Interview de M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur, à France Inter le 6 novembre 2025, sur le drame à Oléron où un individu en voiture a volontairement renversé cinq personnes, la lutte contre le terrorisme et l'attitude controversée des forces de l'ordre lors des manifestations de Sainte-Soline en mars 2023.

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Média : France Inter

Texte intégral

BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour Laurent NUNEZ.

LAURENT NUNEZ
Bonjour.

BENJAMIN DUHAMEL
Merci d'être avec nous, ce matin, sur France Inter. Au lendemain du drame à Oléron, où un individu en voiture a volontairement renversé cinq personnes, le suspect qui, au moment de son interpellation a crié Allahu Akbar, mais pour l'instant, le Parquet National Antiterroriste ne s'est pas saisi. On va en parler, mais d'abord, est-ce que vous pouvez nous donner ce matin des nouvelles des deux blessés graves ? Une jeune femme de 22 ans. Un cycliste de 69 ans. Il était encore hier soir en urgence absolue. Est-ce qu'ils sont hors de danger ce matin ?

LAURENT NUNEZ
Ils sont toujours, ils sont toujours dans l'urgence absolue. Des informations qui m'ont été communiquées ce matin, notamment évidemment par les enquêteurs. Le pronostic vital n'est plus engagé, mais ça reste des blessures extrêmement graves, notamment pour cette jeune femme qui a de multiples traumatismes. Et on a évidemment une pensée pour elle, pour les cinq victimes et en particulier pour les deux victimes les plus touchées ce matin, en espérant qu'elles connaissent un prompt rétablissement. Le pronostic vital n'est plus engagé. Mais j'insiste, des blessures très graves.

BENJAMIN DUHAMEL
Bien sûr, mais c'est une information importante que vous nous donnez ce matin. Il y a beaucoup de questions autour du profil de l'individu interpellé, connu pour des faits de droit commun, mais pas pour radicalisation. Et pourtant, le rendu d'utilisation d'une voiture comme arme par destination, comme le recommandait DAESH, au moins une bonbonne de gaz retrouvée dans sa voiture, il crie Allahu Akbar au moment de l'interpellation. Certes, le Parquet National Antiterroriste ne s'est pas encore saisi, mais quand on regarde tous ces éléments, qu'est-ce qui vous empêche de parler d'attentat islamiste quand on voit ce faisceau d'éléments ?

LAURENT NUNEZ
D'abord, c'est un périple meurtrier, très grave, donc, personne ne minimise ces faits, et moi le premier, comme ministre de l'Intérieur, c'est un périple meurtrier. Je salue évidemment le dévouement et la détermination des gendarmes qui ont mis un terme, une cinquantaine de gendarmes mobilisés immédiatement, cinquante sapeurs-pompiers pour venir en aide aux victimes. Ensuite, moi rien ne m'empêche, c'est la justice. On a toujours un acte terroriste, c'est le Parquet National Antiterroriste, qui se saisit ou pas, à partir d'un certain nombre d'éléments qui existent dans ce dossier. Personne ne nie qu'il a crié effectivement Allahu Akbar. Il y a des références religieuses chez lui, assez claires, assez explicites.

BENJAMIN DUHAMEL
Il y a une hypothèse probable que ce soit un attentat terroriste islamiste.

LAURENT NUNEZ
Je n'irai absolument pas jusque-là. C'est le Parquet National Antiterroriste qui va, au travers d'une expertise psychique, qui a d'ailleurs eu lieu, des perquisitions, d'une étude de la téléphonie, qui va déterminer si ces éléments étaient déclencheurs d'actions violentes.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais vous confirmez, c'est ce que disent un certain nombre de médias ce matin, qu'il y aurait une présomption d'autoradicalisation de cet individu qui aurait découvert la religion musulmane il y a un mois. Ça, c'est des éléments que vous nous confirmez ce matin ?

LAURENT NUNEZ
Oui, absolument. Tout ça, je vous le confirme. Maintenant, il reste après à savoir si c'est déterminant ou pas dans le passage à l'acte et quelle est la motivation de l'individu. Après, ça ne minimise en rien, contrairement à ce que je peux entendre ici ou là, la gravité de l'acte.

BENJAMIN DUHAMEL
Ce qu'on vous a accusé de dire hier : " C'est seulement un cri de ne pas dire ce qu'il avait dit Allahu Akbar ".

LAURENT NUNEZ
Oui, non, ça ne minimise en rien la gravité de l'acte. Et surtout, vous savez, il y a toute une logique intellectuelle qui dit : " Ils ne veulent pas nommer parce qu'ils ne font rien ". C'est complètement faux. Ça n'exclut contre l'islam radical. Evidemment, violent, mais il critique l'islam politique, plus simplement. Et on a un dispositif comme il n'y en avait jamais eu par le passé. Et on est vraiment dans l'action sur ces sujets.

BENJAMIN DUHAMEL
Juste avant de parler, Laurent NUNEZ, de ces manifestations de Sainte-Soline il y a deux ans, une question encore. Dans une semaine, on commémorera les dix ans des attentats du 13 novembre. Est-ce que la menace est particulièrement forte en ce jour symbolique ? Vous allez prendre des mesures pour augmenter la sécurité ?

LAURENT NUNEZ
Oui, bien sûr. Il y aura une vigilance renforcée partout sur le territoire national, particulièrement à Paris, où vont se dérouler les commémorations. On sait que les dates anniversaires sont toujours des moments où la menace est un peu plus élevée. Évidemment que frapper notre pays à ces moments-là aurait un caractère retentissant.

BENJAMIN DUHAMEL
Le ministre de l'Intérieur est inquiet de ce qui pourrait se produire ?

LAURENT NUNEZ
Un ministre de l'Intérieur, il n'est jamais inquiet. Moi, je suis déterminé, concentré sur mon job et évidemment qu'on aura un dispositif renforcé pour le 13 novembre, pour les dix ans des attentats du 13 novembre 2015.

BENJAMIN DUHAMEL
Laurent NUNEZ, je voudrais qu'on parle des révélations de nos confrères de Libération et Mediapart, des vidéos de manifestations de Sainte-Soline en mars 2023 qui mettent en cause les gendarmes. Voilà ce qu'on y entend, notamment des manifestants qualifiés de pue-la-pisse, un gendarme hilare, ouvrez les guillemets : " Je ne compte plus les mecs qu'on a éborgnés, faut qu'on les tue ", entendu également. Et des tirs tendus, assumés et annoncés de grenades lacrymogènes, des tirs tendus qui sont interdits. Comme premier flic de France, Laurent NUNEZ, elles vous font honte, ces images ?

LAURENT NUNEZ
D'abord, je veux rappeler le contexte, Benjamin DUHAMEL, je rappelle toujours moi le contexte. On était dans une manifestation interdite où il y a eu énormément de violence grave contre les forces de l'ordre.

BENJAMIN DUHAMEL
Et je crois que personne, Laurent NUNEZ, ni le ministre, le contexte et effectivement que certains manifestants aient eus envie d'en découdre avec les forces de l'ordre.

LAURENT NUNEZ
Personne ne minimise, mais parfois on oublie d'en parler…

BENJAMIN DUHAMEL
Personne n'oublie, il s'agit d'armes, et de ces mots et de ces vidéos, qu'elles vous ont fait honte, ces images ?

LAURENT NUNEZ
Ensuite, ce sont des vidéos sous-main de justice. Donc, c'est dans le cadre d'une enquête judiciaire, elles ont été, que ces vidéos se sont retrouvées dans la presse. Évidemment que les propos qui sont tenus ne sont pas acceptables. Il y a deux choses dans les vidéos, il y a les propos qui sont tenus, puis il y a des gestes qui manifestement ne sont pas réglementaires.

BENJAMIN DUHAMEL
Est-ce que ça vous fait honte, comme premier flic de France, vous êtes à la fois des gendarmes et des policiers, est-ce qu'en voyant ça, vous avez eu honte ?

LAURENT NUNEZ
Non, j'ai tout de suite pensé qu'il fallait demander au directeur général de la gendarmerie nationale, qui en convenait, de demander une enquête administrative. Évidemment que je ne suis pas du tout content des propos que j'ai pu entendre, des gestes qu'on voit…

BENJAMIN DUHAMEL
Pas du tout content, c'est, est-ce qu'il n'y a pas une forme d'euphémisation, je pense à ceux qui regardent ce matin, et qui entendent ceux qui assurent notre sécurité au quotidien, et l'idée n'est pas de mettre en cause généralement ni la police ni la gendarmerie. C'est des propos qui sont extrêmement choquants.

LAURENT NUNEZ
C'est des propos que je condamne, et pour lesquels j'ai demandé une enquête administrative, voilà. Donc je ne veux jamais, je ne laisserai jamais critiquer les forces de sécurité intérieure. Et vous savez que ce genre de faits qui sont graves, j'en conviens, pour lesquels il y aura une enquête administrative, donnent toujours lieu, permettent toujours à certains de critiquer d'une manière générale l'institution policière et la gendarmerie.

BENJAMIN DUHAMEL
Laurent NUNEZ, vous avez effectivement diligenté une enquête administrative. Ces vidéos, elles datent de mars, il y a plus de deux ans. Que ce serait-il passé si Mediapart et Libération n'avaient pas obtenu ces vidéos ?

LAURENT NUNEZ
Écoutez, moi je... Ces vidéos, elles ont été obtenu de manière... Enfin, illicite, ce n'est pas le mot, mais ce sont des pièces de procédure judiciaire. Elles sont portées à notre connaissance maintenant.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc, il faut attendre que des médias sortent des vidéos pour qu'il y ait cette enquête administrative ? Il y avait une saisine de l'IGGN, l'Inspection générale de la gendarmerie nationale. Ça a donné quoi ?

LAURENT NUNEZ
Attendez, ne confondez pas tout, ne confondez pas tout, il y a une procédure judiciaire qui a été ouverte parce qu'il y a un manifestant qui a été blessé, il y a une enquête qui est en cours et ces vidéos, elles sont portées à notre connaissance maintenant

BENJAMIN DUHAMEL
Et c'est normal qu'elles soient, juste pour préciser pour ceux qui nous écoutent, ce sont des caméras piétons, c'est-à-dire, c'est filmé par les gendarmes eux-mêmes. Est-il normal qu'il faille attendre deux ans et demi et la publication par des médias, pour que le ministre de l'Intérieur se saisisse de ces vidéos et diligentent l'enquête administrative ?

LAURENT NUNEZ
Le ministre de l'Intérieure, il s'en saisit quand il en a connaissance, après, je ne vais pas faire un cours de droit sur la réglementation…

BENJAMIN DUHAMEL
Donc, personne n'a vu ces vidéos, ces insultes, ces tirs tendus ?

LAURENT NUNEZ
Evidemment non, enfin, les caméras piétons des policiers, elles sont remisées au service, elles ne sont pas regardées, sauf quand il y a des enquêtes judiciaires, et c'était le cas au cas d'espèce, ou sauf quand il y a des actions de formation, ce sont les seules exceptions qui sont autorisées pour regarder ces caméras. Ce sont quand même des caméras qui captent l'image des gens, on est quand même dans un État de droit, et il y a des protections quant à l'utilisation de ces images.

BENJAMIN DUHAMEL
Laurent NUNEZ, à l'époque, votre prédécesseur Gérald DARMANIN avait répondu aux accusations sur le maintien de l'ordre à Sainte-Soline, il avait parlé d'usage de la force proportionnée, il était dans le déni ?

LAURENT NUNEZ
Il n'était pas dans le déni, il avait parfaitement raison, vous vous souvenez quand même ?

BENJAMIN DUHAMEL
Ah, c'était proportionnel l'usage de la force à Sainte-Soline ?

LAURENT NUNEZ
Je vous parle de ces actions-là, je parle de l'action de la gendarmerie qui a été menée face à des actions extrêmement violentes, y compris contre des véhicules, contre des personnes, contre nos militaires de la gendarmerie, la riposte avait été proportionnée. Il y a des actes qui sont révélés par ces vidéos qui ne le sont manifestement pas, et je n'irai pas sur votre terrain qui consiste à vouloir me faire généraliser ce qu'a été la riposte de ce jour-là.

BENJAMIN DUHAMEL
Non, Laurent NUNEZ, pardonnez-moi, ici, personne ne minimise ce que faisait les manifestants, qui pour certains, arrivaient avec des boules de pétanques, voulaient s'en prendre directement aux gendarmes. Simplement, est-ce qu'il ne s'agit que de brebis galeuse ? Quand on voit ces vidéos, on voit qu'à plusieurs reprises, il y a cette façon d'assumer, notamment ce qu'on appelle des tirs tendus de grenades, c'est-à-dire le fait de frapper directement. Est-ce qu'il n'y a pas un sujet sur les donneurs d'ordre ? Ce n'est pas seulement quelques exceptions qui ont décidé de s'en prendre aux manifestants ?

LAURENT NUNEZ
Un, l'enquête le dira, deux, je vous redis ce qu'avait dit Gérald DARMANIN, il y avait eu un niveau de violence qui avait atteint un niveau inégalé ce jour-là, il y a eu une riposte qui a été très majoritairement proportionnée.

BENJAMIN DUHAMEL
Très majoritairement proportionnée, même après avoir vu ces vidéos ?

LAURENT NUNEZ
Mais bien sûr, nous avons conscience au travers de ces vidéos de propos et de gestes qui posent problème, il y a une enquête administrative, nous verrons. Mais attention, ce jour-là, les manifestants étaient extrêmement violents, il y a eu une réponse qui a été donnée qui est la majorité des cas proportionnée, il y a ces vidéos qui viennent de sortir.

BENJAMIN DUHAMEL
Ce sont des violences policières, Laurent NUNEZ, ou pas ?

LAURENT NUNEZ
Si elles sont avérées, en tout cas, ce sont des gestes qui ne sont pas réglementaires, et donc il y a une enquête administrative et il y aura des sanctions qui seront prises.

BENJAMIN DUHAMEL
Est-ce que ce sont des violences policières ce que vous avez vu sur ces vidéos ?

LAURENT NUNEZ
Ce sont des gestes de violence qui ne pourraient pas être proportionnés, l'enquête le dira, il y a des tirs tendus, ça n'est pas permis, mais je ne reprendrai jamais à mon compte le terme de violences policières parce que vous savez que dans d'autres lieux, il est utilisé pour qualifier l'action de la police comme étant, d'une manière générale, génératrice de violences policières systémiques, j'ouvre les guillemets.

BENJAMIN DUHAMEL
Et l'idée ici n'est pas de parler de systématisme, mais simplement de ces vidéos qui ont choqué ou vont choquer beaucoup de Français.

LAURENT NUNEZ
Vous ne m'entendrez jamais reprendre ce terme de violences policières. Si, au cas d'espère et ça semble, de ce que j'en ai vu, j'ai regardé évidemment cette vidéo, confirmé, il y a effectivement eu un usage de la force qui est pour partie disproportionné, il y a une enquête qui l'établira et il y aura des sanctions, évidemment. Et on est déterminés avec le Directeur Général de la gendarmerie nationale.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 novembre 2025