Interview de MM. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, et Gunther Krichbaum, ministre adjoint chargé des Affaires européennes en Allemagne, à France Inter le 30 octobre 2025, sur l'annonce par le président américain de la relance des essais nucléaires par les États-Unis, la défense européenne, l'OTAN, l'aide à l'Ukraine et l'avenir de l'Union européenne.

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Média : France Inter

Texte intégral

SIMON LE BARON
Qui a dit thérapie de couple ? Non. En tout cas, c'est un exercice inédit qu'on vous propose ce matin. Le couple franco-allemand réuni dans ce studio, en tout cas deux ministres face à face, tous deux chargés des Affaires européennes, l'un Allemand, l'autre Français. Bonjour Gunther KRICHBAUM et Benjamin HADDAD.

BENJAMIN HADDAD
Bonjour.

GUNTHER KRICHBAUM
Bonjour à vous.

SIMON LE BARON
Le standard est ouvert pour dialoguer avec nous, 01 45 24 7000, ainsi que l'application de Radio France pour vos messages, comme d'habitude.
Vous participez tous deux au forum de Paris sur la paix, et je voudrais vous interroger sur ce qu'a dit Donald TRUMP il y a à peine quelques heures. Le Président américain veut relancer les essais d'armes nucléaires aux États-Unis. Ils étaient interrompus depuis plus de 30 ans, il le dit après que Vladimir POUTINE, notamment, a lancé des essais de drones sous-marins nucléaires, une provocation selon les États-Unis. Est-ce que ça vous inquiète tout simplement Gunther KRICHBAUM ?

GUNTHER KRICHBAUM
Bon, on peut voir que nous ne vivons pas seulement maintenant dans une période de la paix. Et c'est le défi maintenant pour l'Europe de créer cette paix, et qui est très importante. Mais nous ne vivons pas dans une période de la guerre. Mais on doit aussi constater que la guerre a des visages différents. C'est-à-dire qu'on a maintenant une guerre que les Russes mènent entre l'Ukraine, une guerre d'agression, mais nous sommes aussi touchés en Europe. C'est-à-dire que nous avons cette flotte de fantômes, nous avons des attaques dans l'Internet, exactement pour nos compagnies en Europe, en Allemagne, très spécial. C'est-à-dire qu'il faut faire la défense, il faut créer une coopération plus étroite que dans le passé. Et maintenant, c'est très important que la France et l'Allemagne mènent en Europe exactement aussi dans les manières de la défense.

SIMON LE BARON
Justement, la défense européenne et comment vous vous entendez ou pas, et on va voir que c'est souvent « ou pas » ces dernières années, sur cette question de la sécurité commune. On va en parler. Mais Benjamin HADDAD, sur ces menaces nucléaires et cette escalade verbale pour l'instant entre les États-Unis et la Russie.

BENJAMIN HADDAD
Au fond, je suis fondamentalement d'accord avec ce que vient de dire Gunther KRICHBAUM. Ça démontre une fois de plus qu'on est dans un environnement géopolitique qui est de plus en plus conflictuel, de plus en plus tendu et que les Européens ne peuvent pas se contenter d'avoir un strapontin dans le monde qui vient. On doit se donner les moyens de réduire nos dépendances sur le plan technologique, sur le plan énergétique et bien sûr sur le plan militaire, si on ne veut pas laisser d'autres écrire notre histoire à notre place. Ça demande effectivement d'abord d'augmenter nos budgets de défense qu'on avait réduits avec les dividendes de la paix pendant des décennies. La France le fait, l'Allemagne le fait, tous les pays européens aujourd'hui le font, mais aussi de faire en sorte que ça se traduise par une base industrielle de défense européenne autonome, c'est-à-dire par des coopérations, des projets concrets. C'est ce qu'on a lancé ces derniers mois avec l'Union européenne, le plan de 150 milliards d'Euros qu'on appelle SAFE pour financer des projets de défense communs. Fondamentalement, on voit que la grammaire stratégique est en train de changer. On a cru pendant longtemps qu'on pouvait se reposer sur d'autres. On a aujourd'hui une guerre d'agression russe sur notre continent, on a la menace que la Russie fait peser sur toutes nos démocraties européennes par ses ingérences, par ses attaques cyber, par la guerre hybride qu'elle mène contre nos démocraties. C'est un vrai réveil stratégique qu'on est en train d'opérer.

ALEXANDRA BENSAID
Et justement, les États-Unis viennent d'annoncer qu'ils allaient aussi réduire leur présence militaire sur le front Est de l'Europe. Il va y avoir des soldats américains en moins, et notamment en Roumanie. Gunther KRICHBAUM, comment est-ce que vous prenez cette annonce ? Est-ce que c'est une mauvaise nouvelle ? Est-ce que ça vous inquiète ? Est-ce que c'est même un mauvais signal envoyé à Moscou ?

GUNTHER KRICHBAUM
Tout d'abord, les États-Unis ont annoncé dans le passé que c'est la responsabilité de nous, comme Européens, d'augmenter nos capacités de la défense en général. Mais on a déjà réagi, c'est-à-dire, c'était maintenant la décision de notre ministre pour la Défense, PISTORIUS, on a bougé une brigade dans la Lettonie. C'est-à-dire qu'on a maintenant renforcé le front vers la Russie. Il est nécessaire de soutenir tous les pays qui sont organisés.

SIMON LE BARON
Concrètement, c'est-à-dire que les Européens doivent compenser cette perte de troupes américaines ? Les Européens doivent envoyer des troupes sur le front Est et des troupes supplémentaires pour compenser le retrait partiel, très partiel pour l'instant, mais tout de même très symbolique aussi des Américains ?

GUNTHER KRICHBAUM
Nous agissons dans notre propre intérêt, c'est-à-dire que nous sommes liés dans l'OTAN, mais nous sommes aussi liés dans l'Union européenne. J'aimerais seulement souvenir l'article 42.7, c'est-à-dire qu'il y a une obligation de la solidarité pour les pays européens, de se soutenir, et c'est-à-dire s'il y a la nécessité, on doit le faire. Et nous soutiendrons l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire, mais les autres pays aussi. C'est une sorte de solidarité et de la crédibilité de défendre l'Europe.

ALEXANDRA BENSAID
Benjamin HADDAD, après ce retrait qui est quand même d'hommes, de soldats américains, c'est quand même un signal, est-ce qu'on peut toujours penser que dans la fiction où la Russie nous agresserait, les États-Unis seraient à nos côtés et défendraient les Européens ?

BENJAMIN HADDAD
Je reviens à ce que je vous disais tout à l'heure, on rentre dans un nouveau monde, on voit une menace à nos portes et des interrogations sur l'avenir de la relation transatlantique et de la garantie de sécurité américaine, mais au fond, ce n'est pas nouveau. Barack OBAMA avait déjà parlé du pivot américain vers l'Asie. On voit que la Chine est devenue aujourd'hui un objet prioritaire pour les Américains. On avait vu des tendances protectionnistes aussi, d'ailleurs, sous l'administration BIDEN. Donc il y a une tendance de fond que nous devons voir et prendre notre sécurité en main. Alors on le fait sur le flanc Est de l'Europe. Vous parlez par exemple de la Roumanie. Aujourd'hui, la France est ce qu'on appelle la Nation cadre de l'opération de l'OTAN en Roumanie, où on a des soldats, on en a aussi aux Pays-Baltes. On vient de signer un partenariat stratégique avec la Pologne. Donc on a une relation vraiment approfondie avec ces pays du flanc Est qui sont en première ligne aujourd'hui des démocraties face à la menace de la Russie. Mais pour autant, on continue ce dialogue stratégique avec les Américains qui sont nos alliés. Moi, je voudrais juste vous montrer ce qui s'est passé ces derniers jours. Nous avons adopté en même temps le 19e paquet de sanctions européen contre la Russie, avec des sanctions massives contre le secteur énergétique de la Russie qui continue à dégager des ressources pour l'effort de guerre, des boîtes comme ROSNET ou GAZPROM. Les Américains ont fait la même chose en même temps. Je vous rappelle qu'il y a six mois, il y a un an, on nous disait que tout cela allait être réglé en 24 heures par le Président TRUMP et Président POUTINE et que les Européens allaient être exclus. Aujourd'hui, grâce à l'effort diplomatique aussi des Européens, nous avons réaligné les Américains, les Européens et les Ukrainiens avec comme objectif de relancer la diplomatie, de mettre fin à la guerre et en voyant bien que le seul qui s'y refuse aujourd'hui, c'est Vladimir POUTINE, c'est le régime du Kremlin et donc il faut faire augmenter la pression de façon maximale sur le régime.

SIMON LE BARON
Cela fait huit ans, Benjamin HADDAD, huit ans qu'Emmanuel MACRON dit qu'il faut renforcer l'Europe de la défense. Certains sur le continent, l'Allemagne en particulier, ont continué de faire confiance aux États-Unis dans un atlantisme qui est jugé exagéré vu de Paris. Est-ce que vous dites aux Allemands, à votre homologue qui est en face de vous, il faut sortir d'une certaine naïveté, il faut arrêter de penser que le parapluie américain sera toujours là, c'est maintenant qu'il faut agir ?

BENJAMIN HADDAD
Je crois que cet électrochoc des pays européens, il a eu lieu et la question maintenant, c'est de mettre en oeuvre de façon concrète. Que des pays et des liens particuliers, des relations avec les États-Unis, qu'ils se fassent des choix souverains aussi pour leur industrie de défense, moi ce n'est pas le sujet. La question c'est qu'est-ce qu'on peut faire au niveau européen. Par exemple, quand les fonds européens viennent soutenir notre industrie de défense, il faut que ça aille vers ce qu'on appelle, nous, la préférence européenne, c'est-à-dire renforcer notre propre industrie. Ce n'est pas seulement d'ailleurs pour avoir des intérêts économiques et des emplois, mais c'est aussi une question de réduction de nos dépendances sur le plan technologique. C'est le fait de pouvoir garder l'usage sur les exportations, de garder le savoir-faire. Ça, c'est tout l'enjeu. Ça mettra du temps parce qu'encore une fois, on est en train de rattraper un retard de plusieurs décennies sur ce domaine comme sur les enjeux technologiques. Je pense à l'intelligence artificielle ou encore le quantique. Mais la réduction de nos dépendances, c'est aujourd'hui un axe majeur aujourd'hui de notre travail est avec les Européens. Et c'est, vous l'avez dit, la vision du président de la République depuis le discours de la Sorbonne de 2017.

ALEXANDRA BENSAID
Gunther KRICHBAUM, cette question du parapluie américain et du regard des Allemands. C'est vrai que cette relation avec les Etats-Unis a été forte. C'est vrai que les Allemands ont compté sur ce parapluie américain. Où en êtes-vous ? Benjamin HADDAD parlait d'un électrochoc. Est-ce que vous, c'est un réveil qui est en train de se passer ? Est-ce que vous faites le deuil de cette relation ?

GUNTHER KRICHBAUM
Tout d'abord, je pense que l'OTAN est absolument nécessaire pour garantir nos intérêts de sécurité. Ça ne dit pas qu'il est nécessaire de renforcer nos intérêts et aussi la volonté de se défendre ensemble en Europe. Il n'y a pas une contradiction, à mon avis. Mais j'aimerais faire une remarque concernant le passé. Peut-être c'est la réalité. On était un peu plus positif, on peut le formuler comme ça, mais c'était peut-être aussi un peu naïf en Allemagne. C'est la vérité. Dans les pays de l'Est, on était plus réaliste parce qu'on fait des expériences de notre passé avec l'Union soviétique. Et c'est peut-être aussi la réalité que POUTINE veut réaliser ce cadre de l'Union soviétique comme il l'était autrefois. C'est-à-dire ce n'est pas seulement l'Ukraine qui est menacée. C'est aussi la Géorgie, c'est aussi la Moldavie. Ce sont beaucoup de pays. Et comme ça, c'est nécessaire de souligner encore une fois que ce n'est pas seulement l'Ukraine qui est menacée. POUTINE ne va pas arrêter avec l'Ukraine. Il va continuer et pour ça, il est nécessaire de donner une réponse crédible.

ALEXANDRA BENSAID
La France qui dit Emmanuel MACRON qui est en train de travailler à l'actualisation de la doctrine nucléaire. Est-ce que ça, en Allemagne, vous seriez prêt à accepter un partage de cette responsabilité nucléaire à être protégé par les bombes françaises ?

GUNTHER KRICHBAUM
Comme j'ai déjà dit, je pense qu'il est nécessaire de faire ça dans le cadre de l'OTAN. Mais on a un grand respect. Pas seulement un grand respect, mais c'est nécessaire d'avoir la contribution aussi de la France. Et là, je ne vois pas une contradiction. Pas seulement supplémentaire. Ce sont deux colonnes dans la stratégie de défendre l'Europe.

SIMON LE BARON
Il y a quelques jours, le chef d'état-major des armées françaises disait qu'il fallait se préparer à un choc avec la Russie dans trois ou quatre ans. C'est alarmiste ou... le chef d'état-major de l'Armée de terre très précisément. Est-ce que c'est trop alarmiste selon vous Gunther KRICHBAUM ?

GUNTHER KRICHBAUM
Mais est-ce qu'on n'a pas le choc déjà maintenant ? C'est-à-dire, aussi en Allemagne, on a dormi. On a vraiment dormi. On parle de Zeitenwende, c'est-à-dire on change de temps. L'ancien chancelier Olaf SCHOLZ a dit ça. Il s'est concentré sur les circonstances de 2022. Mais la guerre a déjà commencé avec l'annexion de Krim Island, Crimea Island…

ALEXANDRA BENSAID
De la Crimée.

GUNTHER KRICHBAUM
De la Crimée, merci. Et ça veut dire qu'on n'a pas réalisé la vraie menace de la Russie.

SIMON LE BARON
Malgré tout, je disais, vous ne vous entendez pas sur grand-chose en matière de défense européenne, en réalité. L'avion de chasse, le bouclier antiaérien, le char de combat, tous ces projets, énormes projets industriels sont quasi à l'arrêt parce qu'il n'y a pas d'accord. Il y a des tensions diplomatiques et industrielles sur tous ces sujets. Pourquoi vous n'y arrivez pas, Benjamin HADDAD ?

BENJAMIN HADDAD
Déjà moi, je vais vous rappeler les projets qui avancent. Je vous mentionnais à l'instant, par exemple, les 150 milliards d'Euros de la Commission européenne, SAFE, avec un élément de préférence européenne pour dire qu'on va soutenir des projets de coopération industrielle européenne. Ça, c'est une avancée majeure de l'Europe de la défense des derniers mois. On nous avait dit pendant longtemps que c'était impossible. On voit aujourd'hui les Européens qui sont en train de mettre les moyens. On est avec Gunther, on travaille aussi au prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne. C'est le budget de l'Union européenne, dans lequel on va augmenter considérablement le budget pour la défense et pour le spatial.

SIMON LE BARON
Oui. En attendant, les Allemands, faute d'avions de chasse européen, les Allemands rachètent des avions Eurofighter de leur côté il y a quelques jours.

BENJAMIN HADDAD
Sur ces projets industriels, je pense qu'ils sont nécessaires. Je pense qu'on a besoin d'avancer. C'est dans notre intérêt commun. Évidemment que des projets industriels de cette envergure, c'est complexe. Vous avez plusieurs acteurs, à la fois sur le plan des entreprises et de pays, mais on a la responsabilité d'avancer. On avait fin août à Toulon ensemble un conseil des ministres franco-allemand où on a adopté une feuille de route sur beaucoup de sujets, sur les problématiques de nos citoyens transfrontaliers, sur les questions économiques, sur les questions industrielles. Et sur ces sujets-là, on s'est donné comme mission de pouvoir avancer avec les ministres de la Défense, les ministres de l'Économie et les entreprises concernées.

ALEXANDRA BENSAID
Gunther KRICHBAUM, ce dossier particulier, l'avion de chasse, le SCAF comme on dit en français et en allemand, vous me disiez dans le couloir, on ne dit pas le SCAF en allemand. On dit le ?

GUNTHER KRICHBAUM
Oui, c'est ça.

ALEXANDRA BENSAID
On dit un autre mot que je suis incapable de prononcer. Bon.

GUNTHER KRICHBAUM
FCAS.

ALEXANDRA BENSAID
FCAS, et c'est de l'anglais en réalité. Ce projet, il est sur la table depuis huit ans. On dit et les industriels ne s'entendent pas, et les capitales ne mettent pas la pression sur les industriels français d'un côté, allemands de l'autre. Est-ce que c'est stop ou encore ? Est-ce que ce SCAF, vous le voulez toujours l'un et l'autre ?

GUNTHER KRICHBAUM
Bien sûr. Parce que nous partageons le même objectif. Ça veut dire renforcer la capacité d'action de l'Europe et en particulier la capacité de l'Europe à se défendre. Mais maintenant, il y avait aussi un peu un retard, mais nos ministres de défense ont maintenant une mission très claire de réaliser ce projet. Et à mon avis, c'est maintenant un avantage que l'ancien ministre de la Défense, monsieur LECORNU, est maintenant le Premier ministre, parce qu'il y a l'arrière-plan de ce projet. Comme ça, la constellation, à mon avis, est très favorable. Et je vois, il y a la volonté de la France, il y a la volonté de l'Allemagne. Je dois confier ça. Ce n'est pas faux ce que vous avez mentionné. C'est maintenant aussi l'industrie qui doit réaliser ça.

ALEXANDRA BENSAID
Oui, mais ça fait longtemps qu'on le dit. Je veux dire, les industriels, ça fait... Et d'un côté quand on lit la presse d'un côté et de l'autre de la frontière…

GUNTHER KRICHBAUM
Oui, parce qu'il y a quelquefois des philosophies différentes. Mais j'aimerais dire, AIRBUS doit s'adapter un peu, mais aussi DASSAULT doit s'adapter un peu.

ALEXANDRA BENSAID
AIRBUS côté allemand et DASSAULT côté français.

GUNTHER KRICHBAUM
C'est comme dans la politique. A la fin, il est nécessaire de trouver un consensus. On parle aussi de propriétaires intellectuels. Il y a des choses qui sont vraiment difficiles, mais avec la volonté, on peut réaliser un projet comme ça. Et je pense que c'est nécessaire, c'est utile, pour donner aussi une réponse que nous sommes capables de réaliser des projets comme ça. Parce qu'on ne parle pas seulement des FCAS ou SCAF. Il y a un autre projet, c'est Main Ground Combat System, de créer le char du futur. Et ce sont deux côtés d'une médaille, à mon avis.

SIMON LE BARON
Venons-en à l'aide à l'Ukraine et à la guerre en Ukraine plus généralement. La Russie accuse la France, vous l'avez vu Benjamin HADDAD, de préparer l'envoi de troupes sur place. Vrai ou faux ?

BENJAMIN HADDAD
Mais vous le savez, nous travaillons avec la coalition des volontaires, c'est-à-dire les pays européens, mais aussi les pays comme le Japon, l'Australie ou le Canada, à des garanties de sécurité pour l'Ukraine. Pourquoi ?

SIMON LE BARON
Pardon, donc il y aura des troupes françaises ?

BENJAMIN HADDAD
Non mais je vais y revenir.

SIMON LE BARON
C'est la question que je vous pose.

BENJAMIN HADDAD
Déjà, la question aujourd'hui, c'est qu'il y a toujours la guerre. Ce sont les troupes russes qu'il y a en Ukraine. Ce sont les bombardements russes tous les jours que vous avez en Ukraine. Les Ukrainiens, les Américains, les Européens demandent un cessez-le-feu ; et la Russie continue même de bombarder des civils en Ukraine. Nous, ce qu'on souhaite, c'est que demain, si on arrive à négocier un cessez-le-feu, il ne faut pas que ce soit juste une trêve, une parenthèse qui serait utilisée par la Russie pour se refaire économiquement, réarmer et réattaquer. Gunther parlait tout à l'heure de l'annexion de la Crimée. Les Ukrainiens, ils connaissent leur histoire. Ils savent qu'à chaque fois que la Russie avait pris des engagements, elle les a violés. Le mémorandum de Budapest dans les années 90 qui était des garanties déjà de sécurité et de frontières et après les accords de Minsk.

SIMON LE BARON
Donc il y aura des troupes françaises en Ukraine pour aller assurer la sécurité ?

BENJAMIN HADDAD
L'objectif, c'est de rétablir une paix durable et donc de dissuader une future agression de la Russie. Ça passera d'abord par avoir une armée ukrainienne forte, robuste, indépendante. Et donc la coopération entre nos industries de défense européenne et ukrainienne, elle est nécessaire. Et ça passera, le président de la République l'a déjà dit, peut-être par des déploiements de contingents européens, non pas des forces combattantes, non pas sur la ligne de front, mais dans des points stratégiques de l'Ukraine, là aussi pour dissuader la Russie, parce que…

ALEXANDRA BENSAID
Donc ça n'est pas du tout ce que dit... pardonnez-moi Benjamin HADDAD, c'est important, ça n'est pas du tout ce que dit la Russie, la presse russe ce matin. On n'est pas en train de préparer, nous Français, l'envoi de troupes, là, de 2 000 soldats et officiers, imminentes et qui ne seraient pas après un éventuel cessez-le-feu. C'est ça…

BENJAMIN HADDAD
Mais non. Mais une fois de plus, vous voyez bien qu'il y a une volonté de propagande de la part de la Russie pour intimider, pour provoquer, pour nous diviser. La vérité aujourd'hui, c'est que ça fait partie d'ailleurs de cet effort de guerre hybride, de guerre informationnelle qui a lieu aussi sur nos réseaux sociaux, qui a lieu dans cet espace informationnel.

ALEXANDRA BENSAID
Et après le cessez-le-feu... Pardon. Gunther KRICHBAUM, je voudrais vous faire dialoguer.

BENJAMIN HADDAD
Bon mais le but, ce que je disais, l'objectif... Oui. Mais juste je veux dire d'un mot, l'objectif c'est vraiment de réapprendre cette grammaire stratégique, de comprendre que demain, la paix, ça passera aussi par la dissuasion, ça passera aussi par une Europe forte qui saura se faire respecter.

ALEXANDRA BENSAID
Et alors donc des troupes françaises, après un éventuel cessez-le-feu, pour maintenir cette sécurité, est-ce que ça existe aussi cette question ? Est-ce que l'Allemagne pourrait se joindre à ces troupes françaises après ? Est-ce que ça, c'est en débat chez vous, Gunther KRICHBAUM ?

GUNTHER KRICHBAUM
Tout d'abord, Benjamin a tout à fait raison. C'est-à-dire, il est nécessaire d'augmenter la pression dans un sens militaire, mais aussi d'augmenter la pression sur la Russie dans les affaires économiques. C'est-à-dire, nous parlons aussi d'utiliser, on dit, pour ça, en allemand, des avoirs gelés. Je ne sais pas maintenant si cette expression…

ALEXANDRE BENSAÏD
Si c'est tout à fait exact ? C'est tout à fait exact.

SIMON LE BARON
Oui, les avoirs gelés. Mais justement, Volodymyr ZELENSKY dit : " Nous avons besoin d'aide pendant encore deux ou trois ans, de l'aide concrète des Européens ". Vous n'arrivez pas à vous entendre sur l'utilisation des avoirs russes gelés, les 140 milliards, pourquoi vous ne les débloquez pas pour l'instant ?

GUNTHER KRICHBAUM
Non, on veut utiliser ça. Et sûrement, l'Ukraine doit maintenant avoir la position aussi d'acheter tous les besoins militaires. Parce que 140 milliards, c'est déjà une somme. On peut faire, avec ça, quelque chose. C'est-à-dire, c'est maintenant la décision du Conseil européen, dans la semaine de décembre, je crois, Benjamin. C'est-à-dire, là, il est nécessaire d'augmenter la pression de tous les côtés, parce qu'à la fin, il est nécessaire de permettre que l'Ukraine puisse s'asseoir avec la Russie à une table, mais dans une position de la force. Autrement, on ne va pas trouver une paix qui est juste. Et à la fin, l'Ukraine n'a pas seulement besoin de la paix. Ils ont besoin de la sécurité. Et ça, je pense seulement souligner ce que Benjamin a dit.

ALEXANDRE BENSAÏD
Vous êtes là-dessus. Paris et Berlin sont donc en phase sur l'utilisation de ces avoirs russes ?

GUNTHER KRICHBAUM
Oui.

ALEXANDRE BENSAÏD
Il y a deux jours, à ce micro, on a un ancien patron de STELLANTIS, grand constructeur automobile, Carlos TAVARES, il disait que son pays, le Portugal, là où il habite aujourd'hui, serait mieux tout seul. Est-ce qu'on en est déjà là aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a des pays qui sont en train de réfléchir peut-être au fait qu'ils seraient mieux ailleurs que dans les 27 ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu'il y a un risque de désintégration, Benjamin HADDAD, que vous voyez en train d'augmenter ?

BENJAMIN HADDAD
Est-ce que vous avez l'impression que l'exemple qu'on connaît, celui du Brexit, il est particulièrement probant, que sur le plan économique, sur le plan du contrôle de l'immigration, sur le plan diplomatique, aujourd'hui, le Royaume-Uni est plus fort, seul qu'il ne l'était au sein de l'Union Européenne ? Je ne crois pas.

SIMON LE BARON
La question, ce n'est pas de savoir si ça marche ou ça ne marche pas, c'est de savoir s'il y a des pays européens qui sont tentés. Les populistes montent partout.

BENJAMIN HADDAD
Déjà, je vous dis qu'aujourd'hui, ceux qui veulent nous faire croire qu'on peut y arriver seuls se trompent. Et d'ailleurs, les pays qui obtiennent des résultats, je pense par exemple aux résultats qu'on a obtenus sur l'immigration en Italie, le font par la coopération européenne, le font par le renforcement des agences européennes de contrôle, comme Frontex, par les partenariats entre l'Union Européenne et les pays de transit ou de départ. Après, nous avons une responsabilité, sur tous ces sujets, aujourd'hui, de trouver des solutions et trouver des résultats, parce que sinon, nos citoyens iront naturellement vers des mouvements populistes. Si l'Union Européenne ne met pas en oeuvre rapidement les mesures qu'elle a adoptées pour contrôler ces frontières extérieures, par exemple face à l'immigration illégale, les populistes monteront. Si on ne met pas en oeuvre l'agenda de compétitivité pour réduire nos normes, simplifier nos textes, soutenir nos innovateurs, pour nous protéger aussi face à la concurrence déloyale, où on voit aujourd'hui la pression protectionniste des Américains, on voit aujourd'hui des surcapacités chinoises qui sont subventionnées, si on n'est pas capable de protéger nos industries, d'accompagner nos entreprises, alors effectivement, on nourrira un sentiment anti-européen. Donc, on a une responsabilité d'obtenir des résultats sur tous ces sujets : la réindustrialisation, l'immigration. Mais penser qu'on y arrivera seuls sur des sujets aussi complexes plutôt qu'ensemble, à 27, c'est une illusion.

SIMON LE BARON
La droite avec laquelle vous avez gouverné ici, en France, Benjamin HADDAD, celle à laquelle vous appartenez, en Allemagne, Gunther KRICHBAUM, le camp conservateur, des deux côtés prônent, en tout cas pour une partie, pour des alliances ou, en tout cas, un rapprochement de plus en plus concret avec l'extrême droite, qui monte en France comme en Allemagne. Est-ce que le cordon sanitaire, vous dites, chez vous, en Allemagne, le Brandmauer, le pare-feu, Gunther KRICHBAUM, est-ce qu'il est en train de tomber ?

GUNTHER KRICHBAUM
Non, pas du tout. Et il n'y a pas un rapprochement vers l'extrême droite. C'est très, très, clair. Ce n'est pas seulement la position de notre Gouvernement, c'est aussi la position du parti. Et j'aimerai comparer la situation avec l'Autriche. Là, la FPE, c'est aussi un parti qui est populiste, à mon avis, et quelque fois aussi extrême droite. Mais là, on a fait les coalitions. Et avec les coalitions, c'était assez normale que ce parti peut participer dans un Gouvernement et tout ça. Non, en Allemagne, ce n'est pas normal. Et c'est beaucoup à faire aussi avec l'histoire de l'Allemagne. Mais je pense aussi, l'AFD, c'est le nom de ce parti en Allemagne, est extrême droite. Et on ne peut pas comparer l'AFD. Quand elle a été fondée, c'était assez critique envers l'euro. Aujourd'hui, l'AFD est un parti extrême droite.

ALEXANDRE BENSAÏD
Gunther KRICHBAUM, je voudrais une dernière question, parce que cet entretien touche à sa fin.

SIMON LE BARON
Un dernier mot.

ALEXANDRE BENSAÏD
Vous nous regardez évidemment de très près, vous, l'Allemagne. La vie politique française, l'instabilité française, la difficulté de la France à obtenir un budget, est-ce que ça fragilise le couple ? Est-ce que ça vous inquiète ?

GUNTHER KRICHBAUM
Non, pas du tout, parce que la France reste un pays très stable. Quelquefois, j'ai lu aussi dans les journaux différents, on a comparé ça avec la crise de l'euro. On ne peut pas comparer ça. La France est un pays stable. Bien sûr, il y a maintenant des discussions concernant le budget et de réduire le déficit, mais c'est la même chose en Allemagne, par ailleurs. Nous avons des défis, nous savons ça, très, très, clair. Et comme ça, je suis très, très, optimiste qu'aussi, ce gouvernement puisse trouver maintenant le bon chemin.

SIMON LE BARON
Plus optimiste que beaucoup de Français. En tout cas, Gunther KRICHBAUM, merci. Merci à vous.

GUNTHER KRICHBAUM
Oui, c'est vrai, peut-être. C'est aussi nécessaire quelque fois.

ALEXANDRE BENSAÏD
Merci à vous.

SIMON LE BARON
Ministre adjoint chargé des affaires européennes en Allemagne. Benjamin HADDAD, ministre délégué chargé de l'Europe en France. Merci beaucoup à tous les deux.

GUNTHER KRICHBAUM
Merci à vous. Et merci pour votre patience aussi, concernant mon français.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 novembre 2025