Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à RTL le 5 novembre 2025, sur la libération conditionnelle des deux Français emprisonnés en Iran, le programme nucléaire iranien, le vote par les députés à l'initiative du RN d'une résolution proposant de dénoncer les accords de 68 avec l'Algérie et la lutte contre le narcotrafic initiée par le président américain.

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Texte intégral

THOMAS SOTTO
Alors que Cécile KOHLER et Jacques PARIS sont sortis des geôles iraniennes hier, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël BARROT, est l'invité de RTL Matin. Bonjour et bienvenue sur RTL Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous avez pu parler, échanger directement avec Cécile KOHLER et Jacques PARIS depuis hier soir ?

JEAN-NOËL BARROT
D'abord j'ai échangé avec leur famille pour les avertir que Cécile et Jacques étaient en sécurité à la résidence de France hier à peu près à 19h, à l'heure de Paris, et j'échangerai avec eux aujourd'hui après qu'ils ont pu passer une soirée au contact de leurs proches par téléphone et entourés par l'équipe de l'ambassade avec lesquelles ils ont partagé un repas.

THOMAS SOTTO
Comment qualifiez-vous leur état de santé d'après les informations qui vous remontent ?

JEAN-NOËL BARROT
L'ambassadeur m'a témoigné du fait qu'ils vont bien, qu'ils sont évidemment soulagés, qu'ils ont hâte de pouvoir, le moment venu, retrouver leurs proches.

THOMAS SOTTO
Physiquement ils vont bien ?

JEAN-NOËL BARROT
Ils semblent physiquement et moralement dans des conditions satisfaisantes mais j'ai néanmoins dépêché sur place une équipe de renfort dont un médecin du centre de crise du ministère des Affaires étrangères pour qu'ils puissent les accompagner dans ce moment de redressement après une épreuve inhumaine.

THOMAS SOTTO
Donc médecin qui sera sur place ?

JEAN-NOËL BARROT
Dans la journée.

THOMAS SOTTO
Dans la journée. On a beaucoup dit que leurs conditions dans cette prison d'Evin, conditions de détention, avaient été très difficiles pendant ces 1277 jours de cauchemars. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ? Est-ce qu'ils ont été torturés ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce que nous savons c'est que ces conditions étaient effectivement indignes et humaines, extrêmement éprouvantes pour tous les deux. Avec des contacts très rares avec leurs proches ou même avec les équipes de l'ambassade à Téhéran et avec des conditions de vie pour dormir, pour manger, très spartiates.

THOMAS SOTTO
C'est-à-dire ?

JEAN-NOËL BARROT
Je les laisserai témoigner le moment venu de la manière dont ils ont vécu ce moment si éprouvant de leur vie.

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'ils ont été torturés ? Est-ce que vous emploierez le mot torture ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce qui est certain c'est qu'aujourd'hui, ils sont en sécurité sous la protection de l'ambassade. C'est une nouvelle extrêmement positive au regard de tout ce qu'ils ont vécu. Mais ce n'est qu'une étape et nous allons continuer à nous mobiliser sans relâche pour obtenir leur libération définitive et leur retour en France.

THOMAS SOTTO
C'est intéressant ce que vous dites, ce n'est qu'une étape. Ils sont sortis de prison mais ils ne sont donc pas libres ce matin. On est d'accord ?

JEAN-NOËL BARROT
Ils sont en sécurité, ils sont entourés mais maintenant il faut qu'ils puissent être libérés définitivement, revenir en France et c'est ce à quoi nous avons nos employés en poursuivant ce travail lent, ou en tout cas ce travail discret plutôt, ce travail à l'ombre.

THOMAS SOTTO
Mais est-ce qu'ils sont en libération conditionnelle comme l'a dit l'Iran hier soir ? Ils sont en libération conditionnelle ?

JEAN-NOËL BARROT
Ils sont en sécurité à l'ambassade.

THOMAS SOTTO
Non, ça c'est autre chose.

JEAN-NOËL BARROT
Et nous demandons leur libération immédiate et inconditionnelle. Et ce travail que nous avons mené qui a permis d'aboutir à cette première étape très positive va se poursuivre.

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'ils ont le droit de faire ce qu'ils veulent ? Est-ce qu'ils ont le droit de sortir de l'ambassade aujourd'hui ?

JEAN-NOËL BARROT
Ils ont quitté la prison, ils sont aujourd'hui entourés par les agents du ministère des Affaires étrangères. Ils ont la possibilité d'être au contact téléphonique de leurs proches, c'est donc un changement majeur qui va leur permettre progressivement de se relever après une épreuve si difficile. Mais nous allons aller jusqu'au bout et nous allons obtenir leur libération immédiate.

THOMAS SOTTO
Ça veut dire qu'ils ne sont pas aujourd'hui, au moment où nous nous parlons ce matin, libres de leur mouvement ? Ils ne font pas ce qu'ils veulent ?

JEAN-NOËL BARROT
Ils ne sont pas encore en capacité de rentrer au pays, rentrer en France, auprès de leurs proches, mais nous allons poursuivre le travail que nous avons engagé. Il faut laisser travailler la diplomatie française pour aboutir à ce résultat.

THOMAS SOTTO
Ce retour en France, vous pensez, est-ce que vous savez si c'est une question d'heure, une question de jour ou est-ce que vous ne le savez pas ce matin ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, c'est la troisième fois cette année que nous parvenons à libérer certains de nos ressortissants détenus en Iran. C'est Olivier GRONDEAU au mois de mars, c'est Lennart MONTERLOS au mois d'octobre et c'est enfin Jacques et Cécile, hier, après plus de trois ans, trois ans et demi de détention. Et donc nous n'avons pas de certitude sur le moment où ça interviendra, mais nous n'allons ménager aucun effort pour obtenir leur retour en France dans les meilleurs délais.

THOMAS SOTTO
Ça pourrait prendre des semaines, peut-être des mois, vous ne le savez pas ce matin ?

JEAN-NOËL BARROT
On ne travaille pas avec un délai en tête. In travaille avec, je dirais, la détermination d'obtenir la libération complète, totale, de nos compatriotes, nos ressortissants lorsqu'ils sont détenus à l'étranger.

THOMAS SOTTO
Ce qui veut dire, monsieur le ministre des Affaires étrangères, que l'histoire n'est pas terminée ce matin ?

JEAN-NOËL BARROT
Elle n'est pas terminée et nous continuons notre mobilisation. Je l'ai d'ailleurs dit hier à mon collègue ministre des Affaires étrangères iranien, en saluant le geste des autorités iraniennes, mais en les appelant à une libération immédiate et inconditionnelle.

THOMAS SOTTO
Et qu'est-ce qu'il vous a dit ?

JEAN-NOËL BARROT
Si vous m'autorisez, je vais laisser un voile de discrétion autour de ce travail qui a permis à nos équipes d'obtenir cette libération immédiate.

THOMAS SOTTO
Est-ce que ce matin, l'Iran a abandonné ses accusations, les charges qui pèsent contre Cécile KOHLER et Jacques PARIS ?

JEAN-NOËL BARROT
Jacques et Cécile sont aujourd'hui sous la protection dans la salle de France.

THOMAS SOTTO
Ah ça d'accord, j'ai compris. Mais est-ce qu'ils sont toujours accusés d'espionnage ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous allons obtenir leur libération définitive. Pour le reste, il faut nous faire confiance, si je puis dire, pour obtenir ces résultats. Nous n'allons pas relâcher nos efforts.

THOMAS SOTTO
Ce n'est pas un manque de confiance en vous, c'est un manque de confiance dans les autorités iraniennes. Est-ce qu'ils peuvent retourner en prison demain si le régime iranien le décidait ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous allons obtenir leur libération définitive.

THOMAS SOTTO
D'accord. On imagine que les Iraniens n'ont pas décidé par gentillesse de les libérer. Est-ce que le retour en France de Cécile et de Jacques est lié au retour en Iran de Mahdieh ESFANDIARI, qui est une Iranienne qui a été arrêtée en février et poursuivie chez nous pour apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce que je peux vous dire, c'est que s'agissant du président de la République, de moi-même, ce sont de très nombreux contacts, de très nombreux appels qui ont été passés ces derniers mois pour aboutir à ce résultat. Mais vous comprendrez bien que pour garantir le succès de ce type de manoeuvre diplomatique, nous nous tenons à une forme de discrétion. Et donc nous ne révélons pas le détail de cette discussion que nous avons avec les autorités à tous les niveaux, du président de la République jusqu'à l'ambassadeur à Téhéran, que je veux féliciter pour sa mobilisation et son déploiement.

THOMAS SOTTO
Non seulement on le félicite, mais il sera l'invité tout à l'heure de Marc-Olivier FOGIEL en direct à 8h15 et il nous dira comment vont les deux otages, puisque lui, il est à leur côté ce matin. Mais quand même, je reviens sur cette Iranienne. Elle a été libérée il y a quelques jours et placée sous contrôle judiciaire. Elle doit être jugée en janvier à Paris. Est-ce que ce procès aura lieu ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est à l'autorité judiciaire qu'il faut poser la question.

THOMAS SOTTO
Il n'y a pas de lien ? Ce matin, les yeux dans les yeux, vous pouvez nous dire qu'il n'y a pas de lien entre les deux otages français et cette femme iranienne ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce que je peux vous dire, c'est qu'il faut laisser les diplomates faire leur travail. Vous verrez, ça fonctionne.

THOMAS SOTTO
Bon, ça fonctionne. Cette remise en liberté peut-elle entraîner un assouplissement de la position de la France sur le dossier du nucléaire iranien ? On avait un peu durci les choses. Est-ce que ça fait partie du deal, ça ?

JEAN-NOËL BARROT
On a même plus que durci les choses, puisqu'il y a un mois, on a réappliqué l'ensemble des sanctions des embargos mondiaux des Nations unies qui avaient été levées il y a 10 ans et qui ciblent l'Iran et en particulier pour les armes, pour les équipements nucléaires et pour les banques et les assurances. Donc on a pris des décisions…

THOMAS SOTTO
Est-ce que la France va rétropédaler compte tenu de la libération des deux otages français ?

JEAN-NOËL BARROT
On ne peut pas rétropédaler sur la ré-application de ces sanctions. Il faudrait un accord, une unanimité des pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies pour obtenir la levée de ces sanctions. Ceci étant dit, nous avons toujours dit que nous nous tenions prêts à des négociations nous emmenant, pouvant conduire à un encadrement strict du programme nucléaire iranien qui représente pour la région mais aussi pour nous-mêmes une menace.

THOMAS SOTTO
On entend ça, Jean-Noël BARROT. Mais ça veut dire que les deux dossiers, vous dites ce matin, sont strictement distincts ?

JEAN-NOËL BARROT
Oui.

THOMAS SOTTO
L'un n'a rien à voir avec l'autre ?

JEAN-NOËL BARROT
Absolument.

THOMAS SOTTO
Absolument. Il reste d'autres otages français à commencer par Boualem SANSAL, ça fait un an maintenant qu'il est détenu en Algérie. Il y a aussi le journaliste Christophe GLEIZES qui y est depuis plusieurs mois. Est-ce que vous savez comment ils vont ?

JEAN-NOËL BARROT
D'abord, nous sommes très vivement préoccupés par leur situation. J'entendais tout à l'heure Étienne GERNELLE parler de leur combat pour la liberté qui est aussi le nôtre, et c'est vrai. S'agissant de leur état physique et moral, ils ont pu recevoir la visite de leurs proches, Boualem SANSAL cette semaine, Christophe GLEIZES il y a quelques semaines, qui ont pu les soutenir, leur apporter du réconfort.

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'il y a des discussions qui avancent sur leur libération ?

JEAN-NOËL BARROT
Ils vont plutôt bien, mais là encore, nous poursuivons le travail pour obtenir leur libération inconditionnelle et immédiate.

THOMAS SOTTO
Mais ça avance ou pas ? Là, on a l'impression que ça patine. Pardon, mais on a l'impression... on sait que les relations avec l'Algérie…

JEAN-NOËL BARROT
On a toujours l'impression que ça patine. Vous ne m'avez pas invité depuis ces quelques mois où nous obtenions progressivement des garanties sur la libération de Jacques PARIS et Cécile KOHLER. Eh bien, le travail se poursuivait. Eh bien, c'est dans ce même esprit, même état d'esprit que nous travaillons.

THOMAS SOTTO
Est-ce que le fait que les députés aient voté à l'initiative de RN une résolution proposant de dénoncer les accords de 68 qui facilitent l'avenue en France des ressortissants algériens complique encore les choses ? Est-ce que c'est de nature à compliquer la libération ?

JEAN-NOËL BARROT
Ça ne change en rien la position de la France, celle du Gouvernement français que le Premier ministre a exprimé très clairement hier. Nous exigeons leur libération immédiate et inconditionnelle.

THOMAS SOTTO
Est-ce que le départ de Bruno RETAILLEAU de Gouvernement qui était sur une ligne de grande fermeté vis-à-vis de l'Algérie, et on sait que vous n'étiez pas toujours d'accord avec lui, a pu apaiser un peu nos relations avec l'Algérie ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, je crois que les intérêts de la France, les intérêts de l'Algérie ne changent pas en fonction de la composition des gouvernements.

THOMAS SOTTO
Non mais le ton peut changer.

JEAN-NOËL BARROT
Il faut donc, comme l'a dit le Premier ministre hier, que nous cessions de faire de l'Algérie un sujet de politique intérieure et que nous nous focalisions sur nos intérêts : la coopération en matière de sécurité, puisqu'au sud de l'Algérie se reconstitue un foyer du terrorisme islamiste, la coopération migratoire pour que nous puissions reconduire, expulser en Algérie les Algériens en situation irrégulière en France, la libération de nos compatriotes et puis la coopération économique pour certaines entreprises françaises qui trouvent en Algérie des débouchés pour leurs produits.

THOMAS SOTTO
En quelques mots, vous partez pour l'Amérique demain, Mexique, Colombie notamment, sur fond de lutte contre le narcotrafic. Donald TRUMP a choisi la méthode forte, y compris par les armes, avec la Colombie, le Venezuela. C'est la bonne méthode ? On pourrait participer à des opérations de ce genre, nous ou pas ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce qui est sûr, c'est que nous allons entrer de plein pied avec la diplomatie française dans la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, en traitant le mal à la racine, en coopérant avec les pays, les pays producteurs, les pays d'où viennent, d'où proviennent ces quantités astronomiques de stupéfiants qui viennent envahir nos villes et nos villas.

THOMAS SOTTO
Mais la méthode TRUMP est la bonne ?

JEAN-NOËL BARROT
La méthode TRUMP lui appartient. Nous sommes préoccupés parce qu'il s'est affranchi du droit international. Nous sommes préoccupés aussi parce que ce fléau est en train de prendre des proportions qui mettent en cause la sécurité du territoire national, mais aussi évidemment de nos outre-mer qui sont en première ligne.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 novembre 2025