme structurelle de son fonctionnement, ce n'est pas en se reposant sur près de 2 000 foyers fiscaux que vous allez résoudre le problème global. Et je trouve que le…

ALEXANDRE PÉROU
C'est un problème de justice fiscale, quand même ?

ELEONORE CAROIT
Il y a des questions de justice fiscale qui peuvent être regardées. D'ailleurs, le Premier ministre l'a dit lui-même. Il a dit : " Nous sommes évidemment sensibles à cet appel des Français et nous pouvons regarder à quel moment des ajustements peuvent être faits ". Mais si vous regardez dans le débat public aujourd'hui et dans les demandes de certains groupes, on a l'impression que la taxe Zucman serait la solution à tous les problèmes budgétaires et fiscaux de la France. Alors, pourquoi il n'y aurait pas de taxe Zucman à l'étranger si c'était une si bonne idée ? Moi, je vais vous dire, en réalité, la taxe Zucman, ce n'est pas une taxe sur les ultra-riches, comme on veut nous le faire dire, parce que tout le monde peut finalement se dire pourquoi pas taxer…

ALEXANDRE PÉROU
C'est les 1 800 foyers les plus riches.

ELEONORE CAROIT
C'est surtout des entreprises. C'est des entreprises familiales, c'est des emplois à la clé, c'est l'attractivité de notre pays. S'il y avait un dispositif qui, véritablement, fonctionnait, où on nous disait : " ça ne remet pas en cause les emplois, ça ne remet pas en cause notre économie ", eh bien, pourquoi pas en débattre et regarder. Mais ce que j'ai vu, moi, de là où je vous parle, encore une fois, je ne veux pas me substituer ni au ministre de l'Économie ni au Premier ministre, je n'ai pas l'impression qu'on en soit là. Et je reste très défavorable à ce dispositif. Une fois que je vous ai dit ça, le débat doit se faire à l'Assemblée, les victoires doivent se trouver à l'Assemblée. On n'est pas dans une question de négociation ou de rapport de force, on est dans une question de débat parlementaire et de vote.

ALEXANDRE PÉROU
J'ai une dernière question, je vous demande de répondre très rapidement. Dans ces débats budgétaires, il y a aussi votre ancien groupe Renaissance qui est marqué par ces divisions, puisqu'ils votent contre l'avis du Gouvernement. Est-ce qu'il y a un problème chez Renaissance ?

ELEONORE CAROIT
Non, il n'y a pas de problème chez Renaissance, il y a, au contraire, un vrai débat parlementaire qui se joue. Vous savez qu'il y a, au sein de ce même groupe, des parlementaires qui viennent d'horizons politiques différents. Et c'est sain, et ça illustre d'ailleurs la diversité de notre Assemblée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 novembre 2025