Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur l'intégrité de l'information, à Paris le 29 octobre 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Evènement sur l'intégrité de l'information dans le cadre du Forum de Paris sur la paix

Texte intégral

Merci beaucoup et je veux remercier Madame la Présidente, Monsieur le Président, Monsieur les Premiers ministres, pour leurs mots, pas simplement leur présence, mais leur engagement, remercier les ministres, ambassadrices, ambassadeurs, Madame la Commissaire, les coprésidents de l'IFPIM, le président du Forum pour l'information et la démocratie, Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités.

D'abord, je veux vraiment remercier le Fonds international pour les médias d'intérêt public et le Forum pour l'information et la démocratie, grâce à leurs travaux aux coalitions innovantes qui nous permettent de refonder cette approche commune qui a été évoquée. Et en vérité, je voudrais juste en deux mots revenir à la source, parce que tout ça naît en 2018 d'une initiative et d'un processus politique qui a été initié au Forum de Paris sur la paix. Et c'est l'initiative de Reporters sans frontières qui avait lancé un appel à la communauté internationale pour réaffirmer les principes fondamentaux d'un espace global de l'information et de la communication. Et 12 États avaient signé alors une déclaration d'engagement. C'était en 2018. Et en le disant, je pense beaucoup à Christophe Deloire, à qui tout ça doit beaucoup et qui a été un artisan très courageux pendant toutes ces années de ces initiatives. Trois ans plus tard, en 2021, c'est à nouveau au Forum de Paris sur la paix que nous avons vu naître le Fonds international pour les médias d'intérêt public, qui est le bras armé de cette coalition. Et je salue les coprésidents, Maria pour son investissement, Marc et toute l'équipe, qui ont fait un travail remarquable pour que tout cela avance, et au fond, qu'on bâtisse des choses extrêmement solides. C'est des coalitions d'acteurs étatiques, mais aussi d'ONG, de journalistes, d'institutionnels, d'académiques, qui permettent de donner une substance à ce pacte international sur l'information et la démocratie, qui ont mis en place la défense de médias indépendants, un processus de labellisation totalement unique. Et en 2018, c'était un grand mot, parce que quand des dirigeants vous parlent de vérité, ayez peur parce qu'à la première seconde, on va vous dire : Quelle vérité ? La tienne ? Et donc c'est par une maïeutique qui est justement celle qui consiste à avoir des professionnels indépendants qui vont chercher la vérité, se confronter à d'autres dans un cadre qui garantit leur indépendance et la transparence de ces débats que la vérité émerge. Mais elle ne peut pas venir de gouvernants.

Et c'était toute la difficulté de cette initiative de se dire : nous, on veut soutenir quelque chose, mais qui ne soit pas fait par nous, qui ne peut pas être fait par nous. Et c'est la force de cette coalition, et c'est exactement l'ADN du Forum de Paris sur la Paix, qui est une approche d'acteurs multiples. Et donc ces mécanismes de coordination qui sont mis en place sont très précieux, permettent de promouvoir des médias d'intérêt public, des plateformes d'intérêt public, de la mobilisation que j'évoquais, et je veux ici vous dire que la France renouvelle son soutien à l'IFPIM avec une nouvelle contribution de 10 millions d'euros.

Mais au-delà de ça, tout ce qui a été dit par mes collègues et ce que je dis là, au fond, c'est qu'on vit une crise multiple. D'abord, il y a encore un énorme travail pour avoir des médias d'intérêt public et des médias indépendants dans beaucoup de pays. C'est un combat pour que la démocratie puisse exister. Ensuite, on a un deuxième problème, c'est que dans les médias où ça a existé, on est confrontés, et Edi Rama le disait très bien, à un processus que je qualifierais un processus de dégénérescence. Je vais y revenir. Et en plus de ça, on est confrontés maintenant à un processus d'ingérence qui vient de pays tiers. Et c'est cette bataille, cette triple bataille qu'il faut mener et que, précisément, cette coalition d'acteurs permet d'avoir. D'abord, on a besoin de continuer dans tous les pays où il n'y a pas une infrastructure informationnelle libre et indépendante à la bâtir. Ça, c'est notre première mission et c'est un des rôles de l'IFPIM, notre coalition, donc d'aider et d'accompagner.

C'est très complémentaire du travail que fait Achille, qui est aussi indépendant, avec une fondation qui pense, qui aide les oppositions, etc., et qu'on détache des États, et donc de toute ingérence qu'on pourrait avoir. Parce qu'on le sait bien, on ne peut pas forger une opinion libre et donc voter librement, si on ne sait pas forger une relation aux faits, à l'offre politique qui est là et qui soit non manipulée.

Donc, les médias jouent ce rôle, les médias libres et indépendants jouent ce rôle essentiel. La difficulté, c'est que dans des pays comme les nôtres, on avait l'impression que c'était maintenant une conquête de nos républiques successives, que c'était formidable, qu'on l'avait acquis, nos concitoyens étaient très bien informés, c'était libre, les médias étaient indépendants, on l'avait garanti par des lois, l'apprentissage, la sédimentation de tant de décennies. Patatra, ce n'est plus le cas ! Et ce n'est plus le cas, pas de la faute des médias, ni d'abord celle des gouvernements, on a tous été collectivement trop naïfs. C'est qu'on a laissé nos infrastructures informationnelles et donc politiques se déplacer. Quand on a des enfants qui sont exposés 4h40 par jour aux réseaux sociaux, quand on a les moins de 40 ans qui s'informent très majoritairement sur les réseaux sociaux et de plus en plus, quand on a ce temps d'exposition qui s'est accru pendant la période covid et après, quand on a depuis deux ans maintenant l'IA générative qui arrive dans nos démocraties. On ne peut pas faire comme si tout ça n'avait pas totalement changé, parce que les gens qui nous informent, par lesquels on s'informe, ne sont pas des médias libres et indépendants. Et la confusion est là. Et ce n'est pas parce qu'on va chercher l'information par ces réseaux, qu'ils soient TikTok, X, Instagram ou autres, qu'il n'y a pas un énorme problème à la clé, c'est que ces gens n'ont pas sélectionné l'information comme des médias. Ils ne l'ont pas vérifiée comme des journalistes. Mais surtout, ils n'ont aucune responsabilité quant à cette information qu'ils me donnent et ils ne sont pas faits pour partager de l'information. Et notre bêtise est là. C'est-à-dire que ce sont des plateformes qui sont faites pour vendre de la publicité individualisée.

C'est comme ça qu'ils gagnent de l'argent. Ils ne gagnent pas en vendant un numéro de journal ou un abonnement. Ils vendent de la publicité individualisée. Ce n'est pas un crime. Juste, c'est l'inverse de l'information. Et pour bien vendre la publicité individualisée, ils doivent accumuler des données sur les gens, et les vendre avec un consentement approximatif à des tiers qui vont payer très cher, cette publicité, des annonceurs, mais surtout, ils sont mus par un processus qui est de créer l'excitation maximale, qui créera le maximum de trafic pour maximiser leur page de pub. Et donc, tout l'ordre de mérite qui fondait nos démocraties, un rapport à l'argumentation, la vérité, est complètement mis en l'air, puisque l'argumentation est moins forte que l'émotion, et l'émotion négative est plus forte que l'émotion positive, puisque c'est elle qui crée le plus d'excitation.

Donc ils maximisent l'efficacité économique du modèle tel qu'il est conçu. C'est exactement ça. Et ça, c'est un processus de dégénérescence démocratique. On a fait n'importe quoi, parce qu'on a totalement tort d'aller s'informer là-dessus. Et c'est ce qui fait qu'aujourd'hui, on a des scientifiques indépendants qui montrent qu'un jeune Français qui crée un compte TikTok sans aucune caractérisation, qui tape le mot " Islam ", au bout du troisième contenu qui lui sera soumis, sera exposé à un contenu salafiste. C'est ce qui fait que je vous défie, ouvrez aujourd'hui X en France avec un contenu libre, si vous ne tombez pas immédiatement sur des contenus d'extrême droite, c'est que vous êtes mal organisés, et des contenus d'extrême droite français ou du monde entier.

Et de toute façon, ces plateformes ont décidé de rompre la neutralité informationnelle puisque le possesseur de celle-ci s'est engagé dans le combat démocratique et l'international réactionnaire. Donc ce ne sont plus des lieux où on peut s'informer. Et donc on a besoin de rebâtir des anticorps démocratiques exactement comme on l'a fait pour ce qui est de la France au XIXe siècle face à la presse. Parce qu'à l'époque, on avait une presse qui s'achetait très bien, mais il n'y avait pas de déontologie, il n'y avait pas de responsabilité des éditeurs de presse, il n'y avait pas de profession qui s'était organisée. Et donc, on doit reprendre le contrôle de notre vie démocratique et informationnelle en régulant, et ça a été très bien dit, il ne peut pas y avoir de l'anonymat pour tout le monde et pas de responsabilité. Il doit y avoir une responsabilité. On l'a mis dans la directive des services, la DSA. Il y a des contentieux qui existent face à Google, ça fait deux ans. On est terriblement lent, donc on est inefficace et pas crédible. Derrière, on veut la liberté, mais on ne veut pas la liberté pour des gens qui n'existent pas. C'était très bien dit.

Les bots, les faux comptes devraient être interdits. Et si une plateforme ne nous garantit pas qu'elle supprime ces faux comptes, elle doit être interdite elle-même. Et on doit absolument avoir la transparence sur les algorithmes pour voir s'il y a des biais, ils doivent être partagés. Et ce qu'on a fait d'ailleurs avec la fondation Current AI, qui est une fondation d'intérêt public qui complète totalement vos travaux, c'est de pouvoir avoir des tiers de confiance qui challenge tout ça.

Aujourd'hui, dans nos démocraties, on n'a pas besoin d'aller chercher d'ingérence, par ce processus de dégénérescence, notre système d'information ne fonctionne plus. Et il crée mécaniquement un rapport à la vérité qui s'est complètement diverti parce qu'on a du complotisme qui s'installe, parce qu'il crée de l'émotion négative et il prend le dessus. Et donc, c'est un rapport à la science, à la vérité scientifique. Et qu'il s'agisse de la santé ou du climat, comme tu as très bien dit, on a des taux de confiance qui sont en train de s'effondrer. Et donc, on a une inefficacité de l'action publique qui est en train de s'effondrer.

Aujourd'hui, en France, les politiques vaccinales que nous avons à l'égard des jeunes collégiens, nous inspirant d'ailleurs du modèle australien pour le papillomavirus, le taux d'adhésion en deux ans a reculé parce que les contenus complotistes sont diffusés partout sur ces plateformes. Grande chance que nous n'ayons pas eu ce niveau de désinformation au moment du covid, mais ça reviendra. Et donc le rapport à la science, le rapport au climat, pareil, est en train de s'effondrer sur la base de fake news et donc la possibilité même d'agir politiquement est dramatique.

C'est pourquoi, dans nos démocraties, on a un besoin vital de remettre de la régulation et donc de réguler, d'avoir de la transparence, d'interdire ces faux comptes, etc., d'avoir la transparence de l'algorithme, ou d'interdire les plateformes qui ne nous la fournissent pas, et d'être beaucoup plus efficaces et beaucoup plus vigoureux. Mais à côté de cette régulation, d'avoir de l'innovation, et donc de permettre à des acteurs d'intérêt public, comme l'IFPIM, comme notre coalition a des fondations libres, d'offrir des infrastructures libres, garanties comme étant libres, et de garantir aussi qu'on a un modèle économique qui est viable, qu'on a des infrastructures qui garantissent cela, et un processus de labellisation indépendant qui n'est pas dans la main des gouvernements, mais qui est un processus entre pairs avec des gens indépendants qui garantit l'intégrité des informations, mais je dirais aussi l'intégrité de l'infrastructure qui fournit cette information.

Enfin, le dernier point, c'est sur l'ingérence. Je le disais, ça a été très bien rappelé par Madame la Présidente Maia Sandu, ça aurait pu être rappelé par le Président de Roumanie, deux pays qui ont eu des processus électoraux récents. Quand on a un système qui a tellement dégénéré et qui n'a pas construit ses propres anticorps ou sa propre régulation, il peut être perforé très facilement par tous les régimes autoritaires de la Terre. Et c'est aujourd'hui ce qui est en train de se passer. Parce qu'en fait, aujourd'hui, c'est très simple, et on a une complicité de deux choses qu'on pensait impossibles. Le meilleur du capitalisme débridé avec l'héritier illégitime du communisme. Aujourd'hui, les plus gros acheteurs de faux comptes de X et compagnie, ce sont les Russes, pour venir déstabiliser les démocraties européennes. Formidable cocktail ! Et nous, on est au milieu de tout ça. Alors, on a créé des instruments, on fait retirer les contenus à la main, à la pince à épiler, et on court après. Mais la mécanique est passée en surmultiplié. On est dans l'ingérence sous stéroïde.

Ce qui a été fait en Roumanie à cet égard est terrifiant, avec une stratégie d'aller chercher des verticaux, de créer des faux comptes, de créer des faux contenus, de créer des faux médias sur la médecine parallèle, ou la religion. De créer, du coup, après, des candidats qu'ils ont pluggés là-dessus et qui ont créé ce cercle vicieux entre de l'IA, des réseaux sociaux et des systèmes d'information complètement fabriqués. Et ça crée de la viralité et donc de l'adhésion. Et donc, pour résister à cette ingérence, on a mis en place des systèmes, VIGINUM. On essaie d'aider, mais on doit absolument mettre en place des systèmes qui, dans la vie de nos démocraties, mais surtout au moment des élections, garantissent l'intégrité de nos processus électoraux. Et ça, c'est pourquoi l'IFPIM et la Fondation jouent un rôle très important, parce que c'est exactement le rôle des journalistes. Et c'est à eux qu'on doit redonner le cœur de cette vie démocratique. Mais ça veut dire qu'il faut le sortir de plateformes qui acceptent de se faire payer par des tiers quand elles sont, y compris des puissances étrangères qui veulent mettre en l'air l'intégrité de nos processus démocratiques et qui viennent s'ingérer.

Voilà, je ne veux pas être plus long, mais je veux ici vous dire que nous, on va porter un agenda beaucoup plus puissant de protection et de régulation en Europe. Ce n'est pas un agenda qui est hostile à l'innovation. Je crois très profondément dans l'innovation, mais je ne crois pas une seule seconde dans l'innovation qui est au service des lumières noires. Et c'est exactement le projet qui est à l'œuvre aujourd'hui. Et ce rapprochement idéologico-technologique, on aurait tort de ne pas le voir. On est à un moment où il y a des acteurs technologiques qui ne sont plus dans une situation de neutralité politique. C'est leur droit, ce sont des chefs d'entreprise. Mais nous, on n'a pas le droit d'utiliser leurs entreprises et leurs réseaux pour céder à rien le cerveau de nos enfants, les émotions de nos adolescents et l'avenir de nos démocraties. Et donc, c'est le cœur de cette bataille. C'est un agenda, vous l'avez compris, de régulation qu'on va porter, de plus grande efficacité de cette régulation, mais c'est aussi un agenda d'innovation de la société civile et de son accompagnement. Et c'est en ça que, justement, votre conférence sur l'intégrité informationnelle et les médias indépendants est essentielle, parce que ce sont les tiers de confiance de nos démocraties qui garantissent ces processus.

Merci beaucoup.